MAIS OÙ PASSENT DONC LES GENS À MACHECOUL ?
Il ne se passait pas grand chose dans cette petite ville du pays de Retz nommée Machecoul. À part les bagarres de tavernes, les petits larcins occasionnels et les cas étranges de personnes portées disparues. On pouvait s'attendre à ce que de tels événements se produisent étant donné le manque de sécurité dont les gens faisaient preuve à l'époque et le laxisme de la maréchaussée. Les problèmes et les crimes étaient balayés sous le tapis, et les bonnes actions étaient mal vues car elles montraient simplement que quelqu'un tentait de se voir transformé en un autre morceau de viande sur le billot. C'était un endroit peu accueillant, surtout pour ceux qui faisaient pas partie de la Famille.
C'était quelque chose qu'un étranger ne pouvait pas savoir au moment où il pénétrait dans le bourg. Tout ce qu'il pouvait voir, c'était la bonne humeur qui régnait entre ses murs, avec des fêtes et des événements, des jongleurs et des troubadours. Les gens grimpaient et criaient dans les rues partout où il regardait. La pensée lui traversa l'esprit : " Toute cette agitation en ville pourrait faciliter la recherche de ma fille, espérons-le."
Après avoir passé une matinée et un après-midi à se renseigner dans les ruelles bondées, il semblait que personne ne voulait lui apporter d'aide, car il était ignoré et on lui déclinait en détournant le regard toute invitation à discuter. Tout ça devint très frustrant car il savait que la personne qu'il recherchait avait emménagé dans cette ville. Pourtant, c'était comme si elle y était arrivée et s'était cachée des habitants de la ville, car personne ne parlait même de son existence.
Il remarqua un groupe de personnes buvant des brocs devant une certaine auberge et devinant que c'était certainement la plus populaire , il traversa le groupe et pénétra à l'intérieur. À partir de ce moment-là, ce fut comme si le soir s'était transformé en nuit en quelques minutes seulement, car l'étranger perdit rapidement le compte du nombre de brocs qu'il avait bus. Il n'avait jamais développé une bonne tolérance à l'alcool tout au long de sa vie parce qu'il n'avait jamais été porté sur la chose, il n'avait jamais vécu à Machecoul.
Durant son séjour dans la taverne, il fit la connaissance d'un ivrogne parmi d'autres et cet ivrogne était à moitié en pleurs, mais c'était la seule personne ayant accepté de causer avec lui.
" Alors, comment se passe ton premier jour ici, l'ami ?" demanda l'ivrogne en rotant à plusieurs reprises, comme à son habitude.
" C'est très ennuyeux dans mon espace restreint mais passionnant partout ailleurs. Tout le monde semble parler et interagir les uns avec les autres tout le temps. Ils sont tous de bonne humeur mais une fois qu'ils me voient approcher, ils semblent tous m'ignorer. Une chance que le tavernier m'ait servi quelque chose sans m'ignorer", répondit l'étranger en agitant sa bouteille au dessus de la table.
" C'est parce qu'on est jamais à cours de boissons ici. C'est ce qui fait la renommée de la ville. On oublie les péchés d'hier et on chante pour la gloire de demain", expliqua l'ivrogne avant de s'envoyer une lampée.
" Quelle gloire peut-on trouver à boire pour oublier ses soucis ?
- Rester en vie, c'est tout, l'ami, rester en vie."
Après quelques rires et plus de brocs, les deux inconnus commencèrent à s'entendre plutôt bien. Jusqu'à ce qu'une autre bagarre éclate dans la taverne. L'étranger qui essayait de quitter les lieux immédiatement fut frappé au menton par le poing du même ivrogne avec qui il buvait. L'ivrogne n'avait pas réalisé qui il venait de frapper, il savourait juste le plaisir de le faire. Il n'était qu'un ivrogne, c'était dans sa nature, comme c'est la nature des scorpions de piquer de la queue. À partir de ce moment, le reste de la nuit fut sombre et froide.
