Bienvenue, curieux voyageur

Avant que vous ne commenciez à rentrer dans les arcanes de mes neurones et sauf si vous êtes blindés de verre sécurit, je pense qu'il serait souhaitable de faire un petit détour préalable par le traité établissant la constitution de ce Blog. Pour ce faire, veuillez cliquer là, oui là!

27 sept. 2025

1119. Conte à la mormoilneu


 CONTE À LA MORMOILNEU

Créature avait eu un nom, il y a bien longtemps, bien avant que la date inconnue des calendes grecques ne soit rendue publique. Un nom prestigieux, il en était sûr. Il se souvenait des beaux vêtements qu'il avait portés lorsqu'il avait été abandonné, métamorphosé, dans la forêt foldingue. Il y avait eu des anneaux d'or, du brocart raffiné, une couronne torsadée ornée d'une pierre de lune. Assurément, toute cette parure avait été liée à un nom prestigieux.

Créature n'a donc plus de nom. On s'adresse généralement à lui sous formes de « ARRGGHH ! » ou de « Pitié, non, je vous en supplie ! »
Avec son nom, il avait aussi abandonné ses vêtements et ses bijoux. Les objets brillants furent ramassés par des corbeaux et des jacasses. Les vêtements furent déchiquetés et ajoutés aux nids de ces volatiles. La créature n'en avait nul besoin, avec son épaisse fourrure. Le seul éclat qu'il portait encore résidait dans l'éclat de ses yeux et celui de ses ratiches. Et un tel éclat ne signifiait qu'une chose dans la forêt foldingue : une mort sanglante, rapide et assurée.

Parfois, alors qu'il se blottissait sur son lit de glace et s'enfouissait dans la neige grise, il se demandait à quoi avait ressemblé Créature quand il avait encore un nom. Il se demanda s'il avait été fort au sens où les humains l'entendent. Il se demanda s'il avait aimé. Et s'il avait été aimé en retour.
Mais ensuite, il dormait sans rêver. À son réveil, il avait les crocs et toutes ses questions existentielles se figeaient à l'arrivée de cette faim tenace.

" Tu as un petit quelque chose... je te jure... juste là ! " Le béret rouge fit un geste circulaire et joyeux en direction du corps de Créature.
   
Créature regarda Robin, le Troll coiffé de son machin écarlate, qui était assis trop haut dans un arbre voisin pour qu'il puisse l'atteindre.
   
" T'as compris ? Je te dis ça parce que t'es couvert de tripes et de boyaux de la tête aux pieds."
Créature ne moufta pas.
" Tu es cradingue, c'est tout ce que je dis ", ajouta Robin avec indolence.
   
Créature continua de l'ignorer. Techniquement, la mort lui revenait à lui et à Robin, mais Créature choisit de ne pas reconnaître le « travail d'équipe », comme aimait à nommer ça Robin.
 
Les chasseurs venaient de plus en plus souvent sur son territoire, dans la forêt foldingue, pour tenter de récupérer sa tête afin de l'offrir en cadeau, en talisman, en trophée ou autre connerie de ce genre. Créature ne s'en souciait généralement pas. Il était bien nourri grâce à eux. Mais dans ce cas précis, il y avait eu trois chasseurs. Des rusés, en plus de ça. Ils étaient équipés d'une sorte de protection qui bloquait le contact glacial de Créature. Frustré, l'un d'eux lui avait infligé une entaille au-dessus de l'œil droit, le rendant partiellement myope.
   
Robin, le curieux, était resté à proximité, comme d'hab. Tandis que Créature éliminait de ses crocs les deux hommes qui l'attaquaient avec des épées, Robin s'était jeté sur l'archer resté en retrait.
   
Maintenant, béret rouge était assis sur sa branche, balançant ses jambes grêles, mâchonnant joyeusement, pour en extraire le jus, le bras sectionné de l'archer. Les gants du malheureux, en lambeaux, sans doigts, étaient collants de sang et de terre. Il fredonna un air que Créature tenta de couvrir en enfonçant son visage plus profondément dans son repas.
   
