Bienvenue, curieux voyageur

Avant que vous ne commenciez à rentrer dans les arcanes de mes neurones et sauf si vous êtes blindés de verre sécurit, je pense qu'il serait souhaitable de faire un petit détour préalable par le traité établissant la constitution de ce Blog. Pour ce faire, veuillez cliquer là, oui là!

7 févr. 2022

584. Transferts d'énergies



Les sorts interdits étaient toujours les plus durs à jeter. L'envoi du désespoir avait pratiquement tué Boobah n'Balaoua. Il avait juste eu besoin de son atlas et de quelques mots pour que n'importe qui sur la planète ressente sa douleur. Il en avait feuilleté les pages, affiché la mappemonde complète et sillonné aléatoirement la carte avec un doigt, prononçant les paroles et imaginant la peine, la confusion, les larmes et le grand sommeil.

***

Yvanne Béthaud était assise sur une chaise métallique, devant une table de même facture dans une pièce sans fenêtre d'une aile du ministère de la place Beauvau. "Ils me font attendre pour m'intimider" se dît-elle.
La porte s'ouvrit et deux mecs firent leur entrée. "Le premier va m'interroger et l'autre s'occupera du magnétophone tout en donnant de l'importance au premier" poursuivit-elle en elle-même.
"Vous vous décrivez comme une sorcière blanche...
- Je pense souhaitable de vous expliquer que j'utilise cette description afin de prévenir toute forme de préjugés chez les personnes à capacité cérébrale limitée. Je fais de mon mieux pour être une bonne personne mais le bien et le mal sont des concepts humains. Les esprits avec lesquels je travaille ne sont ni bons ni mauvais.
- Sachez que ni moi ni ce service ne croyons à la réalité de la magie. Faudrait pas nous prendre pour des berrichons !
- Vous et votre service avez le droit de croire qu'est-ce que vous voulez. Pratiquement tous ceux qui disent avoir des pouvoirs magiques sont soit des charlatans soit des illuminés. Certains ont des capacités spéciales mais je n'ai encore jamais rencontré quelqu'un capable de faire qu'est-ce que je peux faire.
- La pandémie de coma soudain nous a forcés à essayer des méthodes pas très conventionnelles. Votre nom est sorti sur une liste de paranormaux autoproclâmés que nous avons compilée en consultant des prestidigitateurs et des illusionnistes qui débunkent ce genre de choses. Nous leur avons demandé qu'ils nous signalent ceux qui faisaient des choses qu'ils ne pouvaient expliquer. Puis nous avons contacté les gens sur cette liste et leur avons demandé ce qu'ils pensaient des autres personnes figurant aussi sur la liste.
- Ce qui expliquerait cet étonnant sondage téléphonique qu'une femme au ton très officiel a gravement insisté pour que j'y réponde.
- Pratiquement tous ceux que nous avons contactés ont été heureux de nous parler de tous ceux qu'ils connaissaient sur la liste. Sauf de vous. Ils ont tous eu l'air d'avoir très peur de vous..
- J'ai jamais fait de mal à une mouche.
- C'est en effet ce qu'ils nous ont dit. Mais c'était plus comme s'ils craignaient que vous pourriez leur en faire si vous vouliez vous venger ou leur faire du tort.
- Et c'est la raison pour laquelle je suis assise là plutôt que dans ma chaumière à regarder les Simpsons avec mes chats ?
- Vous avez entendu parler de la pandémie de coma soudain ?
- Comme tout le monde ! Partout dans le monde des gens tombent dans le coma.
- Nos services de santé traîtent ça comme une maladie infectieuse sauf que c'est pas une maladie infectieuse normale. Les maladies nécessitent un vecteur. Elles commencent quelque part et sont ensuite propagées par l'air ou l'eau ou par ceux déjà atteints. La pandémie d'infection de coma soudain ou ICS surgit arbitrairement un peu partout dans le monde. Avez-vous entendu parler d'Assimi N'Daw ?
- Ce serait pas le dirigeant de ce pays africain qui veut débarasser son pays de toute influence française ou européenne ?
- Tout à fait. Il a rassemblé un grand nombre de Sangomas, des devins-guérisseurs-désenvoûteurs, dans sa capitale.
- Vous croyez tout-de-même pas qu'il utilise la magie pour causer cette pandémie ?
- C'est une hypothèse que nous ne pouvons pas ignorer."
Yvanne rigola doucement. Mais alors tout très tout doucement. Ces mecs avaient l'air sérieux. "Et vous aimeriez que je vous aide à vérifier votre hypothèse...
- Nous pensons surtout que vous aimeriez aider votre pays et le monde entier.
- D'abord j'ai pas du tout apprécié d'être arrachée de mon lit aux aurores. Si de la magie est impliquée dans votre affaire, c'est que l'un de ces Sangomas a des pouvoirs spirites. La plupart des Sangomas n'en savent pas plus sur la magie que vous ou votre collègue. Je pourrais peut-être vous aider. J'aurai besoin d'un atlas pour me concentrer l'esprit. Et aussi, il faudra que je me mette à poil."
Le préposé au magnétophone s'offusqua d'un air choqué. L'interrogateur se tourna vers lui: "Tu l'as entendue. Va lui chercher un atlas."

Le mec calta de la pièce. Pendant ce temps, Yvanne ôta son pull, ses pompes, son jean, ses chaussures et ses chaussettes puis finalement ses sous-vêtements. Elle posa le tout sur une chaise. Puis elle resta debout, attendant que l'autre revienne avec son atlas.
Il revînt portant un énorme volume en cuir. Yvanne le prit et le plaça sur la table. Elle dénicha la carte d'Afrique et y chercha le petit pays. Elle le toucha du bout de l'index, prononça quelques mots inintelligibles pour les deux flics et s'évapora.

