Il avala sa pilule de Viagra après s'être injecté sa dose quotidienne d'adrénochrome puis se brossa les dents avant de rejoindre sa femme dans leur chambre. Il laissa glisser au sol sa robe de chambre et affala sa bedaine à côté d'elle sous la couette.
"Elle pourrait être fabriquée dans un abri de jardin," expliqua le Professeur, chercheur de pointe et directeur de l'Institut, à sa bergère. "Tout ce qu'y a besoin, c'est un mélange de trois substances, chacune d'entre elle disponible un peu partout - quoique deux d'entre elles soient artificielles; et rien de plus qu'un rouleau de fil de fer chauffé. En moins de trois secondes, la Terre se dissoudrait dans un tonnerre de flammes.
Il y aurait un flash lumineux dans le ciel, et une planète en moins dans l'univers qui continuerait son petit bonhomme de chemin comme il le fait depuis le Big Bang.
- Il serait peut-être prudent de faire disparaître ce genre de substances de la surface de la planète" rétorqua sa femme en continuant à se manucurer les ongles à l'aide d'une petite lime jetable au manche en diamant.
- C'est tout naturel que tu puisses penser ça," répondit le chercheur. " Mais ces substances sont si généralement distribuées, et si communément utilisées par le grand public, que leur destruction totale serait très difficile à réaliser.
- Tu veux dire que si cela venait à se savoir de partout, ce serait à la portée de n'importe quel lunatique ou psychopathe de faire disparaître l'espèce humaine ?
- Bah ouais. Si ça venait à se savoir de partout.
- Ce qui est fort à craindre, surtout avec les réseaux sociaux ...
- T'as raison. Et n'oublie pas les commères comme ta mère et ses copines du club de tricot bridge. C'est impossible de ne pas être appréhensif. Pour l'instant, tout cela n'est connu que de nos membres de Niveau A - c'est à dire environ 100 personnes.
- Pourquoi tant de monde ?
- La possibilité de cette découverte à d'abord été soulevée lors de la conférence hebdomadaire à laquelle assistent l'ensemble de nos membres de niveau A. Plusieurs d'entre nous se sont penchés dessus séparément, par expérimentation jusqu'à un certain point, puis par extrapolations mathématiques au delà de ce point, qui nous ont toutes amenés à la même conclusion. Ce n'est pas un truc qui peut être testé expérimentalement jusqu'au bout. On ne veut pas faire apparaître un cratère et en même temps faire disparaître une région de la taille de l'ïle de France juste pour l'excitation d'une nano-expérience de laboratoire, aussi miniaturisée soit-elle. Enfin, pas encore. Mais les conclusions sont irréfutables.
-Vous devriez effacer une connaissance aussi dangereuse de vos cervelles !
- Oh, mais c'est pas faute d'en avoir déjà discuté, et nous devons d'ailleurs en reparler demain lors d'une réunion sur ce sujet. Mais il y a des opinions divergentes. Le problème est que même si les calculs peuvent être détruits, le processus de fabrication et les ingrédients sont si simples et si communs qu'on peut difficilement les oublier, spécialement avec des cerveaux de personnalités de Niveau A tels que les nôtres.
- Pourtant," dit sa femme qui arrêta de se manucurer les ongles pour commencer nerveusement à se les ronger, "ça semble la seule chose sensée à faire... le meilleur truc à faire pour ceux qui objectent serait de les euthanasier en les balançant avec les pieds lestés de ciment au fond de la fosse des Mariannes, et bien sûr avant qu'ils n'aient la moindre chance de faire un truc auquel personne, même pas eux-même, ne pourrait survivre."
Le Professeur se surprit à partager l'avis de sa femme. Ayant constaté que l'adrénochrome et la petite pilule bleue avaient apporté l'effet souhaité, il rendit hommage à cette dernière qui le lui rendit bien goulûment. Aucune autre parole ne fut prononcée, et, après leurs ébats, ils s'endormirent tous deux comme des bienheureux.
Mais après un rapide petit somme, le Professeur s'aperçut, en ouvrant des yeux hagards, qu'il n'arrêtait pas de se réveiller. Durant toute la semaine précédente, il n'avait cessé d'imaginer ce que ce serait de vivre dans un monde où tout le monde saurait que n'importe qui pouvait le détruire au moindre caprice.