Une fois son festin terminé, Créature leva son visage vers l'épaisse canopée. " Putain, on se gèle les couilles" dit-il en se les grattant. La forêt était toujours crépusculaire, prise qu'elle était dans l'humidité de l'automne qui succombait à l'hiver. L'air était chargé de moisi, légèrement frais, étouffé. Créature avait l'impression que la seule clarté de la forêt était sa propre énergie, tandis qu'elle tourbillonnait dans ses poumons et gelait le bout de ses oreilles et de ses orteils. Des flocons de neige gris tourbillonnaient autour de son museau, de contentement, tandis que son corps se délectait de son repas.
  
Après un gros rot, Robin tourna son visage vers l'astre du jour planqué derrière les nuages, lui adressant un célèbre quatrain remontant lui aussi à bien avant les calendes grecques: 

"  Ô Soleil,  toi qui fais gonfler les courges, les citrouilles, 
Pourquoi ne réchauffes-tu pas la peau de ses couilles ? 
Dis-le moi donc, Soleil, toi qui fais bronzer la peau des prunes, des kiwis, 
Ne doreras-tu pas celle de ses glaouis ? "

Puis tournant de nouveau son regard en direction de Créature : " Mais pourquoi que t'en as encore de toutes manières ? T'en as même pas besoin vu qu'y a pas de Créature femelle dans le coin et que je peux pas te donner d'enfant non plus. Ça me semble du gâchis, du superflu. Tu devrais les échanger contre quelque chose de plus utile."

Créature fronça les sourcils et se mit à se lécher le pelage pour le nettoyer. Et pas seulement parce que Robin l'avait traité de « cradingue ».
" Tu pourrais les échanger contre une brosse à cheveux", poursuivit Robin. " Une de ces jolies brosses nacrées pour te lustrer le poil."
   
Créature tourna le dos au béret rouge. Depuis sa malédiction, il n'avait jamais rencontré de créature plus chiante et irritante.
   
" Ou une jolie ceinture. Ça mettrait en valeur ta silhouette, hein ? Moins genre Bouddha repus, plus genre rat d'opéra."
  
Créature se leva et s'éloigna, abandonnant toute tentative de détente après son repas. Ses pas crépitaient légèrement tandis que de la glace se formait sous ses coussinets et autour de ses burnes. Derrière lui, le sol se mit à trembler, la forêt aspirant le sang et les os.
   
" Tu pourrais t'acheter un chapeau aussi. J'aimerais tellement en avoir un moi aussi."
Créature grogna. " Tu as déjà un chapeau. Tu portes le nom d'un chapeau."
Robin sauta à terre et le suivit. " Oh, bien sûr, c'est ce que la société veut que je porte. Mais c'est pas un chapeau, c'est un béret de parachutiste. Pourquoi pas une casquette bleue ? Ou jaune fluo ?"
- Fous moi la paix."
Robin porta ses mains à sa bouche et souffla de l'air chaud dans ses paumes. " Tu sais ce que tu pourrais échanger contre ces burnes que tu te gèles ? Un joli cache-burnes bien chaud. Ce serait un bon deal.
- Pourquoi", grinça Créature, incapable de s’empêcher de demander, " que j'aurais besoin d'un cache-burnes si j'ai plus de couilles ?"
La langue de Robin gratta un bout de cartilage coincé entre ses dents de devant. " J'sais pas. Ça me semble juste pratique, avec toute cette neige et cette glace dont tu te plains tout le temps."
Créature se mit à marcher plus vite. " J'ai même pas froid."
Robin continua. " Normal, t'es recouvert de fourrure. Mais tu te pèles tes couilles chauves quand même." Il enfouit ses mains dans la chaleur de ses aisselles. " Quel genre de malédiction a bien pu te frapper, au fait ?"

Créature ferma les yeux un instant, presque comme si une voix venue d'autrefois l'appelait. Un nom noble et princier. " Un nom magnifique ", répondit-il.

---o---

Être une fée marraine ne se résume pas qu'à se présenter et à agiter une baguette magique. Ça implique aussi une performance et une cérémonie. Il faut planifier et créer la bénédiction ou le sortilège idéal.
Et ça n’inclut certainement pas le babysitting.
  
