La pièce était reposante, dénuée de la multitude et dans l'obscurité de la sombritude de ce début de soirée. Le Professeur Kévin Challat, directeur scientifique d'un projet hyper important dans un lab de BigPharma, était assis, pensif, calé au fond de son Chippendale.
Le calme était tel qu'il pouvait entendre tourner les pages de la BD que son fils parcourait des yeux dans la pièce d'à côté.
Souvent, le cerveau de Challat fournissait ses idées les plus créatrices, ses pensées les plus créatives, en de telles circonstances, depuis le sommet de son corps assis en solitaire dans la pièce sombre, sous le toit de son propre logis, après sa journée de travail au labo.
Mais ce soir là, son esprit n'arrivait pas à se concentrer. Car ses pensées étaient dirigées vers son fils, un ado mentalement arriéré - son fils unique - dans la pièce d'à côté.
Ses pensées étaient aujourd'hui du type aimantes, et non plus celles remplies d'angoisse qu'il avait pu ressentir des années auparavant lorsqu'il avait été informé par les médecins de la condition déplorable des neurones de son marmot. Mais le garçon était heureux; n'était-ce pas là ce qui importait ?
Et à combien d'hommes était-il donné d'avoir un enfant qui serait toujours, qui resterait toujours un enfant, qui ne grandirait jamais pour un jour s'envoler de ses propres ailes, pour le laisser, lui, pauvre veuf éploré, marcher jusqu'à la décrépitude et la mort tel un ermite?
Voilà qui était bien là de la pure rationalisation, mais qu'y avait-il de mal à se montrer rationnel lorsque -
Hopolopolop ! Vlà que ça sonna à la porte de son domicile...
Challat s'extirpa de son fauteuil, alluma deux-trois loupiotes avant de se diriger vers le couloir menant à la porte d'entrée de sa maison. Il ne se sentait pas le moins du monde importuné; ce soir, à cet instant précis, toute interruption dans le fil de ses pensées était la bienvenue.
Il ouvrit la lourde. Un inconnu lui faisait face, qui se mit immédiatement à causer avant même de s'être présenté, "Professeur Challat ? Je m'appelle Personne; j'aimerais vous parler d'une affaire de la plus haute importance. Puis-je entrer un moment ?"
Challat le scruta. C'était un petit bonhomme, d'apparence quelconque, clairement inoffensif - probablement un journaleux ou un agent d'assurance. Mais peu importe qui ou quoi il était, Challat se surprit à répondre, "Mais je vous en prie. Entrez, Mr. Personne."
Quelques minutes de conversation, dut-il se dire, allaient divertir ses pensées et lui éclairer l'esprit.
"Asseyez-vous," lui dit-il, une fois rendus dans le salon. "Désirez-vous boire quelque chose ?"
"Non, merci.", répondit Personne. Il prit place dans le canapé. Challat regagna le fond de son Chippendale.
Le petit bonhomme décroisa croisa les doigts - qui, comme vous l'aurez remarqué, bande de coquins de bons lecteurs perspicaces, étaient vraisemblablement croisés décroisés jusqu'à ce moment précis - et pencha le buste en avant. "Pr. Challat, vous êtes celui dont les travaux scientifiques ont les plus grandes chances d'oblitérer les chances de survie de la race humaine."
Putain, encore un cinglé, se dit Challat. Mais trop tard, réalisa-t'il: Il aurait dû lui demander qu'est-ce qu'il voulait avant de le faire entrer.
À tous les coups, ça allait être une conversation embarrassante - il avait horreur des conversations embarrassantes, autant qu'il avait horreur de se montrer rude, mais là, seule l'impolitesse allait devoir s'imposer.
"Pr. Challat, le vaccin ARNm sur lequel vous travaillez -
Le visiteur s'arrêta en plein milieu de sa deuxième phrase et tourna son visage en direction de la porte d'une chambre adjacente qui venait de s'ouvrir. Un ado d'une quinzaine d'années fit son entrée. Le garçon ne remarqua pas la présence de Personne; il courut vers Challat. "Papa, papa, tu vas me le lire, dis, tu vas me le lire, maintenant ?" L'ado se mit à rire en gigotant tel un marmot de quatre ans.
Challat passa un bras affectueux autour des épaules de son fiston. Il porta son regard sur son visiteur par dessus l'épaule de sa progéniture, se demandant si Personne était au courant au sujet de la condition de son garçon. Vu le manque de surprise sur le visage de ce dernier, Challat se dit que c'était sûr et certain que ça faisait pas le moindre doute.
"Pilou" - la voix de Challat était remplie d'affection - "Papa est occupé. Pour un petit moment encore. Retourne donc dans ta chambre, je viendrai bientôt te faire la lecture."
- Astérix ? Dis, tu me liras Astérix ?
