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18 déc. 2024

988. La Moitié de l'Éternité


LA MOITIÉ DE L'ÉTERNITÉ

" Bordel, Uno ! Mais à quoi que tu penses ?" La voix traversa l'affichage tête haute du casque d'Uno el Primero, légèrement déformée. Rien n’allait bien sur la station Gallia depuis des jours, voire des semaines. Il était difficile de suivre le temps dans ce style de vie. Y avait pas de nuits, y avait pas de jours et y avait pratiquement pas d’horaires. Le travail devait être fait quand c'était nécessaire et peu importait que les hommes soient fatigués, affamés ou assoiffés, en manque de sexe ou quelle que soit l’excuse inavouable qu’ils pouvaient inventer. Uno essayait de concentrer suffisamment son esprit pour se souvenir du moment où que les problèmes étaient survenus. Il savait que c’était pendant l’année 29. 

Mesurer les événements de cette façon le rendait lugubre, mais c’était sa meilleure méthode jusqu’à présent. Ces réparations externes mineures n’étaient généralement pas si fréquentes, et il s’inquiétait que ça signifie que la fin de la station était proche. Peut-être qu’elle avait dévié de son axe, ou qu’un corps céleste lointain s’était déplacé en l'influençant d’une manière ou d’une autre. Ils attendaient toujours une réponse de l’Union concernant leur requête.

" Yo, Uno, tu m'écoutes, mec, qu'est-ce que tu glandes ?" crépita de nouveau la voix. Uno roula des yeux et soupira, sachant que son souffle lourd serait détecté par sa combinaison sensorielle. Il aimait l'idée que son soupir dédaigneux résonne à travers le pont principal pour que son coéquipier l'entende bien comme y faut.  

" Merde, t'as pas besoin de jouer les énervés. Répare juste ce putain panneau et reviens à l'intérieur. J'en ai ras-le-cul de surveiller tes signes vitaux", fut la réponse. 

Après avoir terminé sa tâche, Uno s'adossa à la coque de la station et observa le tourbillon de la réalité autour de lui. La galaxie Pandora était plutôt petite comparée à celles qui avaient été explorées, et pour Uno, elle semblait pittoresque, voire confortable. C'était comme vivre dans la plus petiote bourgade des environs et pouvoir toujours voir les lumières nocturnes de la grande ville la plus proche.  

Du moins, c'est ainsi que l'avait imaginé Uno, d'après ses études sur la culture humaine ancienne. Lui-même n'avait jamais vécu sur la planète connue sous le nom de Terre. Né et élevé dans cette station, il passait une grande partie de son temps libre à rêver, à imaginer à quoi devait ressembler la vie de ses ancêtres. Marcher dans ce qu'on appelle de l'herbe - généralement verte avec des doigts filiformes de racines qui s'étendent sous le sol à la recherche de nutriments, de dioxyde d'hydrogène et de sécurité. Il se demandait ce que cela pouvait faire d'avoir des racines et de la sécurité. Respirer un air non filtré, empli de la pollution et des arômes du monde naturel. Toute sa vie s'était déroulée à l'intérieur de cette coquille, flottant sans fin dans un vide de néant encore plus infini. Même la gravité qu'il ressentait n'était pas ce qu'il considérait comme naturel.  

" Mec, réveille-toi et rentre à l'intérieur", la voix interrompit sa mélancolie et Uno se sentit plus en colère qu'il ne l'avait été depuis des semaines. C'est pas souvent qu'il arrivait à s'asseoir tranquillement contre la coque et à se laisser aller à contempler la vue, mais à chaque fois que ça arrivait, il était rappelé à l'intérieur avec les mêmes formulations grossières qui détruisaient toute la paix qu'il avait trouvée dans sa méditation.

Alors qu'Uno refermait le sas derrière lui et le verrouillait, il sentit le regard avide de Vingt-Neuf sur ses épaules à travers la porte. Il retira lentement et méticuleusement son équipement, inspectant chaque pièce avant de la replacer soigneusement dans son casier. Il prit autant de précautions dans ce processus parce qu'il trouvait que c'était une méthode efficace pour éviter de retourner immédiatement dans la coque principale de la station, et ainsi prolonger davantage sa paix et son isolement.  

