Bienvenue, curieux voyageur

Avant que vous ne commenciez à rentrer dans les arcanes de mes neurones et sauf si vous êtes blindés de verre sécurit, je pense qu'il serait souhaitable de faire un petit détour préalable par le traité établissant la constitution de ce Blog. Pour ce faire, veuillez cliquer là, oui là!

19 mars 2022

597. Distilleries ambulantes (ver 4.0)


J'allais devenir un vrai nabab. Riche comme Crésus. Encore plus plein aux as que Bill Gates ou que son pote Rockefeller. Tout qu'est-ce que j'avais à faire, c'était de pas tomber dans les pommes dans les trois premiers rounds. 
L'idée, c'était d'obtenir de leur ADN et surtout leur génome qui faisait que c'était pas du CO2 qu'ils recrachaient dans l'atmosphère à chaque respiration. Puis ensuite de m'en servir pour concocter des "vaccins" ARNm afin de transformer les poumons des centaines de millions de sans-dents parqués dans les camps de notre planète non pas en piles Duracell comme dans Matrix, mais en distilleries ambulantes branchées sur des serpentins condenseurs capables de nous fournir un éthanol des plus purs. Énergie illimitée, encore plus mieux que dans le film des frères sœurs Wachowski. Pas besoin de leur fabriquer des ruches élaborées, des étables tout ce qu'y a de plus classiques mais de tailles industrielles suffiront. Vous voyez le truc ou faut que je vous peigne à l'huile un supplément d'explications ?

La ville s'enfonçait lentement sous nos pieds tandis que notre ascenceur s'élevait dans la direction inverse dans son tube transparent. Les étages flashaient en rythme au fur et à mesure qu'on les passait.
"T'as bien laissé tes clopes et ton briquet à l'hôtel ? me demanda Lefèbvre en relevant un sourcil.
- T'inquiète, je suis pas suicidaire.
- Et t'as bien pris tes cachetons ?" 
Je pris une profonde inspiration. "Ouais. Et je me suis bien entraîné à la technique respiratoire.
- C'est bien, mon gars. C'est hyper important de ne donner aucun signe alarmant aux Alkokiens."
Lefèbvre était à la fois mon coach et mon facilitateur pour cette négociation. C'était ma première rencontre avec une délégation commerciale Alkokienne - pour signer avec eux un contrat qu'allait m'enrichir comme c'est pas permis et faire passer le fameux Rothschild pour un branleur de pissotière.
Je tentai de pas penser au flouze, à l'artiche, aux pépettes, au fric ou à l'argent. C'était trop distrayant et j'avais besoin d'avoir les idées claires.
" Ils sont très formels", me précisa Lefèbvre. " T'as bien épluché le guide sur l'étiquette que je t'ai envoyé ?
- Ouais ouais," je lui répondis. " Mais c'est surtout l'alcool qui me tracasse le plus."
Lefèbvre opina du chef. " T'es pas obligé d'en boire. Mais ouais, leur haleine est hyper-alcoolisée. Le truc qu'ils vous disent pas, c'est l'odeur. Elle va te rentrer dans le chou comme un marteau-pilon quand on va pénétrer dans leur salle de réunion." Il me prit le bras. "Quoi que tu ressentes, ne le montre pas."
Je commençai à suer à onze étages de notre destination. " Bordel, pourquoi qu'on peut pas porter de masques comme chez nous ?
- Ils peuvent respirer notre atmosphère et ils savent qu'on peut respirer la leur. En plus, ils ont jamais entendu parler de notre plandémie. Ils prendraient ça comme une insulte. Donc chaque souffle qu'ils expirent est un nuage d'éthanol - Et alors ? Faut juste que tu t'y fasses.
- Mec, ça aurait été si cool si ces mecs s'étaient pointés quand je faisais mes études...
La porte s'ouvrit.
Putain, ce fût comme si que je venais de me  recevoir dans les gencives narines un uppercut  de la plus maousse des distilleries écossaises...

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16 mars 2022

596. Réaction épichimique



L'air était étouffé par le silence mis à part le grincement occasionnel des dents contre les fourchettes et les gorgées qui s'ensuivaient. J'étais rongé par la culpabilité alors que je m'asseyais rigidement sur mon siège, les yeux fixés sur la femme assise juste en face de moi. 
Je cherchais ma femme, mais elle avait été consumée par la statue stoïque assise de l'autre bord de la table - une œuvre d'art ciselée dans laquelle j'arrivais plus à retrouver sa beauté. Sa crinière à l'amie Winehouse autrefois libre et sauvage qui montrait sa personnalité éclectique dans toute sa splendeur maintenant détruite de produits chimiques qui avaient bien salopé le boulot pour faire rentrer dans le rang ses cheveux en un chignon tiré à la Simone Veil.
 
Son dévouement à un comportement posé aspirait l'énergie de ses iris sombres qui étaient autrefois si électriques qu'ils pouvaient captiver une pièce entière. Sa moue rose et dodue qui passait la plupart des jours entre ses dents alors qu'elle réfléchissait à la beauté d'un monde imparfait était maintenant habituellement enduite de rouge à lèvres de teinte renarde, montrant rarement une émotion authentique. 
C'était une beauté audacieuse et féroce – une lionne réduite à une créature pathétique et renfermée, prête à se prosterner dans sa cage si ça signifiait que ses maîtres lui donneraient une meilleure tranche de côte de bœuf. Ceux qui sont en captivité s'y retrouvent rarement de leur plein gré, je pouvais donc pas blâmer ma femme. Je pouvais pas l'aimer non plus.

"Tu n'as pas touché à ton dîner". Son ton glacial me tire de mes pensées troublantes. Nous croisons brièvement les yeux et je force un sourire sans conviction avant de prendre ma fourchette et de prendre une bouchée du repas devant moi. " As-tu jeté un coup d'œil à l'e-mail que je t'ai envoyé pendant le déjeuner ? " Elle boit une gorgée de Merlot en analysant chaque détail de mon comportement. J'étouffe ma nourriture et réfléchis à la façon de répondre à sa question.
" Je l'ai fait ", j'ai choisi de lui répondre simplement. Elle lève un sourcil parfaitement formé dans ma direction alors qu'elle fait lentement tourbillonner le vin dans son verre – ses yeux ne me quittent jamais. Elle me traquait, attendant patiemment qu'une brèche apparaisse dans mon armure et que la vulnérabilité s'infiltre à travers les fissures. Si c'était une lionne en cage, alors j'étais la tête coupée d'un mustang, jetée dans son enclos pour être dévorée.

