Bienvenue, curieux voyageur

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25 avr. 2023

755. Boucle Hyper-Rétroactive


Ce post n'a pas été sponsorisé grâce au soutien financier du Groupe PSA

BOUCLE HYPER-RÉTROACTIVE

Si vous aviez une chance de pouvoir faire se tordre et hurler de douleur sous des coups de masse la Peugeot i208 de merde, électrique et silencieuse autant que dangereuse de votre ex bonne femme sans payer les pots cassés ni sans aucune répercussion, la prendriez-vous ?

Depuis que Kévin avait trouvé cette maudite photo – et qu'il pensait s'être débarrassé de tout le reste, la question ne quittait plus ses pensées. Bien sûr, la semaine prochaine, il serait riche après avoir gagné le Quinté Plus et le gros lot du Grolotto. Il aurait plus d'argent que son ex ne pourrait jamais imaginer, mais la satisfaction de la voir paniquer devant sa voiture, les phares brisés, les vitres éclatées, le capot déglingué et le toit défoncé serait inestimable.

Et il y aurait pas de répercussions. Aucun inconvénient, aucune séjour à l'ombre ni même en garde à vue, rien de tout ça. Il pourrait massacrer la caisse, et elle pourrait toujours la retrouver dans l'état dans lequel elle se trouvait avant le massacre, même si c'était une caisse de merde. Elle le méritait aussi. Avoir écrit une note si sincère au dos de la photo, puis faire tout son possible pour le tromper avec tous les salauds et les salopes du coin ensuite ?
Salope !

Kévin se réveillerait au son de son réveil à deux heures du matin.

Il se rafraîchirait, attraperait sa masse de démolition-man et conduirait jusqu'à la maison de son ex. Il passerait une bonne dizaine de minutes à faire swinguer l'outil sur son pare-brise et ses rétros extérieurs avant de passer aux choses sérieuse et d'attaquer la carrosserie. Après ça, il attendrait tranquillos qu'elle sorte hystérique et en panique pendant qu'il se planquerait dans sa propre caisse. Puis il remonterait le temps d'une heure – enfin d'autant de temps qu'il le pourrait avec son vieil appareil – et remettrait sur 'OFF l'alarme de son réveil. 

Par conséquent, son Moi passé ne se réveillerait pas. Il ne se lèverait pas pour mettre les mains sur sa masse dans le cagibi et ne partirait pas ensuite en voiture pour aller casser celle de son ex. Son Moi actuel cesserait-il alors d'exister ? Après des nuits à rester éveillé à y penser, il allait enfin pouvoir tester sa théorie et goûter à la satisfaction de massacrer la voiture de sa salope d'ex bonne femme.

Kévin entoura de sparadrap le manche de la masse et pratiqua quelques swings dignes d'un bûcheron canadien dans son appartement. Il attrapa ses clés et son antique montre à gousset sur sa table de nuit, puis descendit quatre à quatre les escaliers jusqu'à la porte de son immeuble. Il l'ouvrit, sortit et respira l'air frais. Aujourd'hui allait être une sacrée putain de bonne journée. 
Enfoncez-vous bien ça dans le crâne les copains, ça allait être super !
 
Un homme ensanglanté s'approcha de lui. Kévin souleva sa masse, prêt à se défendre.

"Retourne chez toi", marmonna l'homme, "va éteindre l'alarme."

Il se figea, laissant tomber la tête de la masse sur le goudron. Se regardait-il ? Etait-ce lui-même qui se trouvait en face de lui ? Du sang recouvrait le visage du mec, des croûtes rouges foncées sous son nez et ses oreilles. Une ecchymose gonflée sur le front, ainsi que plusieurs fines coupures sur son nez. Kévin put même repérer des éclats de verre à la lumière de l'éclairage public à LED dans les cheveux du bonhomme.

Ses cheveux, lissés en arrière comme lui-même les portait toujours. Et sa veste en cuir, les deux poignets maintenant rougis par le sang.

