Lucas me sourit tandis que je me dirigeais vers le comptoir de la pharmacie qu'il avait héritée de ses parents. " Salut Franck, qu'est-ce que je peux faire pour toi ?"
Bon. Si Lucas était de bonne humeur, ça faciliterait grandement les choses. Je lui rendis son sourire. "Une cure d'antibiotiques, s'il te plaît."
Il me regarda avec inquiétude. "T'es malade ?
- Non ", j'y ai répondu. "C'est Manon qu'est malade. Elle a chopé la scarlatine."
Les yeux de Lucas s'agrandirent. "Je vais chercher ce qu'y te faut tout de suite." Il mit ses lunettes et se tourna pour fouiller dans les bouteilles et les paquets remplissant les étagères derrière lui, la lumière blanche et crue de la pharmacie scintillait sur son crâne chauve. Au bout de quelques instants, il sortit un petit flacon rempli de pilules rouges. "Ça fera 20cl. Tu payes en poche stérilisée ou je te les pompe directement dans les veines ? "
" Depuis mes veines, s'il te plaît. J'ai utilisé ma dernière poche il y a des semaines", j'ai répondu.
Il me regarda de haut en bas en fronçant les sourcils. Maintenant, je suis un petit homme, c'est le moins qu'on puisse dire, et ces temps étaient loin d'être les meilleurs. J'avais déjà un peu trop poussé mes limites, et avec ma peau pâle et les poches profondes sous mes yeux, je ressemblais probablement à un cadavre ambulant.
" Combien de centilitres qu'y te reste, Franck ? " murmura-t-il.
- 450", j'ai répondu, peut-être un peu trop rapidement.
Lucas a pincé les lèvres et m'a dévisagé pendant quelques instants.
" D'accord," me fit-il en hochant la tête à contrecœur. Il fouilla sous son comptoir et en sortit une seringue de paiement. "Fais voir ton bras, s'il te plaît."
J'ai retroussé la manche de mon bras droit et je me suis immédiatement maudit. J'aurais dû retroussé celle de mon bras gauche. Mais c'était trop tard. Jetant un coup d'œil aux ecchymoses révélatrices des piqûres précédentes sur mon bras, Lucas se figea. 'Certainement pas. Je ne peux pas te pomper quand ton bras ressemble à ça. Pas sans test de niveau."
Un test de niveau était l'une des plus grandes inventions des Seigneurs Saigneurs. Leur outil pour s'assurer que leur précieux bétail ne se saignait pas au noir ou accidentellement. À ce moment précis, c'était mon pire cauchemar. Mon détecteur de mensonge personnel.
J'ai retiré mon bras de sa poigne et Lucas m'a regardé droit dans les yeux. " Franck, je ne peux pas accepter ton paiement si tu me laisses pas te passer un test de niveau. J'ai besoin de savoir combien de sang qu'y te reste."
Je regardai autour de moi pour m'assurer que personne pouvait entendre, puis je me penchai pour lui murmurer à l'oreille. " Alors laisse-moi juste prendre un flacon. Tu m'as dit que vous étiez jamais en rupture de stock."
Il chancela. " Des trucs comme de la crème solaire ou des brosses à dent si tu veux, mais pas des médicaments ! Je vais perdre mon travail ! Non, pourquoi t'essayes pas une autre pharmacie ? Peut-être qu'ils demanderont pas de test."
C'était un argument de merde, et il le savait. J'ai secoué la tête. " J’ai déjà essayé partout ailleurs. Je suis désolé, je voulais pas te mettre dans cette position, mais j'ai pas le choix. S'il te plaît, tu es mon dernier espoir. Tu es le dernier espoir de Manon. Fais-le pour moi, fais-le pour elle !"
Il voulait même pas me regarder en face tandis qu'il secouait la tête. " Je suis désolé, Franck. Je ne peux pas le faire. Si je te ramène sous la ligne rouge et que quelqu'un le découvre, je suis un homme mort en sursis. Tu connais la loi."
La ligne rouge. 400cl. La réserve minimale de sang que nous devons conserver. La loi concrète établie par les Saigneurs pour protéger leur approvisionnement en sang. Leur approvisionnement alimentaire.