Elle pince les lèvres avant de commenter : " J'espère que t'envisages d'accepter le poste. Mon mari ne devrait pas se complaire à rester dans le commerce de détail jusqu'à la fin de ses jours." Elle finit le reste de son vin d'une gorgée avant de s'éloigner de la table et de me laisser mariner avec les implications de ses paroles. 
Je me demandai si elle se souvenait de ce que c'était que de ressentir autre chose que la sensation de brûlure des raisins fermentés au creux de l'estomac. Elle avait raison. Ça a toujours été le cas. Je détestais le service client. Je détestais la douleur que je ressentais dans mes joues après chaque longue journée passée à servir des sourires creux aux clients alors que je faisais passer des gaufres congelées et autres déodorants pour hommes sur le scanner de ma caisse enregistreuse. Mon estomac se serra au souvenir d'avoir embrassé les pieds d'ayants droit qui avaient raté notre braderie de plus de 48 heures. 
Et pourtant, assez ironiquement, malgré l'insistance constante de ma femme sur ma position pathétique et misérable au sein de notre société, je pouvais pas m'empêcher de me sentir comme si qu'elle était remarquablement plus malheureuse que même les gens comme moi. Après avoir calmé mon ressentiment naissant, j'ai moi aussi quitté notre table à manger, déprimé, et me suis dirigé vers notre garage.

Quand je suis entré dans la pièce, j'ai été transporté à une période plus simple. Des toiles ornaient chaque recoin de l'espace confiné. La pièce manquait de fenêtres, mais son art vous permettrait de voir chaque vision enchanteresse - chaque détail imparfait du monde imprévisible qui nous entoure. L'odeur fade de la peinture acrylique et des pastels à l'huile s'est glissée dans mes narines. J'ai fermé les yeux et je me suis souvenu de ma femme avant l'effondrement des sciences humaines – la femme qui a été ensorcelée par ma vie et qui voulait reproduire ma magnificence (mdr). Dans les mois qui ont précédé l'effondrement, nous avons souri parce que nous le sentions, et non parce que nous devions le faire. Ses soirées se passeraient à se ronger la lèvre inférieure comme si que c'était sa saveur préférée de gomme Trident tandis qu'elle guidait ses pinceaux de manière transparente sur des toiles vierges. 

Je m'asseyais à côté d'elle, épris d'observer des stries vibrantes glissant sur le tissu blanc tissé comme les lames d'acier des patineurs artistiques volant sur la glace. Sa passion a souvent inspiré la mienne, et j'ai donc utilisé le mot écrit d'une manière qui a transformé le monde mondain en quelque chose qui mérite réflexion. Nous nous sommes complimentés, et comme le Tracassin des contes de Grimm, nous aspirions à filer de l'or à partir d'un tas de paille ordinaire et à le partager avec nos semblables. 
Ce désir nous a amenés à passer la majorité de nos journées à façonner l'esprit créatif de futurs artistes et écrivains en herbe. Parfois, je me retrouvais à jeter un coup d'œil dans ses cours pour voler un aperçu de l'étincelle dans ses yeux – des yeux captivés par l'aptitude de son élève à s'exprimer. De même, je la surprenais parfois tranquillement au fond de mes propres salles de classe, écoutant attentivement pendant que j'expliquais à mes élèves les aspects artistiques de la littérature.

Le jour où ma femme a commencé sa métamorphose était un autre jour ordinaire pour nous deux. Après huit autres heures passées à enseigner, nous nous étions tous les deux retirés dans le studio d'art de ma femme et avions commencé notre rituel nocturne de création paisible en compagnie l'un de l'autre. L'air était rempli du son de son bourdonnement, du doux jazz émis par une station locale et du cliquetis de mon clavier alors que je tapais de la poésie en prose. On s'offrait parfois un sourire d'amour avant de retourner à notre travail, ignorants de ce qui nous attendait. Au fur et à mesure que les tons chauds du saxophone s'estompaient, ils furent remplacés de manière discordante par le discours calculé et déconnecté d'un journaliste local.
"À 18 h 00 aujourd'hui, le gouvernement a déclaré qu'il réaffecterait les fonds des sciences humaines de toutes les académies du territoire et utiliserait cet argent pour d'autres travaux publics plus urgents. Pour le moment, le gouvernement déclare que les sujets Science Technologie Ingénierie et Mathématiques (STIM) ne seraient pas affectés par cette décision. Nous nous efforcerons de fournir de plus amples informations au fur et à mesure qu'elles seront reçues."

Ma femme et moi avons croisé les yeux – et je pouvais voir la contemplation et l'inquiétude qui assombrissaient la sienne. Qu'est-ce que cela signifiait pour nos emplois et nos étudiants?
"Je pense que je vais prendre ma retraite plus tôt", a-t-elle suffoqué. Je la regardai alors qu'elle sortait son pinceau et se précipitait vers notre chambre. C'est la dernière fois que je l'ai vue toucher une toile.

Dans les mois qui suivirent l'effondrement, je remarquai que les rues étaient jonchées de sans-abri en proie à des regards sans âme. Leurs yeux racontaient l'histoire d'un créateur privé de la capacité de créer. Les professions de l'art, de l'écriture et de la musique ont été mises en veilleuse dans les domaines des STIM, laissant beaucoup d'entre elles confinées à l'aide du gouvernement ou errant aveuglément pour trouver leur place dans cette société nouvellement ordonnée. Ma femme et moi étions professeurs titulaires, nous avons donc eu la possibilité de commencer à enseigner des cours basés sur les STIM si nous retournions à l'école et recevions au moins un diplôme de formation dans une matière scientifique. 