Cela signifiait-il que quelque chose n'avait pas marché avec son plan ? Comment que c'était possible ? 

" Qu'est-ce qui s'est passé ?" lui demanda Kévin.

L'homme s'arrêta une seconde, puis se figea, ses yeux inquiets se vidant de toute lueur.
" Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda sa version du futur.
- Qu'est-ce qui s'est passé, répéta Kévin.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? répéta son Moi futur sans la moindre trace d'émotion.
Qu'est-ce qui s'est passé ? redemanda Kévin.
Qu'est-ce qui s'est passé ?" recommença sa version du futur.

Kévin arrivait pas à détourner son regard de son autre lui-même. Il répétèrent les mots 'qu'est-ce qui s'est passé' jusqu'à ce qu'ils se parlent comme une paire de disques rayés. Les portes de  son immeuble s'ouvrirent soudain derrière lui et des pas frappèrent l'asphalte. 

" Boucle rétroactive, Lucie. Tase le !
- J'ai oublié mon… euh," rit-elle, " non mais regarde-le, Mehmet ! J'ai pas vu une technologie aussi minable depuis des lustres !"

Mehmet soupira, puis pressa la gâchette de son propre taser. Les électrodes s'accrochèrent dans la nuque à Kévin et l'électricité crépita à travers les fils. Ce qui l'envoya direct sur le bitume où sa tête heurta et s'écorcha contre le goudron, le reste de son corps traversé de spasmes. Kévin tenta de discerner ce qui se passait à travers sa vision floue alors que son alter-égo du futur sortait de sa stupeur et se barrait dans la rue.

" C'est comme ça que nous le rattraperons, dit Lucie.
- Ouais ouais, suffira d'aller le chercher", répondit Mehmet.

Kévin, quant à lui,  profita de ce court répit pour tourner de l'œil.

---o--- 

Lucie s'assit sur le siège passager et porta la flasque à ses lèvres. L'alcool avait un goût de désinfectant pour les mains. Un ersatz de vodka de merde ukrainienne qui pourrait lui permettre d'attendre sa prochaine paye. Mais le goût de ce tord-boyaux n'avait pas d'importance ! Il suffisait à brouiller ses pensées, comme ça elle avait plus à réfléchir trop fort. Elle recula son siège et s'étira les cannes. Le voyageur temporel reposait sur la banquette arrière.

" Mehmet," dit-elle, " ne m'en veux pas trop, j'ai pas assez de cette merde pour me saouler de toute manière, mais explique-moi encore une fois c'est quoi une boucle rétroactive ? Je savais pas qu'une technologie aussi pourrie existait encore."

Mehmet pianota des doigts sur le volant tandis qu'ils attendaient à un feu rouge. Ils tournèrent à droite et s'engagèrent sur  une route tranquille en direction d'un entrepôt d'où ils pourraient s'extraire vers le centre des opérations.

" Hé, tu m'as entendue ?" Elle se renversa à nouveau le goulot de la flasque dans le gosier.
- Écoute, Lucie," dit-il, " il aurait perturbé son existence si je n'avais pas sorti mon Taser à temps. Si tu continues à picoler- 
- Ouais, ouais, ouais," le coupa-t-elle, " tu vas finir par me balancer. Et ces sauts illégaux que tu fais ? Aucun de nous deux n'a les mains propres. Maintenant," elle se redressa et laissa tomber la flasque vide sur le plancher de leur bagnole. " Ça fait des lustres depuis l'académie. Explique-moi encore le truc de la boucle rétroactive.
- Lui derrière", déclara Mehmet en pointant un pouce dans son dos, ses yeux fixés dans le rétroviseur, " il est tombé sur son Lui futur. Il s'est demandé ce qui n'allait pas, et toutes les pensées qui l'ont amené à devenir ce futur Lui sont devenues confuses. Puisque la seule pensée de son Moi passé était, 'que s'est-il passé ?', son Lui futur ne pouvait que penser la même chose pour le moment. Et ça aurait continué comme ça jusqu'à ce que son Lui futur n'existe plus.
- Hmm." Lucie s'inclina contre la portière et jeta un œil dans le rétroviseur extérieur. Une voiture roulait derrière eux. " Pourquoi qu'on l'a pas laisser disparaître progressivement de l'existence ? Ça nous aurait évité des ennuis...
- Si on avait fait ça, aucun des événements de ce soir ne se serait produit. Nous aurions perturbé la chronologie naturelle.
- Bien sûr !" s'exclama Lucie : " Notre devise numéro un ! Peu importe à quel point c'est fastidieux ou combien de vies nous prenons, nous ne pouvons pas perturber la chronologie, sinon c'est l'effet papillon tant redouté… " Elle s'interrompit en regardant à nouveau dans le rétroviseur. La voiture derrière eux accéléra dans un rugissement.

