Bienvenue, curieux voyageur

Avant que vous ne commenciez à rentrer dans les arcanes de mes neurones et sauf si vous êtes blindés de verre sécurit, je pense qu'il serait souhaitable de faire un petit détour préalable par le traité établissant la constitution de ce Blog. Pour ce faire, veuillez cliquer là, oui là!

21 janv. 2025

1003. Tu nais poussière et retourneras en poussière


TU NAIS POUSSIÈRE ET RETOURNERAS EN POUSSIÈRE

« Donc, si quelqu'un sait qu'est-ce qu'y faut faire pour faire le bien et qu'il le fait pas, çui-là commet un pêché dont il pourrait bien se mordre les doigts.»
Jacques 4:17 ou un truc dans ces eaux-là.

-----o-----

La vie commence à… la conception ? Au premier battement de cœur ? À la viabilité ? À l’accouchement ? Un sujet de débat dans la société d’aujourd’hui. 
Le début de la vie dans la communauté chrétienne ? Pas de débat : Tout commence le jour du baptême et avec des dragées.

En 1957, Ste Clotilde avait été la perle de cette banlieue de la grande ville. Aujourd'hui, après pas loin de 70 ans, la structure conservait encore l'atmosphère apaisante et historique de la tradition : sept grandes suspensions en bronze suspendues au plafond, une statue fascinante de Marie et de son poupon sur le côté, une balustrade en albâtre pour la communion, un confessionnal avec deux entrées latérales encadrant le cabinet abritant le pardonneur de tout les péchés, un silence caverneux qu'on ne trouve que dans une vieille église, l'odeur de cire brûlée et une croix en bois de 4 mètres de haut sculptée à la main par les meilleurs artisans de l'époque. Les paroissiens pouvaient ressentir la puissance du Calvaire tandis que le Sauveur crucifié les regardait.

Francis avait été porté jusqu'à l'entrée de l'église Ste Clotilde. À l'âge de trois semaines, nul humain n'est capable de marcher seul. Nul humain de trois semaines n'est capable de parler non plus. Cette dernière tâche avait donc été confiée par proxy à ses parents et à ses parrains, son oncle Gilbert et sa tante Rosie.

Le prêtre : " Rejettes-tu Satan ?"
Parents et parrains : " Je le rejette.
- Et toutes ses œuvres ?
- Je les rejette."

Plus tard dans sa vie, Francis s'était parfois demandé si quelqu’un d’autre pouvait faire tout ce qu’il pouvait pour lui. Comment pouvait-il être tenu de respecter des engagements pris en son nom par d’autres ? Mais il acceptait les bonnes intentions de cette pratique. Comme la plupart d’entre nous, il allait devoir répondre aux défis du mal de son propre chef assez souvent au cours de son parcours dans la vie.

L'apprentissage de la vie de Francis s’était fait au sein de l’école Sainte Clotilde. De sa première à sa dernière année dans cette institution, la messe avait était célébrée tous les jours, un quarantaine de gosses par classe, l’enseignement et la discipline étant assurés par des bonnes sœurs. L’un des quatre abbés résidents dispensait une éducation religieuse trois fois par semaine. La foi catholique fournissait également aux jeunes dont elle avait la charge une série de ce qu’on pourrait appeler des rappels de vaccination contre les tentations du Malin. La première communion, la confession et la confirmation (où il avait personnellement rejeté Satan et toutes ses œuvres) exigeaient toutes une éducation et un engagement supplémentaires. Francis avait donc quitté cet établissement armé jusqu'aux dents pour rejeter Satan et toutes ses œuvres.

Mais y a pas que les péchés pour mesurer la vie d’un homme. Même s'ils comptent beaucoup dans le résultat final, d’autres choses doivent être prises en compte, comme les accomplissements, les actes de bonté, les omissions, le manque d’empathie et la malédiction d’un effort globalement insuffisant pour faire les choses que Dieu a prévues pour nous pendant notre temps sur cette terre.

C'est un défaut de la condition humaine que la plupart des gens négligent de vérifier le tableau d'affichage jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour changer le résultat final. C'était le cas de Francis alors qu'il réfléchissait à sa vie en regardant tournoyer un vol de corbeaux par la fenêtre de sa chambre d'hôpital. Il avait pas beaucoup de temps.