Techniquement, ils étaient toujours censés faire preuve de ce niveau de précaution lors de leurs inspections de retour, mais il était bien connu que peu de spationautes le faisaient, surtout à une distance si éloignée de la station mère. Les stations annexes comme le Gallia recevaient rarement, voire jamais, de visiteurs prestigieux et ne faisaient jamais l'objet d'inspections surprises de la part des supérieurs. 
En fait, le Gallia était bien plus un petit avant-poste qu'une station à proprement parler. Le Gallia n'était qu'une petite station annexe chargée de surveiller les niveaux d'oxygène et de détecter d'éventuels signes de vie sur de minuscules rochers morts aux confins de la galaxie. Les spationautes stationnés ici étaient censés exister, rédiger des rapports pour l'Agence de l'Union et affirmer qu'il y en avait toujours bien deux d'entre eux de vivants qui y vivaient. Rien d'autre.     

Un battement résonna autour d'Uno tandis qu'il inspectait minutieusement sa dernière valve et il se tourna vers la porte pour voir un visage en colère le regarder à travers la vitre.  

" Allez, mec, magne-toi le cul !!!
- J'inspecte ma combinaison, répondit Uno.
- Tu fais traîner et tu le sais !
- Qui ? Moi ? Jamais de la vie. Pourquoi diable je ferais une chose pareille ?" demanda-t-il en feignant une expression consternée.  

" Mec… "
Il ignora la supplication.
" Meeeeeeeeeec."
Il continua à jouer avec son équipement, se détournant de la porte pour cacher un sourire.
" Putain, mec..."
Uno se mit à rire. 
" Bon, j'arrive, Vingt-Neuf. Calme-toi !", dit-il en franchissant enfin la porte.
Vingt-Neuf le plaqua au sol. " Mec, je me sens tellement seul dans cette boîte de conserve. Je sais pas quoi faire de mes dix doigts", dit-il en s'accrochant au dos d'Uno.  

" Tu devrais peut-être essayer d'étudier, de lire ou quelque chose comme ça ", répondit Uno en s'éloignant du jeune blanc-bec. " T'es pas en vie depuis assez longtemps pour t'ennuyer à ce point.
- Je suis assez vieux pour m'ennuyer, frangin, répondit Vingt-Neuf avec indignation.
- Mec, t'es en vie depuis 53 jours. J'ai activé l'Utérus pour toi il y a moins de 3 mois. T'as pas le droit de t'ennuyer à ce point.
- Ouais, et t'es en vie depuis combien toi, quoi, 180 jours ?" demanda Vingt-Neuf sarcastiquement, même s'il savait que le décompte réel était beaucoup plus long que ça.

" Je suis ici depuis toujours." fut la réponse froide et mesurée d'Uno.

Le jeune homme ricana avant de sauter à nouveau sur le dos d'Uno. Ce dernier s'écarta une fois de plus et se dirigea vers la chambre à lits superposés. Vingt-Neuf le suivit comme un toutou, ayant visiblement quelque chose en tête. Uno se tourna vers lui.  
" Qu'est-ce que tu veux à la fin, mec ? demanda-t-il avec lassitude.
- C'est juste... Bon sang, euh... Qu'est-il arrivé à Vingt-Huit ?
- Je t'ai déjà raconté ce qu'est arrivé à Vingt-Huit.
- Non, t'as juste dit que t'avais besoin d’un remplaçant.
- C'est exactement ce qu'est arrivé à Vingt-Huit. Il a fallu le remplacer.
- Mec, tu sais ce que je veux dire.
- Vingt-Huit est mort.
- Eh ben enfin, nous-y voilà ! Et comment qu'il est mort ?
- Nous sommes dans l'espace, mec. Et même si on y était pas, la mort demeure toujours une certitude.
- Putain, Uno, t'es le pire mec de l'univers pour répondre aux questions, genre, le plus pire de tous les temps."

Uno el Primero se marra. " Ouais, mais je suis toujours le meilleur professeur que t'aies jamais eu, gloussa-t-il.
- T'es aussi le pire que j'ai jamais connu", précisa Vingt-Neuf qui adorait les équations qui tiennent pas debout..

Les deux hommes restèrent silencieux un moment. Uno s'assit sur sa couchette. Vingt-Neuf le regardait, une expression de plus en plus tragique se répandant sur son visage. Uno se pencha en arrière et ferma les yeux, refusant intentionnellement de voir l'apparence pitoyable du jeune homme. Il était fatigué de répondre à ses questions à chaque nouvelle itération. À ce stade, ça semblait un exercice futile.  