- Si tu veux. Vas-y, maintenant. Non, attends Pilou, voici Mr. Personne. Dis bonjour à Mr. Personne."
Le garçon sourit timidement au visiteur. Personne lui fit: "Bonjour, Pilou," en lui retournant aussi un sourire ainsi qu'une main tendue.
Challat, observant la scène, fut désormais tout à fait sûr d'être certain que Personne était au courant: Les manifestations du sourire, du geste et des mimiques étaient toutes trois destinées à un marmot de quatre ans, pas à un ado de quinze ans.
Le garçon prit la main offerte. L'espace d'un instant, on aurait même presque cru croire qu'il allait grimper sur les genoux du visiteur, et Challat dut le tirer gentiment en arrière. "Retourne dans ta chambre, maintenant, Pilou."
Le garçon, obéissant, retourna dans sa chambre. Sans en refermer la porte.
Les yeux de Personne se reportèrent sur ceux de Challat, "Je l'aime beaucoup," dit-il, d'un ton sincère. Il ajouta, "J'espère que ce que vous allez lui lire sera toujours la vérité."
Challat ne sembla pas comprendre le sens de ce que Personne venait de lui exprimer, mécompréhension que trahirent les traits de son visage. Personne précisa, "Astérix, je veux dire. C'est une bonne BD - mais fasse le ciel qu'Astérix ait toujours raison quand il dit que c'est pas demain la veille que ce dernier lui tombera sur la tête."
Challat s'était surpris à soudainement apprécier Personne depuis que Personne avait fait montre d'affection envers son fils. Mais maintenant, il venait de se rappeler qu'il devait mettre fin rapidement à leur conversation. Il se leva, pour le congédier.
"J'ai peur que vous ne perdiez votre temps et le mien, Mr. Personne. Je connais déjà tous vos arguments, j'ai déjà entendu cent fois tout ce que vous allez me dire. Il y a possiblement de la vérité dans ce que vous croyez, mais ça ne me concerne pas. Je suis un scientifique. Oui, il est de notoriété publique que je travaille sur un vaccin ARNm, un vaccin plutôt ultime. Mais, pour moi personnellement, ce dernier n'est qu'un sous-produit, un dérivé du fait que je fais avancer la science. J'y ai réfléchi en long, en large et en travers, et j'en ai déduit que c'était là la seule chose qui me concernait.
- Mais, Pr. Challat, l'humanité sera-t'elle encore intacte une fois ce vaccin révolutionnaire injecté par nos élites et dirigeants dans les populations, ne sera-ce pas là de votre part un génocide induit par Proxy ?"
Challat fronça les sourcils. "Je vous ai donné mon point de vue, Mr. Personne."
Personne se releva lentement du canapé. "Très bien, si vous ne désirez pas en parler, je n'en dirai pas plus." Il se passa une main en travers du front. "Je vais vous laisser, Pr. Challat. Je me demandais, toutefois, votre offre pour un verre tient-elle toujours ?"
L'irritation de Challat s'évanouit comme comme neige au soleil. "Mais certainement. Est-ce qu'un scotch-soda vous ferait plaisir ?
- Ce serait parfait."
Challat s'excusa, le temps pour lui de s'esquiver dans sa cuisine. Il y prépara la carafe de scotch, deux canettes de soda, deux verres et un bol de glaçons. Lorsqu'il revint dans le salon avec le plateau, Personne sortait juste de la chambre de son fils et il eut juste le temps d'entendre la voix de ce dernier souhaiter une bonne nuit à son Pilou et celle de son fils lui répondre "Bonsoir, môssieur Personne".
Challat servit les verres. Un peu plus tard, Personne refusa une seconde tournée et s'apprêta à partir. Il dit, "J'ai pris la liberté d'offrir un petit jouet à votre fils, Professeur. Je le lui ai donné tandis que vous alliez chercher les boissons. J'espère que vous ne m'en voudrez pas.
- Pas le moins du monde. Le petit doit être aux anges. Merci pour lui et bonne soirée, Mr. Personne."
Challat referma la porte, retraversa son couloir et son salon puis pénétra dans la chambre de son loupiot.
" Okay, mon Pilou, maintenant je vais te lire ton hist - "
Il y eut un double "Bang" assourdissant aussitôt suivi d'un troisième et le devant de la chemise blanche de Kévin Challat vira à l'écarlate. Il tomba à genoux au pied du lit, les deux bras étendus sur l'édredon, mais il se força à relever la tête et à garder une voix calme. "Je peux voir ce truc, Pilou ?"
Lorsqu'il eut l'objet entre ses mains toutes flageolantes, il l'examina.
Il se dit, juste avant d'expirer et que son visage ne s'aplatisse pour l'éternité sur la crosse du Beretta, que seul un attardé mental psychopathe pouvait avoir remis un outil aussi létal entre les mains d'un tel psychopathe attardé mental...