Bienvenue, curieux voyageur

Avant que vous ne commenciez à rentrer dans les arcanes de mes neurones et sauf si vous êtes blindés de verre sécurit, je pense qu'il serait souhaitable de faire un petit détour préalable par le traité établissant la constitution de ce Blog. Pour ce faire, veuillez cliquer là, oui là!

13 mars 2022

595. Le Trou de Ver - (c'h)



C'était une suggestion, pas un ordre. Comme d'hab et malheureusement, Verc'h Kardec, (même patronyme mais sans aucun lien avec Allan ) ne fit pas la différence. Il fit, toutefois, l'achat d'une pelle. Et c'est là que les choses partirent en sucette.

Verc'h était différent des autres hommes du village qui passaient leur temps libre à se remplir de cidre sur la terrasse de la taverne du Roy Gradlon. Il était célibataire et n'avait aucun goût pour la chasse, la pêche, la boule bretonne, le foot ou les jeux de dominos. La grande, l'immense passion de Verc'h était celle qu'il avait pour le travail, le labeur éreintant et laborieux.
Aussi, lorsqu'il perdit son taf à la carrière d'ardoises à cause d'un malheureux accident dont personne d'autre que lui n'était responsable, Verc'h se retrouva avec des tonnes de temps libre. Et tout un chacun dans les environs savait qu'y avait deux trucs qui n'allaient pas ensemble: Le temps libre... et Verc'h Kardec.

" Vous êtes au courant pour Verc'h Kardec ?" 
(Criiic... criiic... criiic...) Le fauteuil à bascule en rotin grinça des dents et couina tandis que le gros Youenn se trémoussait pour tenter d'enfiler son cul surdimensionné entre les deux accoudoirs. Le vieux Padern hocha la tête puis la pencha pour recracher la fange brune et puante de son tabac à chiquer comme à niquer les chicots dans un bol posé sur la table.

La clochette de la porte de la taverne-droguerie-alimentation tinta lorsque Koneg en émergea avec trois bolées de cidre frais. Des gouttes de sueur parsemaient son front et sa lèvre supérieure, mais si ce fait n'avait rien à voir avec la température du jour qu'était clémente, il avait par contre tout à voir avec son métabolisme de colimaçon poitrinaire et diabétique. Le simple trajet du comptoir de la taverne jusqu'à la terrasse suffisait à l'essouffler et le mettre en surchauffe. Il distribua les bolées à ses deux compagnons et se rafraichit le front en s'en frottant la peau avec la sienne avant de la poser sur la table. Puis il souleva à deux mains son énorme panse tombante afin de pouvoir s'assoir entre ses deux potes sur le rotin à bascule libre, permettant enfin à ses entrailles de s'avachir à leur tour sur les accoudoirs.
"Ce serait pas de Verc'h Kardec que je vous ai entendus causer ?" demanda ce dernier avant de s'envoyer dans le tuyau une lampée de sa bolée.
" Hum. Hmmm" (Criiic... criiic... criiic... )
- Ce pauvre garçon peut pas rester en place...
- Hum. Hmmm (Criiic... criiic... criiic... )
- Il est atteint de gigotte aigüe. (Criiic... criiic... criiic... )
- Ça me rend mal à l'aise... comme si on me pelait la peau quand il est dans le coin.
- Ouais, moi aussi. Comme une crise d'urticaire.
- Comme l'électricité statique pendant l'orage juste avant...
- Que la foudre ne frappe.
- Ouais. Hum. Hmmm (Criiic... criiic... criiic... )

Ils se balancèrent en silence dans leurs rotins à bascule pendant un moment; économisant leurs énergies (Criiic...)

