Gueules de bois mort
(Après le bal masqué)
Les cadavres déguisés et masqués jonchaient le sol du dôme gonflable qui abritait la salle des fêtes. L'un d'eux, celui d'une gonzesse, ne portait rien d'autre qu'un masque à gaz antique, un juste au corps de dentelle et une paire de bas autofixants. L'endroit était parsemé de détritus comme on peut en trouver en fin de n'importe quelle soirée étudiante; verres en plastique; pailles à sniffer, seringues jetables usagées, préservatifs et petites culottes...
Tout en parcourant la pièce en évitant les corps, il énumérait dans un micro ce qui lui passait sous les yeux. Puis l'inspecteur Jourdain s'immobolisa.
Il scruta la pièce, les mains sur les hanches de sa combinaison étanche puis il étendit la gauche et fit courir un doigt ganté le long de la déchirure dans le matériau transparent de la paroi nord du bâtiment dégonflable et éphémère. À l'extérieur, les silhouettes en dents de scie bleutées de la végétation locale se dessinaient contre le pâle ciel bleuâtre du petit matin. Le premier soleil était sur le point de se lever.
"Cette déchirure n'est pas accidentelle", murmura-t'il en ne s'adressant à personne en particulier.
- Inspecteur Jourdain, ici Berthier, veuillez répéter !" vint la réponse de l'hélico qui survolait le dôme.
- C'est rien, Paulo" répondit Jourdain, "juste une autre fiesta respiratoire qui a mal tourné".
Jourdain tourna son regard en direction de la minette masquée derrière son respirateur. Sans aucun autre équipement bien sûr, à part sa petite dentelle et ses bas filés. C'est sûr qu'avec seulement cet attirail, elle n'avait eu aucune chance de survivre dans cette atmosphère empoisonnée. Elle devait avoir dans les dix-sept ans, au plus. Sa peau était d'une tonalité pâle et violacée. Avait-elle mis le masque respiratoire pour se protéger, ou n'était-ce qu'une autre extravagance de cette fêtarde ?
La radio craqueta de nouveau. "Merde, Jourdain, vous êtes sérieux ?
- Ouais," soupira l'inspecteur, observant de nouveau la déchirure. "On dirait qu'ils ont délibérément taillé dans le plastique pour laisser pénétrer un peu d'atmosphère extérieure. Pour s'y coller les narines et se faire l'effet d'un gros poppers, j'imagine...
- Quels cons, non mais quelle bande de petits cons ! Putain, ça fait combien de siècles au juste qu'on répète à ces petits cons de se méfier comme de la peste de ces putains de masques et surtout de ces saloperies de seringues !
- Hein, tu peux me répéter ça ?
- Rapport à toutes ces merdes et légendes de suicides de masse qu'ont rapportées de leur planète et gribouillées dans leur "Grande Tribulation" les ancêtres de nos grands-pères, chef.
- Mouais, ben moi, les livres d'histoire et les antiquités, c'est pas mon fort. En tous cas, ça empeste autant le nitrite de propyle qu'à l'extérieur là-dedans, et m'est avis que c'est ça qui a dû les tuer. Aucun survivant. Appelle l'identification, une douzaine de cargocoptères et les équipes de nettoyage. Va falloir qu'on prévienne les familles."