" Es-tu sûre que tu ne vas pas envisager ce gentil prince comme époux ? " demanda à nouveau Ficelle. Elle suivait la princesse sous sa plus petite forme, pas plus grande qu'un papillon scintillant, et voletait près de l'épaule de la jeune fille.
Diane coupait les ronces avec l'épée de son père. Chaque tige sectionnée hurlait de protestation et se tordait de colère. " Duquel tu me causes ?" halèta Diane, sans regarder la fée. " De celui qui ignorait le fonctionnement des couleurs primaires ? Ou de celui qui m'a dit, et je le cite : « Montre-moi la tienne et je te montrerai la mienne » ?" 
Ficelle soupira. " Un peu de magie n'y arrangera rien, ma chère.
- Je veux pas de magie, Fée Marraine." Diane essuya la sueur et le jus de mûres dégoulinant sur son front. " Père veut tellement la tête de cette bête qu'il est prêt à me livrer au premier pèquenot qui s'en chargera. Eh bien, attends que je lui dépose cette tête au pieds de son trône."
Ficelle lèva les yeux au ciel. " Tu ne veux pas de ma magie, hein ? Je file, alors ?
- Tu sais ce que je voulais dire. Je ne veux pas de ta magie pour une union heureuse. Je veux une bénédiction qui fasse de moi une grande guerrière et qui me permette de tuer cette chose, mais puisque tu refuses de me la donner… 
- Ça semble tout simplement assez extrême", l'interrompit Ficelle.
- Je vais devoir trouver une bénédiction ailleurs.
- C’est pas comme ça qu’on fait habituellement les choses", grogna Ficelle.

Les ronces finirent par apprendre à se tenir à distance de l'épée de Diane et s'écartaient pour laisser passer le couple enchanté. 
" Je sais", dit Diane d'un air penaud. " Merci quand même de m'avoir aidée."

Ficelle s'indigna de la tendresse qui lui chatouilla la poitrine. Elle grogna. " On y va. Cet endroit est terriblement lugubre."

---o---

Robin lança une autre pierre à la tête de Créature. Elle l'atteint en plein entre les deux yeux. " Réveille-toi ", beugla Robin d'un ton pressant. " Réveille-toi, réveille-toi."

Créature gémit, se donna des coups de pattes au visage puis cambra l'échine comme un chat. " Je vais te bouffer ", grogna-t-il.
Robin serra les poings sur ses hanches. " Personne ne t'a jamais dit qu'on ne mange jamais ses amis ?
- Tu n’es pas mon ami."
Les sourcils broussailleux de Robin disparurent sous son béret rouge. " C'est très impoli, ce que tu viens de dire.
- Qu'est-ce que tu veux, Robin ?
- Eh bien, je sais même pas si j’ai envie de te le dire maintenant.
- Super. Alors laisse-moi roupiller." La créature tourna autour de son nid de givre et commença à se réinstaller pour finir sa digestion.
" Attends, attends ! Bon, d'accord. Des chasseurs, ils viennent de l'Est. Ils sont à une journée de marche, peut-être."
Créature bâilla. " Laisse-les venir."
Robin tira les bords de son béret sur ses longues oreilles, ses grands yeux bruns pétillants d'inquiétude. " Ils sont nombreux cette fois. Apparemment, une princesse idiote s'est aventurée dans la forêt foldingue, et il y en a deux douzaines qui viennent pour la sauver. De tes crocs . "

Une princesse ? se demanda Créature. Par tous les dieux, ces choses sont plus irritantes que Robin … Créature soupira lourdement, son souffle faisant tournoyer des flocons de neige. Il avait beau être grand et féroce, même lui ne pouvait retenir autant d’humains. " Très bien. Je me lève.
- Bien ! " Robin sautilla aux côtés de Créature qui s'éloignait de son nid. " On va pouvoir poser des pièges ?" demanda Robin avec impatience.
" Oui."
Robin applaudit. " Le genre avec des fosses ? Ou le genre avec des pieux ? Oh, ou le genre avec des fosses hérissées de pieux ? "
La créature étouffa son gémissement et ses regrets grandissants. " Oui, ça me parait très bien." 
   