Youenn cessa de se balancer et posa ses deux pieds au sol. Il loucha des yeux et se pencha en avant aussi loin que son énorme bide le lui permettait. "Jésus Marie Joseph, parlez-moi du Diable." Il indiqua du menton le vieux sentier qui descendait la colline en face de la terrasse.
Et aussi sûr que je suis pas plus con que la moyenne, la silhouette pressée et grommelante traçant en flêche en direction de la taverne n'était nulle autre que celle de Verc'h Kardec.
- Ma parole, ce garçon m'a tout l'air d'être atteint de constipation protobionique." (Criiic... criiic... criiic... )

Lorsqu'il atteignit la taverne, Verc'h n'en poussa pas la porte. Il ne prit pas non plus place dans le rotin à bascule libre aux côtés des trois hommes. Non, au lieu de ça, il se mit à faire les cents pas vers la gauche, puis vers la droite et rebelote.
Un coup par de ce côté-ci, un coup de l'autre bord là-bas.
Les trois hommes sur la terrasse se mirent à observer Verc'h faire ses allers et retours devant leurs nez.
" Il va pas s'assoir, on dirait ?
- Je crois pas, non
- Vous pensez pas qu'y va se fatiguer ? (Criiic... criiic... criiic... )
- Non, je crois pas.
- Ouais ben moi, il commence à me fatiguer.
- Et il me fait tourner la tête. Il m'esquinte les cervicales.
- Youenn, fais quelque chose ! (Criiic... criiic... criiic... )
- Ouais Youenn, fais le s'arrêter !

La vue de Padern se troubla si tant à force de regarder cet électron libre faire ses allers-retours qu'il confondit son bol crachoir avec son bol de cidre. Pas besoin de le préciser, il dégueula aussi sec le liquide puant, brun et baveux sur les cuisses de son pantalon du dimanche. Son cri furax fit que Verc'h Kardec stoppa net un pied en l'air.
C'était exactement le moment qu'avait attendu Youenn depuis près d'une demi-heure.

Maintenant, chers lecteurs, prenons une petite seconde pour réfléchir sur la véritable nature des trois hommes sur la terrasse. Ils s'en battaient les couilles de ce que Verc'h faisait de son temps libre. Leur but n'était pas de l'aider, ni même celui de lui faire du tort. Ils voulaient tout simplement qu'il arrête ses allers-retours devant la terrasse.

"Je vois que t'as fait le plein d'énergie, hein ? lui jeta Youenn. Pendant une seconde, il se dît que Verc'h allait ignorer sa remarque, mais ce dernier lui répondît presqu'aussi sec.
"J'ai perdu mon boulot. Je sais plus quoi faire de moi maintenant. Je suis un bosseur. Bosser, c'est tout ce que je sais faire. C'est comme ça qu'on m'a élevé.
- Madoué, ben on peut dire que c'est ton jour de chance ! Je crois savoir où y a du travail pour toi." Youenn lui fit son plus étincelant sourire.
Les yeux de Verc'h s'allumèrent et il se précipita vers la terrasse mais Youenn lui fit signe de rebrousser chemin d'un geste de la main et replongea son regard dans sa bolée. " Non, oublie-ça. C'est probablement trop de travail. J'aurais pas dû t'en parler." Youenn jeta à Verc'h un regard en oblique pour jauger sa réaction.
Verc'h grogna de frustration et se remit à faire les cent pas.
" T'as tiré trop loin, hein ? se marra Koneg.
- Pas du tout. Observe la suite." Youenn avala ce qui restait dans le fond de son bol et secoua ce dernier en direction de Verc'h. "Paye-nous une tournée et je te parlerai de ce boulot dont je viens de te causer."
Verc'h passa immédiatement à l'action, cueillant au passage les trois bols vides posés devant le trio sédentaire et se carapata à l'intérieur de la taverne. Il se repointa rapidos avec trois bolées toutes fraîches et moussantes et les leur distribua.
" Il me semble, mon garçon, que le travail le plus dur dans les parages soit le creusage de trous. Crois moi, mon gars, c'est vraiment un travail de forçat que de creuser des trous." Youenn s'éventa le visage de la main et secoua la tête.
" Je tiens pas longtemps à creuser des trous moi-même, ajouta Padern.
- Jamais de la vie. Trop de travail." renchérit Koneg. "Je supporterais pas. Non merci ! "

Aucune autre parole ne fut prononcée. Verc'h se rengouffra dans la taverne. Les trois hommes le virent en ressurgir quelques minutes plus tard avec dans les mains une pelle toute neuve et rutilante.