Une fois réveillé et après avoir pris le temps de se rafraîchir, il reprit sa mission. Il se promena dans une ruelle que beaucoup de gens en ville auraient sans doute évitée, mais il ne connaissait pas les lieux. Sans prévenir, l'étranger sentit un objet pointu lui piquer le bas du dos et une main s'enrouler autour de sa gorge. " Je me suis laissé dire que t'étais nouveau ici, vieux", siffla une voix provenant d'une mystérieuse silhouette qui semblait jeune mais assez expérimentée dans ce sport.
" Avant de faire quoi que ce soit que vous pourriez regretter, vous devez également me laisser vous dire que je suis de la famille de Penhoët et que vous pourriez gagner une jolie petite somme grâce à ma valeur tant que je resterai en vie", rétorqua l’homme, aussi calmement que possible. Quelque chose de très remarquable car il n’avait jamais été tenu sous la menace d’un couteau dans le creux des reins avant cet instant.
" Tu défends mal ta cause, dis-moi plutôt pourquoi je devrais pas tout simplement te tuer et te dépouiller de cette même valeur ?
- Je cherche une femme.
- Tout le monde cherche une paire de nichons.
- S'il vous plaît, je parle de ma fille, je veux juste m'assurer qu'elle va bien et qu'elle est en sécurité. J'ai perdu contact avec elle il y a environ trois semaines et si vous pouviez me fournir des informations sur ce qui aurait pu lui arriver entre-temps, je vous gratifierai amplement."
Le détrousseur appuya sur sa lame avec un peu plus d'insistance. Lui et les truands de son engeance avaient entendu leur lot d'histoires d'hommes à la recherche de femmes dans ces rues. Ils avaient grandi à Machecoul, ils en connaissaient les secrets.
" Attendez ! Attendez ! Laissez-moi juste vous montrer à quoi elle ressemble et si vous ne la reconnaissez pas, je vous paierai quand même pour savoir où aller." L'homme sortit un médaillon avec le portrait de sa fille de sous son manteau. " S'il vous plaît, si vous savez quelque chose sur l'endroit où elle se trouve, je vous donnerai tout ce que vous voudrez, alors s'il vous plaît, où est-elle ?"
Lorsque les larmes commencèrent à couler sur le visage de l'homme, elles coulèrent également sur le poignet du voleur dont la main lui tenaillait le cou. Ce dernier n'avait jamais vu un homme aussi désespéré qu'il se mette à pleurer sur le portrait d'une femme. Il commença à comprendre que c'était quelque chose de différent, il avait déjà entendu de ses victimes supplier pour leur vie auparavant et ça ne ressemblait pas à ça. Alors le voleur libéra le cou de sa proie.
L'homme courut dès qu'il fut libre mais se retrouva rapidement au fond d'un cul-de-sac, respirant faiblement et rapidement. Ses blessures le rattrapaient et il ne savait pas quand il allait s'effondrer. C'était seulement son deuxième jour et il était déjà prêt à repartir. " Comment a-t-elle pu survivre ici aussi longtemps ?" se demanda-t-il.
" Voici ma récompense pour t'avoir épargné. Je veux tout ce que tu as sur toi", demanda froidement le voleur.
" Ma doué , vous êtes prompt en affaires. Je suis surpris que vous ayez choisi la carrière de voleur", répondit l'homme en se frottant la gorge. Il réussit enfin à apercevoir son agresseur et fut choqué de voir qu'il n'était pas aussi balèze qu'il l'avait imaginé, mais qu'en fait il était couvert de haillons pour masquer son apparence et ses traits. C'était quelque chose que beaucoup de voleurs comprenaient car il valait mieux se cacher parce que les gens avaient peur de ce qu'ils ne pouvaient voir, et s'ils choisissaient de ne pas avoir peur, c'est qu'ils sous-estimaient cette peur.
Le voleur lui répondit par un silence scrutateur en agitant sa lame.
" Très bien, alors voilà", répondit l’homme en fouillant dans sa poche et en retirant lentement sa main pour ne pas alarmer le voleur et lui faire prendre des mesures soudaines et regrettables. Lorsqu’il finit par dévoiler cette dernière, il lui montra une bourse contenant une quantité d’or considérable, pas moins d'une livre au bas mot. En moins d'une seconde, le voleur l’arracha des mains de l’homme et avec elle son unique moyen de subsistance. La vie de l’homme était désormais entre les mains du voleur. " S’il vous plaît, toute information peut m'être utile."
