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18 mars 2025

1029. Souvenirs souvenirs


SOUVENIRS SOUVENIRS

Tout le monde a un vice, une petite manie pour tromper l’ennui. Certains empilent des timbres comme des maniaques, d’autres accumulent des figurines inutiles ou – pire encore – des clowns en porcelaine qui hurlent leur désespoir en silence. Pathétique.
Moi ? Mon truc, c’est plus… charnel. Plus brut.

Me faites pas ces yeux-là avant d’entendre toute l’histoire. Tout démarra sur un coup de tête, une connerie presque innocente. À seize ans, premier rencard avec Gisèle – un rire de chèvre asthmatique et une haleine qui reniflait la poubelle oubliée. On avait bouffé dans un resto minable, et j’avais gardé le ticket de caisse, froissé et taché de graisse, comme un trophée de ma première conquête. Adorable, non ? Ça aurait pu s’arrêter là.

Mais non. Quelques années plus tard, j’avais une pleine boîte de reliques amoureuses : une serviette en papier griffonnée dans un café pourri, un ticket de ciné déchiré, une boîte d’allumettes à moitié cramée. Des merdes insignifiantes. Sauf que les souvenirs, ça s’effrite. La chaleur d’une peau, le timbre d’une voix, ce petit tic de tête quand elle parlait – tout ça finit par se dissoudre dans le néant. Et moi, je refusais de laisser filer le passé.

Alors, j’ai poussé le délire plus loin. Plus profond.
Finies les babioles. Je voulais du concret, du vivant. Une mèche de cheveux par-ci, un petit bout d’ongle par-là. Rien de bien méchant, hein, juste des prélèvements discrets sans chirurgie. Pas besoin de violence – les gens sèment leurs déchets corporels partout comme des porcs. Un coup de ciseaux furtif, une pince à épiler bien placée pendant qu’elles regardaient ailleurs. Vous seriez surpris de voir à quel point c’est facile de choper un rognure d’ongle ou deux-trois poils pubiens dans une cuvette de chiottes ou dans un bidet.

Ma première vraie prise ? Eileen. Une rousse irlandaise flamboyante, peau laiteuse qui cramait au moindre rayon. Trois mois ensemble, jusqu’à ce qu’elle me largue parce que j’étais pas assez « émotionnellement disponible » – qu'elle aille se faire foutre avec ses conneries de psy. Pendant qu’elle farfouillait un jour dans son sac à main, allongée sur le ventre sur la plage de Carnac, à la recherche de son briquet, je ramassai sur sa serviette un poil d'aisselle cuivré tombé de sa peau laiteuse. Il brillait comme un fil de lave entre mes doigts, un éclat de feu pur et rougeoyant.

Puis vint Rebecca, petite juive torride. Yeux d'un noir d'ébène, humour encore plus tordu. Ses cils, longs et courbés comme des cimeterres, frôlaient ses joues. Un soir, dans un resto hors de prix, l’un d’eux se décrocha pendant qu’elle riait à une de mes vannes. Il atterrit sur la nappe, fragile et parfait. Elle a rien capté quand je le glissai dans ma poche, emballé dans un bout de serviette papier comme une relique sacrée.

Diane, elle, c'était un autre calibre. Une fouineuse, presque parano. Mais même les plus méfiants vont pisser un jour ou l’autre. Dans sa poubelle, j’ai dégotté une rognure d’ongle, vestige d’une manucure matinale. Minuscule, mais lourd de sens. Un trésor.

Chaque trouvaille me filait un frisson malsain. Je les stockais dans des bocaux, étiquetés avec soin, des autels à mes ex-conquêtes. La collection grossissait : une mèche de Virginie, fan de films d’horreur et allergique à l’engagement ; un éclat de sang séché de Louise, gratté d’une de ses petites culottes après un débarquement impromptu de ses anglaises. Les gens larguent leurs poils, leurs cellules, leurs restes partout – des cadeaux pour un vautour comme moi.

Mes trophées trônaient dans une boîte en cèdre, parfumée à l’huile de citron, un sanctuaire macabre. Les soirs de calme, je l’ouvrais, caressant chaque flacon du regard sous la lumière tamisée, dépoussiérant mes souvenirs comme un dingue. J’étais un artiste, un archiviste des chairs perdues.

Et puis, Marion est entrée en scène.
Marion, c’était une autre bête. Look sombre, lèvres écarlates, un regard vous déshabillant jusqu’à l’os. Les gens normaux parlent pour meubler ; elle, elle écoutait comme si elle disséquait votre âme. Quand je lui sortis ma rengaine bidon – " Tes yeux vont si bien avec ta robe" –, elle me coupa : " Faux, et c’est la troisième fois que tu le dis ce soir. Dis pas le contraire, j’ai compté." Son sourire était un défi, une lame aiguisée.