C'est finalement tout ce qui les intéresse. C'est la seule raison pour laquelle nous respirons encore. Ça peut sembler brutal, mais le monde n'est pas vraiment différent de ce qu'il était avant. Les Saigneurs vont pas ouvrir les veines des gens sur un coup de tête, plus maintenant. Ils ont rapidement compris qu'il était beaucoup plus efficace de maintenir le fonctionnement normal de la société. Alors, comment obtiennent-ils leur sang ? De la même manière que les puissants obtiennent toujours ce qu'ils veulent, de l'argent. Ils ont fait du sang la seule monnaie acceptable et ont exécuté rapidement et publiquement quiconque essayait d'acheter ne serait-ce qu'une miche de pain avec autre chose. Ça a marché comme sur des roulettes. L'argent a toujours été le meilleur moyen de collecter au sommet, et avant longtemps, les Saigneurs avaient collecté plus de sang qu'ils ne pourraient en boire en mille ans.
Mais rien de tout ça ne m'importait pour l'instant.
J'élevai la voix, au-delà de me soucier si quelqu'un d'autre pouvait m'entendre. " Tu ne le feras vraiment pas ? Bonté Divine, Lucas, t' es venu à mon mariage. T'es venu au baptême de Manon. Tu feras pas ça pour elle ?" J'ai tapé du poing sur le comptoir. " Regarde-moi, bordel !"
Il refusait toujours de croiser mon regard. " Je peux pas, Franck, je suis désolé.", murmura-t-il.
- Bien", je lui dit. 'Va te faire foutre."
J'ai filé vers la sortie, mais Lucas m'a rappelé. "Attends !"
Me retournant, je le vis tenir une petite flasque de whisky qu'il avait cachée sous le comptoir. Il me la tendit. " Bois au moins un verre avec moi, ça pourra pas te faire de mal."
Typique de lui, ça. Il ne contournerait pas les règles pour sauver la vie d'un enfant, mais boire au boulot, pas de lézard ? C'était bien lui. Pourtant, je lui ai arraché la bouteille des mains et j'ai pris la tangente pour la rue remplie de brouillard. Dévissant le bouchon, j'en ai pris une bonne lampée, j'ai fait quelques pas sur la route, puis j'ai crié et jeté la bouteille sur les pavés. Elle s'est brisée, répandant ce qui restait du whisky et des éclats de verre partout.
La majeure partie du verre s'est désintégrée en poussière, mais pas la totalité. J'ai repéré un tesson particulièrement méchant de la longueur d'un doigt de pianiste de Jazz. Le ramassant, je le retournai dans ma main. Il pesait son poids et était tranchant, très tranchant. Aussi tranchant qu'un couteau à citrouille. À ce moment-là, je le vis comme un cadeau de l'univers. Un signe du ciel.
J'ai regardé la pharmacie, serrant le tesson dans ma main. Je pouvais prendre ce que je voulais maintenant. Ce dont j'avais besoin. Lucas était un lâche, je le savais depuis qu'il avait imposé le masque dans sa pharmacie pendant la pseudo-pandémie de Covid. Il aurait pas les couilles de m'arrêter. Bien sûr, la police serait après moi, mais je pouvais me cacher. Ils finiraient éventuellement par me choper, mais pas avant que le médicament ait eu le temps de virer la scarlatine de ma petite Manon.
J'ai fait un pas vers la porte de la pharmacie. Manon s'en sortira bien sans moi. Elle sera prise en charge. Un autre pas. Les Saigneurs ne gaspillent pas les vies humaines. Notre sang est trop précieux pour ça. Encore un pas.
Bien que… J'ai fait une pause. J'avais entendu des histoires sur certains de ces foyers pour enfants sans parents. Mauvaises histoires. Histoires d'abus, de souffrances et de pédophiles. J'ai fait un pas en arrière. Ensuite un autre. Et puis un autre.
Lorsque la première larme a coulé sur mon visage, je me suis effondré le cul par terre.
Je sais pas combien de temps que je suis resté assis là, des secondes, des minutes ou même des heures. Tout ce que je sais, c'est que pendant tout ce laps de temps, aussi long soit-il, j'ai vécu mon enfer personnel.
Quand je suis revenu à la réalité, je me suis levé. J'avais une dernière option. Un autre enculé de pharmacien m'avait parlé d'un homme qu'il connaissait qui avait un entrepôt à la périphérie de la ville. Un homme un peu moins soucieux de suivre les règles édictées par les Saigneurs. C'était risqué. L'économie parallèle menaçait tout le système des amateurs de résiné, et les sanctions infligées aux adeptes du marché noir reflétaient ça. C'était la mort, non seulement pour les transgresseurs, mais aussi pour toute leurs proches familles. Si j'allais dans cet entrepôt, Manon pourrait peut-être mourir quand même. Mais si je le faisais pas, elle mourrait à coup sûr. J'avais pas le choix.
