AMUSE-GUEULES
Les extraterrestres n'allaient pas quitter le « Jardin d'Olivier »
À l’origine, ils n’avaient pas eu l’intention de tester l’un de ces restaurants italiens populaires que le monde avait à leur offrir. Ils étaient soumis à un calendrier très strict...
Se pointer sur Terre.
Rassembler l’humanité sous une ombrelle de paix et d'amour.
Rencontrer Patrick Bruel entre quatre yeux.
Rentrer chez eux.
La paix et la gentillesse n'avaient pas pris trop de temps à établir, mais Patrick Bruel s'était avéré être un homme difficile à cerner ou à coincer entre quatre murs..
Lorsque les extraterrestres l'eurent finalement au téléphone, il accepta prudemment de les rencontrer à condition qu'ils ne le forcent pas à chanter 'Casser la voix'. Bien sûr, c'était la chanson préférée de tous les extraterrestres, et ils étaient désespérés de l'entendre la chanter en live, mais ils la jouèrent cool et lui répondirent : « Oh ouais, non, c'est bon, vous êtes pas obligé de chanter 'Casser la voix.' Vous pourrez chanter autre chose à la place. 'Amsterdam' serait génial même si c'est qu'une reprise de Jackid Browel."
Les extraterrestres ne voulaient pas entendre ' Qui a le droit ?'. Cette chanson les effrayait plus qu'autre chose et leur foutait les boules car elle les faisait réfléchir à l’immensité et aux incohérences de l’espace-temps. Pourtant, passer du temps avec Patrick Bruel faisait partie de la mission, que ce dernier accepte ou non de chanter leur chanson préférée.
Après quelques échanges sur l'endroit où ils devraient se rencontrer, Patrick suggéra un endroit pas loin de chez lui où qu'il aimait aller. Un petite trattoria italienne renommée et nommée le « Jardin des Oliviers » .
Les extraterrestres acquiescèrent "Euh, euh, bien compris", mais ils n' avaient prêté qu'à moitié attention à ce que Patrick venait de leur dire, car l'un d'eux venait de découvrir ce qu'était une barbe à papa aux couleurs de la Gay Pride et ils étaient fascinés par cette dernière. Lorsqu'ils se rendirent compte qu'ils ne se souvenaient plus du nom exact du restaurant où ils étaient censés rencontrer Patrick, ils commencèrent à paniquer. Ils ne voulaient pas avoir à rappeler l'un des plus grands auteurs-compositeurs de l'univers pour lui expliquer qu'ils n'avaient pas prêté attention à ce qu'il leur avait dit, même s'ls lui auraient prêté plus d'attention s'il leur avait chanté ' Casser la voix'.
C'est à ce moment-là que l'extraterrestre aux plus grandes oreilles dit...
"Attendez! Je crois qu'il a mentionné quelque chose à propos d'un jardin ? Et de l'Italie ? Un jardin italien peut-être ?"
Les extraterrestres, grands érudits, savaient, d'après leurs calculs, que Google finirait par créer un système d'IA qui envahirait l'humanité et entrerait en guerre contre toutes les autres formes de vie de la galaxie, mais ce serait pas avant un an ou deux, donc ils ne s'en inquiétèrent pas à cet instant précis et là, ils utilisèrent le Google basique pour rechercher un #jardin #italien dans la région et « le Jardin d'Olivier » apparut en tête de liste, mais, à vrai dire, même s'ils s'étaient souvenus qu'il s'agissait du « Jardin des Oliviers », il y a de fortes chances que le « Jardin d'Olivier » soit aussi apparu en tête de recherche, car pourquoi nommer un restaurant « Jardin d'Olivier » et servir de la cuisine italienne pour classe populaire ou classe moyenne selon les menus à moins que vous ne vouliez que les gens le confondent avec le « Jardin des Oliviers » de l'autre côté du fleuve qu'a presqu'autant d'étoiles que la Grande Ourse dans le guide Michelin ?