Verc'h courut jusqu'à sa chaumière. Il pointa son regard dans tous les coins de son terrain. Il était pétri d'angoisse sur la décision la plus importante de toute sa vie: Où devait-il commencer à creuser ? N'arrivant pas à le décider, il balança la pelle en l'air aussi haut qu'il le put et la regarda redescendre vers le sol. Boîîînng elle fit en se plantant tête la première dans le gazon. "C'est la pelle qui choisit l'trou, ahou, ahou, c'est la pelle qui choisit l'trou, l'trou où que j'fais mon trou !" s'exclama Verc'h tout guilleret, (sur l'air de la ferme à McDonald), ayant finalement trouvé une ouverture pour son énergie débordante et affamée de bosser.
Des postillons s'échappèrent de ses lèvres. Une risée soudaine lui dressa les cheveux sur la tête et un regard sauvage lui infecta les yeux. Son rire maniaque fit écho contre le mur de façade de sa chaumière et lui retourna dans les oreilles. Il taillada le sol, encore et encore; délogeant pelletées après pelletées de terre humide.
Verc'h n'était toutefois pas un expert de la creuse, vu qu'il était des monts d'Arrée. Il y avait donc un certain apprentissage à acquérir. Il se couvrit la tête de terre à plusieurs reprises avant de comprendre qu'il fallait balancer les pelletées par dessus l'épaule derrière lui ou sur le côté et non par dessus sa tête. Mais ça ne prit pas trop de temps avant que Verc'h ne se retrouve avec un grand et joli trou. Mais il ne s'arrêta pas. Pas question. Car voyez-vous, Verc'h était un bosseur, et le travail était l'unique but de sa chienne de vie. Il continua à creuser toute la nuit et tout le lendemain aussi.
Sur le coup de midi le troisième jour, ses voisins s'en aperçurent. Personne ne pouvait plus passer à côté de chez lui sans remarquer l'ampleur croissante qu'avait prise la montagne de terre sur son terrain.
" Mais qu'est-ce que fait ce garçon ?" s'interrogea Soizick, la femme à Koneg.
- J'sais pas, bon dieu. On dirait qu'y creuse un trou.
- Tant mieux. Vaut mieux ça que se tourner les pouces. Mains inactives sont jouets du Diable."
L'info passa de bouches en oreilles avec la rapidité de l'éclair car le téléphone breton surpasse de loin celui des arabes, et en un rien de temps arriva jusqu'à chez West France et le Télégram qui publièrent la une suivante:
VERC'H KARDEC BOSSE DUR
VENEZ ADMIRER L'ENORME TROU DE VERC'H KARDEC
FUNDRAISER ! AIDEZ KARDEC À TERMINER SON TROU !
 
