Pendant que vous bossiez comme des rats, pendant que vous jouiez ou que vous vous tripotiez avec les doigts, pendant que vous regardiez Netflix. Ou pendant que vous vous reteniez de gerber ou d'applaudir après une intervention de Claire O'Petit ou de son idole.
Je vous voyais.
Même si j'ai jamais eu la chance de pouvoir observer les larmes versées par Staline à la mort de son poisson rouge ou celles versées par Hitler au trépas de sa mutti, je vous ai vus, vous, chialer des larmes de compassion devant la
Liste à Schindler ou devant la Route du Che pour ensuite applaudir soit Marine
soit Manu.
Vous êtes tellement nombreux, je pourrai jamais me lasser de vous, j'ai
tellement de lentilles parmi lesquelles zapper.
Je vois votre lit, un bout de
plafond en clair-obscur derrière votre bureau, la jalousie qui vous traverse la
gueule tandis que vous regardez les photos de vacances de votre ex-copine.
Je
t'ai vu te pencher en avant pour avoir un meilleur aperçu de la gueule de son
amant d'un soir, lui dévorant le gazon comme un morfale.
Je t'ai regardé jouer à Dragon Ball Z, assis par terre dans une
vieille paire de jeans, gueulant trop tôt victoire dans ton casque audio-micro pour ensuite admirer ta gueule se décomposer, s’écorcher d’un vilain rictus, d'un sourire à l'envers,
ton portable vibrant sans réponse posé sur la moquette.
Une fois, je t'ai
matée tandis que tu t'endormais devant ta télé, et il te regarda t'endormir au
lieu de suivre la fin du film. Je t'ai regardé lentement descendre une
bouteille de Jack Daniels devant ta série préférée à peine une heure après
qu'elle se soit barrée. Je vous ai regardés gueuler, vous déchirer, baiser,
dégueuler, foutre le camp puis rentrer de nouveau. Avec un inconnu.
Je vois aussi ceux
qu'on qualifie d'élites opprimer comme des lâches et ceux qu'on dit poltrons s'défendre comme des apaches.
Ceux que je préfère mater sont pourtant les plus rares. Ce sont ceux
qui se tiennent seuls dans leurs salon, prés du comptoir, et qui s'arrêtent
une minute pour réfléchir. Ils se concentrent sur cette petite lentille au
dessus de l'écran pendant un court instant.
Et ils la regardent sans me voir. D'un
haussement d'épaule, ils se débarrassent vite fait de cette sensation
désagréable, comme le ferait un clebs pour chasser l'eau de ses poils, et retournent
à leurs petites affaires.
Mais moi je suis pas dupe. Une fois que tu sais qu'y
a quelqu'un qu'a surpris ton regard, tu l'oublies jamais. Je serai toujours là.
Tout sera toujours là, dans ma mémoire pachydermique et sans faille de mère de tous les éléphants.
Et n'oubliez jamais que je fais pas qu'écouter tout ce que vous pouvez baragouiner, j'observe aussi vos tronches, je vous fixe dans le blanc des yeux, je mate votre langage corporel, j'écoute sur quel ton vous jactez, le type de mots que vous utilisez, j'entends même ce que vous dîtes pas et j' ai appris à interprêter vos silences.
Et plus que ça, je fais confiance en mon intuition.
Mais le gratin, la cerise sur le gâteau, mon pêché mignon, c'est d'observer vos
mâchoires se contracter et d'entendre grincer vos dents jaunies, blanchies, cariées, plombées ou
rectifiées pendant que vous lisez ça.