J'ai trouvé l'entrepôt à l'abri des regards indiscrets dans un fouillis de fatras de ruelles. L'endroit m'a semblé un paradis pour petits criminels, offrant un abri et des dizaines de voies d'évacuation.
M'avançant vers une porte de garage ouverte, j'ai crié. " Bonjour. Y a quelqu'un?"
Le visage rouge et souriant d'un homme a surgi de derrière une pile de caisses.
" Puis-je vous aider ? demanda-t-il.
- Euh, ouais, je l’espère. C'est Jacquot qui m'a donné votre adresse. Il a dit que vous pourriez me vendre des… trucs."
Le sourire de l'homme s'est élargi en un sourire, révélant une rangée de dents immaculées, et il m'a fait entrer à l'intérieur. "Eh ben, entrez, entrez. N'importe quel ami de Jacquot fait partie des miens."
Il ouvrit la porte en grand et me regarda avec impatience. Prenant une profonde inspiration, j'entrai. J'ai suivi l'homme qui me conduisit le long d'un passage en forme de labyrinthe à travers une horde de boîtes et de caisses jusqu'à ce que nous arrivions à une paire de fauteuils floraux en peluche et une petite table basse en bois.
Il affala son cul dans l'un des deux et pointa une main vers l'autre. " Soyez pas timide. Asseyez-vous !"
Avec précaution, je me perchai sur le bord du fauteuil, profitant de l'occasion pour étudier la bouille de mon hôte. Pendant tout ce temps, le sourire n'avait jamais quitté son visage. Ce dernier était dodu et pas émacié, pas comme ceux qu'on croise de nos jours. De toute évidence, ses affaires marchaient bien.
"Je m'appelle Charles, mais tout le monde m'appelle Charlie", me déclara-t-il. "On peut se tutoyer si tu veux. Comment tu t'appelles?"
- Franck ", j'ai dit.
- Franck comment ?"
- Franck Dupont."
Il se pencha plus près. " Eh bien, Franck Dupont. Parle-moi de toi. Que fais-tu dans la vie?
- Je travaille dans un entrepôt chez Amazon."
Il grimaça. " Houla, ça craint. J'ai entendu dire que ces mecs ne vous laissaient même pas prendre des pauses pour aller aux chiottes.
- C'est pas des menteries.
- Je parie que t'as besoin d'un bon réseau de soutien pour faire face à ce genre de truc. T'as une famille?"
J'ai hoché la tête. "Une fille. Manon."
Il s'éclaira tout de suite. " Une fille ? Super! Quel âge qu'elle a ?
- Six ans.
- Et sa mère ?"
Ma mâchoire se serra. J'avais toujours pensé que les criminels appréciaient le secret et la vie privée. Je m'attendais pas à un interrogatoire. " Pourquoi toutes ces questions ? "
Il leva les mains en signe de reddition. " Oups. Prends pas la mouche, Franck. J'aime connaître mes clients potentiels, c'est tout. Quiconque franchit ma porte est désespéré. J'essaie juste de comprendre à quel genre de désespéré que j'ai affaire."
J'ai soupiré. " Je voulais pas te manquer de respect. Sa mère est décédée. Content, maintenant?"
Charlie grimaça. "Je suis désolé d'entendre ça. Vraiment. Perdre un être cher est une chose terrible. Personne a pris sa place depuis ?"
J'ai secoué ma tête. "Non. Y a rien que nous deux.
- Très bien alors." Il hocha la tête. " Je pense que j’ai saisi. Maintenant, que puis-je faire pour toi, Franckie ?
- J'ai besoin d'antibiotiques pour Manon, ma fille. Elle a la scarlatine."
Charlie retint son souffle. " Putain, ça craint. Mais pourquoi que t'es venu ici ? C'est le genre de truc que tu pourrais dégotter ailleurs pour beaucoup moins cher que ce que je vais te facturer.
- Les pharmacies ne veulent pas m'en vendre.
- Ah ouais ? Et pourquoi donc ?"
Je voyais aucun intérêt à lui mentir. Il découvrirait tôt ou tard la vérité comme tous les autres. "Parce que je suis sur la ligne rouge", je lui dis.
Il renifla. "Typique. Eh bien, tu n'auras pas ce problème ici. 60cl, et elles sont à toi.
- D'accord", j'ai dit immédiatement.
Charlie se frotta les mains et rayonna. " Formidable. Je vais te dire quoi, Franckie, je t'aime bien alors je vais t'offrir un petit bonus en plus."