Le voleur pensait pouvoir laisser cet homme sans aucune information, le laissant devenir un mendiant et finalement un autre morceau de viande prêt pour le billot. Il savait où se trouvait la fille, mais cela impliquait de parler de la famille du Seigneur de Rais et plus on se tenait loin de cette dernière, plus on était en sécurité. Mais encore une fois, pour soutenir ça, ils n'était qu'un voleur et ils avait eu plus que ce qu'il pensait. Tout ce qu'il faisait, c'était suivre sa nature.
" Attendez, où allez-vous ?"
Le voleur s'en alla sans même prendre la peine de courir, sachant que l'homme ne le rattraperait pas. Les blessures du temps étaient trop lourdes pour ce dernier. Il pouvait crier à l'aide mais personne ne viendrait. C'était Machecoul, c'était le pays de Retz, une terre qui n'accueillait pas chaleureusement les étrangers.
La nuit approchait et le jour tombait. Rien n'avait changé parmi les habitants de la ville. Peu d'entre eux pensaient à l'homme qui frappa à leurs portes deux nuits durant, et s'ils le faisaient, ils claquaient ces dernières en guise de réponse. Il mourait de faim, il n'avait plus rien en sa possession à part ses vêtements et son nom. Les choses semblaient désespérées pour lui car partout où il allait, il n'y avait qu'une impasse jusqu'à ce qu'une porte fatidique et cloutée se dresse devant lui de l'autre côté d'un pont-levis abaissé.
Celle d'un château fort.
Il frappa à la porte, puis s'en suivit un moment de silence. L’homme était sur le point de partir, vaincu, mais au moment où il se tournait, la double porte cloutée grinça sur ses gonds et ce qui suivit ne fut pas un claquement mais deux hommes d'armes et un valet. Ce dernier regarda l’homme à sa porte avec intérêt, comme on le ferait pour un chiot perdu. Puis le valet demanda : " Puis-je vous aider, messire ?
- Je ne sais pas. Avez-vous pour habitude d'aider les inconnus ? demanda l'homme, sans grand espoir.
- Bien sûr, s'ils parviennent à retenir l'attention de mon seigneur et maître. Ils ont un dîner de famille auquel je dois attendre et je ne voudrais pas les faire eux-mêmes attendre. Cela étant dit, comment puis-je vous aider, cher monsieur ?
- S'il vous plaît, je ne voudrais pas déranger, tout ce que je demande, c'est une information. Je recherche une jeune femme adulte. S'il vous plaît, si vous savez quelque chose - quoi que ce soit, dites-le-moi". Il sortit le médaillon avec le portrait de la jeune femme et le tendit au valet. Ce dernier s'en saisit et l'étudia de près.
" Je suis désolé monsieur, mais quel est votre nom si cela ne vous dérange pas que je vous le demande ?
- Penhoët, Arnaud de Penhoët. Je suis désolé mais j'ai vraiment besoin de la retrouver. C'est ma -
- Et si nous parlions de ça à l'intérieur, messire de Penhoët ? Il se fait tard et j'aimerais vous être d'une aide précieuse. Vous pouvez vous joindre à la famille de Rais pour dîner et passer la nuit ici si vous le souhaitez. Je détesterais vous imaginer dormir dehors dans cette froidure. Venez, entrez s'il vous plaît", insista le valet, faisant signe à Arnaud d'entrer et Arnaud le suivit volontiers.
" Merci beaucoup. Pourrais-je également connaître le nom de votre maître ?
- Il s'agit de Gilles de Rais et comme vous pouvez le voir, ce château abrite sa famille depuis des générations." Le valet dirigea le regard d'Arnaud vers les tableaux sur les murs qui révélaient toutes les générations et parents qui avaient mis les pieds dans cette demeure. Arnaud trouva étrange qu'aucun des portraits ne semblait avoir de liens de parenté. Il remarqua également un endroit où un tableau aurait dû se trouver, avec seulement les contours poussiéreux du cadre révélant son absence récente.
" Qu'est-il arrivé à celui-là ?