" C'est lui ?" demanda Mehmet.
- Ouais," dit-elle, " prépare-toi à l'impact, ce con va tenter de nous percuter pour s'en sortir. Je dois probablement laisser ça se produire." Lucie se retourna pour faire face à l'homme avachi sur la banquette arrière, qui se réveilla en secouant les paupières. Elle lui jeta la clé des menottes. " Vous avez du culot", poursuivit-elle en s'adressant à lui, "en pensant que vous pouvez nous rentrer dedans."

La voiture derrière eux ralentit.

" Lucie, il est au courant maintenant !
- Bien! Fais une embardée et percute-le !
 
Mehmet tourna le volant, les pneus crissèrent sur le macadam. Lucie s'empara des possessions du voyageur temporel : un téléphone Android et une montre à gousset avec un trop grand nombre de boutons, une jolie façon de voyager dans le temps. Elle les lui rendit. Il aurait aussi besoin de ses clés de voiture...

Ah, bah merde, elle avait laissé tomber ses clés de voiture par terre devant son immeuble. 

Les deux voitures se percutèrent et l'airbag rejeta la tête de Lucie contre son appuie-tête avec suffisamment de force pour l'assommer.

---o---

Kévin secoua les éclats de pare-brise de ses cheveux. Du sang coulait sur son visage à cause d'un éclat plus pointu que les autres. Il se défit de ses bracelets - la fliquette bourrée lui avait donné la clé des menottes pour une raison quelconque - et il récupéra son smartphone et sa montre à gousset. La porte latérale pendouillait sur ses charnières, et il n'eut qu'à l'ouvrir d'un coup de pompe dans le cul pour sortir en rampant. La voiture s'était retournée pendant l'accident mais Dieu merci, il avait survécu. Il devait un verre à l'homme qui leur avait rentré dedans. 

" Pas un geste !" cria la voix de l'autre flic. Kévin se leva et se tourna vers lui, mais le flic pointait son arme sur l'autre voiture - une DeLorean blanche pareille que celle que Kévin lui-même possédait. Sauf que personne n'était assis dans le siège du conducteur. Kévin ne prit pas le temps de se poser des questions sans réponses. Il recula sa montre à gousset d'une heure dans le passé, le maximum, et appuya sur un bouton latéral.

L'air se déforma autour de lui. Sa tête se mit à tourner comme un manège. Un flot de sang coula de ses oreilles et Kévin tomba à genoux au milieu de la chaussée exactement une heure avant l'accident. Il attendit quelques minutes que la vague de nausées passe avant d'appeler un Uber. Il pourrait revenir à temps chez lui, éteindre l'alarme, et rien de tout cela n'arriverait. Théorie testée et tout le bazar - la prochaine fois, tenez-vous-en à des trucs plus simples comme la loterie.

Pourtant, il fallut une demi-heure à l'Uber pour arriver jusqu'à lui, et une demi-heure de route jusqu'à son appartement. Au moment où ils se garèrent de l'autre côté de la rue, il put voir les deux versions de lui-même prises dans la boucle rétroactive.

" Qu'est-ce qui s'est passé ?" murmura Kévin alors qu'il sortait de la voiture, se regardant répéter les mêmes mots de l'autre côté de la rue.
" Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda le Kévin de son passé.
" Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda le Kévin de son futur.