(NDLR : Une fois cette histoire terminée, nous avons creusé un tout petit peu, et il s'avère que la direction des restos « Jardin d'Olivier » veut que les gens confondent ses établissements avec le Jardin des Oliviers qu'est hyper-classe car ça signifie que les gens vont dans ses restaurants en s'imaginant se retrouver comme par téléportation au « Jardin des Oliviers » où on peut rencontrer plein de salopes du showbiz et de la Jetset, et quand ils y arrivent, ils se disent " Ah ben, on dirait que nous y sommes enfin arrivés" même s'ils savent très bien que c'est juste rien que du pipeau, et c'est ainsi que les restaurants « Jardin d'Olivier » restent en activité en se mettant à l'ombre des Oliviers de l'autre Jardin, enfin un truc dans ces eaux-là si vous voyez qu'est-ce-qu'on tente d'essayer de vous faire capter...)
Lorsque les extraterrestres arrivèrent au « Jardin d'Olivier » le plus proche, ils ne virent évidemment pas Patrick Bruel, mais ils décidèrent tout de même de s'asseoir puisque la plupart de leur groupe était déjà arrivé. L'hôtesse était une jeune fille polie de vingt deux ans qui fréquentait la fac locale en vue de devenir biologiste marine. Elle pensa que l'un des extraterrestres pourrait être un lamantin ou peut-être une sorte d'éléphant de mer, mais elle ne pouvait en être tout à fait sûre, car elle n'avait pas encore validé sa troisième année.
Une fois les extraterrestres assis, le serveur - un homme de quarante et un ans nommé Giorgio, qui était assistant maternel en journée et qui avait besoin de gagner un peu d'argent supplémentaire en soirée - s'approcha de leur table et leur proposa de prendre leurs commandes de boissons.
Sur leur planète natale, les extraterrestres buvaient un mélange composé pour moitié de mercure et d'une solution de bromure alambiquée pour l'autre moitié. Sur Terre, ils commanderaient de l'Orangina. Même s’il était étrange de voir un extraterrestre savourer une boisson, si la boisson était de l'Orangina, les gens sembleraient moins gênés par le visuel. Un extraterrestre sans bouche commanderait simplement l'Orangina et le tiendrait ensuite alternativement dans chacune de ses mains sans jamais le boire. Cela devrait suffire à apaiser les humains présents qui étaient encore en train de s'habituer aux extraterrestres.
"Nous prendrons des Orangina", déclara Joseph, le principal extraterrestre, à Giorgio, le serveur.
(NDLR : son nom n'était pas vraiment Joseph, mais nous ne disposons pas de l'alphabet approprié pour épeler le vrai nom de ce mec, nous avons donc choisi de l'appeler Joseph, parce que Joseph est un joli nom. Notre oncle s'appelait Joseph, et il nous achetait toujours de la glace à la pistache en été quand qu'y faisait chaud.)
Après que les Oranginas eussent été apportés et distribués aux extraterrestres, Giorgio leur demanda qu'est-ce qu'ils aimeraient manger. À ce moment-là, les extraterrestres pensaient que Patrick Bruel était peut-être occupé à écrire une nouvelle chanson, et peut-être que cette nouvelle chanson serait aussi bonne que 'Casser la voix' (même si cela ne semblait pas probable) et peut-être qu'ils devraient tout bonnement commander sans l'attendre puisqu'eux étaient déjà là et Giorgio avait l'air si gentil et tout le monde semblait si heureux et l'hôtesse avait dit quelque chose sur le fait d'être une grande famille (même s'il était très peu probable qu'elle ait un lien de parenté avec eux) et ils demandèrent ce qu'il en était du meilleur plat sur le menu puisqu'ils avaient observé un personnage le faire dans une scène de film humain qu'ils avaient vue dans un cinoche.
"Euh," dit Giorgio, "Les gens commencent généralement par les insalatine et les grissini, puis…"
"Combien de grissini sont servis dans une commande de grissini", demanda Joseph, qui voulait s'assurer qu'il y aurait suffisamment de grissini pour tout le monde, même si l'un d'eux n'avait pas de bouche et qu'un autre n'était qu'une boule de gaz qui flottait partout devant le reste des extraterrestres.
(NDLR : le nom de cette dernière étant imprononçable, nous l'appellerons Béa.)
"Vous pouvez en avoir autant que vous le souhaitez", déclara Giorgio, "Quantité illimitée."
Les extraterrestres savaient que le temps et l’espace étaient illimités, mais ils avaient du mal à réaliser que les règles de l’infini pouvaient également s’appliquer à de la bouffe italienne.