Ma femme était liée par la peur de devenir un ajout au musée naissant des âmes perdues dans nos rues, alors elle a accédé à cette demande à mon grand désarroi, mais je savais que je ne pouvais pas lui en vouloir. Les choses étaient différentes maintenant. Alternativement, j'ai refusé de sacrifier mon intégrité artistique pour ajouter à la surpopulation de professeurs de mathématiques et de sciences au sein de notre société avec des egos surdimensionnés et un mépris pour le bien-être des professeurs de sciences humaines avec lesquels ils avaient jusqu'alors travaillé harmonieusement. 
J'ai remis ma démission et j'ai succombé à une vie de saute-mouton dans le commerce de détail afin de pouvoir au moins consacrer une partie de mon temps libre à l'écriture comme avant. J'ai souvent trouvé mes yeux errant vers une silhouette imaginaire d'elle à côté de moi, peignant sans se soucier du monde.

Ma femme, par contre, a changé. Après avoir obtenu sa license en chimie, elle est retournée à l'école que nous fréquentions tous les deux pour devenir professeur de STIM. C'était une position qui décourageait ses anaphylaxies, alors elle a effacé les parties d'elle-même qui la faisaient ressembler à de l'art, et avec ça, son comportement a suivi. La lumière qui m'attirait autrefois dans ses yeux s'est dissipée, et je me suis retrouvé à cohabiter avec une femme étrange rendue folle par les nombres qu'elle était forcée de régurgiter jour après jour – aspirant constamment à localiser l'âme perdue et excentrique enfouie en dessous.

Elle évitait notre garage comme la peste, me moquant souvent de ne pas l'avoir converti en bureau pour qu'elle puisse accomplir ses nouvelles tâches. Heureusement, j'avais trouvé mieux à lui proposer. J'ouvris les yeux et pris une dernière et profonde inspiration, enregistrant l'odeur de notre ancien havre de paix dans ma mémoire. 
J'ai ramassé le bidon d'essence qui reposait dans le coin de la pièce et j'ai commencé à me promener tranquillement dans l'espace, en aspergeant les produits chimiques sur chaque œuvre d'art que je rencontrais. J'ai vu un mélange d'essence et de peinture acrylique s'infiltrer sur le béton sous mes pieds. La collection de combinaisons de couleurs m'a rappelé l'art qu'elle créerait. Avec un soupir abattu, j'ai retiré une boîte d'allumettes de la poche avant de ma salopette. J'en ai sorti une, l'ai frottée le long du grattoir et j'ai relâché la petite flamme au sol. 
Ce sera la dernière chose que j'écrirai.

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13 mars 2022

595. Le Trou de Ver - (c'h)



C'était une suggestion, pas un ordre. Comme d'hab et malheureusement, Verc'h Kardec, (même patronyme mais sans aucun lien avec Allan ) ne fit pas la différence. Il fit, toutefois, l'achat d'une pelle. Et c'est là que les choses partirent en sucette.

Verc'h était différent des autres hommes du village qui passaient leur temps libre à se remplir de cidre sur la terrasse de la taverne du Roy Gradlon. Il était célibataire et n'avait aucun goût pour la chasse, la pêche, la boule bretonne, le foot ou les jeux de dominos. La grande, l'immense passion de Verc'h était celle qu'il avait pour le travail, le labeur éreintant et laborieux.
Aussi, lorsqu'il perdit son taf à la carrière d'ardoises à cause d'un malheureux accident dont personne d'autre que lui n'était responsable, Verc'h se retrouva avec des tonnes de temps libre. Et tout un chacun dans les environs savait qu'y avait deux trucs qui n'allaient pas ensemble: Le temps libre... et Verc'h Kardec.

" Vous êtes au courant pour Verc'h Kardec ?" 
(Criiic... criiic... criiic...) Le fauteuil à bascule en rotin grinça des dents et couina tandis que le gros Youenn se trémoussait pour tenter d'enfiler son cul surdimensionné entre les deux accoudoirs. Le vieux Padern hocha la tête puis la pencha pour recracher la fange brune et puante de son tabac à chiquer comme à niquer les chicots dans un bol posé sur la table.

La clochette de la porte de la taverne-droguerie-alimentation tinta lorsque Koneg en émergea avec trois bolées de cidre frais. Des gouttes de sueur parsemaient son front et sa lèvre supérieure, mais si ce fait n'avait rien à voir avec la température du jour qu'était clémente, il avait par contre tout à voir avec son métabolisme de colimaçon poitrinaire et diabétique. Le simple trajet du comptoir de la taverne jusqu'à la terrasse suffisait à l'essouffler et le mettre en surchauffe. Il distribua les bolées à ses deux compagnons et se rafraichit le front en s'en frottant la peau avec la sienne avant de la poser sur la table. Puis il souleva à deux mains son énorme panse tombante afin de pouvoir s'assoir entre ses deux potes sur le rotin à bascule libre, permettant enfin à ses entrailles de s'avachir à leur tour sur les accoudoirs.
"Ce serait pas de Verc'h Kardec que je vous ai entendus causer ?" demanda ce dernier avant de s'envoyer dans le tuyau une lampée de sa bolée.
" Hum. Hmmm" (Criiic... criiic... criiic... )
- Ce pauvre garçon peut pas rester en place...
- Hum. Hmmm (Criiic... criiic... criiic... )
- Il est atteint de gigotte aigüe. (Criiic... criiic... criiic... )
- Ça me rend mal à l'aise... comme si on me pelait la peau quand il est dans le coin.
- Ouais, moi aussi. Comme une crise d'urticaire.
- Comme l'électricité statique pendant l'orage juste avant...
- Que la foudre ne frappe.
- Ouais. Hum. Hmmm (Criiic... criiic... criiic... )

Ils se balancèrent en silence dans leurs rotins à bascule pendant un moment; économisant leurs énergies (Criiic...)