Travaillant dans un musée, elle manipulait des reliques que le temps voulait bouffer. Ses mains puaient les produits chimiques bizarres genre ammoniaque, et le reste de son corps sentait le santal mêlé d’une pointe métallique. Son appart ? Un bunker minimaliste, pas un cheveu qui traînait, pas une rognure à voler. Après six semaines, j’étais en manque – rien à me mettre sous la dent. Rageant.

Un soir, vautrés sur son canapé en cuir, elle lança un docu sur un tueur en série qui passait sur Arte. Son choix, pas le mien. Elle fixait l’écran, hypnotisée, un verre de rouge à la main. " Ils se font toujours choper à cause des trophées", murmura-t-elle. " Ce besoin de garder un souvenir de leurs proies."

Je ravalai ma salive, le cœur en mode marteau-piqueur. Elle savait ? Elle jouait avec moi ?
La nuit avançait, elle piquait du nez. Son verre tanguait. Je le posai sur la table, et elle se mit à respirer lourdement, endormie. Une mèche noire glissa sur sa joue. Mon ouverture.
Je tendis les doigts, précis comme un chirurgien. Juste une mèche. Elle sentirait rien.
Sa main me chopa le poignet, froide comme la mort, assez forte pour me le broyer. Ses yeux – grands ouverts, pupilles rétrécies – me clouèrent sur place. Pas de sommeil là-dedans, juste une lucidité tranchante.
" Toi aussi, tu collectionnes ?" Sa voix déchira le silence.

Mon pouls cognait contre ses doigts. J’ouvris la bouche, mais rien n’en sortit.
Elle me lâcha et se leva, fluide comme une ombre. L’air se glaça quand elle fila dans sa chambre sans un bruit.
J’étais là, paralysé, partagé entre déguerpir et rester planté comme un con. Elle revint avant que je me sois décidé.
Dans ses mains, une boîte – pas une merde en cèdre jaune comme la mienne. Un truc ancien, noir comme l’enfer, luisant sous la lumière. Quand elle la posa sur la table, le verre se voila en dessous. Les charnières grincèrent comme un hurlement étouffé en s’ouvrant.
Dedans, des fioles. Des dizaines. Étiquetées dans une écriture fine et tordue comme des pattes d'araignée. Ongles jaunis, cheveux encore collés à des bouts de scalp, lambeaux de peau hérissés de poils. Tout baignait dans un jus chimique qui puait la fleur pourrie.
J’eus un haut-le-cœur, mais mes yeux restèrent scotchés. Et puis elle sortit le pire : des photos.
Moi. En train de dormir. À poil sous la douche. Au taf. Des clichés vieux de dix ans – moi bourré à une fête foraine, ado en cours de bio, gamin sur un toboggan. Elle m’avait pisté toute ma vie.

" J’ai attendu longtemps", siffla-t-elle, la voix râpeuse comme un cul de sac rempli de gravier. " Je voulais voir si t’avais les couilles pour aller au bout."

Ses doigts s'étirèrent, craquant comme des branches mortes, s’allongeant trop loin. Sa peau vira au gris, veinée de noir. Son sourire se fendit jusqu’aux oreilles, dévoilant des dents en trop.
" Les chasseurs à la petite semaine, ça me gave. Ils ramassent les miettes. Moi, je prends tout."

Elle marmonna des mots gutturaux, une langue venue d’un autre monde. L’air s’épaissit, goût de rouille et de pourriture. Mes muscles se figèrent, pris dans du béton invisible.
Ses yeux flambaient, bleu électrique, projetant des ombres tordues. " T’inquiète, tu resteras conscient. Tous mes spécimens le sont. Et ils accueillent bien les nouveaux. Une vraie famille."

Elle ouvrit une fiole. Une brume gelée m’envahit, me griffant la gorge, les yeux, les tympans. Ça brûlait et ça glaçait, comme si que j'avalais des éclats de verre.
Le noir me bouffa, mais pas mon esprit.
Je me réveillai dans un silence sépulcral. Ma nouvelle vie : une âme en cage dans une fiole datée du jour. À travers le verre, je vis cette salope de  pétasse me déposer sur une étagère, entre un banquier de 2022 et un vagabond de 2026.
Ma dernière pensée avant de hurler pour l’éternité : " Au moins, plus besoin de dépoussiérer !".

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