- Hem, pour faire simple, disons qu'il y avait une légère erreur sur la personne avec ce tableau."
Ils atteignirent enfin la salle à manger et y était assise l'ensemble de la noble famille avec des assiettes déjà dressées. La table comptait huit chaises, une à chaque extrémité et trois de chaque côté. Dans le fauteuil principal se trouvait Gilles, le maître de Retz et de la maison, et à sa droite était assis un jeune adolescent qu'Arnaud supposa être son fils mais qui ne ressemblait en rien au père. Même la femme qui était assise à la gauche de Gilles, qui avait l'air magnifique avec des indices évidents qui laissaient penser qu'il s'agissait de sa femme, ne sembla agacée par l'interruption soudaine de la soirée. À côté d'elle était assise une jeune fille qui le fixa avec intérêt pendant presque tout le reste de la soirée. Arnaud décida de s'asseoir en bout de table en face de Gilles pour s'épargner la peine de mettre quelqu'un mal à l'aise. Le valet se pencha à l'oreille de son maître et lui chuchotta quelques mots.
" Eh bien tout le monde, voici notre nouvel ami, Arnaud de Penhoët. Il a accepté de se joindre à nous pour notre dîner ce soir. Je sais que c'est soudain et quelque peu abrupt mais il a besoin de notre aide et nous ne voulons pas qu'il reparte sans avoir bien mangé et bien dormi", formula Gilles haut et fort pour que tout le monde l'entende. " Oh, j'allais presque oublier, pourrions-nous tous nous réunir et nous assurer de l'aider à trouver la personne qu'il recherche désespérement", demanda Gilles, bien que cela ressembla plus à un ordre, tandis qu'il prenait la première bouchée de son repas.
" Oh mon Dieu", s'exclama Gilles. " Messire Arnaud, je suis désolé, j'ai complètement oublié de vous faire servir. Quelqu'un peut-il servir son repas à messire de Penhoët ?"
Personne ne dit rien, Arnaud regarda simplement avec intérêt tout le monde manger leur nourriture en silence. Étant de la famille de Penhoët, il avait eu sa part de dîners, surtout avec d'autres personnes extérieures à sa famille, mais quelque chose clochait entre ces gens. Ils étaient silencieux et ne dirent mot pendant ce qui sembla être une éternité. Bien qu'Arnaud se demandait normalement ce qui prenait autant de temps à manger, il était trop mal à l'aise face à tout ce scénario. Tout le monde était tellement concentré sur sa nourriture que c'était comme s'ils ne se souvenaient même pas qu'il y avait d'autres personnes dans la pièce, et encore moins un étranger. Il rompit donc le silence en disant : " Désolé de vous interrompre, mais je me demandais en attendant mon repas si je pouvais voir si vous saviez où -
- Nous savons où elle se trouve", l'interrompit Gilles au milieu de sa bouchée, regardant avec dégoût la texture de sa viande. Arnaud ne savait pas s'il était abasourdi par sa franchise ou s'il avait enfin obtenu la réponse qu'il espérait.
" Je n'ai présentement aucun argent sur moi, mais une fois de retour dans mes terres, je m'assurerai de lui faire envoyer beaucoup de richesses pour qu'elle les récupère, alors si vous pouviez-" Arnaud s'exprimait lentement jusqu'à ce que cela le frappe lentement. " Attendez, je ne vous ai jamais indiqué qui je cherchais, du moins pas à vous.
- Oh, mais vous êtes un Penhoët. Vous devez chercher la femme qui est chez nous depuis quelques temps. Quelle honte, un homme de votre âge ne devrait pas courir après une jeune femme aussi délicieuse", dit la femme tout en mâchant encore un morceau tendre de la viande qu'elle semblait apprécier. " Maintenant ça me revient, son nom est aussi quelque chose comme Penhoët. Pardonnez-moi d'être impolie. Ce doit être votre femme, n'est-ce pas ?
