En supposant que vous avez tous remonté le temps au moins une fois, vous aurez certainement entendu mon histoire. Si c'est pas le cas, vous ne possédez probablement pas de machine à voyager dans le temps et par conséquent vous n'avez jamais entendu cette histoire. Et c'est pour vous, ignorants qui s'ignorent, que je vais la redire ici afin de pas vous laisser plus longtemps dans l'ignorance des ténèbres.
Hier; à peine une pichenette de trois mille ans avant demain, j'ai voyagé avec un lépidoptère qui voulait changer le monde. Un lépidoptère, comme vous l'ignorez sûrement si vous êtes pas aussi érudits que moi, est le nom scientifique d'une chenille ou d'un papillon. (Oui, je suis un scientifique.)
Quand je l'ai trouvée pour la première fois, c'était une créature ordinaire, de couleur prune verte et pulpe de figue molle donc pratiquement sans aucune valeur sur le marché de l'or physique. Elle était tellement banale que j'ai failli lui marcher dessus.
Hem, eh ben en fait, je lui ai en quelque sorte marché dessus un tout petit peu. Je me suis senti désolé pour la petite bestiole, alors je l'ai ramassée ainsi que toutes ses tripes et toutes ces choses dégoûtantes qui dégoulinaient de ses entrailles et je l'ai ramenée à mon laboratoire.
Heureusement, elle était pas vraiment morte, ce qui, avouez le avec moi, eût franchement trahi de sa part un sacré manque de savoir-vivre. Une fois arrivé là-bas, je me suis mis à travailler sur mon idée lumineuse et révolutionnaire. J'ai rempli une petite fiole de kérosène et de vinaigre, l'ai déversée sur un granule de granit fin et j'ai broyé le tout dans mon mixeur à légumes. Pour la touche finale, j'ai ajouté un peu de jus d'air alpin (pour une question de brevet, je m'abstiendrai de vous dévoiler ici si ce dernier provenait du Tyrol, de la Haute-Maurienne ou du pays des kiwis aux antipodes). J'ai rapidement laissé tomber la bouillie de chenille dans la concoction, puis j'ai vérifié mon livre de recettes une fois de plus. "Laissez infuser une heure pour que ça fasse son effet", c'était marqué. Alors, j'ai attendu, et attendu, et attendu. Puis finalement la minuterie s'est déclenchée; malheureusement, elle ne marquait que la moitié du temps de la recette. Alors j'ai décidé de faire une sieste en attendant que l'autre moitié passe.
Je me suis réveillé quelque temps plus tard avec une odeur de fumée et quelque chose d'autre non identifiable. Je me suis levé, j'ai enfilé mes sabots violets et bleu sarcelle et je suis retourné dans mon labo. Ce que j'ai vu m'a donné un tel sursaut que je me suis effondré sur le sol tel un ours de Sibérie sous tranquillisants. Et je me suis réveillé avec un insecte colossal avec ses pattes sur mon visage.
" Réveille-toi, ducon !" me cria-t-il. Alors je crois bien que je me suis encore évanoui. Quand j'ai rouvert les yeux, m'attendant à voir une chenille géante, ben c'était pas le cas. J'ai dû halluciner, je me suis dit. Mais ce que j'ai vu dans mon labo m'a prouvé le contraire.
Il n'y avait plus vraiment de laboratoire là où qu'y en avait eu un avant, juste le sol. Je pouvais même voir les arbres et les oiseaux que je ne voyais normalement qu'à travers mes fenêtres du premier étage. Je me suis rapidement levé pour visiter le reste de ma maison. Enfin, j'ai trouvé un lépidoptère d'un mètre quatre-vingt, fouillant avec colère les entrailles de mon réfrigérateur. Une enquête plus poussée m'a appris qu'il avait aussi déjà fouillé tous les placards de ma cuisine.
" Mais t'es qui, bordel ? " je lui ai demandé, quoique que j'aurais dû demander ce qu'il était. "Je pensais pas que tu serais si grand !" J'étais à la fois émerveillé et terrorisé devant la créature que j'avais créée.
" Qu'est-ce tu racontes ? !" marmonna le bestiau. "J'ai toujours été aussi gros !"
" Tu veux dire que tu ne …" Je m'interrompis alors qu'il se déplaçait dans la pièce voisine pour fouiller un peu plus.