Chaque histoire se terminait de la même façon, chaque vie aboutissait à la même conclusion ; rien de spécial. C'était devenu plus facile à chaque fois qu'un individu passait. Deux avaient été une véritable lutte. Uno n'était pas sûr de se remettre un jour de la perte de son premier homme de seconde main. Il avait essayé de se déconnecter depuis lors. Il passait plus de temps hors de la station quand il le pouvait. Il essayait d'être indépendant d'eux.
Mais Vingt-Neuf – Vingt-Neuf lui rappelait trop lui-même au tout début, au-delà du fait évident qu'ils avaient exactement le même visage, le même ADN. 
Chacun des hommes avait eu le même visage et le même ADN ; ce n'était pas spécial. Pourtant, d'une certaine manière, Vingt-Neuf était spécial. Excitant et désireux de savoir tout ce qu'il pouvait. Étouffé par la vie à l'intérieur de Gallia. Il lui fallait de grands efforts pour rester à l'écart de celui-ci. Uno réfléchissait à la vie des autres, à quel point ils étaient tous dissemblables, tous faits confondus, et pourtant ils finissaient tous de la même façon. Telle est la vie, pensa-t-il.

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Uno se réveilla naturellement pour la première fois depuis une éternité. Pas de klaxon ni de sirène qui hurlait, pas de coéquipier collant attendant que ses yeux s’ouvrent. « Bien », pensa-t-il. Peut-être qu’enfin Vingt-Neuf avait compris qu’il fallait arrêter de poser autant de questions. Il se leva lentement, étirant son corps endolori. Le corps humain n’était pas conçu pour passer toute sa vie dans l’espace. Même Uno, créé et conçu essentiellement à cette fin, luttait encore contre les effets.

Uno retrouva Vingt-Neuf assis tranquillement près du panneau de communication et regardant à travers l'écran de visualisation les corps célestes de Pandora qui clignotaient et vacillaient autour d'eux.  

" C'est magnifique, n'est-ce pas ?" murmura-t-il en posant une main sur l'épaule de Vingt-Neuf.
- Ouais, ouais", répondit ce dernier, secoué par la réalité lointaine vers laquelle son esprit s’était aventuré.
C'est comme moi, pensa Uno avec l'esquisse d'un sourire, avant de dire " Va dormir un peu, mec."

Vingt-Neuf se leva sans réfléchir et suivit ses instructions. Depuis combien de temps est-il éveillé ? se demanda-t-il avant de prendre la place de Vingt-Neuf au poste de communication. Toujours pas de message de l’Agence de l'Union. Il ressentit un pincement d’inquiétude familier, avant de s’en remettre. Qu’est-ce que ça pouvait bien faire, se demanda-t-il. Il continua sa routine, vérifiant l’équipement, scrutant les relevés, cherchant tout ce qui aurait pu mal tourner pendant son repos. Il fut soulagé de constater qu’il n’y avait rien d’extraordinaire et retourna à ses rêveries.

" Dis-moi ce qui est arrivé à Vingt-Huit", grogna une voix groggy derrière Uno. Il lisait depuis des heures et le soudain rappel qu’il n’était pas seul le surprit.
- Putain, mec, tu m'as fait peur ! cria-t-il.
- Dis-moi ce qui s'est passé", répéta Vingt-Neuf, " Faut que je le sache.
- Tu le sais déjà.
- Je sais qu'il est mort. Je sais pas comment que c'est arrivé. 
- Est-ce que ça a vraiment de l’importance ?" rétorqua Uno : " Quand on est mort, on est mort. Qui se soucie de la façon dont quelqu’un a rencontré la mort. Tout ce qui compte, c’est qu’il soit mort.
- Putain, mec, j'y crois pas. Qu'est-ce qui t'est arrivé ? demanda doucement Vingt-Neuf.
- Qu'est-ce tu veux dire, qu'est-ce qui m'est arrivé ?
- Que t'est-il arrivé ? Sérieusement, comment est-ce que ça peut ne pas avoir d'importance comment ils se sont retrouvés morts ? Mort, c'est MORT, mec ! Devenir mort, c'est pas une petite affaire...
- Lâche-moi la grappe", hurla Uno. Il sentit ses émotions longtemps étouffées bouillonner en lui.  

Vingt-Neuf demeura silencieux. Uno en fit autant.