Youenn cessa de se balancer et posa ses deux pieds au sol. Il loucha des yeux et se pencha en avant aussi loin que son énorme bide le lui permettait. "Jésus Marie Joseph, parlez-moi du Diable." Il indiqua du menton le vieux sentier qui descendait la colline en face de la terrasse.
Et aussi sûr que je suis pas plus con que la moyenne, la silhouette pressée et grommelante traçant en flêche en direction de la taverne n'était nulle autre que celle de Verc'h Kardec.
- Ma parole, ce garçon m'a tout l'air d'être atteint de constipation protobionique." (Criiic... criiic... criiic... )

Lorsqu'il atteignit la taverne, Verc'h n'en poussa pas la porte. Il ne prit pas non plus place dans le rotin à bascule libre aux côtés des trois hommes. Non, au lieu de ça, il se mit à faire les cents pas vers la gauche, puis vers la droite et rebelote.
Un coup par de ce côté-ci, un coup de l'autre bord là-bas.
Les trois hommes sur la terrasse se mirent à observer Verc'h faire ses allers et retours devant leurs nez.
" Il va pas s'assoir, on dirait ?
- Je crois pas, non
- Vous pensez pas qu'y va se fatiguer ? (Criiic... criiic... criiic... )
- Non, je crois pas.
- Ouais ben moi, il commence à me fatiguer.
- Et il me fait tourner la tête. Il m'esquinte les cervicales.
- Youenn, fais quelque chose ! (Criiic... criiic... criiic... )
- Ouais Youenn, fais le s'arrêter !

La vue de Padern se troubla si tant à force de regarder cet électron libre faire ses allers-retours qu'il confondit son bol crachoir avec son bol de cidre. Pas besoin de le préciser, il dégueula aussi sec le liquide puant, brun et baveux sur les cuisses de son pantalon du dimanche. Son cri furax fit que Verc'h Kardec stoppa net un pied en l'air.
C'était exactement le moment qu'avait attendu Youenn depuis près d'une demi-heure.

Maintenant, chers lecteurs, prenons une petite seconde pour réfléchir sur la véritable nature des trois hommes sur la terrasse. Ils s'en battaient les couilles de ce que Verc'h faisait de son temps libre. Leur but n'était pas de l'aider, ni même celui de lui faire du tort. Ils voulaient tout simplement qu'il arrête ses allers-retours devant la terrasse.

"Je vois que t'as fait le plein d'énergie, hein ? lui jeta Youenn. Pendant une seconde, il se dît que Verc'h allait ignorer sa remarque, mais ce dernier lui répondît presqu'aussi sec.
"J'ai perdu mon boulot. Je sais plus quoi faire de moi maintenant. Je suis un bosseur. Bosser, c'est tout ce que je sais faire. C'est comme ça qu'on m'a élevé.
- Madoué, ben on peut dire que c'est ton jour de chance ! Je crois savoir où y a du travail pour toi." Youenn lui fit son plus étincelant sourire.
Les yeux de Verc'h s'allumèrent et il se précipita vers la terrasse mais Youenn lui fit signe de rebrousser chemin d'un geste de la main et replongea son regard dans sa bolée. " Non, oublie-ça. C'est probablement trop de travail. J'aurais pas dû t'en parler." Youenn jeta à Verc'h un regard en oblique pour jauger sa réaction.
Verc'h grogna de frustration et se remit à faire les cent pas.
" T'as tiré trop loin, hein ? se marra Koneg.
- Pas du tout. Observe la suite." Youenn avala ce qui restait dans le fond de son bol et secoua ce dernier en direction de Verc'h. "Paye-nous une tournée et je te parlerai de ce boulot dont je viens de te causer."
Verc'h passa immédiatement à l'action, cueillant au passage les trois bols vides posés devant le trio sédentaire et se carapata à l'intérieur de la taverne. Il se repointa rapidos avec trois bolées toutes fraîches et moussantes et les leur distribua.
" Il me semble, mon garçon, que le travail le plus dur dans les parages soit le creusage de trous. Crois moi, mon gars, c'est vraiment un travail de forçat que de creuser des trous." Youenn s'éventa le visage de la main et secoua la tête.
" Je tiens pas longtemps à creuser des trous moi-même, ajouta Padern.
- Jamais de la vie. Trop de travail." renchérit Koneg. "Je supporterais pas. Non merci ! "

Aucune autre parole ne fut prononcée. Verc'h se rengouffra dans la taverne. Les trois hommes le virent en ressurgir quelques minutes plus tard avec dans les mains une pelle toute neuve et rutilante.

Verc'h courut jusqu'à sa chaumière. Il pointa son regard dans tous les coins de son terrain. Il était pétri d'angoisse sur la décision la plus importante de toute sa vie: Où devait-il commencer à creuser ? N'arrivant pas à le décider, il balança la pelle en l'air aussi haut qu'il le put et la regarda redescendre vers le sol. Boîîînng elle fit en se plantant tête la première dans le gazon. "C'est la pelle qui choisit l'trou, ahou, ahou, c'est la pelle qui choisit l'trou, l'trou où que j'fais mon trou !" s'exclama Verc'h tout guilleret, (sur l'air de la ferme à McDonald), ayant finalement trouvé une ouverture pour son énergie débordante et affamée de bosser.
Des postillons s'échappèrent de ses lèvres. Une risée soudaine lui dressa les cheveux sur la tête et un regard sauvage lui infecta les yeux. Son rire maniaque fit écho contre le mur de façade de sa chaumière et lui retourna dans les oreilles. Il taillada le sol, encore et encore; délogeant pelletées après pelletées de terre humide.
Verc'h n'était toutefois pas un expert de la creuse, vu qu'il était des monts d'Arrée. Il y avait donc un certain apprentissage à acquérir. Il se couvrit la tête de terre à plusieurs reprises avant de comprendre qu'il fallait balancer les pelletées par dessus l'épaule derrière lui ou sur le côté et non par dessus sa tête. Mais ça ne prit pas trop de temps avant que Verc'h ne se retrouve avec un grand et joli trou. Mais il ne s'arrêta pas. Pas question. Car voyez-vous, Verc'h était un bosseur, et le travail était l'unique but de sa chienne de vie. Il continua à creuser toute la nuit et tout le lendemain aussi.
Sur le coup de midi le troisième jour, ses voisins s'en aperçurent. Personne ne pouvait plus passer à côté de chez lui sans remarquer l'ampleur croissante qu'avait prise la montagne de terre sur son terrain.
" Mais qu'est-ce que fait ce garçon ?" s'interrogea Soizick, la femme à Koneg.
- J'sais pas, bon dieu. On dirait qu'y creuse un trou.
- Tant mieux. Vaut mieux ça que se tourner les pouces. Mains inactives sont jouets du Diable."
L'info passa de bouches en oreilles avec la rapidité de l'éclair car le téléphone breton surpasse de loin celui des arabes, et en un rien de temps arriva jusqu'à chez West France et le Télégram qui publièrent la une suivante:
VERC'H KARDEC BOSSE DUR
VENEZ ADMIRER L'ENORME TROU DE VERC'H KARDEC
FUNDRAISER ! AIDEZ KARDEC À TERMINER SON TROU !
 
