LE CODÉTENU
"Qu'est-ce qui t'as amené ici ?"
Un corps long et maigre se détendait sur le matelas plat contre le mur droit. Cela m’amena à en déduire que je devrais faire avec le matelas peu accueillant situé en face au pied du mur de gauche. J'ignorai mon nouveau coloc élancé et me dirigeai vers ma paillasse. Je poussai un soupir et m'assis sur le lit pour faire face au milieu de la pièce. Je parcourus la scène des yeux, ce qui ne représentait pas grand-chose. Un petit évier en tôle. Un petit miroir en métal brossé au-dessus de ce dernier. Et un petit trône pour chier en fer blanc. Sol froid et dur. Murs froids et sombres. Paillasses plates sur armatures métalliques boulonnées au sol pour plus de sécurité. En contemplant mon lieu d'habitation sinistre, je sentis un frisson me parcourir l'échine et un sentiment simultané de pitié. C'est comme ça qu'ils vivent vraiment ici ? Je chassai bien vite la pitié. Nous faisons tous des choix. Les autres prisonniers avaient fait les leurs et j'avais fait le mien. C'est pourquoi que j'étais ici maintenant, dans une cellule de prison. Un choix que j'avais fait. Je repris mon inspection visuelle autour de la cellule. Je repérai quelques livres sur le dessus de la chasse d'eau du chiotte. Je me dis que mon nouvel ami aimait lire tranquillos. Comme c'est gentil pour moi. Je regarde de plus près les parois et les coins des cellules, à la recherche de quelque chose. Ah, c'était là. L'œil d'un objectif dans le coin supérieur droit de la cellule pointait sur l'ensemble de la pièce. Une caméra de surveillance. Je lui fis un clin d'œil, comme pour défier quiconque était entrain de nous espionner. Je me sentis reconnaissant que mon compagnon de cellule ne m'ait pas vu le faire. Je voulais pas paraître trop arrogant si tôt dans ma peine de prison.
" Bonjour ?" Mon codétenu se redressa de sa position allongée, balança ses jambes par-dessus le bord de sa couchette et posa ses pieds sur le sol. Ses mains étaient fermement enfoncées dans le matelas de chaque côté de lui, semblant prêtes à se précipiter à tout moment. Je me tournai enfin vers lui et haussai les sourcils en guise de réponse.
" J'ai dit qu'est-ce que t'as fait pour te retrouver ici ?'
Je pris mon temps pour répondre, débattant de la version de la vérité que je voulais laisser courir. Je décidai d’opter pour la version publique que tout le monde devrait croire de toute façon.
" Meurtre." Je lui répondis, aussi simplement que catégoriquement. Aucune émotion n'est meilleure avec ces gens, c'est ce que je me suis laissé dire. Il haussa un sourcil, étudia mon visage et attendit. Mais je continuai à le fixer et il finit par se moquer et retourna se prélasser. J'imitai sa posture et essaie de m'installer confortablement sur la paillasse plate, en plaçant un oreiller encore plus plat sous ma tête.
" Hé mec, je pourrais t'emprunter un de tes livres, peut-être, si ça te dérange pas ?" Je parlais maintenant sur un ton plus détendu. Mon compagnon de cellule me regarda, fit une grimace pensive et finit par hocher la tête. Il se leva et parcourut la courte distance jusqu'à la chasse d'eau située sur le mur du fond, entre nos deux têtes de lit, il attrapa un livre cartonné crasseux et me le balança. Je l'attrapai sans effort avec un rapide " merci !"
Je commençai à faire semblant de lire pour meubler le silence de notre manque de discussion..
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Le temps passe lentement ici tandis que j'attends que mon codétenu évoque à nouveau les agissements qui nous ont conduits ici. S'il est intéressé, il n'y a pas fait allusion depuis des semaines. Le temps s'est allongé: les repas, la cour, les douches communes et tout le reste. C'est l'heure du coup de fil quand je me résigne enfin à aborder le sujet moi-même. Mon coloc vient de revenir d'un appel téléphonique, l'air plutôt content de lui. Alors qu'il se laisse tomber sur le dos, mettant ses mains derrière sa tête et croisant les chevilles comme je l'ai appris, c'est sa manière habituelle, je lui pose des questions sur son coup de fil.
" Avec qui que t'as causé au bigophone aujourd'hui ? " Contrairement à son attitude habituelle, il semble tout sauf méfiant à l’égard de cette question. Il sourit et hausse les épaules. Je creuse encore un peu, la curiosité prenant enfin le dessus sur moi.
" Une petite amie , peut-être ?" Cela le fait au moins rigoler.
- Ha, non, pas cette fois." Il secoue la tête.
- Avec ta mère alors?
- Non." Un peu plus ferme qu'avant. J'essaie de le lire.
Finalement, je propose: " Ah, eh bien, si j'avais eu le droit, j'aurais appelé une vieille connaissance." Son regard se tourne vers moi, l'intérêt piqué.
"Une petite amie sexagénaire ?" Il se moque.
- Ha, non, pas de ça pour moi non plus, mon pote." Je souris, par souvenir.