L'école primaire, c'était 99 % de bons souvenirs : de si bons amis, tant de rires, du foot dans la cour de récréation, des parties de marelle dans la rue, des bêtises avec Patrick Gomot au fond de la classe. Et quelques bonnes actions ! Enfant de chœur pendant trois ans. Il avait pelleté le trottoir de la veuve Joncoux et tondu sa pelouse. Il avait fait les tâches ménagères sans se plaindre. Francis avait été un bon fils et un bon garçon... à part quelques faux pas très mineurs.

1) Copiage par dessus l'épaule de Nicole Ribeiro lors d'une compo d'orthographe en cours moyen 2.
2) Pensées impures à propos des nichons naissants et prenant de l'ampleur de Gisèle Coufort… presque quotidiennement à partir de l'entrée en 6ème.
3) Vol de temps en temps du dessert du petit Pierrot Pagès à la cantine.
4) Mensonges à ses parents afin d'aller à la patinoire locale pour rencontrer Anne-Marie dont le nom de famille lui échappait.

Des actes regrettables, certes, mais rien de gravissime. Dans l’ensemble, un bon début pour Francis. Il pensait être confortablement installé dans la colonne « Rejeter Satan » jusqu’à présent.

Même les non-croyants finissent par devenir croyants. Il est trop déstabilisant, trop déprimant, de penser qu’il y a plus rien après la mort. Les considérations pratiques sur la vie, la mort et Dieu sont jetées par la fenêtre et remplacées par l’espoir, le cher et doux espoir. Francis avait passé toute sa vie dans le camp des « pas si sûrs d'être certains », mais maintenant, alors que sa fin approchait, il se forçait à croire. La question suivante était de savoir où il finirait. Il se creusait la tête pour tenter de répondre à cette question. Méritait-il une place au paradis ?

" Comment allez-vous, Francis ?"
C'était son infirmière préférée chargée de son plateau-repas. 
" Je vais bien, Chloé, merci."

Il allait pas bien, mais c'était ce que les gars comme Francis disaient toujours.

" Dites donc, Chloé, quand allez-vous me refiler une nouvelle dose d’analgésiques ?
- Désolée, Francis, pas avant quelques heures."

Saint Paul a soutenu que les bonnes œuvres sont la voie qui mène au ciel. D’autres éducateurs religieux nous disent que c’est par la foi que nous y parvenons, et il y a aussi la faction « On n’y arrive que par Jésus ». Francis était pas sûr de savoir quelle théorie était correcte, il espérait donc avoir accumulé suffisamment de points dans chaque catégorie pour que son score cumulé soit suffisant.

Les tests de son engagement à rejeter Satan se compliquèrent et se firent plus fréquents au cours des années de lycée de Francis à Saint-Exupéry. La surveillance réduite, la liberté d'explorer et d'expérimenter, associées aux forces souvent irrésistibles de la pression des pairs, peuvent poser des pièges insoupçonnés et dangereux à ceux qui souhaitent rester sur le droit chemin.

Il y maintint une solide moyenne de 14 à 15 sur 20 tout en participant à trois sports : le rugby, le basket et l'athlétisme. Francis avait été un ado populaire - beaucoup d'amis, capitaine de son équipe de basket, délégué de classe au conseil étudiant et ne ratant jamais un rendez-vous pour les grands événements. Il avait travaillé les week-ends au magasin de vélos local dont le patron avait été un pote à son père et avait toujours effectué toutes les tâches extérieures à la maison, s'occupant personnellement de tailler la haie, tondre la pelouse et sortir les poubelles. Alors qu'il se penchait sur la pile d'oreillers que Chloé n'arrêtait pas de réarranger, Francis se sentit plutôt bien par rapport à ses années de lycée. Mais il se rappela ensuite quelques moments difficiles.

1) Il avait recopié une critique d'un traité de philosophie que son frère aîné avait faite cinq ans auparavant et l'avait remise à son prof de philo comme produit de son propre travail… deux fois.
2) Il avait eu des pensées plus qu'impures à propos des fesses de Brigitte Dumas ainsi qu'au sujet de Mme sylvain dont le profond décolleté avait illustré ses cours de biologie deux années durant… presque tous les jours, qu'y pleuve ou qu'y vente.
3) Il avait considéré les filles comme un moyen de satisfaire ses désirs mondains.
4) Il avait assisté à de nombreuses beuveries, souvent alimentées par l’alcool fourni par son frère aîné.
5) Il avait jamais avoué à ses parents qu'il avait fait une bosse sur la voiture de sa mère, leur laissant croire que c'était arrivé sur le parking du Mammouth alors qu'elle faisait ses courses.

Voilà des choses qui était un peu plus inavouables pour Francis. Il y avait des choses à ne pas faire, notamment sa perception regrettable des membres du sexe opposé. 
Mais  il n'est jamais trop tard, Francis !
 