Des foules vinrent admirer son trou; prenant des photos avec leurs smartphones et l'encourageant. Certains se mirent à vouloir lui ressembler. Une nouvelle tendance vestimentaire vit jour, avec des vêtements couverts de fausse terre, et même les salons de coiffure se mirent à proposer une nouvelle ligne de soins capillaires afin de donner un aspect crotté aux chevelures des gosses des bobos des grandes villes. Un nouvel emblème touristique breton fut créé pour l'occasion, une pelle miniature et commémorative vendue dans tous les tabacs qui se respectent et aussi disponible en ligne sur Amakonne.
Les videos Yutube firent fureur et même des évènements Cosplay nommés "Trou-Con" furent organisés. Durant plusieurs semaines le hashtag #Verc'hEtSonTrou accapara la majorité des touiteurs. 
Êvidemment, Verc'h était trop occupé à creuser pour se rendre compte qu'il était devenu une attraction mondiale. Mais sa célébrité ne tint pas la marée longtemps. Peu de temps après, tout le tralala se cassa la gueule et tout le monde s'en retourna sur BFM pour s'intéresser de nouveau à la Covid, à l'Ukraine ou chez Nagui pour voir le dernier des boyzbands. 
Mais rendu là, le trou de Verc'h faisait déjà trois kilomètres de profondeur. Et c'est là que tout arriva. L'acier de sa pelle heurta quelque chose de dur enterré dans la terre. La lame de son outil ricocha contre le truc et lui rebondit en pleine poire. Le choc l'assomma, mais il s'en remit au bout de quelques minutes : Verc'h était un pur produit breton du terroir, pas de la graine de femmelette des quartiers chics de Rennes. 
Mais malheureusement pour lui, Verc'h avait toujours eu besoin de relire plusieurs fois un texte avant de l'assimiler, aussi répéta-t'il l'action assomante qui de nouveau l'assomma. Quand il reprit de nouveau conscience, il était trop étourdi pour se mettre debout, aussi rampa-t'il jusqu'à l'objet pour l'observer de plus prés.
Le truc sur lequel sa pelle avait buté, encore pour la plus grande partie enterré, émettait des vagues de couleur. Mais Verc'h n'était pas du tout intéressé par ce que ça pouvait être. Ce qu'il voulait, lui, c'était se remettre au boulot et ce truc était sur sa route. Quoi que c'est-y que c'était, fallait que ça bouge de là.
Puisque le pelle l'avait frappé en pleine gueule (2 fois), il se dit que ça ferait moins mal s'il déterrait le truc avec ses doigts.
" Nom de Dieu, c'est encore plus difficile !"  constata-t'il avec bonheur tandis qu'il arrachait des poignées de terre pour dégager l'objet. Après un certain nombre de poignées, Verc'h ressortait de son trou pour vider l'excès de terre. Trois jours plus tard, il se tînt au fond de son trou afin d'examiner l'ove lumineuse qu'il avait déterrée.
" Gast, c'est un sacré ballon," murmura-t'il pour lui-même. " Comment que je vais sortir cet énorme bidule coloré de deux tonnes hors de mon trou ?"

Verc'h passa quinze jours à tailler une rampe sur le côté de son trou énorme. Puis, usant de toutes ses forces, il roula l'ove hors de son trou. Il poussa et geignit, ahana et poussa encore jusqu'à ce que l'ove, de la taille d'un frigidaire... glisse et se mette à redégringoler la rampe pour rejoindre l'endroit d'où qu'elle provenait tout en bas du trou.
La plupart des mecs que je connais auraient été en pétard, mais pas Verc'h. Non madame ! Verc'h adorait bosser comme un chameau. Il sourit et redescendit la rampe jusqu'en bas de son trou en dansant la gavotte. De nouveau il poussa et geignit, ahana et poussa de toutes ses forces, poussant et roulant l'objet jusqu'en haut de la rampe. Finalement, d'un dernier "han!" triomphal, il poussa l'ove hors de son trou. 

Verc'h se tînt fièrement, admirant son accomplissement. Mais il était déjà prêt à retourner creuser, ausi s'épousseta-t'il les mains.
Lorsqu'il se retourna pour redescendre en bas de son trou, il se retrouva pile-poil face à un truc - Big Magic - qui s'était pas trouvé là juste avant qu'il se retourne.
C'était un alien monstrueux, avec la une tête de Soros Sauros couverte d'écailles et des ailes de chauve-souris. 
La bête le bouffa sans sel et tout cru et disparut dans le trou de Verc'h avec son œuf.

FIN

Ndlr: Maintenant, je vois bien à vos regards dubitatifs comme sourcilleux que vous êtes un peu déçus. Si c'est pas plus. Et je vous dois peut-être des esplications. Sûrement. Alors si vous êtez venus ici pour en apprendre un peu plus sur les trous de ver, je crois pas me tromper beaucoup en émettant l'hypothèse que probablement sûrement que vous avez dû vous gourer de page, ça arrive. Mais, mais, mais, mais raré humanum est, donc, comme le bon dieu qu'est plus fort que moi, je vous pardonne aussi.