- Oh. Quel genre de connaissance alors ? Un ancien camarade de fac ?
- Euh, non, pas exactement.
- Un partenaire commercial ?" Il commençait à s'impatienter maintenant. Au cours des semaines qui avaient précédé, j’avais divulgué très peu d’informations sur ma propre vie. Pendant tout ce temps, il m'avait parlé de ses sœurs, de son père mauvais payeur et d'une mère de plus en plus chiante et alzheimeuse. Il m'avait parlé des ennuis qu'il avait causés dans sa jeunesse, des écoles qu'il avait fréquentées, s'était vanté de ses positions dans diverses équipes sportives avant d'en être expulsé pour mauvaise conduite, entre autres choses. Cependant, il ne m’avait toujours pas dit ce qui m’intéressait le plus. En même temps, je proposais très peu de choses sur moi-même et ce que je lui avais confié, à son insu, était préfabricousu de fil blanc.
" Ha, on pourrait l'appeler comme ça." je l'ai taquiné. Il s'assit maintenant, se tortillant le cul pour parler. Au bord de son lit, il se pencha en avant et se balança d'un bord et de l'autre, observant mieux les barreaux de la cellule pour voir si une oreille indiscrète se trouvait pas à proximité.
" Cette vieille connaissance serait-elle un de tes partenaires de crime ? " C'est lui qui me taquinait maintenant, d'un ton feutré, un sourire s'étalant sur son visage. Cela me fit rire.
" Eh bien, ça dépend de quel crime nous parlons." répondis-je froidement.
- Eh ben, tu ne m'as jamais vraiment dit pourquoi que tu étais ici.
- Sans dec, t'es bien sûr de ça ?"
Son regard roula vers moi. " Eh ben, ouais, un petit peu, mais pas comme, tu sais… aucun détail à ce sujet ?"
Je m'assois maintenant au bord de mon propre lit pour lui faire face. Et à voix basse, j'invente encore une autre histoire de cette version de moi-même, juste pour rassasier ce compagnon de cellule. Juste pour gagner sa confiance. Je lui raconte une histoire élaborée, mais crédible, sur la façon dont mon partenaire et moi roulions un jour sur la nationale, ennuyés par ce qu'y avait plus servi depuis trop longtemps sous nos braguettes. Quand, par chance, nous tombons sur un charmant monsieur-moizelle avec un pneu à plat. Nous nous arrêtons, probablement pour l'aider. Mon partenaire fait semblant de jeter un œil au pneu pour ielle, pendant que je la distrais. Puis il arrive derrière ielle et c'est à ce moment-là que nous l'avons jetée dans notre camion et avons continué sur la nationale. Le reste de mon horrible histoire implique une grange abandonnée et une séquence d'événements qu'ils n'ont pas pu montrer à la téloche, à cause de l'horreur avec laquelle nous avions laissé le corps de la petite monsieur-moizelle dans le fond de la grange. Ses yeux s'écarquillent, mais je peux dire que c'est parce qu'il est pas vraiment impressionné par mon histoire. Heureusement, c'est pas parce qu'il n'y croit pas.
" C'est tout ? il me fait. Je retiens mon souffle.
- Eh bien, je veux dire ouais. À quoi que tu t’attendais ?"
Il laisse échapper un rire, plus fort qu'il ne l'aurait voulu. Je soupire, soulagé. Il se couvre la bouche pour étouffer les rires.
" C'est juste que ce n'est pas ce à quoi je pense quand je pense à un meurtre ." Il le dit sur un ton glacial et décontracté.
- Je veux dire, nous l'avons tuée, qu'y a-t-il d'autre à rajouter ?"
Un autre rire. Cette fois, presque maniaque.
" Eh bien, pour moi et mon partenaire, nous avons commencé par faire aussi ce genre de choses. Tu sais, une demoiselle ou un travelo typique en détresse," il agite les bras, mimant la détresse féminine, " faire comme si on allait l'aider, puis l'emmener quelque part et la tuer après avoir abusé d'elle. Mais il manquait toujours quelque chose… .
Je joue l'excité. " Tu sais, j’ai un peu eu ce sentiment aussi. Je veux dire, c'était fini si vite. C'est fou de penser au temps que je vais passer ici pour quelque chose qui n'a même pas duré une heure.
- Exactement!" Il est excité maintenant, lui aussi. " Je veux dire, à quoi ça sert ? Alors nous avons en quelque sorte... pimenté les choses un tout petit peu..." Il s'interrompt et m'étudie maintenant, attendant que je fasse contrepoids. Et je le fais.
" Eh bien, explique-toi ? Genre vous avez roulé plus loin que nécessaire ou vous les avez enlevées en des endroits remplis de témoins ou quelque chose comme ça ?" Il m'étudie à nouveau, comme on le fait lorsqu'on se demande s'i on peut enfin faire suffisamment confiance à quelqu'un avec qui partager ses sombres secrets.
" Eh ben, tu sais comment vous avez emmené la vôtre dans une grange abandonnée ?"