Des foules vinrent admirer son trou; prenant des photos avec leurs smartphones et l'encourageant. Certains se mirent à vouloir lui ressembler. Une nouvelle tendance vestimentaire vit jour, avec des vêtements couverts de fausse terre, et même les salons de coiffure se mirent à proposer une nouvelle ligne de soins capillaires afin de donner un aspect crotté aux chevelures des gosses des bobos des grandes villes. Un nouvel emblème touristique breton fut créé pour l'occasion, une pelle miniature et commémorative vendue dans tous les tabacs qui se respectent et aussi disponible en ligne sur Amakonne.
Les videos Yutube firent fureur et même des évènements Cosplay nommés "Trou-Con" furent organisés. Durant plusieurs semaines le hashtag #Verc'hEtSonTrou accapara la majorité des touiteurs. 
Êvidemment, Verc'h était trop occupé à creuser pour se rendre compte qu'il était devenu une attraction mondiale. Mais sa célébrité ne tint pas la marée longtemps. Peu de temps après, tout le tralala se cassa la gueule et tout le monde s'en retourna sur BFM pour s'intéresser de nouveau à la Covid, à l'Ukraine ou chez Nagui pour voir le dernier des boyzbands. 
Mais rendu là, le trou de Verc'h faisait déjà trois kilomètres de profondeur. Et c'est là que tout arriva. L'acier de sa pelle heurta quelque chose de dur enterré dans la terre. La lame de son outil ricocha contre le truc et lui rebondit en pleine poire. Le choc l'assomma, mais il s'en remit au bout de quelques minutes : Verc'h était un pur produit breton du terroir, pas de la graine de femmelette des quartiers chics de Rennes. 
Mais malheureusement pour lui, Verc'h avait toujours eu besoin de relire plusieurs fois un texte avant de l'assimiler, aussi répéta-t'il l'action assomante qui de nouveau l'assomma. Quand il reprit de nouveau conscience, il était trop étourdi pour se mettre debout, aussi rampa-t'il jusqu'à l'objet pour l'observer de plus prés.
Le truc sur lequel sa pelle avait buté, encore pour la plus grande partie enterré, émettait des vagues de couleur. Mais Verc'h n'était pas du tout intéressé par ce que ça pouvait être. Ce qu'il voulait, lui, c'était se remettre au boulot et ce truc était sur sa route. Quoi que c'est-y que c'était, fallait que ça bouge de là.
Puisque le pelle l'avait frappé en pleine gueule (2 fois), il se dit que ça ferait moins mal s'il déterrait le truc avec ses doigts.
" Nom de Dieu, c'est encore plus difficile !"  constata-t'il avec bonheur tandis qu'il arrachait des poignées de terre pour dégager l'objet. Après un certain nombre de poignées, Verc'h ressortait de son trou pour vider l'excès de terre. Trois jours plus tard, il se tînt au fond de son trou afin d'examiner l'ove lumineuse qu'il avait déterrée.
" Gast, c'est un sacré ballon," murmura-t'il pour lui-même. " Comment que je vais sortir cet énorme bidule coloré de deux tonnes hors de mon trou ?"

Verc'h passa quinze jours à tailler une rampe sur le côté de son trou énorme. Puis, usant de toutes ses forces, il roula l'ove hors de son trou. Il poussa et geignit, ahana et poussa encore jusqu'à ce que l'ove, de la taille d'un frigidaire... glisse et se mette à redégringoler la rampe pour rejoindre l'endroit d'où qu'elle provenait tout en bas du trou.
La plupart des mecs que je connais auraient été en pétard, mais pas Verc'h. Non madame ! Verc'h adorait bosser comme un chameau. Il sourit et redescendit la rampe jusqu'en bas de son trou en dansant la gavotte. De nouveau il poussa et geignit, ahana et poussa de toutes ses forces, poussant et roulant l'objet jusqu'en haut de la rampe. Finalement, d'un dernier "han!" triomphal, il poussa l'ove hors de son trou. 

Verc'h se tînt fièrement, admirant son accomplissement. Mais il était déjà prêt à retourner creuser, ausi s'épousseta-t'il les mains.
Lorsqu'il se retourna pour redescendre en bas de son trou, il se retrouva pile-poil face à un truc - Big Magic - qui s'était pas trouvé là juste avant qu'il se retourne.
C'était un alien monstrueux, avec la une tête de Soros Sauros couverte d'écailles et des ailes de chauve-souris. 
La bête le bouffa sans sel et tout cru et disparut dans le trou de Verc'h avec son œuf.

FIN

Ndlr: Maintenant, je vois bien à vos regards dubitatifs comme sourcilleux que vous êtes un peu déçus. Si c'est pas plus. Et je vous dois peut-être des esplications. Sûrement. Alors si vous êtez venus ici pour en apprendre un peu plus sur les trous de ver, je crois pas me tromper beaucoup en émettant l'hypothèse que probablement sûrement que vous avez dû vous gourer de page, ça arrive. Mais, mais, mais, mais raré humanum est, donc, comme le bon dieu qu'est plus fort que moi, je vous pardonne aussi.

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