À côté de pas loin de chez moi, il y a une épicerie, du genre qu'on appelle ici simplement chez l'arabe, grâce à une métonymie populaire née du fait que presque toutes les épiceries de cette ville sont tenues par des maghrébins ou des mamelouks..
Bon, je vous ai raconté que parmi les habitués du dit "arabe" il y a un homme d'environ soixante-dix ans qui vient une ou deux fois par jour ? Une paire de béquilles fait le travail pour ses jambes engourdies, tandis que ses bras vivent juste pour tenir les béquilles et tendre la main aux commerçants lorsqu'il leur dit au revoir. Avec l'homme aux béquilles y a un petit chien jaune avec une rayure brune qui lui parcourt l'échine, un petit clébard proportionnellement aussi vieux que son proprio, mais toujours capable de marcher sans l'aide d'artifices, sans doute grâce à cet avantage évolutif qui consiste à ce qu'il soit monté sur quatre guibolles quand son vieux maître n'en a que deux comme vous et moi.
On dit que les couples s'unissent parce qu'ils sont complémentaires, et il y a en a même qui étendent la définition aux amitiés. Le septuagénaire et son chien seraient à la fois le couple parfait et les meilleurs amis du monde.
Je les croise souvent sur le trottoir. L'homme marche très lentement, soutenant soigneusement chacune de ses longues pattes en bois avant d'équilibrer son poids, et jetant des regards tendres vers son clebs âgé qui porte dans son museau le sac avec la nourriture qu'il vient d'acheter chez le maghrebin. Il avance de son pas arythmique, renifle, pisse un coup en se tenant sur trois pattes, regarde en arrière pour voir à quelle distance se trouve son maître, et finit toujours par revenir sur ses gambettes pour marcher à ses côtés pour ensuite le laisser à nouveau derrière lui.
"Il la monte au deuxième étage", me dit l'homme en souriant avec difficulté. "Et même s'il monte de la viande ou des merguez, il ne mord jamais dedans." Sa voix est aiguë et rauque, mais toujours gentille, sauf lorsqu'il crie ironiquement à son quadripède, "Hé, Ticson dépêche-toi !", l'appelant à se ramener fissa si c'est lui qu'a pris de l'avance.
Ticson, eh bien, d'une manière ou d'une autre, il a dû payer le prix pour son avantage de locomotion. Bien sûr, c'est pas juste qu'il porte le nom de clebs le plus con et le plus stupide qui soit, juste pasque vu du dessus, il ressemble à un vieux ticket de métro parisien des années quatre-vingt.
" Il a quinze ans", me dit le vieux. "Et il a toujours été avec moi... fais attention si tu t'approches trop près qu'l se mette pas à te grogner dessus."
Je retire la main avec laquelle je voulais le caresser et je me tiens sur le trottoir, regardant le couple bizarroïde s'éloigner vers le coin où ils tourneront à gauche, ils iront vers la porte de l'immeuble que j'ai jamais vue, car je n'ai jamais pris le temps d'avoir la patience d'y aller avec eux; et ils monteront au deuxième étage. Que fera Ticson une fois là-haut ? Grimpera-t-il sur une chaise pour poser le sac sur la table ? Ou bien le mettra-t-il direct au frigo ? Faudra que je demande ça au vieux. En tout cas je suis sûr, et je fais une pause en y réfléchissant, que tous deux feront vraisemblablement ensemble, peut-être même dans le même lit, une bonne vieille et longue sieste des familles bien méritée.
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Merci pour votre inconditionnel soutien qui me va droit au cœur
ou
et à très bientôt !
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