J'acquiesce, sincèrement intrigué.
" Eh ben, nous avons trouvé un endroit similaire. Un endroit où nous pourrions les garder plusieurs jours."
Je feins la fascination. "Mais, genre, pour combien de temps ?
- Aussi longtemps que nous le voulions. Des mères et leurs jeunes gosses Des gosses sans leurs mères aussi. Jusqu'à ce qu'on s'en ennuie ou que les gosses soient exsangues, je suppose, enfin jusqu'à ce que nos clients s'en lassent."
J'ai haussé les épaules et fait une grimace interrogative. Il a compris.
" Alors seulement nous les sacrifiions." J'ai hoché la tête, impressionné, comme s'il était le premier génie à penser à ce genre de pédocrime. Il commença à s'installer sur le lit, signalant que la conversation touchait à sa fin.
J'ai joué l'étudiant curieux. "D'accord, alors où peut-on trouver un endroit comme celui-là ?"
Il a seulement bougé ses yeux dans ma direction, finissant par se lasser du sujet. J'avais besoin de plus d'enthousiasme de ma part. Je me suis penché davantage sur le bord de mon lit et j'ai murmuré plus doucement : "Je veux dire, c'était déjà assez difficile pour nous de trouver cette grange, nous pensions avoir gagné le jackpot, tu piges ?" La tension dans son corps se relâcha un peu. On pouvait dire qu'il était fier de ce qu'il avait fait, de ce qu'ils avaient fait. Je ne sais pas qui avait envie de parler davantage : lui ou moi.
"Eh bien, tout comme votre grange, cet endroit était à la sortie de la nationale. Mon partenaire avait dirigé une ancienne minoterie, mais elle a été fermée depuis et personne ne l'a rachetée depuis des années. Depuis lors, c'est lui qui était chargé de vendre et de faire visiter les lieux, nous pouvions entrer et sortir quand nous le souhaitions. Pour tout ce que nous voulions." Il bouge ses sourcils de haut en bas.
"Ou pour qui vous vouliez, n'est-ce pas?" Je me force à rire. Il rit de ma blague avec moi. Plus de confiance gagnée. Nos rires s'arrêtent mais je laisse toujours pas la conversation s'éteindre.
" Donc ça devait être assez loin de la nationale. Ça devait être assez isolé, personne ne pouvait les entendre crier, n'est-ce pas ?" Je me force à rire à nouveau et hoche la tête de manière encourageante, comme si les cris m'excitaient autant que lui, j'en suis sûr.
" Eh bien, évidemment, moi et mon pote ne sommes pas des amateurs de trouducs comme toi et ton copain", plaisante-t-il, toujours souriant. C'est bon signe.
" Mec, j'aurais adoré pouvoir bosser avec un mec comme toi à la place. Ha! Mais moi et mon idiot de partenaire avons tous les deux été arrêtés et enfermés, donc nos jours sont révolus, je suppose." Je soupire. Il semble réconforté par l’idée qu’aucun de nous ne pourra voler son bien immobilier de premier ordre parce qu’il continue.
" Ouais, je veux dire, c'est l'endroit parfait. À la sortie de la nationale, juste au panneau indiquant les limites de la ville de Mons, il y a cette longue route de campagne. Environ quinze minutes de ligne droite, puis tu retrouves la route de la vieille minoterie. Et bien, tu connais la suite." Il s'allonge maintenant, détendu, souriant, visiblement content de lui. Il pousse un long soupir. Regardant le plafond avec envie, il finit par dire : " Il les emmène encore là-bas. J'aimerais tant que ce soit moi là-bas à sa place."
J'acquiesce simplement. Et je hoche la tête. Je lève les yeux tout en haut, à droite, vers la caméra dans le coin avant de la cellule et je continue d’acquiescer. Le signe sur lequel nous nous sommes mis d'accord lorsque j'ai fait le choix d'entrer dans cette cellule.
Un fort bourdonnement fait sursauter mon compagnon de cellule de sa position indûment détendue. Le buzz signifie seulement que quelqu'un va entrer.
" Vous avez ce dont vous aviez besoin, inspecteur ?
- Oh ouais, Patrick, ce type est une vraie pipelette. Il a fallu jouer le long jeu, mais il a fini par s'ouvrir comme une huître à marée haute," répondis-je en me levant. Patrick, un agent pénitentiaire que je connais depuis près de deux décennies, rit maintenant. Je le rejoins. Mon poteau de cellule se lève d’un bond.
" QUOI ?"
Je l'ignore et claque la porte de la cellule. Je me cambre pour étirer mon dos avec ma main sur la partie basse.
" Putain, Patrick, vous plaisantiez pas, ces lits sont un cauchemar.
- J'avais essayé de vous prévenir, Monsieur", plaisante-t-il.
- Mais toi," je brandis un doigt vers mon compagnon de cellule qui agrippe maintenant les barreaux de la porte, serrant les dents d'un air incrédule. " Tu ferais mieux de t'y habituer. Et ton partenaire aussi, puisqu'on sait où on doit le cueillir maintenant."