" Mon Dieu, c'est Francis. Je suis pas allé à confesse depuis une éternité, et je veux pas prendre trop de votre temps, mais vu que j'en ai plus beaucoup moi-même, j'ai pensé qu'il valait mieux que je vous demande pardon pour certaines choses que j'ai faites. Je suis désolé d'avoir triché sur ces critiques de traité de philo, et j'aurais pas dû avoir ces fantasmes humides sur Brigitte Dumas et sur Mme Sylvain... même si je pense que vous pouvez comprendre mon intérêt pour ces mesdames. Je suis désolé d'avoir enfreint nos règles de conduite sportive et d'avoir menti à mes parents à propos de l'alcool, et j'aurais dû avouer pour la voiture de maman, même si les dégâts étaient entièrement couverts par l'assurance. Surtout, je regrette la façon immature et inappropriée dont j'ai pensé aux filles de mon lycée, même si certaines d'entre elles étaient plutôt sexy... oups, je voulais pas dire ça. Je retire ce que j'ai dit. Sexy ou pas, j'aurais dû les considérer comme de vraies personnes et pas seulement comme... eh ben euh, vous savez qu'est-ce que je veux dire... Je suis désolé."

Bien que maladroite, sa confession apporta un certain réconfort à Francis alors qu'il évaluait ses chances d'arriver aux portes du paradis. Au pire, le lycée, complété par sa confession de dernière minute, était un match nul.

" Vous avez faim, Francis ? J'ai votre plateau repas."

Au milieu du débat le plus marquant qu'il ait jamais eu avec lui-même, la nourriture était loin de l'esprit de Francis.

" Non merci, Chloé. Je vais bien.
- Je vais laisser le plateau sur votre table de chevet, Francis. Vous aurez peut-être besoin de quelque chose à grignoter plus tard."

« Plus tard » devenait de moins en moins probable pour Francis. Il ne restait plus beaucoup de « plus tard » à Francis, alors il se remit rapidement à la tâche.

Satan semblait avoir été partout sur le campus universitaire où avait séjourné et étudié Francis.

" Francis, les partiels sont dans trois jours. Viens, il y a une boom à la salle de sport."
" Suffit d'avaler quelques Adderall et tu passeras une super-hyper nuit blanche. C'est comme ça qu'on fait."
" Tous les gars de notre chambrée sont passés sous la couette d'Hélène 'Porte Ouverte'. Appelle-la, tu verras."

Du côté positif, Francis obtint sa license au bout de quatre ans avec juste la moyenne suffisante. Il travailla à temps partiel au syndicat étudiant, continua à jouer au rugby et au basket-ball en salle, se souvint de chaque anniversaire de sa famille et se fit de nombreux amis pour la vie. Il fut particulièrement heureux du fait que beaucoup de ses bons amis étaient des bonnes amies. Il était fier des progrès qu'il avait réalisés de ce côté là. D'un autre côté…

1) Il était devenu accro à l'Adderall et avait menti à ses parents sur les raisons pour lesquelles il avait toujours besoin de plus d'argent.
2) En tant qu'amoureux de la culture romaine, il avait ravivé la tradition des Toge Parties, un rassemblement insensé et dépravé de fêtards ivres dans le style bacchanale.
3) Il avait appelé Hélène 'Porte Ouverte'… plus d’une fois.
4) Il avait dit à ses parents qu'il avait besoin d'argent pour se rendre à Saint Tropez pour assister aux funérailles de la mère d'un bon ami, alors que le véritable objectif avait été d'aller y faire la fête.

Francis avait un mauvais pressentiment à ce sujet. Il remit au travail immédiatement avant de rendre son dernier souffle.

" Mon Dieu, c'est encore moi, Francis. Désolé de vous déranger de nouveau, mais il y a encore quelques points que je voudrais éclaircir avant que mon heure arrive. Tout d'abord, l'histoire de l'Adderall. Qu'est-ce que je peux dire ? Je suis devenu accro. Je suis désolé d'avoir menti à mes parents sur la raison de l'argent. Pareil pour le voyage à Saint Tropez, même si j'ai gagné gros à la table de blackjack. Et je suppose que les Toge Parties ont été un peu exagérées. J'ai l'impression d'avoir été un instrument du diable pour toutes les mauvaises choses qui se sont produites là-bas. Je suis désolé. Et l'affaire avec Hélène 'Porte ouverte', ouais, c'était pas bien. Je sais que le sexe sans sentiments est un péché, alors je suis vraiment désolé. Je sais que je n'aurais pas dû garder son numéro de téléphone dans mon portefeuille. Amen."