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10 mars 2022

594. Trois semaines de vacances.



Thomas et moi étions montés sur le toit de l'embassade, la terrasse d'observation panoramique. La ville des aliens s'étendait autour de nous, des constructions encroûtées jusqu'aux deux côtés des parois du canyon. C'était à couper le souffle et toujours une nouveauté pour moi.
"Putain, j'en peux plus d'attendre ces trois semaines de vacances qui commencent la semaine prochaîne," dis-je à Thomas. "Je pense me louer une bulle volante et aller visiter quelques autres de ces villes-canyon."
Thomas venait juste de s'envoyer une lampée de bière et des bulles s'échappèrent de ses lèvres tandis qu'il s'exclaffait. " Fais-moi confiance," il me dit, "t'as pas vraiment envie de faire ça."
- Et pourquoi pas, si c'est pas indiscret ? C'est sûr que je vais pas me cantonner dans l'embassade pendant trois semaines.
- Écoute, mec, t'es un pied tendre ici. Pourquoi penses-tu que l'embassade ferme et barricade ses portes durant trois semaines chaque année ?"
J'avais lu la doc sur cette planète dans la navette en arrivant, mais ça représentait pas mal d'informations à digérer d'un coup. J'avais dû rater deux-trois passages. " Sûrement parce que c'est une sorte de festival planétaire," je tentai.
- C'est la saison de reproduction, ducon. Ils sont pas comme nous. Vivant dans des canyons, ils font ce que la plupart des chamois ou des bouquetins font chez nous. Ils baisent au début de la saison des pluies, dès que la 5G est coupée.
- Tu veux dire que la planète entière s'arrête pour -
- Exactement. Parce que chacun de ses habitants se met à baiser comme si sa vie en dépendait. Le reste de l'année, le sexe les intéresse pas et ils vivent tous dans leur Metaverse. Mais à l'ouverture de la saison, ils deviennent tous fous. L'année de notre arrivée ici, une trentaine de journalistes et de personnels de l'embassade canadienne a tenté d'aller filmer ça. Y en a que trois qui sont revenus. Deux femmes et un homme. Ils z'avaient plus que la peau sur les os et le mec avait la rondelle du fion en choux-fleur, encore plus pire que celle du président Cramon après son entrevue avec Vald & 2Pac Vladi 2Pine. Il a pas pu poser son cul pendant un mois sans mettre de couches-culottes après ça...
- Oh putain ! ... Bon, ben je pense que je vais rester à l'embassade dans ce cas.
- Je te le fais pas dire."

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7 mars 2022

593. Lâché d'oiseau


"Dans une vie précédente, j'étais un oiseau.
- Comment que tu le sais ?"
Mon petit frère haussa les épaules. "Je le sais, c'est tout."

Des tas de débris peints là où se trouvait ce qui restait des maisons, des murs croulants et des fondations démolies, de simples vestiges des structures qui s'y trouvaient. Nous avons dû les fouiller tous, n'y dénichant rien d'autre que des ordures et de la boue. Une autre comète bleue a traversé le ciel. Des vents froids soufflaient sur mes épaules, sentant le sable et le ciment et d'autres choses. Une teinte de quelque chose d'amer, de quelque chose de révoltant. L'eau a emporté puis embourbé les corps de quatre personnes dans les parages, mais la façon dont elles ont empesté l'air du voisinage était une chose à laquelle je ne m'attendais pas.

Les gens s'étaient préparés à la pluie et au vent, selon les conseils de la météo, mais jamais au gonflement de l'océan et au déferlement subséquent. Ils ont tous pleuré pendant les interviews, je me souviens, leurs larmes se mêlant à la bruine et à la pluie. Dommage, mais j'aurais donné un bras pour avoir la marge de manœuvre qu'ils avaient eue. Ils ont tous blâmé les comètes bleues qui, si l'on en croit leur parole, étaient de mauvais augure. J'ai trouvé ça plutôt stupide.

"Tu trouveras rien ici, Jo", je lui ai crié alors qu'il se baissait pour choper quelque chose dans les décombres. "La mer a tout pris."
- Nous n'avons rien à perdre, n'est-ce pas ?
- Non, tu n'as rien à perdre. T'es mort, tu te souviens ?
Sa posture, droite et carrée, se détendit, un petit morceau de robot en plastique blotti dans sa main. Il avait l'air propre et en bon état, contrairement aux débris des meubles et des maisons qui l'entouraient. Il l'a laissé tomber dans la boue.
"Hé," j'ai dit.
- C'est bon." Il se leva et regarda, au-dessus de sa tête, la comète bleue du jour, éblouissante sur le fond de ciel sombre de cette fin de matinée. Il a sauté sur les restes d'un téléviseur détruit. " Rentrons à la maison. Prends mes affaires pour moi, tu veux bien ?
- Ouais.
 "T'étais quoi dans ta vie passée ?" il m'a demandé.
- Je sais pas. J'y pense même pas.
- Allez, fais pas ta timide. T'étais quoi ?"

Jo tira un livre de sous un empilement de bazar qui constituait autrefois le contenu de notre placard. Les pages du livre étaient devenues brunes à cause de la boue et de la flotte, son contenu plié là où que les débris étaient tombés dessus. Je me souviens que c'était son préféré, une histoire à la con à propos de trois pêcheurs marseillais  se rencontrant et se disputant la capture d'une sardine en or. Il rayonnait comme un fou quand il a ramené le livre à la maison. Il l'a placé dans l'une des boîtes endommagées que nous avions apportées.
" Qu'est-ce que tu veux en faire ?  je lui demandai.
- Je sais pas. Le donner à quelqu'un peut-être...
- Je sais pas si y a quelqu'un qui en voudra."

"La mer donne et la mer reprend", nous disait notre vieux au cours de nos repas quand nous étions plus jeunes. En dehors de chez nous, la mer a emporté mes manuels et ma trousse d'écolière, ainsi que mes vêtements et mon cartable. Ma petite bibliothèque n'est plus. La boue a trouvé un chemin à l'intérieur de mon petit kit de maquillage, trois pinceaux, deux rouges à lèvres et trois autres babioles de ravalement de façade à l'intérieur d'une boîte à biscuits en étain. Quelques-uns de mes vêtements semblaient encore utilisables malgré la boue qui s'infiltrait sur certains d'entre eux. Je les ai pliés soigneusement et les ai placés dans une boîte séparée.

Jo couina, je me tournai et le vît tenir un globe en plastique transparent. À l'intérieur, le fond de l'océan était représenté et de petites découpes en plastique en forme de poisson flottaient sur le liquide bleuté à l'intérieur. Des paillettes se sont dispersées à l'intérieur de la sphère tandis qu'il la secouait. Le spectacle semblait l'avaler tout entier. "Ceci n'a pas sa place ici", dît-il, et il l'a placé dans la boîte qu"était pas la mienne.
"Tu te souviens quand je te l'ai acheté ?" je lui ai demandé.
- Pour Noël, il y a deux ans maintenant. J'avais onze ans, je crois.
- Je pensais pas qu'il fonctionnerait encore.
- Je l'ai toujours gardé dans sa boîte sous mon lit. Il avait l'air trop beau pour le laisser à l'air libre."

