" Laisse-moi comprendre : tu m'as invoqué à cause d'un grille-pain ?
- Ouais, t'as tout compris, vieux bouc. Le truc en inox juste là. C'est du costaud. Marie-Odile avait essayé quatre fois de me l'éclater sur le coin de la gueule sans réussir. Tu le vois ?
- Bien sûr que je le vois, mortel.
- D'accord. Bien. Alors, je pensais, peut-être que tu pourrais juste agiter tes mains et faire ton charabia magique et le faire fonctionner à nouveau, Satan.
- Satan ?
- Ben, c'est ton nom, n'est-ce pas ?
- Non.
- Lucifer, alors ?
- Non.
- Bellezébites ?
- Voilà que tu joues les transphobes, maintenant ?
- Eh ben, tu n'as pas à le dire comme ça. Et tu peux aussi te fourrer ce roulement d'yeux dans le cul. Je te le dis, les enfants de nos jours n'ont pas de manières. Aucun respect pour leurs aînés.
- Tu parles de respect, pourtant nous avons cette conversation parce que tu m'as appelé par le mauvais nom. Trois fois.
- Insolent ! Encore un truc pour lequel t'es doué, morveux.
- Je te ferai savoir que contrairement à ce que vos précieuses fables du coucher vous amènent à croire, mon nom n'est ni Satan, ni Lucifer, ni Belzébuth. C'est Kimothée."
- Timothée ? Quel genre de nom que c'est là pour le diable ?
- Non. Kimothée.
- Kimoté ? Comme le cri d'orgasme des Geishas ?
- Tu m'exaspères, mortel. Kimothée, dernière fois que je te le répète.
- Hmm. Eh bien, tu peux me réparer le grille-pain ou pas, Kimo ? Il est en panne. Regarde voir. Je mets le pain dedans et il ressort aussi blanc que le col d'un curé. Quel genre de petit-déj que c'est si y a pas de toasts dorés ?
- Je peux pas croire que tu m'as invoqué pour ça.
- Avant, c'était ma femme qui s'occupait de ce genre de trucs. Elle était vraiment douée avec tous ces engins modernes. Grille-pain, ordinateurs, ampoules. Ce genre de trucs.
- Tu veux me faire croire que tu sais même pas comment changer une ampoule ?
- Quoi ? Tu penses que j'ai dressé ce pentagramme de bougies là juste pour créer de l'ambiance ou quelque chose comme ça ? Quoi qu'il en soit, elle m'a cassé sa pipe l'année dernière, ma femme je veux dire. Eh ben, tu le savais probablement déjà. Je suppose qu'elle est au sous-sol là avec toi maintenant, à harceler les gens pour qu'ils utilisent des sous-verres et pour qu'ils pissent dans les toilettes plutôt que dans la douche. Elle a toujours aimé les canicules.
- As-tu une idée du nombre d'âmes éternellement damnées...
- Hé, en voilà une idée qu'elle est bonne ! Peut-être que tu pourrais la chercher une fois que t'auras fini de réparer mon grille-pain. Elle s'appelle Marie-Odile Jouault. Peut-être que tu l'as vue... Ouais, c'est à peu près ça ouais, et il lui manque deux dents, une ici et une là. Une vraie renarde argentée.
- Un réparateur d'abord et un messager ensuite ? Ton insolence n'a donc pas de limites, humain ?
- Dis-lui que son mari Louis pense à elle avec tout son amour. Feras-tu ça pour moi, Kimo ? Accorderas-tu à un vieil homme son dernier souhait ? Après que t'en auras fini avec mon grille-pain, je veux dire.
- Non. Et tu n'es pas en train de mourir. Pas encore, bien sûr. Dans mon emploi du temps, il est dit que tu n'es pas prêt à nous rejoindre pendant encore quelques-
- Oh, arrête de charrier. Dis-moi pas que t'es encore choqué pour t'avoir appeler Bellezébites, hein ? Je voulais rien dire par là. Honnêtement, je voulais pas.
- Écoute bien, mortel ! Invoquer le nom d'un diable androgyne est une entreprise sérieuse. Dans le passé, j'ai aidé des hommes à gagner des guerres, à conquérir des terres, à acquérir du pouvoir politique et à laisser les restes en lambeaux d'ennemis dans leur sillage. J'ai aidé des comme Gengis Khan, Attila le Hun, Bill Gates et George Soros. Les gens font appel à moi quand ils veulent voir la vie s'écouler des yeux de leurs adversaires. Je n'ai pas le temps de me faire chier avec un simple grille-pain.
- Hmm. Ok. Ok, je pense que j'ai compris maintenant. Alors, ce que tu dis, c'est que si je voulais devenir le maire de cette ville, tu pourrais utiliser tes pouvoirs pour que j'y arrive ?
- Facilement.
- Et si je voulais voir quelqu'un manger les pissenlits par la racine, tu pourrais m'aider avec ça aussi ?
- En un claquement de doigts.