" Eh bien, ça n'a pas vraiment d'importance," me répondit-il sèchement. "Ce qui craint, c'est que tu n'aies plus d'asclépias géant.
- J'ai jamais eu d'asclépias géant." je lui ai balancé, confus.
" Quoi? Pas d'asclépias ! Comment ça se fait que t'es encore de ce monde ?" Il avait l'air horrifié.
" Je m'en sors," lui dis-je prudemment. J'étais toujours terrifié, mais j'ai fait de mon mieux pour pas tomber de nouveau dans les pommes.
"Eh bien, si je dois inventer une machine à voyager dans le temps, alors j'ai besoin d'asclépias géant ! s'est-il exclamé.
- Excuse-moi?", J'ai froncé les sourcils, "T'as bien dit une machine à voyager dans le temps?"
Le Lépido s'est éclairci la gorge et m'a regardé gravement. "Il y a une minute, j'ai eu une vision", a-t-il commencé de façon dramatique. " Dans cette vision, le Grand Cornichon s'est adressé à moi personnellement. Il m'a dit d'inventer une machine à voyager dans le temps, alimentée par le jus d'un cornichon à l'aneth super-casher. Si j'échoue… " il hésita, "alors le monde tel que je le connais... va... DISPARAÎTRE !!"
Je le dévisageai comme s'il avait trois têtes pendant quelques secondes, en fait plus comme quelques minutes.
" Ducon " me fit le Lépido en m'agitant sa chose en forme de jambe devant la gueule. " Mets tes sabots et allons-y ! Il nous faut de l'asclépias géant et du jus de cornichon magique !"
Beaucoup plus tard, après que nous ayons trouvé d'une manière ou d'une autre un asclépiade géant, Dany, comme j'avais appris que s'appelait cet étrange crétin, a commencé à bosser sur sa machine à voyager dans le temps.
"Ha !" cria-t-il finalement après environ une heure à fixer le mur. "C'était tellement simple !
- Qu'est-ce que c'est ?" j'ai demandé avec enthousiasme. " Un oiseau ? Un avion ? Superman ?
- Sois pas stupide, nous avons juste besoin d'un Crocabidiboss extra-croustillant !" conclut-il triomphalement.
"Euh, désolé mais je suis fraîchement sorti de l'œuf." je lui dis en écartant les mains dans un geste d'impuissance. J'étais aussi très déçu que Superman ne soit pas venu toquer à ma porte.
"Ouais, je sais," acquiesça Dany, "Mais tu as un réfrigérateur et un micro-ondes. Tout ce que tu as à faire est de fixer le ventilo du frigo au cordon du micro-ondes, puis de ramollir le tout d'un coup de vinaigre de Jerez !" Je dois admettre que je doutais qu'un Crocabidiboss extra-croustillant puisse alimenter une machine à voyager dans le temps, mais une fois que Dany l'a appliqué sur ma Jeep Méhari et a peint un lapin sur la porte du haillon, ça avait l'air plutôt cool. (Sauf le lapin.) Dany regarda sa montre. En fait c'était ma montre, mais Dany ne semblait pas comprendre que tout, en fait, ne lui appartenait pas.
" Saint Papillonavirus !" Il haletait. "Nous n'avons qu'une heure avant de devoir partir !
- Ça nous laisse pas mal de temps, n'est-ce pas ?"
Il a ignoré ma remarque et m'a donné un ordre. " Surveille la machine à remonter le temps !" Puis il est retourné dans la maison. J'ai attendu, et attendu, j'ai piqué un petit somme, et puis j'ai attendu encore trois plombes avant de refaire une petite sieste. Finalement, en deux temps trois mouvements, Dany est ressorti de la maison avec une petite boîte en fer blanc.
" Qu'est-ce qu'y a-dans la boite?" je lui ai demandé.
- Des galettes de Pont-Aven." Il m'a dit. " On peut pas voyager dans le temps sans galettes de Pont-Aven.
- D'accord." J'ai soulevé une arcade sourcilleuse. Je ne pouvais pas penser à la raison pour laquelle ces biscuits au beurre pourraient aider. " Ont-ils un but précis?"
Dany me regarda dans les yeux, un dégoût évident peint sur son visage, et secoua lentement la tête. " Les galettes ont toujours un but, ducon ! Je suis surpris que tu ne comprennes même pas ça !"
