LA THÉORIE DES PISTOLEROS
Je pensais qu'à ma mort, je connaîtrais instantanément les réponses à tous les mystères de l'univers. Darwin avait-il raison? La vie existe-t-elle sur d'autres planètes ? Comment ont-ils construit les pyramides ? La réalité est que j'ai jamais rien appris. Les mystères de la vie se sont pas présentés comme je m'y attendais. Une fois que mon âme a quitté mon corps et que j'ai franchi les portes du Nirvana, je me fichais de savoir si je connaissais ou non ces réponses.
Même si je fais caca en résolvant les plus grands mystères du monde, le seul mystère qui me rongeait était la façon dont l'univers avait commencé. J'ai jamais adhéré à la théorie du Big Bang.
L'idée que deux objets de la taille d'un ballon de basket puissent être entrés en collision dans l'espace pour créer l'univers est absurde. Pensez-y rien qu'un tout petit peu, quelles sont les chances que deux objets aussi petits entrent en collision dans l'immensité de l'espace ? Je veux dire, s'ils se manquent, il n'y a aucune chance qu'ils se retrouvent un jour. Ils continueront simplement indéfiniment à moins que l'univers ne soit une sphère, auquel cas ils pourraient rebondir ou ricocher sur les bords et recommencer.
Vous méprenez pas, je profitais du paradis et de tous les avantages en nature qu'on peut y trouver, mais je pouvais toujours pas ébranler cette putain de théorie du Big Bang. Les gens sur terre en parlent encore après ma mort, et je sais dans mes tripes, si j'ai encore des tripes, qu'ils avaient et ont encore et toujours tort.
J'ai pris rendez-vous pour voir le Big Boss, et j'ai demandé la permission de remonter dans le temps jusqu'au moment où que tout a commencé. Il m'a expliqué que puisque je croyais pas au Big Bang, il n'y avait pas de retour dans le temps puisque le Big Bang était censé être le début des temps. J'ai reformulé ma question sans faire mention du temps car le Big Boss était apparemment un adepte de la sémantique.
Il m'a dit qu'il n'y avait pas de repas gratuit au paradis et que je devais découvrir la réponse tout seul en compagnie de moi-même. Il a appelé un autre esprit et lui a dit de me rejoindre. "Voici Jeannot", m'a déclaré le Big Boss, "Jeannot croit au Big Bang et veut le voir se produire de ses propres yeux." Puis le Big Boss s'est concentré comme un tireur de penalty avant de botter nos culs spirituels dans l'immensité sombre et froide de l'espace et nous a dit de bien nous amuser.
Génial, j'avais laissé ces nuages moelleux pour le noir total en compagnie de Jeannot. Puisque l'univers n'avait pas encore été créé, il n'y avait ni étoiles, ni lunes, ni soleils, ni quoi que ce soit sur quoi nous puissions concentrer notre attention. Je baissai les yeux sur ma lueur aurique et me sentis comme un navire par une nuit sans lune. J'ai regardé Jeannot qui affichait un énorme sourire à la con sur son visage spirituel et spectral. Malgré le vide et le silence, nous sentions tous les deux que quelque chose d'épique allait se produire.
Ces deux objets de la taille d'un ballon de basket qui ont soi-disant été à l'origine de l'univers, eh ben, ils flottaient dans ce vide noir, mais ils n'étaient pas de la taille de ballons de basket. Au lieu de ça, c'étaient des rochers monstrueux. Ils étaient pratiquement invisibles parce qu'il y avait pas de lumière pour qu'ils réfléchissent autre chose que nos auras, mais comme Jeannot et moi étions dépourvus de globes occullaires, ça n'avait pas vraiment d'importance. Malgré notre manque de vision, nos esprits étaient capables de tout sentir et c'était comme si nous pouvions voir que ces deux rochers étaient bien là.
"Des ballons de baskets, hein?" j'ai gueulé à Jeannot. Gueuler n'est pas tout à fait exact puisque nous communiquions par télépathie, mais Jeannot a saisi le sens de qu'est-ce que je voulais dire.