- Et si - et je ne fais qu'hypothétiser ici, je pense juste à haute voix - si moi, en tant que maire de cette ville, je voulais que ce quelqu'un rencontre sa mort prématurée au moyen d'un grille-pain électrique, c'est quelque chose que tu pourrais également arranger ? Tu peux te foutre ce soupir dans le fion, Kimo, je fais juste que poser une question.
- Pour l'amour du Christ !
- As-tu le droit de dire ça ? Je veux dire, être le diable et tout. Dieu, je suis tout confus maintenant. Oups. Désolé. Était-ce offensant ? Utiliser le nom de Dieu ou de son fils comme ça, je veux dire. Ce n'est pas une autre de ces situations de Bellezébites, n'est-ce pas ? Tu sais, il fut un temps où la liberté d'expression signifiait quelque chose dans ce pays et-
- Assez ! Tu as gagné ! Si tu souhaites détruire ton ennemi avec ce grille-pain, si tu en as vraiment besoin pour faire régner le mal, alors qu'il en soit ainsi.
- Vraiment ? Eh bien, pas la peine de te mettre dans tous tes états, mais puisque tu le proposes, qui que je suis pour t'arrêter ? Hé, qu'est-ce que je t'ai dit à propos de tes soupirs ? Attention aux bougies, ne les renverse pas. Tu peux pas savoir comme c'est difficile de construire un pentagramme avec des bougies quand on n'a pas d'ampoules pour s'éclairer.
- Incroyable.
- Oh, je vois. Tu dois te trouver à côté du grille-pain pour utiliser tes pouvoirs pour le réparer, hein ? C'est logique. Oh. Oh ! Il faut d'abord brancher ce truc dans le truc mural ? Putain, Marie-Odile aurait pu au moins me dire ça avant de calancher, tu crois pas ? Alors ça marche maintenant ?
- Essaye si tu me crois pas.
- D'accord... Ô Seigneur tout-puissant, non mais regarde-moi ça ! Comme neuf. As-tu déjà vu un morceau de pain grillé plus uniformément de toute ta misérable vie ? Non mais renifle moi ça !
- Oui, oui. Super. Maintenant, le moment est venu de détruire tes ennemis et de te baigner dans les rivières de leur sang pourpre et chaud...
- Oh. Ouais. À propos de ça. Tu sais, à la réflexion, j'ai en quelque sorte changé d'avis.
- Quoi ?
- Je veux dire, qu'est-ce que je vais foutre en tant que maire de cette ville à mon âge ? Franchement. Ce serait une perte de temps, je pense, et il n'y a rien que je déteste plus que de perdre mon temps. Dieu sait que je ferai jamais ça. il m'en reste une grande partie. Oups, désolé, voilà que j'ai encore utilisé le mot D-
- Dis-moi pas que tu oses blacklister un accord avec le diable ?
- Black quoi ? Maintenant, qui c'est qu'est raciste ?
- Silence ! Au diable le programme. Louis Jouault, le jour du jugement est sur toi. Pour ton impudence et ton insubordination, je te condamne maintenant à une pestilence ardente, fumante, impitoyable... mais, mais, quelle est cette odeur infernale ?
- Ah bah merde, Kimo, t'as plus l'air si sexy tout d'un coup. T'es tout rouge sur la gueule. Enfin, tu vois qu'est-ce que je veux dire. T'as besoin d'un verre d'eau ferrugineuse ou quelque chose comme ça ? Cette toux a l'air plutôt désagréable.
- Ce pain grillé. Qu'est-ce que tu lui as fait ?
- Hmm ? Ça ? C'est juste des graines de pavot bénites. Tu en veux ? Marie-Odile en mettait tout le temps dans les hosties qu'elle cuisait pour le curé. C'est pas aussi mauvais que ça sent.
- Des graines de pavot bénites ?
- C'est drôle, elle m'expliquait des recettes et tout, mais lui faire expliquer comment faire fonctionner le grille-pain, c'était comme entrer par effraction dans la Banque de France. Hé, peut-être que tu devrais t'allonger ou quelque chose comme ça. Sérieux, t'as pas l'air dans ton assiette, tu te balances comme un canasson à trois pattes au Grand Prix d'Amérique.
- Cette odeur. Je peux plus respirer.
- Qu'est-ce qui t'arrive, t'es allergique ou un truc dans ces eaux-là ? Oh. Eh ben, t'aurais dû le dire plus tôt. Pourtant, c'est plutôt bon. Je l'ai fait moi-même. Tiens, je vais t'en casser un petit morceau. Oh s'il te plaît, y a pas tant de graines de pavot que ça. Tout ira bien. Arrête de faire le bébé. C'est le problème avec vous les enfants de nos jours. Bon sang, de mon temps, on devait marcher cinq bornes pour aller à l'école, en montée, dans les deux sens, pieds nus, dans le neige. Et puis il fallait manger de la neige !
- Je dois... je dois… battre en retraite.
- Hé, où que tu vas ? T'as même pas pris une bouchée complète. Très bien alors. Eh ben, merci d'avoir réparé le grille-pain, Kimo. Je suppose que je te reverrai quand on se recroisera. Et si tu la croises là-bas, n'oublies pas de dire à Marie-Odile que je lui passe le bonjour. Et que je la remercie pour la recette."
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