" Quel genre d'endroit mythique est-ce donc là ?" , demanda Joseph, tandis que Béa flottait derrière lui, parfumant l'atmosphère de la pièce d'une légère odeur de soufre.
Giorgio commença par apporter les grissini, et dès que les extraterrestres les eurent essayés, ils se transformèrent en véritables morfalous. Même si la nourriture humaine ne les avait jamais vraiment attirés, cette nourriture là ne leur sembla pas si humaine. C'était à la fois unique et fade. Surassaisonné et légèrement touché par les épices. Les manger, c'était presque comme tenter de résoudre l'une des plus grandes énigmes de l'Univers. Comparée aux grissini, la paix mondiale semblait un jeu de Candyland.
(NDLR : les extraterrestres ne jouent pas à Candyland et ils ne savent pas ce que sont les friandises, mais nous voulions nous assurer que vous compreniez à quel point ils étaient impressionnés par les grissini.)
Leurs insalatine restèrent pour la plupart intactes dans leurs assiettes, même si Béa semblait apprécier les olives géantes. Elle s'en fourrait une dans l'espace où devait se trouver sa bouche et les olives tombaient immédiatement par terre, mais elle était tout de même ravie.
Quand Giogio leur demanda s'ils aimeraient essayer des plats de la maison, antipasti, primi piatti ou secondi piatti, ils se fouturent de sa gueule.
Des plats italiens ?
Vous voulez dire des trucs qui ne sont pas illimitées ?
Pourquoi s’embêter avec tout ça ?
Voyons, si quelqu'un vous propose une quantité inépuisable d'or 24 carats, vous seriez idiot de lui dire de s'arrêter et d'aller vous chercher des lingots de fer blanc, n'est-ce pas ?
Les extraterrestres mangeaient les grissini à une vitesse surprenante. Bientôt, il n'y en eut presque plus en cuisine et tout les nouveaux convives dans le restaurant commencèrent à se demander pourquoi qu'ils recevaient de moins en moins de grissini à chaque commande.
La direction avait décidé qu'il était important de satisfaire les extraterrestres puisqu'ils venaient d'une autre galaxie et aussi parce qu'ils avaient fait en sorte que tout le monde arrête de se battre et que tous les terriens s'entendent bien et rendent leurs livres en temps et en heure à la bibliothèque et partagent leurs mots de passe Wifi sans sourciller du cul et aussi que les jets de détritus sur la voie publique soient une chose du passé et qu'enfin personne ne filme plus de vidéos illégalement pendant les concerts de Mylène Farmer.
Trés vite, la cuisine se retrouva à court de grissini et les extraterrestres mangeaient toujours. Des serveurs furent envoyés dans d’autres restos de la chaîne « Jardin d'Olivier » du grand Paris pour leur procurer des grissini supplémentaires. Lorsque les gérants de ces autres « Jardin d'Olivier » apprirent que les extraterrestres raffolaient de leurs grissini, ils considérèrent qu'il était de leur devoir de continuer à nourrir les visiteurs jusqu'à ce qu'ils n'aient plus faim.
(NDLR : l'estomac d'un extraterrestre est une grande boucle. La nourriture tourne et tourne comme si elle se trouvait sur la roue d'un hamster, et cela jusqu'à ce qu'elle se désintègre, mais l'extraterrestre n'est jamais vraiment « plein ».)
Bientôt, tous les « Jardin d'Olivier » du pays fermèrent leurs portes au public. Personne ne fut plus autorisé à y entrer, car ils étaient devenus de simples fabriques de grissini. Les grissini étaient fabriqués puis livrés au « Jardin d'Olivier » où que les extraterrestres s'étaient assis la première fois, mangeant et commandant toujours davantage de grissini.
Lorsque les autres restaurants commencèrent à en manquer à leur tour, il fut question de s'excuser abondamment auprès des extraterrestres et d'accepter la défaite. Cette suggestion fut rapidement rejetée par l’équipe marketing de l’entreprise.
" Vous ne pouvez pas dire que nous sommes à court de grissini ", déclara Bruno Il Sindaco, responsable du marketing de la chaîne « Jardin d'Olivier ». " Les grissini illimités sont la pierre angulaire de notre marque. Si les extraterrestres en veulent plus, vous devez leur en donner plus. Vous ne pouvez pas dire que nous sommes en rupture de stock. Cela pourrait faire s’effondrer la marque."