Houla, le Scud de 5ème génération ! Je l'ai regardé fixement pour la deuxième fois ce jour-là et lui ai pris la boîte de galettes des mains. "Je vais la mettre sur la banquette arrière !" Je soupirai d'exaspération.
" Monte vite, ducon! Je vais transférer le jus de cornichon !" J'ai sauté dans la machine à voyager dans le temps et j'ai bouclé ma ceinture.
" Ducon! Où est le jus ? " pleurnicha frénétiquement Dany.
"J'en ai acheté ce matin et je l'ai posé sur l'étagère au-dessus de la tronçonneuse." L'homme-chenille l'a attrapé et l'a versé dans le réservoir de carburant. Puis il a tourné la clé de contact et nous avons décollé dans une explosion de couleurs LGBT. Puis j'ai réalisé que nous avions accéléré si vite que mes sabots violets et turquoises m'étaient remontés jusqu'aux amygdales. Avant que je m'en rende compte, nous étions en orbite autour de Pluton. Alors que Dany faisait faire un demi-tour à la jeep Méhari pour nous mettre face à la terre, j'ai entendu un bang.
" Houla !" s'exclama Dany, sa face de Lépido enveloppée d'effroi.
"Qu'est-ce qui s'est passé?" j'ai demandé nerveusement. J'espérais vraiment la présence de Superman à ce moment là.
Dany rampa sur la banquette arrière et attrapa le pot de cornichons. " NOOOOOOOON ! " se mit-il à gueuler.
" Quoi !?" J'ai gueulé en retour.
" Nous avons utilisé des cornichons à l'aneth casher." Sa voix se réduisit à un murmure.
" Ben quoi, c'est ça que tu m'avais dit, non ?" j'ai chuchoté. Superman, au secours !
"Le Grand Cornichon a dit d'utiliser de l'aneth SUPER-casher, ducon ! Nous n'avons que vingt secondes pour sauver le monde, et tout ce que nous avons, c'est de l'aneth casher !" déclama-t-il tristement. Nous avons regardé par la fenêtre, attendant que le monde explose, ou quelque chose comme ça. Mais vingt secondes passèrent, puis trente, et toujours rien ne se passa.
" Dany," murmurai-je avec enthousiasme. "Le monde n'a pas explosé, ça va aller !"
Dany n'a pas moufeté.
" Dany ?" dis-je en me retournant. Mais Dany avait disparu. À sa place se trouvait une chenille tout ce qu'y a de plus banale.
"Oh," me suis-je dit à haute voix. "Le monde de Dany s'est terminé. Il était trop égoïste pour s'en rendre compte. Et maintenant je suis perdu dans l'espace." J'ai regardé tristement la Terre, souhaitant n'avoir jamais essayé de sauver la chenille ennuyeuse qu'était Dany quand je l'ai trouvée pour la première fois. Mais maintenant, je savais que je ne pouvais pas changer l'heure, même si je le voulais.
Ou le pourrais-je ?
Étant le
scientifique que vous savez déjà que je suis, doublé du talentueux chimiste de
haut vol que j’ignorais que j’étais, j'ai vidé l'eau du radiateur de ma Méhari
et mélangé le jus obtenu avec l'aneth casher, le transformant par cette
alchimie à couper aussi bien le souffle d’un joueur de biniou braz que celui
d’une tempête tropicale en aneth super casher !
J'ai rempli
le réservoir de carburant et retenu mon souffle en tournant la clé. La Méhari a
repris vie en rugissant et j'ai hurlé de triomphe. J'ai fait tourner le moteur
et j'ai embrayé en dérapage contrôlé pour la terre. J'ai réglé le cadran sur
deux jours plus tard que le futur passé d'hier et j'ai appuyé sur le bouton de
transit temporel. Et c'est là que je me suis retrouvé garé devant l'entrée de
ma maison.
J'ai remonté mon allée,
mes sabots crottés comme avant, mais cette fois je me suis arrêté à temps pour
voir Dany ramper sur le dallage. Je me suis penché sur la chenille. "Pas
cette fois mon pote." J'ai souris. Puis je l'ai ramassée et je
l'ai placée sur une tige d'asclépiade. " Tu prends soin de toi
maintenant, d'accord ?" Elle m'a pas répondu, bien sûr, pourtant je
jurerais presque avoir entendu sa petite voix sarcastique me répondre : "
Ok, mais c'est toi qui voit ce coup-ci, ducon."
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