La cuisine et le salon avaient disparu. Deux murs adjacents étaient tout ce qui restait, trois colonnes de support en bois les soutenant. Nous avons fouillé pendant dix minutes de plus, ne trouvant rien d'autre qui vaille la peine d'être emporté dans les restes de ce qui était autrefois notre petite maison en bois à un étage. Alors que nous partions, la sirène d'un camion de pompiers a retenti, suivi de près par trois ambulances du SAMU. Les gens couraient derrière. Jo et moi avons couru le long de la foule, nos deux cartons sous les bras.
" Papa est déjà dans l'autre file ", m'a dit Jo.
- Et ?
- C'est écrit 'Un paquet par famille uniquement' sur la bâche.
- T'inquiète. Ils verront rien."

Les camions de secours transportant les rations du Nouvel An du gouvernement se sont garés à l'extérieur de l'enceinte de l'école, cette fois utilisée comme abri temporaire. La file de personnes serpentait trois fois autour du bâtiment de l'école, des centaines de personnes affamées et en sueur remplissant l'air de musc, de boue et d'eau salée. J'ai fait la queue après avoir donné nos cartons à Maman.

Une bâche était accrochée à l'un des camions, "Pour la réelection de Manu Macron". "En Marche encore plus vite" ça disait sur une autre. Quand ils m'ont dit qu'ils n'autorisaient qu'un seul sac par famille, je leur ai dit que j'étais disponible pour récupérer nos sacs, ma mère s'occupant actuellement de la petite sœur de deux ans qu'on avait même pas eu en rêve. Trois heures je suis restée en ligne, baignée par le soleil de l'après-midi et le bavardage insensé de centaines de personnes. Le seul soulagement que j'ai eu fut de lever les yeux pour y voir une nouvelle traînée bleue dans le ciel.

On crêchait dans une salle de classe au rez-de-chaussée, avec six autres familles. Quand j'ai donné les paquets à maman, elle ne m'a pas regardé dans les yeux, comme quand je lui ai donné les boîtes. Je regardais surtout le sol, moi-même réticente à jamais croiser son regard. Presque comme si que je méritais plus son respect. Je voulais insister sur le fait que, encore une fois, c'était pas ma faute, mais je savais que mes protestations, comme avant, tomberaient dans l'oreille d'une sourde.

Je suis sortie pour échapper aux petits préparatifs du Nouvel An que nous avions. Je n'ai ressenti aucune inquiétude à ce sujet. De plus, j'avais une parole donnée à tenir. Jo voulait aller à la cour de récréation, avait-t-il dit. "Sur ce parc près de l'intersection."
- Tu sais qu'y a probablement plus rien là-bas dedans maintenant, n'est-ce pas ?
- C'est pas grave. T'as promis qu'on irait où que je voulais aujourd'hui, pas vrai ? "

Sur le terrain du parc, des arbres abattus, leurs racines exposées à l'air libre. Les massifs et les buissons semblaient morts, les ampoules des lampadaires brisées. Des ordures et des choses mortes éparpillées partout.
La cour de récréation elle-même était rasée. Les toboggans et les supports en bois étaient soit détruits, soit renversés dans la boue. Il y avait un bac à sable ici, je me souviens, mais j'arrivai même pas à localiser où ce qu'il s'était tenu. Une balançoire verticale était posée au milieu du terrain, intacte elle, et sèche sous le faible soleil de fin d'après-midi. Jo et moi nous sommes promenés et avons sauté par-dessus les arbres et les débris. J'ai pris un siège, et quand Jo a posé son derrière sur l'autre, il se mit à se balancer un peu avec ses pieds, le métal craquant de temps en temps.
"C'est là qu'ils ont retrouvé Mario la Guenille, pas vrai ? Jo m'a demandé.
- Oui, là-bas." J'ai pointé du doigt un gros pot d'argile brisé et son bambou ornemental cassé à travers le parc. "Il était bourré, ils ont dit.
- Bourré de picrate et d'eau salée, noyé par la mer. Pas la meilleure façon de s'envoyer en l'air.
- Ce sale d'ivrogne méritait de boire la tasse, pour être honnête."

Obscurcie par les nuages, les comètes étaient invisibles pour la première fois depuis leur apparition avant la tempête. Jo avait l'air de les chercher du regard.
"Tu sais que c'était un accident, n'est-ce pas ?
- Je sais que c'était le cas."
Sa main a glissé de la mienne, je me souviens, alors que nous nous carapations loin de l'inondation soudaine dans les rues. J'ai vu l'eau boueuse emporter son corps vers l'océan, sa tête flottant un instant et submergée l'instant d'après. Des débris flottaient autour de lui. J'aurais pu tendre la main, à ce moment-là, mais je l'ai pas fait. Peut-être que ma main aurait pu saisir la sienne, mais j'ai même pas essayé. Je restai figée, ne voulant pas qu'il s'en aille, mais ne voulant pas non plus le suivre. Je voulais m'emparer de lui, mais je ne voulais pas être emportée par la boue et par la mer.

Maman se précipita vers l'eau, mais papa passa sa main autour de sa taille et la tira en arrière. Il nous serra toutes les deux dans ses bras alors que nous nous accrochions à un lampadaire, l'eau à hauteur du menton avide de nous pousser vers l'océan à une centaine de mètres.
" Nous aurions dû resserrer un peu plus notre emprise ", j'ai dit.
Nous étions restés assez longtemps sur les balançoires.
" Nous n'avons le temps que pour une place de plus. Je peux le sentir.
- Où veux-tu aller? j'ai demandé.
- Je veux aller au bord de la mer."

J'ai récupéré la boîte de Jo chez maman. Le terrain de l'école s'était transformé en un immense site de camping, des dizaines de barbecues au charbon de bois et des popottes de fortune où cuisaient les dîners du réveillon du Nouvel An. La fumée recouvrait toute l'école, l'odeur désagréable mais appétissante. Papa était assis près de son propre grill, une poêle au-dessus du charbon de bois faisant cuire de la viande en conserve provenant des colis de secours que nous avions reçus plus tôt. Il m'a embrassée le front et m'a prise dans ses bras, et je l'ai étreint en retour.
Jo et moi avons marché vers le côté opposé de la ville. Alors que nous nous rapprochions de la mer qui l'emportait, la dévastation s'est aggravée. Les maisons sont passées du statut d'endommagées à celui de carrément rasées. Nous avons vu moins de monde. La boue est devenue plus épaisse, s'écrasant sur nos semelles et nos pantoufles au fur et à mesure que nous avancions. Au bout d'un moment, il faisait plus sombre, les réverbères étaient soit détruits, soit dépourvus d'électricité. Seuls le croissant de lune et la traînée bleue d'une comète au-dessus ont ouvert la voie à travers la route pleine de boue et de débris.