Francis se sentit plutôt bien. Il avait semblé sincère et il trouvait que le « Amen » final lui avait donné un ton respectueux. Mais il était inquiet. Il craignait que le sexe sans amour ne l’ait conduit dans la zone interdite du péché mortel. La douleur physique qu’il ressentait était submergée par l’angoisse mentale.

" Mon Dieu, c'est encore moi, Francis. Je suis désolé de vous déranger à nouveau, mais je veux juste que vous sachiez que je suis vraiment, vraiment désolé pour l'histoire d'Hélène 'Porte Ouverte'. C'était dégueulasse. Pour être honnête, le sexe avec elle était pas terrible. Mais je suis vraiment désolé et je vous demande pardon."

Francis était encore un peu nerveux à propos de tout ça, mais il sentit que cette supplication supplémentaire améliorerait sa position. Il mettait sa foi en un Dieu qui pardonne tout.

" C'est l'heure de vos analgésiques, Francis."

Il était temps, bon sang.

" Merci, Chloé."

De nos jours, 67 ans et demi, c'est un peu jeune pour mourir, mais un cancer qui se respecte ne respecte ni horloge ni calendrier. Pourtant, ses années d'adulte actif avaient constitué l'essentiel de son existence. Francis ne pouvait qu'espérer qu'il en avait fait assez.

Célibataire toute sa vie, Francis avait consacré toute sa vie d'adulte à son travail (expert-comptable), à ​​sa maison et à son jardin, à la pêche, à sa Harley et à ses nièces et neveux. Connaissant parfaitement tout ce que le Fisc pouvait faire payer à un contribuable, il avait fait du bon travail pour ses clients et avait bien gagné sa vie. Il s'était bien entendu avec ses collègues, en particulier avec la jolie rousse qui bossait à deux bureaux du sien, et n'avait jamais manqué une journée de travail. Il avait été un oncle formidable et avait emmené ses nièces et neveux à diverses activités amusantes. Le fait d'être célibataire toute sa vie avait éliminé l'une des principales catégories de péchés qui frappent beaucoup de gens de peu de foi : l'adultère. Tout cela semblait être une existence assez banale et sans histoire, mais néanmoins, lorsque Francis repassa sa vie en revue, il rencontra quelques autres pépins sur la route.

1) Grâce à sa vaste connaissance du Code des impôts, Francis avait pu frauder sur ses propres impôts.
2) La jolie rousse à deux bureaux de son box était devenue la nouvelle 'Hélène Porte Ouverte' de son lieu de travail.
3) Lorsqu'il avait emmené ses jeunes nièces et neveux au parc ou à la plage, il s'était présenté comme père veuf ou célibataire ayant besoin d'assistance et s'était servi des gosses comme aimants à mères célibataires.
4) Francis avait attrapé quelques brochets hors saison et sans permis de pêche.
5) Il était jamais plus allé à l’église après ses années d'enfance, n’avait jamais fait de bénévolat pour aucune œuvre de charité ni n’avait jamais contribué à aucune organisation caritative.

Le sexe sans sentiments le dérangeait un peu, mais c'était la page blanche des bonnes œuvres qui le troublait le plus. On peut toujours faire cette confession sur son lit de mort pour les péchés du passé, mais il n'y a pas grand-chose à faire pour compenser une vie entière de mépris pour son prochain. « J'aurais dû faire plus de ma vie » est un refrain familier lorsque la vie touche à sa fin, mais malheureusement, il n'y avait pas de remède pour Francis qui s'affaiblissait. Il devait faire court.

" Cher Dieu, je suis désolé pour tous mes péchés. Parfois, j'ai cédé à la tentation et je suis désolé pour ça. Pour toutes les choses que j'ai pas faites dans la vie... Je... Je n'ai vraiment rien à dire. Je suis désolé."

Francis n'obtint jamais de réponse quant à sa destination finale. Personne, que je sache, en a jamais reçu. Chloé releva le drap sur le visage de Francis et retira le plateau de son dîner intact de sa table de chevet. Trois jours plus tard, ce sont les deux frères de Francis et quatre de ses amis qui portèrent son cercueil jusqu'à l'entrée de l'église Sainte Clotilde, exactement à l'endroit où il avait été baptisé tant d'années auparavant.

-----o-----

Merci pour votre inconditionnel soutien qui me va droit au cœur
... ainsi qu'au porte-monnaie
ou
et à très bientôt !