Robin redoubla ses applaudissements et se mit à courir en gesticulant de joie. Quelque chose piqua les commissures des lèvres de Créature – une expression perdue au fil des décennies menaçant de refaire surface.

---o---
  
Ficelle sut qu'ils étaient proches lorsque qu'elle vit la vapeur de leur souffle s'élever devant eux et que la chair de poule lui parcourut les bras. Elle agita sa baguette et maintint un rayon de soleil braqué sur eux, mais impossible d'échapper au cruel vent hivernal qui leur enveloppait les oreilles et le cou.
    
" Dis-moi, bonne fée marraine ", dit doucement Diane, les mains agrippées à la poignée de l'épée devant elle. " Que sais-tu de cette créature des glaces bannie dans la forêt foldingue ?"
Ficelle fouilla dans sa mémoire. " Eh bien, je crois que c'était un conte de fées classique. Un prince gateux gâté tomba amoureux d'une princesse, mais échoua à son test chevaleresque pour gagner son amour, bla bla bla. La princesse était une sorcière déguisée et pouf ! Un monstre glacé de l'intérieur. "
Diane fronça les sourcils en regardant Ficelle qui voletait près d'elle. " C'était vraiment inutile."
Ficelle haussa les épaules. " Je suis là depuis longtemps, ma chère. Toutes ces malédictions et ces forêts foldingues se mélangent dans ma caboche. Bref, quelle que soit la malédiction de cette bête, elle l'a probablement méritée."
Diane s'arrêta brusquement, l'air incrédule. " Et si ce prince n'avait pas mérité cette malédiction ?
- Je te demande pardon ?
- Ficelle, et si cet homme était innocent ? On tombe tout le temps sous le charme de sorcières et de fées maléfiques."
Ficelle haussa les épaules. "J'imagine que, de toute façon, il restera maudit jusqu'à ce que la malédiction soit levée.
- Pourrais-tu lever cette malédiction ?
- Oui, peut-être. Pourquoi…" Ficelle s'interrompit, soudain prise de conscience. Des paillettes scintillèrent dans ses cheveux tandis qu'elle secouait la tête avec fureur. " Non, Diane. Ne sois pas sotte."

Mais le visage de Diane était marqué par une détermination héroïque, du genre qui mène à des décisions stupides. " Si nous découvrons que la bête est innocente, je veux que tu prennes la bénédiction que tu me destines et que tu la lui donnes. Je veux que tu lèves sa malédiction."
Les mots résonnèrent lourdement tandis que Diane changeait la direction de la bénédiction de Ficelle. Ficelle se boucha les narines, irritée. " Merde !"

---o---

Le rire de Robin était incessant. " Regarde-les, non mais regarde-les ! Oh, vous êtes si mous, bande d'humains stupides !"
  
Créature interrompit le cri d'un chasseur en lui arrachant la gorge. Il regarda Robin qui repoussait un autre chasseur d'un coup de latte en plein nombril. Le chasseur poussa un cri en tombant dans l'une des fosses hérissées de pieux que Robin appelait affectueusement « Fosses hérissées de la mort ».
   
Quelques chasseurs s'enfuirent en direction du marais. Créature les laissa partir.
La tourbière s'occuperait d'eux.
Créature se redressa parmi les morceaux de corps éparpillés et la quantité incroyable de piques, de flèches et de lances (certaines fichées dans des troncs d'arbres, d'autres plantées dans le sol, et bien sûr, les innombrables trous qui vont avec). À certains endroits, le sol aspirait déjà des membres et têtes sectionnés avec des bruits de succion et de faim.
    
Il grimaça en touchant accidentellement une entaille qu'il avait reçue au cou. Outre des blessures plus profondes, il avait plusieurs flèches plantées dans le dos. Il aurait probablement besoin de l'aide de Robin pour les retirer. Il soupira.
  
" Nous formons une sacrée équipe ", fit Robin quelque part sur sa droite.
" Nous ne sommes pas une équipe ", rétorqua Créature, mais il y avait comme un dégel dans sa voix quand il le dit, un ressort timide et doux.
" Tu as raison !" admit Robin d'un ton enjoué. " On est bien plus que ça. On est… "
   
Sa voix fut interrompue par un cri aigu et le bruit familier d'une peau déchirée.
Créature se retourna pour voir une fille humaine avec une énorme épée entre les mains, l'extrémité pointue traversant complètement le ventre de Robin.
   