- Il s'agit de ma propre fille", murmura presqu'Arnaud, incertain de ce qui se passait. Ces gens semblaient en savoir plus qu'ils n'auraient dû. À moins que ce ne soit la famille avec laquelle elle avait décidé de vivre. Peut-être qu'elle était quelque part dans le château, en train de dormir ou trop occupée par une corvée ou un passe-temps pour venir dîner. Combien de chances y-avait-il que cela se produise le jour de l'arrivée de son père, mais vu la façon dont son expérience se déroulait, ce serait tout simplement sa chance. " Est-elle ici ? À l'étage peut-être ? N'importe quoi, n'importe quoi, je ne veux pas vous l'enlever car je sais qu'elle a élu domicile chez vous, mais dites-le-moi pour que je puisse la voir.
- Calmez-vous, calmez-vous, oui elle est avec nous mais elle n'est pas intégralement elle-même en ce moment", répondit Gilles avec un sourire énigmatique à la fin de sa phrase.
" Que voulez-vous dire ? Est-ce qu’elle va bien ?
- Elle fait désormais partie de notre famille et tous ceux qui la rejoignent restent à jamais dans le cœur de ceux qui consomment cet amour.
- S'il vous plaît, donnez-moi simplement une réponse. J'apprécie tout ce que vous faites et l'hospitalité que vous me témoignez, mais j'ai besoin de voir ma fille puisqu'elle est ici.
- Elle sortira bientôt, Arnaud. Si vous voulez voir le visage de votre fille, vous le verrez. Et puis, vous faites aussi partie de la famille désormais, je suis sûre que vous en viendrez à comprendre comment nous choisissons de témoigner notre amour à tous ceux qui se joignent à nous. Nous sommes si heureux d'avoir le père d'une si délicieuse jeune femme dans notre demeure ce soir. Nous allons enfin savoir d'où elle tient toute cette senteur.
- Ce que vous dîtes n'a aucun sens. Que voulez-vous dire ?
- Oh mon Dieu, regardez-donc, votre plat est là. Nous voulions le garder pour une soirée spéciale, mais avec un invité de marque, je suppose que nous ne pouvions que vous l'offrir.
" Quel dommage. J’avais hâte de goûter l’intérieur de cette tête", soupira le damoiseau assis à droite de Gilles en prenant la viande dans son assiette.
- Maintenant que tu connais la tradition, arrête de te plaindre et laisse l’homme profiter de son repas", exigea la femme tout en mâchant encore un autre morceau de viande tendre.
" Ce n'est même pas si bon que ça. La viande est très fade. Je pensais qu'elle serait plus sucrée", dit la jeune fille tout en continuant à mâcher la sienne.
- Ah, cette viande a probablement été saignée trop tôt et pas assez faisandée. Eh bien, il y aura bientôt d'autres plats délicieux, alors personne n'a à s'inquiéter", dit le maître du logis en mettant de côté les inquiétudes de tout le monde tandis que le repas d'Arnaud était placé devant lui par des majordomes.
Devant Arnaud se trouvait maintenant un plat recouvert d'une cloche en métal qu'il hésitait à soulever. Bien qu'il ait attendu si longtemps son plat, il se demandait ce qui se passerait s'il ne l'aimait pas. Peut-être que chercher un repas n'était pas ce qu'il aurait dû chercher et peut-être qu'il aurait mieux fait de continuer à vivre avec la faim. S'il le faisait, il ne serait pas déçu de découvrir le manque de goût du plat, le dégoût de sa texture ou la consistance de sa graisse. Mais la faim était plus forte et elle le sera toujours dans le cœur des hommes et des femmes. Car il est dans leur nature de se goinfrer.
Alors, quand il souleva le couvercle, il mangea son repas et une ébauche de sourire commença à lui dérider les lèvres, car il venait enfin de retrouver sa fille, et avec elle, il avait aussi trouvé une nouvelle famille dont il pouvait faire partie. Il comprenait pourquoi elle était restée ici et s'était enfuie des terres de Penhoët. Il ne se sentait plus seul, elle était maintenant une partie de lui et bientôt lui-même serait un morceau de tous les autres à cette table. Il était maintenant membre de la famille de Rais et tout le monde oublia l'étranger et l'homme, Arnaud de Penhoët. Il faisait désormais partie de la famille comme n'importe quel autre morceau de barbaque autour et sur cette table.