***

Boobah n'Balaoua fut seulement légèrement surpris quand l'étrange femme blanche et nue comme un vers se matérialisa devant lui alors qu'il méditait dans le fond de sa case. Rien de tel ne lui était jamais arrivé même s'il savait que c'était pas impossible.
"Attendez, petite sœur !" lui fit-il en levant une main. Il traversa la pièce et se pencha sur le coffre de sa femme, le coffre qu'il avait été incapable d'ouvrir depuis sa mort. Il en souleva le couvercle et en tira un boubou coloré qu'il tendit à Yvanne. "Couvrez-vous avec ça. Je sais que vous ne pouvez effectuer le Grand voyage avec des vêtements, mais nous sommes un pays décent et vous devez vous vêtir."
Yvanne se faufila dans le boubou en l'enfilant par la tête. Il était pas vraiment à sa taille. Il avait été taillé pour une femme beaucoup plus grande et fine qu'elle ne l'était. Le sentiment de tristesse qu'elle ressentit en l'ajustant sur ses épaules lui fit comprendre qu'il avait appartenu à une personne que l'homme qui venait de le lui passer avait beaucoup aimée et puis perdue.
"Je suis très honorée de votre confiance, lui assura-t'elle.
- Je suis tenu par un serment. Je n'ai jamais rencontré d'esprit sœur jusqu'à ce jour. Je suis Boobah n'Balaoua. Comment vous appelez-vous et pourquoi êtres-vous venue ?
- Je suis Yvanne Béthaud. Vous avez causé une pandémie."
Les yeux de Boobah étincelèrent de colère. "Il y a eu une cérémonie de grâce pour les Sangomas. J'étais censé y être l'invité d'honneur mais j'étais fiévreux et j'ai dû rester couché quelques jours. Balaba, ma femme, et mes trois enfants y sont allés sans moi. Ils se tenaient au milieu de l'assemblée tandis que notre chef, Assimi N'Daw, tenait un discours où il les décrivait comme la famille de son meilleur Sangoma. Tout le monde a entendu le bourdonnement venant du ciel. Balaba était une femme fière et courageuse. Fallait plus qu'un simple bruit pour l'effrayer. Elle a levé la tête en direction des machines volantes. Mes enfants se savaient en sécurité à ses côtés. Puis les drones ont ouvert le feu. Ils voulaient assassiner notre chef. Il s'en est sorti vivant avec seulement quelques égratignures. Plusieurs de ses proches ont été tués. Plusieurs de mes amis Sangomas ainsi que des membres de leurs familles furent tués également. Mais pire que ça, Balaba et mes trois enfants furent déchiquetés dès la première salve."
Les larmes coulaient sur les joues de Boobah. Yvanne faillit dire quelque chose mais se retînt. Elle avait décidé qu'il valait mieux le laisser continuer. 
"Balaba n'avait représenté une menace pour personne. C'était une gentille femme qui m'aimait. Mes enfants étaient encore très jeunes. Qui sait quels grands hommes et femmes il auraient pu devenir ? Quand j'ai appris ce qui s'était passé, j'ai su que mon futur s'était envolé. Notre chef est venu me voir et m'a dit que quelque chose devait être fait. Après y avoir mûrement réfléchi, j'ai jeté le Sort du Sommeil Profond un peu partout autour de la Terre.
- Vous avez jeté un sort interdit.
- Ma vie n'avait plus aucun sens et n'était plus que souffrance. Pourquoi aurais-je dû m'en faire sur les souffrances des autres ?
- Je peux dire que vous êtes un homme bon, Boobah. Une part de vous sait que ce que vous avez fait est bien, mais une part plus profonde en vous sait que c'est le contraire. Vous avez injustement et cruellement souffert mais vous savez que cela ne vous autorise ni l'injustice ni la cruauté. Je comprends pourtant que votre chef a raison; que rejeter la France et ses alliés de votre pays est pour le plus grand bien du vôtre.
- Oui, notre chef est un bon chef pour le bien de notre pays et je lui suis loyal. Les assassins qui ont envoyé ces drones ne voulaient pas aider notre pays ; ils ne veulent que ses richesses, ses minerais. Qu'avez-vous fait, Yvanne, pour les stopper ?
- Je ne savais pas.
- D'autres femmes dans votre pays peuvent utiliser ce genre d'excuses, avec vos médias et politiciens corrompus et vendus aux plus offrants ; mais vous, vous êtes comme moi, Yvanne, si quelques uns peuvent savoir la vérité, c'est bien nous.
- C'est vrai, Boobah, vous m'en voyez désolée. Je sais qu'un sort interdit est irréversible, mais il n'en demeure pas moins transférable. Si je vous promets de vous aider de toutes mes forces, accepterez-vous de réveiller les comateux innocents et de transférer leurs sorts sur ceux qui le méritent ? 

Les deux se penchèrent sur l'atlas de Boobah qui était plus encanaillé avec la faune, la flore et le monde invisible qu'avec la cartographie, et les doigts d'Yvanne se mirent à picoter des lieux notables de la raie publique sur le plan de Paris: l'Élysée, le Palais Bourbon, celui du Luxembourg puis l'autre sale truc de la Place Beauvau, puis se déplacèrent de quelques pages en direction du levant: la tour de la BRI à Bâle, puis remontèrent au nord-ouest droit sur la Commission ainsi que la Présidence de l'Union Européenne à Bruxelles, puis  cap à l'est de nouveau pour visiter l'immeuble de la BCE à Francfort où la vieille bique de mère Lagarde et ses principaux collabos tombèrent et culbutèrent instantanément culs par dessus têtes et comme par enchantement  à la renverse...

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