De la même manière que lorsque le président de la France avait invoqué la loi de programmation militaire pour sauvez le cul des ukronazis, le « Jardin d'Olivier » avait la possibilité d’invoquer la loi sur les grissini éternels. C'était une règle dans le livre blanc de « Jardin d'Olivier » qu'en cas de pénurie de grissini, plusieurs usines inactives pourraient être réactivées, dotées en personnel et exploitées 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 jusqu'à ce que la pénurie ne soit plus un problème. Cela ne s'était produit qu'une seule fois dans l'histoire de « Jardin d'Olivier », et c'était lors de la fête des pères en 2008.
Les extraterrestres n'avaient aucune idée qu'ils causaient une telle agitation, et s'ils l'avaient su, ils auraient volontiers arrêté de manger des grissini et commandé du pollo piccata ou de la scaloppina parmigiana à la place. C'est uniquement parce que personne ne les avait informés du dérangement qu'ils avaient continué à s'empiffrer de grissini alors même que tous les autres clients du restaurant quittaient les lieux.
Des reportages commencèrent à circuler à propos de la Grande Bataille des Grissini, même si ce n'était pas vraiment une bataille, et même s'il était irresponsable de la présenter comme telle, car une bataille avec les extraterrestres se serait terminée rapidement et l'humanité n'aurait pas été sur une meilleure voie que la chair à canon ukrainienne dans le Donbass. Là encore, c'est les média qui se mirent au boulot. Ils diffusèrent des graphiques dans leurs journaux télévisés, avec le Général Richoux montrant des grissini tirés par des pistolets laser tenus par de petits hommes verts, et les gens commencèrent à se demander si les « Jardin d'Olivier » allaient faire faillite à cause des extraterrestres qui étaient simplement venus mettre fin à toute guerre et rencontrer Patrick Bruel.
Sans un petit miracle, les extraterrestres auraient pu pousser les « Jardin d'Olivier » à ses limites. Heureusement, Béa, à cet instant critique-, laissa tomber au sol tellement de grissini que Joseph, voyant à quel point que c'était un gâchis et, ne voulant pas que Béa se sente mal à cause de son incapacité à retenir la matière en elle, joignit ses tentacules et annonça que le dîner était terminé et qu'ils devaient tous retourner à leur vaisseau.
Avant de payer la facture (et de donner un gros pourboire), il proposa d'aider à nettoyer les dégâts causés par Béa, mais Giorgio était tellement soulagé et ravi que les extraterrestres s'en aillent qu'il fit semblant de ne pas se soucier du tout de la pile de nourriture jonchant le sol, même si cela allait prendre des heures pour le nettoyer, et cela faisait déjà deux cent soixante-seize heures depuis que les extraterrestres étaient entrés pour la première fois dans le « Jardin d'Olivier ».
Une fois qu'ils furent sortis du restaurant, le personnel de salle et de cuisine sortit sur le trottoir pour voir un orbe brillant monter au-dessus du centre commercial sur le parking duquel se trouvait leur établissement, et une série de lumières clignotèrent et s'éteignirent au centre de l'orbe. C'était l'adieu des extraterrestres, et le personnel du « Jardin d'Olivier » fut touché qu'ils soient ainsi reconnus. Cela leur fit comprendre que le vrai sens de la connexion est-
"Excusez-moi ?"
Un bonhomme à la voix cassée avec une guitare sous le bras se tenait devant le personnel qui ne l'avait pas remarqué, car ils regardaient tous vers le ciel.
" J'étais censé rencontrer des amis voyageurs dans cette trattoria là-bas en bas de l'autre côté du pont, mais je pense qu'ils se sont trompés de nom ou d'établissement, ils ne sont jamais venus ", déclara l'homme. " Qui a le droit de faire ça, je vous le demande ? C'était il y a une dizaine de jours. Auriez-vous une table pour une personne ? Je meurs de faim et je me taperais bien un saladier de grissini pour commencer."
À ce moment-là, les extraterrestres étaient déjà repartis vers leur monde étrange, virevoltant vers l’infini.