"Tout est relatif", a déclaré ce dernier. Si on compare leur taille au vide qui nous entoure, ils ne sont pas plus gros que des atomes. Donc, les décrire comme des ballons de basket n'est pas trop loin de la vérité.
Merde alors. Jeannot venait de m'en boucher un coin. J'aurais dû suivre un cours de débat au lycée.
Je me tenais sur un des deux rochers et Jeannot se tenait sur l'autre, nous les avons chevauchés à travers l'espace, attendant la grande collision. J'ai vu le rocher de Jeannot manquer le mien d'un bon kilomètre. En fait, de beaucoup plus qu'un kilomètre.
Il s'est téléporté sur mon rocher et s'est tenu à mes côtés. Il s'est avéré que les rochers massifs ne sont jamais entrés en collision comme je l'avais supposé. Au lieu de ça, ils se sont manqués d'au moins cent millions d'années-lumière. Je pensais que leur masse créerait une attraction gravitationnelle même à cette grande distance, mais ils se sont croisés silencieusement en direction d'on sait pas où pour le reste du temps, si le temps existait. J'avais raison depuis le début; il n'y a jamais eu de collision, ni de big bang.
" Qu'en penses-tu maintenant, Jeannot ? Pas de collision. Pas de Big Bang ?" Jeannot parut perplexe.
Satisfait d'avoir eu raison de dire qu'il n'y avait pas eu de Big Bang, j'ai laissé Jeannot comprendre ce qui s'était passé et je suis retourné pépère sur mon nuage favoris.
" Alors, avez-vous appris comment que j'ai créé l'univers ?" m'a demandé le Big Boss.
"Non, Monsieur," dis-je, "Mais je sais que ça n'a pas commencé par un big bang, et ça me suffit.
- Ben si c'est bon pour toi, c'est pas bon pour moi. Maintenant, retourne là-bas et reviens pas sans la réponse à ta question."
Le Big Boss était plus dur que madame Magnol, ma maîtresse du cours moyen de première année. Je me suis de nouveau retrouvé le cul botté dans le vide obscur rejoindre l'autre con de gangbanger Big-Banger.
"Pourquoi que t'es revenu ?" m'a demandé Jeannot.
"Le Big Boss veut que j'insiste et que je voie comment qu'il a créé l'univers.
- Peut-être qu'il y a plus de deux rochers", a déclaré Jeannot. "Je pense toujours qu'une collision est imminente."
Nous avons parcouru l'espace, mais comme il y avait ni vent ni aucun autre objet pour nous donner une perspective ou une impression de mouvement, je me suis demandé si nous nous déplacions. Quand j'étais vivant et que je me tenais sur terre, je tournais autour du Soleil à cent mille kilomètres à l'heure, mais je ne pouvais pas le sentir. Debout sur ce rocher, ben je ressens la même chose.
Jeannot et moi sommes restés là pendant ce qui a semblé être une éternité quand nous avons senti le sphéroïde commencer à trembler.
"Il se passe quelque chose", a déclaré Jeannot.
"Penses-tu vraiment qu'il y a un autre rocher sur lequel on va s'écraser? j'ai demandé.
- Peut-être," dit Jeannot, "je déteste dire ça mais même si je te connais que depuis quelques milliards d'années, je pense quand même que ces astronomes sont juste un peu plus intelligents que toi. S'ils disent que deux rochers sont entrés en collision, je les crois."
Je détestais l'idée que Jeannot et ces scientifiques aient peut-être eu raison, alors j'ai laissé tomber son commentaire.
C'était presque imperceptible au début, mais mon esprit pouvait sentir le tremblement. Les tremblements ont augmenté, et j'ai senti que nous approchions de la fin et du début de quelque chose de remarquable.
Je concentrai toute mon attention sur la roche qui produisait maintenant de la chaleur. J'ai senti une augmentation de la pression. Le Big Boss nous avait donné la possibilité d'utiliser certains de nos sens terrestres. Je savais pas si c'était la matière noire qui nous comprimait, mais je savais que nous atteignions un moment de masse critique. La pression augmentait de façon exponentielle. Le sol s'est mis à trembler de plus en plus fort et une minuscule fissure est apparue dans l'astéroïde. "Il se passe quelque chose, mais je ne vois pas d'autres rochers venir vers nous", j"ai crié à Jeannot.
