C'était bien moi là, allongé là; les doigts de pieds en éventail sur le billard chirurgical. Ou plutôt, disons qu' "IL" était là. Celui-là qu'on jurerait que c'était moi à s'y méprendre. Celui qui était moi. Ou celui qui l'avait été. Et il me regardait droit... dans le trou des yeux de mes lentilles.
Désarçonnant au début. Y avait l'éclat de tout un tas de trucs en chrome juste derrière et au-dessus de sa tête, parsemé de tâches de sang comme des fientes de mouches. Le personnel médical s'affairait autour de lui, l'un d'eux lui touchant le bras. Il était recouvert d'un drap léger couleur lait à la menthe.
Il était réveillé. Il me ressemblait comme deux gouttes d'eau. C'était moi en dehors de moi.
Évidemment, je regardais via les caméras de la salle d'opération maintenant. "Ça a marché," s'exclama quelqu'un. Je reconnus le timbre de la voix profonde. Celle de la spécialiste. La neurograveuse. "On peut déjà voir un aperçu de la copie de la dernière partition sur le tampon mémoire du serveur de l'hôpital."
La neurograveuse se tint à ses côtés. Je n'apercevais, à travers mes focales dernier cri et du haut de ma vue plongeante, que le dessus arrondi et vert pastel de sa coiffe chirurgicale, ses épaules poteléees, le début du sillon entre ses deux nibards laiteux ainsi que le bout rose de son petit nez mutin. Se penchant sur la table d'opération, elle le dévisagea. Il ne pouvait pas tourner la tête avec tout l'équipement branché sur et autour de sa tête tel un paquet de ronces enchevétrées. "Peut-il nous entendre ?" demanda-t'il à la neurograveuse. Il parlait de moi, ce connard d'original périssable !
- Probablement," lui répondit cette dernière. "Mais il peut pas parler pour l'instant. Il n'y pas de haut-parleurs ici. Nous allons envoyer l'image disque sur le réseau maintenant. Vous serez capable de lui parler dès que nous aurons extrait la neurogravure et fait un peu le ménage autour."
C'était dit d'un ton si badin. Un peu de ménage autour...
" Restez calme", continua la neurograveuse, "je vais connecter votre image sur la toile."
Le silence explosa et un million de voix m'assaillirent d'un coup d'un seul.