"Mon pote", lui dit le chauffeur Uber, "tout va bien ?
Qu'est-ce qui s'est passé ?" demanda Kévin.

Le conducteur secoua la tête et se barra.

" Boucle rétroactive, Lucie." déclara un flic de l'autre côté de la rue. "Tase-le !
- J'ai oublié mon… euh," rit la fliquette ivre qui l'accompagnait, " non mais regarde-le, Mehmet ! J'ai pas vu une technologie aussi minable depuis des lustres !"

Kévin vit le taser frapper son autre Lui. Il se sentit alors sortir de la boucle, ses pensées s'éclaircissant une fois de plus. La version de son Lui futur se carapata dans la rue pendant que les flics regardaient le premier Kévin se tortiller telle une couleuvre sous la tension du taser.

" C'est comme ça que nous le rattraperons, dit l'ivrogne de fliquette.
- Ouais ouais, suffira d'aller le chercher", répondit l'autre.

Kévin se tenait dans l'ombre tandis qu'ils menottaient et traînaient le corps mou de son Moi passé dans leur voiture. Il devait les arrêter. Il ne pouvait pas les confronter. Ils portaient des fusils ou des trucs qui y ressemblaient - c'étaient des flics en quelque sorte. Z'avaient pas l'uniforme typique, mais ils agissaient comme si qu'ils en étaient. Il le devait...

Les percuter. C'est ainsi qu'il s'était libéré plus tôt, et maintenant il devait rendre la pareille. Ensuite, il pourrait reculer d'une heure et empêcher l'alarme de se déclencher ! Plan de génie ! Et dire que cette conasse de flic ivrogne avait oublié de récupérer ses clés. 

Kévin essuya le sang de ses oreilles. Un effet indésirable de la montre à gousset, mais pas tout à fait aussi pire que ceux des vaccins Covid. Il attrapa ses clés qu'il retrouva sur le trottoir devant son immeuble et se figea. Pourquoi ne pas rentrer chez lui maintenant et éteindre l'alarme ? Il ouvrit brusquement la montre à gousset et appuya sur le bouton latéral, en vain. Aucune des aiguilles ne fit tictac. Elle avait besoin de refroidir. 

Pour l'instant, il devait se sauver ou il existerait plus, et son Moi passé irait dans une sorte de gélule temporelle, à mi-chemin entre un geôle et une cellule coincée en dehors du temps.

Deux voitures bipèrent lorsqu'il appuya sur le bouton de déverrouillage de l'alarme de sa bagnole : celle de sa DeLorean dans le parking de son immeuble et le bip atténué d'une autre plus loin dans les parages. Kévin resserra sa ceinture de sécurité, puis mit le contact. Il parcourut en mode rembobinage le même itinéraire que le chauffeur Uber qui l'avait ramené devant chez lui, remarquant cette fois une voiture salement amochée de la même marque que la sienne garée à moitié sur le trottoir. Pas le temps de penser aux doublons. Il changea de braquet et accéléra sur la route.

Dix minutes de route plus tard, il rattrapa la bagnole des deux flics. Il ralentit derrière eux et regarda le paysage du coin de l'œil. Il fallait leur rentrer dedans au même endroit que la première fois, n'est-ce pas ? Ce serait l'endroit où son Moi passé finirait par sortir en rampant de leur caisse et à attendre son chauffeur Uber.

La DeLorean accéléra avec un rugissement. Comment s'est-il vautré la dernière fois ? Leur voiture s'était retournée, n'est-ce pas ? Il ne voulait pas se tuer en faisant ça. Il appuya sa tête contre l'appuie-tête, ses doigts tendus contre le volant.

Ah ouais ! La petite fliquette bourrée lui avait dit quelque chose quand il s'était réveillé sur leur banquette arrière la dernière fois. Quelque chose sur la façon dont ils savaient qu'il allait leur rentrer dedans ! Il appuya sur les freins et regarda l'aiguille du compteur de vitesse baisser à toute berzingue. La voiture devant lui fit une embardée, s'écrasant contre son capot, l'impact brisant son pare-brise. Des éclats de verre détachés lui perforèrent le visage. 