- Si tu vois rien, c'est parce qu'il n'y a pas de lumière", il m'a répondu.
Merde alors. Ce putain de Jeannot avait toujours réponse à tout.
Du gaz jaillit sous nos pieds et mon excitation grandit. Le planétoïde trembla violemment puis lâcha prise avec un souffle si puissant qu'il remplit l'obscurité d'un feu d'artifice de lumière. Le Big Boss a dû éteindre certains de mes sens à ce moment-là parce que je n'ai ressenti aucune douleur ni la commotion cosmique qui doit encore se propager dans le temps et l'espace, mais je pouvais voir ce qui se passait.
Jeannot avait sauté de notre rocher juste à temps et m'avait rejoint dans le vide pour une place au premier rang.
Simultanément, c'est du moins ce que j'ai ressenti, l'autre rocher a subi le même sort. Les deux sphères avaient atteint la fin de leur voyage et ont explosé, propulsant des éclats de roche, de la lumière et du gaz l'une vers l'autre. C'était comme si deux pistoleros avaient compté jusqu à dix, venaient de se retourner et se tiraient dessus.
Chaque morceau de granit et de fer prenait des proportions énormes. Les gaz ont fusionné et ont formé des galaxies. Les pierres en fusion tournaient à des vitesses que je peux même pas décrire jusqu'à ce qu'elles prennent des formes sphériques. L'obscurité était remplie de lumière, mais comme il n'y avait pas d'atmosphère dans l'espace, il y avait encore de l'obscurité autour de nous.
Incroyab'.
Les explosions représentaient le début de deux chronologies. La Terre existait dans l'un des univers, mais existait-elle aussi dans l'autre ? Les deux univers se sont précipités l'un vers l'autre depuis les plus profonds recoins de l'espace. Était-ce le début de tout ou la fin du néant?
Jeannot et moi avons traversé la chronologie cosmique à la vitesse de la pensée traversant les galaxies et les nébuleuses et nous nous sommes émerveillés du spectacle son et lumière. La poussière galactique ressemblait à deux jets incandescents de lance d'incendie se dirigeant l'un vers l'autre.
" Dieu doit aimer les films de cowboys, j'ai commenté.
- L'humanité ne survivra pas assez longtemps pour découvrir l'autre univers qui se précipite sur elle", a déclaré Jeannot, "C'est dommage.
- Tout aussi bien. Puisque la collision représenterait la fin des temps telle qu'ils la connaissent de toute façon.
- Eh bien," dit Jeannot, "je dois admettre que tu avais raison et que j'avais tort. Comment comptes-tu baptiser cet événement ?
- J'aime bien la Théorie des Pistoléros.
- C'est plus vraiment une théorie depuis que nous l'avons vue arriver.
- Je suppose que t'as raison."
Jeannot et moi avions nos réponses. Nous avons appris comment l'univers a commencé, et ça n'a pas impliqué de Big Bang comme Jeannot et ces connards d'astronomes l'avaient pensé. Mais démêler ce mystère n'a fait que m'en présenter quelques autres. J'allais faire en sorte de ne plus poser de questions au Big Boss parce qu'il me le ferait comprendre par moi-même, et j'étais plus d'humeur à faire d'autres devoirs.
Quand nous sommes revenus au paradis, Jeannot m'a serré la pince, m'a remercié pour ma compagnie et s'est dirigé vers les terrains de volley de Copacabana.
J'ai choisi de marcher le long d'un de ces terrains, me demandant ce qui avait poussé les sphères à atteindre la masse critique et exploser? J'étais plongé dans mes pensées et je n'avais pas remarqué le Big Boss qui m'observait. "Je sais comment l'univers a commencé," marmonnai-je à haute voix, "Mais je ne sais toujours pas qui qu'a créé ces deux rochers géants en premier lieu?" Le Big Boss s'est raclé la gorge et a craché par terre.
J'ai levé les yeux. "Oups, désolé, Big Boss."
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