"Vont-ils jamais revenir? Jo a demandé.
- Qui ça ?
- Les gens. Vont-ils rentrer chez eux, près de la mer ?
- J'imagine qu'ils le feront.
- On devrait s'éloigner. C'est trop dangereux ici.
- Si nous avions l'argent pour déménager, nous l'aurions fait depuis longtemps."

Des débris parsemaient encore la plage. Des vagues molles berçaient la surface de la mer, semblant paisibles sous le clair de lune. Une traînée bleue dans le ciel se reflétait sur l'eau. Trois jours auparavant, l'ouragan avait fait gonfler l'océan qui, telle une bouche gigantesque, avait avalé des kilomètres de terre pour la ramener dans ses sombres profondeurs. En le regardant maintenant, il semblait qu'aucun événement de ce type ne s'était produit; que tout avait été et serait toujours aussi paisible que ça.

J'ai posé la boîte sur le sable et Jo a fouillé dans les quelques objets qu'elle contenait. Il ramassa le globe en plastique et me le donna, le globe bien ajusté dans ma main. "Souvenir", me dît-il. Je l'ai secoué, et les paillettes et les poissons ont flotté et sont retombés au fond.
Sa boîte contenait son livre préféré maintenant couvert de boue sèchée, sa chemise préférée avec un logo Superman méconnaissable couvert de boue et une figure humaine en Lego avec un bras cassé. Il a soulevé la boîte et nous avons marché en direction de la mer. L'eau était froide alors que je pataugeais, le sable chatouillant les plis sensibles entre mes orteils. Jo plaça la boîte à la surface de l'océan. Sa couleur s'est assombrie là où l'eau l'a léchée. Elle se balançait avec les vaguelettes mais gardait sa flottabilité, flottant loin de nous, je suppose, vers le cœur de la mer, ou peut-être là où que la lune rencontre l'horizon avant de s'y plonger.

J'ai entendu les discussions tard dans la nuit où Papa a insisté sur le fait qu'il n'avait rien su faire de toute sa vie à part pêcher. Cela a apporté tellement de frustration à Maman, ayant toute sa vie considéré la mer comme une rivale traitresse et dangereuse. Je l'imaginais encore plus maintenant qu'il lui manquait son petit dernier. " Tu es mort, Jo. Pourquoi tu t'en fais tant ?"
Il réfléchit une seconde. "Tu es vivante, Marine. Pourquoi que tu t'en fais si peu ?"

Le corps éthéré de Jo a commencé à se décomposer. Les particules qui se sont détachées de lui semblaient translucides et jaune pâle, se dissolvant dans le néant après une seconde ou deux. Je me suis retrouvée à vouloir demander du temps, peut-être une minute, ou peut-être deux. J'avais l'impression que mes bras s'étendaient à nouveau, tentant de saisir les poussières d'atomes que le corps de Jo libérait dans l'air.
" J'étais un oiseau, comme toi, dis-je.
- Comme moi?
- Ouais, comme toi. Et quand il faisait mauvais, on s'envolait vers un autre endroit."

La boîte de Jo, maintenant détrempée quelque part dans la mer, a fini par chavirer et a été avalée par les flots, son contenu pleongeant directement dans le fond de l'océan. La comète bleue qui traversait le ciel s'est estompée, se fragmentant en centaines de petites poussières trop petites et trop ternes pour être vues. J'étais seule sur la plage.
"J'aurais dû te serrer la main un peu plus fort. ", marmonnai-je. "Je suis désolée."
- Nous avons du riz, des tomates, une boîte de pain de viande et deux boîtes de sardines, déclara papa.
- Où sont les autres? j'ai demandé.
- Ben quoi, je les ai sauvés, bien sûr. Faites votre choix."
- Je veux pas manger, papa.
- Vas-y mange, Marine. C'est le Nouvel An !"

Vingt-six personnes étaient assises à l'intérieur de la salle de classe qui servait également de maison temporaire. Les familles se sont serrées les unes contre les autres, portant la même nourriture qu'elles avaient reçue des camions plus tôt. La pièce sentait la sueur, les sardines et la saumure. Je ne comprenais pas l'esprit festif de papa et de tous les autres.

Je me suis assise à côté de mes parents et nous avons prié. Maman a remercié le Seigneur pour notre petite fête et pour avoir placé un toit sur nos têtes à cette époque de l'année. Elle a demandé de bénir les personnes qui, depuis trois jours, nous portaient secours ainsi qu'à toutes les personnes touchées par l'ouragan. Elle a prié pour Jo, son plus jeune , qu'il soit en paix et qu'il s'amuse au paradis avec le Créateur là-haut. Elle renifla en disant "Amen". Ses yeux semblaient larmoyants quand elle les rouvrit. Mes yeux aussi ont pleuré; elle avait, jusqu'à ce jour, toujours également mentionné une jeune femme nommée 'Marine' dans ses prières.

Des feux d'artifice ont commencé à exploser à l'extérieur. Tout le monde a suivi avec des acclamations. Les gens se sont levés et se sont détournés de leur nourriture pendant un petit moment, se saluant avec amitié, qu'ils soient de la famille ou non. Les hommes se serrant les mains et les femmes se serrant les coudes. Les enfants sautaient de joie.

Je m'inquiétais pour les oiseaux.
J'attrapai le globe dans ma poche et le secouai, dispersant les paillettes et les poissons. Je lui chuchotai un salut ; j'espère que Jo l'entendra. De l'autre côté de la pièce, papa a crié "Bonne année!" alors qu'il s'approchait et nous enveloppait, ma mère et moi, dans ses bras.

J'ai tenu le jouet plus près de ma poitrine, espérant que mon petit frère sentirait également l'étreinte.

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4 mars 2022

592. Rap, Hip-Hop & RNB


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