" NON ! " rugit Créature. Il se précipita et repoussa la fille, les mains de cette dernière s'envolant de l'épée qui demeura fermement plantée dans le ventre du béret rouge. Il ramassa ce dernier. " Non, non, non. "
Le béret rouge vit quelque chose sur le visage de Créature qu'il n'avait jamais vu et il sourit. " Tu vois ? " dit-il fébrilement. " Je t'avais dit qu'on était amis."
  
Ficelle et Diane étaient bouche bée. La bête imposante se blottit contre le béret rouge comme s'ils étaient mère et enfant. Mais couverts de sang. Et hideux.
    
" Regarde comme il s'est soucié de moi ", fit Diane en essayant de ne pas avoir de haut-le-cœur. " Il ne m'a même pas violentée. C'est un homme bien."
Ficelle secoua la tête. " Tu ne vois donc pas tous ces corps autour de nous ? La disposition des morceaux de barbaque humaine a l'air vraiment festive et joviale."
Diane refusa de bouger. " Non, il se protégeait, lui et son compagnon." Elle rejeta les épaules en arrière et avança. " Dis-donc, la bête !"
  
Créature l'ignora, marmonnant quelque chose au béret rouge dont l'expression était à la fois horrible et insupportablement triste.
   
" Bête, je vois que tu es un homme noble sous les atours de cette malédiction et… Oh, mon Dieu, est-ce que c'est de la matière grise cérébrale qui dégouline sur ton visage ?" Diane se détourna vivement, prise d'un haut-le-cœur.
Après quelques instants, elle reprit ses esprits et lui fit face à nouveau. " Je suis venue pour apporter ta tête au roi comme récompense, mais je vois… S’il te plaît, pourrais-tu l’essuyer ? Juste un petit coup de brosse… non ? Laisse tomber." Elle s’éclaircit la gorge. " Je suis ici pour te libérer de ta malédiction."

Tout ce bavardage finit par attirer l'attention de Créature. " Tu es une sorcière ?"
Diane tourna les yeux vers Ficelle, puis le regarda de nouveau. " Eh bien, non. Mais j'ai amené ma bonne fée et je lui ai ordonné de lever ta malédiction… 
Créature se leva et tendit aussitôt le corps inerte de Robin en direction de Ficelle. " Guéris-le. Guéris-le, et j'irai avec vous auprès du roi."
Ficelle pinça les lèvres. " Je suis très irritée par le nombre de personnes qui pensent s'y connaître mieux que moi en pouvoirs magiques.
- S'il te plaît", implora Créature, et quelque part dans ses yeux sombres, Ficelle put presque voir l'homme qu'il avait été. " Laisse-moi donner la bénédiction de la jeune fille à mon ami. "
Le cœur de Ficelle se serra bêtement. " Je ne peux pas le ressusciter", dit-elle doucement. " Il est déjà presque mort. Même si je le guérissais… 
- Alors je donnerai tout ce que j'ai, jusqu'à ma propre vie."
Ficelle leva les yeux au ciel. " Mon Dieu, c'est tellement dramatique. Si tu me laissais finir, je te dirais que même si je le guérissais, il mourrait quand même, à moins qu'une partie vitale ne soit échangée contre la sienne.
- Mais c'est ce que je viens de proposer !
- Non, tu as dit que tu donnerais tout. Il n'en aura besoin que d'un tout petit peu. C'est pour ça qu'il faut toujours écouter avant de parler. "
   
Créature fronça les sourcils mais hocha la tête en signe de compréhension.
Ficelle se secoua vigoureusement et dans le nuage de paillettes qu'elle expulsa, elle grandit jusqu'à atteindre sa taille réelle, la même taille que la princesse qui, heureusement, demeurait silencieuse.
  