Le silence devint une entité à part entière. Une troisième entité dans le duo de leur petite compagnie. Il flotta sur eux et les enveloppa, les serrant l'un contre l'autre. Uno toisa Vingt-Neuf, fixant son propre visage. Plus jeune, moins usé par le nihilisme, indemne de la répétition des morts. Les cheveux toujours coupés comme il faut. Vingt-Neuf le regarda en retour, les larmes lui piquant les yeux et la gorge. Il se voyait, et pourtant quelque chose de complètement différent. De longs cheveux hirsutes léchant ce visage étrange, mais la peau tirée différemment. Plus tendue, et pourtant légèrement ridée autour des yeux, sur le front. Ce visage n'avait plus sa douceur. Le silence se resserra, commençant à sembler à une suffocation.

" Écoute, je ne peux pas te dire ce qui leur est arrivé, mec", murmura Uno à travers le brouillard de silence qui les entourait, " je peux tout simplement pas revenir là-dessus."

Vingt-Neuf hocha lentement la tête. Le temps s'écoulait à nouveau sans signification, comme il l'avait fait pendant si longtemps, comme il le ferait toujours, mais à cet instant, il était palpable.  

Une alarme retentit dans la station, faisant presque trembler les deux hommes. Quelque chose n'allait pas. Vraiment pas. Le silence qui les avait enveloppés avait été éradiqué. Ils se précipitèrent vers le poste de communication pour voir s'ils pouvaient apprendre quelque chose. L'écran de visualisation était vide. Les instruments devenaient fous furieux. Des lectures incohérentes et chaotiques clignotèrent encore et encore avant que toute la console de communication ne s'éteigne. Les lumières s'éteignirent ensuite à l'intérieur de toute la station et un message d'avertissement commença à se répéter. Uno regarda Vingt-Neuf. Le visage de ce dernier était déformé par la peur et deux sourcils froncés. Uno lui tapota l'épaule. " Je sors", cria-t-il par-dessus les diverses sirènes et messages que l'ordinateur de la station faisait retentir à travers la coque. Vingt-Neuf lui saisit la main. " Non, c'est moi qui y vais", hurla-t-il, mais Uno s'esquiva de son emprise et courut en direction du sas.

Uno se saisit son équipement et l'enfila bien plus rapidement qu'il ne l'avait jamais fait auparavant. C'était pas ainsi que ces situations étaient généralement gérées. Le plus ancien n'était pas celui qui était censé sortir pendant les pannes, mais il s'en fichait. Au diable les règlements. Il n'allait pas regarder cela se reproduire. 
Vingt-Neuf se tenait sur le pas de la porte, regardant Uno se revêtir de sa combinaison, hurlant quelque chose d'inaudible à travers le chaos sonore qui brisait tout ce qu'il avait connu. Uno entendit Vingt-Neuf tenter d'ouvrir la porte du sas et avant que le jeune homme ne puisse progresser, il ouvrit la porte extérieure, verrouillant ainsi le reste de la station jusqu'à ce que les procédures appropriées permettent aux choses de s'ouvrir à nouveau.  
Uno s'aventura sur la coque de la station où il avait passé sa vie. Il vit immédiatement où le vaisseau avait été heurté par une sorte de débris spatial. Deux des douze cellules d'énergie placées autour de l'extérieur du vaisseau s'étaient détachées, provoquant probablement un court-jus dans le circuit et des fluctuations des niveaux d'énergie à l'intérieur. Il se mit à réparer les pièces endommagées et leva les yeux pour voir encore d'autres débris spatiaux se précipiter vers le Gallia. Il travailla aussi vite qu'il le pouvait, mais ce ne fut pas assez rapide. 
Il n'avait pu réparer qu'une seule des cellules avant l'impact suivant. Un petit morceau de roche le frappa à une telle vitesse qu'il déchira un bras de sa combinaison. Les procédures automatiques de sécurité s'activèrent. Le bras impacté fut sectionné juste au dessus de la perforation et scellé instantanément. La température monta rapidement sur la lame qui venait de lui trancher le bras à l'intérieur de la manche, cautérisant l'amputation. Uno hurla de douleur, mais d'après tout ce qu'il avait lu, ce n'était rien comparé à ce qui se serait passé sans l'effet guillotine de sa combinaison. Il avait parcouru les manuels qui avertissaient de ce qui pouvait arriver dans de telles circonstances. L'eau contenue dans la peau humaine se vaporiserait en l'absence de pression atmosphérique, et l'humidité sur la langue bouillirait. 
Tout ça, bien sûr, n'avait d'importance que si le reste du corps avait d'une manière ou d'une autre de l'oxygène et une protection contre le vide spatial. L'affichage intégré de la visière de son casque commença un compte à rebours, indiquant combien de temps il lui restait sans recevoir de soins médicaux appropriés. Ces combinaisons, bien que de technologie avancée, ne pouvaient tout simplement pas éviter la mort humaine sans que d'autres mesures ne soient prises pour récupérer.    