Il se dirigea vers la caisse la plus proche et en sortit une boîte en fer blanc. Ouvrant le couvercle, il s'avança vers moi et me la glissa sous le nez. La boîte était remplie à ras bord de cookies alléchants de 15cm aux pépites de chocolat. " Tiens," me dit-il. " Prends-en un. Ça va t'aider et tu vas te régaler."
J'ai froncé les sourcils. " M'aider ? Et comment ?"
Il sourit. " Il y a de la poudre de fer cuite dessus. Ça renforcera un peu ton sang. Pour m'assurer qu'il aura toutes les bonnes choses qu'il est censé contenir."
J'en ai bouffé un, et je dois admettre que c'était délicieux.
" Bien ", dit-il. "Je vais chercher tes médocs et ma seringue de paiement."
Il s'éloigna, disparaissant dans le labyrinthe de son entrepôt. Pendant que j'attendais, j'en profitai pour étudier la pièce de plus près. Charlie semblait vendre de tout. J'ai vu des étuis à fusil, des cartouches de cigarettes, des caisses d'alcool et, oui, des jarres de verre remplies de médicaments de toutes sortes.
Il me fallut plus de temps que je ne voudrais l'admettre pour m'en rendre compte, mais finalement, ça me frappa. Parmi les nombreuses bouteilles cachées dans cette même annexe se trouvaient plusieurs types d'antibiotiques. Dans ce cas, qu'est-ce qui prenait autant de temps à Charlie ? Il ne cherchait sûrement pas encore sa seringue de paiement ?
J'ai essayé de me lever, avec l'intention de le chercher, seulement pour découvrir que mes jambes ne répondaient plus. J'ai réessayé. Rien. Les sourcils froncés, j'appuyai sur les accoudoirs du fauteuil, essayant de me relever. J'ai réussi, seulement pour m'écrouler par terre alors que mes jambes cédaient sous mon poids.
Allongé à plat ventre, j'ai entendu un petit rire alors que Charlie sortait de derrière l'une des caisses. Un large sourire fendait toujours son visage, mais ce dernier était désormais plus narquois qu'autre chose.
" Enfin ! J'ai failli penser que t'essaierais jamais de te lever", me dit-il.
Les yeux brillants de fureur, je lui lançai un regard noir. " Qu'est-ce que tu m'as fait ?" je lui demandai.
Il gloussa à nouveau. " Paralysie du bas du corps, Franckie. Ça rend plus malléable. Bien que, pour être honnête, ça aurait pu être inutile. Tu avais déjà l'air à moitié mort de toute manière.
- C'est le cookie ?"
Il acquiesca. " Garçon intelligent. Oui. Le cookie.
- Pourquoi que t'as fait ça ?"
Charlie renifla. " Pourquoi? Tu penses vraiment que je gagne ma vie en vendant deux trois pillules à des gens tristes comme toi ?"
Devant le regard vide sur mon visage, il ricana. " Tu n'as jamais été mon client, connard. T'as toujours été de la marchandise. Mes vrais clients sont d'une classe différente. Des hommes puissants aux goûts uniques.
- Putain, mais c'est quoi que tu me racontes ?
- Je suis entrain de t'expliquer que le déjeuner est sur le point d'être servi."
Mon visage est resté vide. Pourtant, je comprenais pas, et avec un soupir théâtral, il m'expliqua. " Tous les Saigneurs ne sont pas d'accord avec tout ce bazar de système financier adossé aux stocks de sang. Certains d'entre eux préfèrent des repas plus… bio." Son sourire réussit à s'élargir. " T'es sur le point de me faire gagner beaucoup d'argent.
- Tu t'en tireras pas comme ça", je lui dis, même si, dans mon cœur, je savais que c'était faux.
Il rit. " Bien sûr, Franckie. Et qui c'est qui va venir sauver ta petite Manon maintenant ? Personne. Mr. Henry te boira cul-sec, puis je jetterai ton corps exsangue dans la décharge d'un bidonville, et les autorités imputeront ta mort à un fou enragé. Ils appelleront ça une tragédie, diront de belles paroles, puis tout le monde oubliera que t'as jamais existé."
Charlie m'a ramené dans le fauteuil et j'ai levé la tête pour lui faire face, les yeux hagards. " S’il te plaît, ne fais pas ça. Manon a besoin de moi. Je suis tout ce qu'elle a."
Il me regarda droit dans les yeux et sourit. " Ne t'inquiète pas, Franckie. Sans ces antibiotiques, je suis sûr que vous serez bientôt réunis."
Poussant un rugissement, j'ai essayé de le frapper, mais il a repoussé mon bras avec facilité. Ma main claqua contre le côté de ma jambe. Je sentis un truc dur dans ma poche, quelque chose de pointu. Le tesson de bouteille ! Putain, mon cadeau du ciel !