" Veuillez retirer l'épée du corps de votre ami", ordonna Ficelle à la bête, détournant le regard jusqu'à ce que l'acte soit terminé. Une fois le bruit répugnant passé, elle invoqua sa baguette et la pinça entre le pouce et l'index.
" Maintenant, restez tous tranquilles. C'est un sort terriblement grave." Elle leva sa baguette, puis leur adressa un clin d'œil. " Et ce sera absolument indolore."

Créature détourna le visage des rayons de lumière solaire qui jaillirent de son entrejambe ainsi que du ventre de Robin. Un lointain souvenir lui revient à l'esprit : un doux lever de soleil et la chaleur de l'été. Ce souvenir disparut lorsqu'il ouvrit à nouveau les yeux et vit Robin le fixer d'un air suffisant. À la place de sa blessure béante se trouve une cicatrice en forme d'ovale grossier.
  
" Tu n'as plus de couilles, tu ne pourras plus me niquer maintenant, mon ami", dit Robin d'une voix groggy.
- J'ai rebouché la blessure et le trou fait par l'épée avec tes bijoux de famille" expliqua la fée à l'intention de Créature.
" Elles me manqueront ", grogna ce dernier, mais un sourire s’étendait sur son visage, nouveau et timide.
" Eh bien, si c'est tout ", dit Ficelle sèchement, laissant sa baguette disparaître dans un éclat de lumière " j'aimerais beaucoup partir d'ici."
Créature regarda Ficelle. " Merci, bonne fée. Quant à toi... " Il se tourna vers la princesse qui arborait un sourire larmoyant. " Quant à toi, sors de ma forêt, sale petite pute !"
  
La princesse pâlit et s'enfuit en courant.
 
Ficelle s'éloigna à sa poursuite puis stoppa net, se retourna et leur fit face. " C'est une grande gentillesse, une grande bonté, que vous avez manifestée par amour pour votre ami, Créature. Un tel exploit mérite toutes sortes de gratitude. Peut-être même la levée d'une certaine malédiction."

---o---
 
L'espace d'un instant, Créature s'imagina sortir de la forêt foldingue, vêtu de beaux atours et portant un nom prestigieux. Il pensa à la lumière du soleil sur la peau nue de son visage et à un corps libéré de l'hiver.
 
Robin se dégagea des genoux de Créature et se tint sur le côté. Il enfonça son béret sur ses oreilles. " T'as fait une bonne affaire ", dit-il d'un ton trop enjoué. " Un magnifique cache-burnes, en brocard bleu orné de fleurs de lys, la classe ! Quel dommage que t'aies plus rien à mettre dedans."
Puis se tournant vers Ficelle. " Puis-je vous demander une faveur ?

---o---

- Je trouve ça trop mignon ", fit Diane en s'éloignant du lieu du massacre et de leurs deux nouveaux amis qui y vivaient. " Un cache-burnes royal fourré de deux couilles en or et d'étoupe que son ami pourra pavaner et faire palper à tous les habitants du bois foldingue ! C'est adorable."
Ficelle fronça les sourcils. " Oui, je suppose. Mais n'en parle à personne. Ce serait indigne de son altesse."

Diane esquissa un sourire narquois avant de s'assombrir. " Bon, je suppose que je vais devoir me trouver un autre mari, finalement. Merci quand même d'être venue avec moi. Que ce soit une bénédiction ou non, je te suis reconnaissante d'avoir été là."
Ficelle se tapota les cheveux. " Bien sûr, ma chère. Ça fait partie de mon travail." Elle inclina la tête vers la princesse. " Mais je dois te demander : as-tu envisagé de ne pas le faire, tout simplement ? "
Diane fronce les sourcils. " De quoi parles-tu ?
- De ton mariage, ma chérie. Oublie le mariage. Et toute la partie princesse aussi, d'ailleurs."
La princesse réfléchit si furieusement à ces mots qu'elle s'arrêta de marcher. " Est-ce que je peux faire ça ?"
Le rire de Ficelle tinta comme une étoile. " Bien sûr, ma chère. C'est ça qui est merveilleux avec les choix. Pas besoin de magie."

 -----o-----

Merci pour votre inconditionnel soutien qui me va droit au cœur
... ainsi qu'au porte-monnaie
ou
et à très bientôt !