Il se remémora, encore et encore, chacun des hommes qu'il avait perdus pendant son séjour dans la station. Avaient-ils ressenti cela ? Cette peur ? Ce... eh bien, ce soulagement ? Quel genre de cocktail émotionnel avaient-ils chacun éprouvé ? Étaient-ils... Était-il... heureux ? 
Il se sentit flotter loin de la coque de la station. L'impact avait dû être suffisant pour séparer ses bottes magnétiques du titane. C'était un lien faible de toute façon. Il était logique que ce soit le cas. 
Alors qu'il s'éloignait de la seule maison qu'il ait jamais connue, la seule maison qu'il aurait pu connaître, il essaya de ne pas imaginer le visage de son protégé. Il essaya de ne pas revoir ce même visage, encore et encore dans son esprit. La peur. Mon Dieu, la peur. Le dernier cri de Deux traversa son esprit. Puis celui de Onze. Et celui de Dix-neuf. Chaque visage, le même, et pourtant si différent à ce moment final. Chaque mort avait été différente, mais était-ce seulement possible ? Chacune avait eu lieu au même endroit - cette station maudite dans ce coin de cette galaxie maudite. Chaque mort de la même personne, génétiquement. Comment cela avait-il pu être si différent à chaque fois ? L'urgence du message sur la visière de son casque augmentait, comptant à rebours ses dernières secondes, et il ressentit un sentiment d'anticipation. De liberté imminente ?

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L’Utérus bourdonnait en arrière-plan tandis que Vingt-Neuf était assis à la station de communication, étudiant la vie d’autrefois, loin là-bas sur Terre. Il passa distraitement son doigt à travers les cicatrices sur son visage. Les cicatrices qu’il avait placées là avec un morceau cassé du vaisseau s’étaient accumulées lors d’une mission de réparation. C’étaient des dessins qu’il avait créés après avoir découvert le concept de « tatouages ​​» lors d’une de ses plongées profondes dans la vieille culture humaine. C’était sa seule façon de se sentir différent. Lorsque l’Utérus s’ouvrit enfin, il ressentit un léger chatouillement d’excitation. Ce que ce serait de ne plus être seul, même pour un petit moment. Il essaya d’étouffer ce sentiment. Il savait comment cela se terminait toujours.  

" Bienvenue à bord de Gallia", gazouilla agréablement la voix de l’ordinateur.  

Vingt-Neuf entra dans la pièce pour regarder le nouveau venu se remettre du processus d'incubation. Il s'assit lentement, sortant du liquide amniotique rose dont chacun des hommes était né, étirant son dos et ses bras. Il regarda autour de lui. Se concentrant sur son visage. Il cligna des yeux plusieurs fois, et il attendit patiemment que ses yeux se concentrent. Cette orientation vers le monde des vivants prit un certain temps. Heureusement, chacun des clones était né avec la capacité de comprendre le langage et de le parler ; une fois qu'ils avaient compris comment faire fonctionner leurs cordes vocales, en tout cas. L'amnios s'écoula de la capsule d'incubation et la trappe s'ouvrit, permettant au dernier arrivé de la station de poser  ses pieds sur le sol de sa nouvelle demeure.

Vingt-Neuf s'appuya contre une cloison. Ses cheveux étaient longs et tombaient sur ses épaules. Sa main caressait sa barbe par habitude.  

" Enfile des vêtements et viens me rejoindre pour une séance d'orientation quand tu seras prêt", dit-il froidement avant de sortir de la nurserie. Quelque chose le fit hésiter un instant, et il se tourna vers son nouveau coéquipier. Peut-être que cette fois ce serait différent. Il s'éclaircit la gorge. " Et, euh, bienvenue sur Gallia, Quarante-Sept. Je pense que tu vas te plaire ici.
- Attendez. Désolé, je me demandais juste. Depuis combien de temps vous êtes ici ?" demanda maladroitement le nouvel homme, tandis que ses yeux se posaient lentement sur le visage hagard de son supérieur.

Vingt-Neuf secoua la tête en lui faisant un clin d'œil. " À peu près la moitié de l’éternité, mec."

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