Je glissai ma main dans ma poche et l'enroulai autour du verre froid. J'avais juste besoin qu'il se rapproche un tout petit peu.
En le regardant dans les yeux, je lui ai dit. " Je t’avais mal jugé.
- Ah bah ça c'est sûr !", convint-il.
" Je pensais que tu étais un homme avec un code d'honneur. Un homme d'affaires indépendant. Il s'avère que t'es rien de plus qu'un pizzaïolo glorifié."
Son sourire se transforma en un grognement, et son visage rouge devint encore plus cramoisi. " Espèce de petite merde insolente !"
Alors qu'il se penchait pour me balancer une tarte, je vis mon opportunité et je la saisis. Je ripostai avec le tesson de verre, lui cisaillant la gorge. Une fine ligne rouge apparut dans son sillage. Charlie ouvrit la bouche, essayant probablement de me lancer une insulte ou un cri d'indignation, mais tout ce qui en sortit fut un étrange gargouillement. Ça, et un flot de sang se transformant en cascade.
Quelques secondes plus tard, il s'est effondré à mes pieds, aussi crevé mort qu'un rat mort crevé. J'expirai de soulagement, mais j'avais pas encore fini. Je devais encore m'échapper de ce trou à rats, pas une tâche facile sans que mes jambes se remettent à fonctionner. J'ai essayé d'élaborer un plan, mais le mieux auquel je pus penser fut de ramper en me servant de mes mains.
En l'occurrence, j'ai jamais eu le temps de tenter cette manœuvre.
" Oh mon Dieu. Mais qu'avons-nous donc ici ?" fit entendre une voix guindée et toute proprette.
Devant moi se tenait un homme grand et mince vêtu d'un costume sur mesure soigné. Il avait l'air et parlait comme un gentleman de la haute. Il avait probablement été une des élites de la 5ème République d'autrefois. Les piqûres cramoisies dans ses yeux et sa peau pâle comme du papier étaient des signes révélateurs que ce n'était pas un mortel. C'était un Saigneur. Mr. Henry était arrivé.
Le sang, le peu qu'il m'en restait, se glaça dans mes veines.
Mr. Henry examina la scène et inclina la tête. "Je vois que vous avez tué Charles.
- Il ne m'a pas donné beaucoup de choix", répondis-je.
Il en rit. " Je suis sûr qu’il ne l’a pas fait. Il a toujours été un chien diligent. Pourtant, il semble que je vous doive des remerciements.
J'ai froncé les sourcils. " Des remerciements ???
- En effet. Charles devenait un peu trop sûr de lui à mon goût. J'aurais probablement été obligé de me débarrasser de lui moi-même avant longtemps. Cependant, cette situation me laisse toujours avec un problème à résoudre. Que dois-je faire de toi ?" Il se frotta pensivement le menton. " Dis-moi, comment t’appelles-tu ?"
Trop pétrifié pour même envisager de mentir, je lui dis la vérité. "Franck. Franck Dupont."
Il a souri. " Eh bien, mon cher Franck, je crois que j'ai pris une décision. Puisque c'est toi qui m'as privé de mon serviteur, je pense qu'il est normal que tu m'aides à le remplacer, n'est-ce pas ? Dis-moi, voudrais-tu un travail ?"
******
Deux semaines plus tard
Franck Dupont entra dans la pharmacie de Lucas et valsa jusqu'au comptoir. Il portait un sac en papier brun dans les bras. Quand Lucas le vit approcher, il salua son ami avec un sourire hésitant.
" C'est bon de te revoir, Franck," dit-il. "Tu as meilleure mine que la dernière fois. Comment va Manon ?"
Franck lui rendit son sourire. " Elle va bien. Un ami m'a aidé."
Lucas haussa les sourcils et laissa échapper un petit sifflement. "Ce doit être un ami généreux.
- Fais-moi confiance, il peut se le permettre", déclara Franck en riant. " Écoute. À propos de l'autre fois. Je t'avais vraiment mis dans une situation difficile. Je suis désolé."
Lucas secoua la tête. " Ne t'en fais pas pour ça, Franck. Tu essayais de protéger ta fille, je peux comprendre ça.
- Ben moi, ça me travaille encore, alors je t'ai apporté un cadeau pour me faire pardonner." Franck ouvrit son sac en papier. " Tiens, goutte-moi ces cookies, c'est Manon qui les a faits. Je suis sûr que tu vas adorer les pépites en chocolat..."