La menace d'une langue sans scrupule: "Donnez-moi qu'est-ce que je demande, sinon je nous fais tous disparaître dans la demi-heure," en serait une que même une âme aussi héroïque et monbravedialement connue que la mienne trouverait difficile à ignorer, convenez-en !
Et à part ça, combien de temps la planète allait-elle pouvoir survivre, avec une telle connaissance à portée du premier cinglé venu ?
Le lendemain, en se levant, sa femme vit les choses différemment.
Les hommes et les femmes tendent à épouser ceux qui sont leurs compléments plutôt que ceux qui sont leurs duplicatas. En ce qui la concernait, elle n'était pas une fervente enthousiaste de la poursuite de la connaissance scientifique Fu-Manchesque..
Elle jeta un œil au berceau où dormait son plus jeune, et pensa à son aînée d'un an plus âgée dans la chambre d'à côté. Puis elle dit à son mari: "S'il était possible de se débarrasser des cent Grade A dont tu m'as parlé avant qu'ils n'aient le temps de faire fuiter leurs connaissances au reste du monde, ce serait vraiment la meilleure chose qui pourrait arriver à l'humanité.
- Oh, mais chérie !" fit le professeur en s'appuyant sur ses coudes, "As-tu seulement pensé à l'identité de certains d'entre eux ? Y a le Pr. Faussi, le Président Bacron, le Banquier Mopchilt, le ministre Vér --
- J'ai jamais pu encaisser ce genre de mecs." répondit-elle.
Lors de la réunion spéciale plus tard dans la journée, la discussion fut chaud-bouillante. Il devint tout à fait clair qu'une majorité substantielle ne souhaitait pas abandonner leur dernière découverte.
L'un d'eux suggéra même qu'ils devraient annoncer publiquement leur découverte sans en donner les détails de fabrication, afin qu'ils puissent se constituer en un Conseil des Cent afin de dominer une Planète qui s'agenouillerait devant eux par la peur et la terreur.
C'est alors que l'idée traversa les synapses du Professeur. Lors de leur prochaine réunion, il se ferait porter absent. (Il aurait chopé le Covid ou un truc dans ces eaux-là. Une fièvre carabinée. Pas difficile de monter un truc pareil par les temps qui courent.)
Et puis: Le poison mortel et sans odeur mis au point pour la prochaine guerre en Syrie. Un troupeau de vaches de deux cent têtes éliminé en dix-sept secondes avec ce gaz - avec une quantité moindre que celle contenue dans une petite bombe aérosol comme il y en avait dans les toilettes là où ils se réunissaient.
Un acide corrosif pourrait servir de minuteur pour percer la bombe aérosol de l'intérieur.
Ils ne sauraient même pas ce qui les avait tués. Et mieux que ça, personne d'autre non plus.
En voilà une idée qu'était attractive. Même Marylou, sa femme au grand cœur et tellement sentimentale, lui confirma que c'était une idée merveilleuse. D'ailleurs elle le toisa comme si qu'elle venait de découvrir en lui des abîmes de bonté insoupçonnés.
Aussi, c'est ce qui arriva lors de la réunion suivante. Personne ne le soupçonna jamais.
ll l'avoua à sa Marylou qui approuva sa manœuvre avec soulagement. Il lui expliqua que le pouvoir était désormais entre ses seules mains, et qu'il devait se mettre à réfléchir à ce qu'il allait en faire.
Marylou tergiversa là-dessus.
Elle rejeta un œil à son marmot dans le berceau. Puis elle fit ce que la situation requérait.
Dans le voisinage de l'Institut que dirigeait son mari, il n'était pas difficile de se procurer du cyanure. Elle le lui servit dans un verre d'Amaretto pour noyer les effluves.
On conclut à un cas de suicide. Elle raconta que les quatre-vingt-dix-neuf morts qui avaient précédé la sienne avaient été dues à une erreur de sa part. Son remord, précisa-t'elle, avait été trop dur à supporter.
Il était nécessaire pour elle d'éviter toute suspicion envers elle. Elle avait deux papottes pour lesquels elle devait vivre. Et elle savait avec quelle sévérité la loi française punissait les homicides, même s'il ne s'agissait que d'une seule victime - même si cette même justice traitait avec la plus méprisante légèreté la mort de millions d'autres êtres humains.