Kévin se débarrassa du bourdonnement dans ses oreilles et se cacha sous l'airbag qui se flétrissait. Il ouvrit l'antique montre à gousset, cliquant et recliquant sur le bouton encore et encore. Aucune des aiguilles ne bougea le petit doigt. Elle avait encore besoin de refroidir.

" Pas un geste !" lui gueula le flic.

Kévin tenta immédiatement de reculer la montre à gousset de quarante-cinq minutes. Rien se passa, elle avait encore besoin de refroidir. "Tu vas marcher, bordel," marmonna-t-il, "merde." Il la régla sur une demi-heure en appuyant sur des boutons qu'il ne comprenait pas. La montre à gousset cliqueta dans sa paume. L'air se déforma et un pop assourdissant résonna dans ses oreilles. La nausée le frappa comme un semi-remorque alors qu'il faisait un saut dans le temps.

Il vomit sur l'airbag qui se dégonflait. Le sang coulait de son nez et s'accumulait dans ses oreilles. Il s'essuya le visage avec les poignets de sa veste en cuir qui se retrouvèrent maculés de sang. 

L'horloge de la DeLorean indiquait 2h18 du matin en chiffres rouges.

Vite vite. Il allait devoir se magner le cul pour s'arrêter lui-même. Assez vite pour pouvoir couper l'alarme de son réveil. Dans le pire des cas, il pourrait faire voyager la première version de lui-même pour le faire. 

Une nausée lui parcourut le système limbique et digestif.

Il fit faire un demi-tour à sa voiture, des éclats de verre pleuvant sur l'asphalte, et appuya du pied sur la pédale d'accélérateur. Il croisa le maudit chauffeur d'Uber qui roulait vers le lieu de la collision. Kévin cracha du sang sur ses mains – il n'avait jamais sauté deux fois en une même heure. Sa tête ne pouvait pas s'arrêter de tourner, et les mouvements de la voiture ne l'aidaient pas. 

Plus et il s'effondrerait. Il serait mort à coup sûr. Il gara la voiture, à moitié à cheval sur un trottoir, à cinq minutes à peine de son immeuble. Trop tard pour réinitialiser l'alarme, mais il pourrait encore arrêter son Moi passé si ce dernier acceptait de l'écouter ! Moitié en courant, moitié en trébuchant il se porta à la rencontre de son Moi passé qui sortait juste de son immeuble avec une masse à la main. 

"Retourne chez toi", lui dit Kévin, "va éteindre l'alarme."

L'homme devant lui se figea. La masse tomba sur le bitume et roula dans le caniveau. Son Moi passé l'examina. L'ecchymose sur son front. Les éclats de vitre du pare-brise coincés dans ses cheveux, le sang collé sous son nez et ses oreilles. Kévin ne trouva pas les mots,  pas les bons mots pour s'expliquer-

" Qu'est-ce qui s'est passé ?" demanda son Moi passé.

Black-out intellectuel.

" Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Kévin.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda son prédécesseur.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? redemanda Kévin.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?" demanda à nouveau son prédécesseur.

Des taches noires se glissèrent aux bords de sa vision. Ses membres engourdis et froids, il ne pouvait plus bouger ni penser par lui-même. Il répétait les mots comme il les pensait.

" Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda son prédécesseur.
" Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Kévin.
" Qu'est-ce qui s'est passé ?" redemanda une fois de plus son prédécesseur.

" Boucle rétroactive, Lucie, Tase-le !"
- J'ai oublié mon… euh," rit-elle, " non mais regarde-le, Mehmet ! J'ai pas vu une technologie aussi minable depuis des lustres !"

" Qu'est-ce qui s'est passé ?" redemanda Kévin

Le taser frappa son Moi passé dans le cou. À ce moment, la liberté de pensée et de mouvement revint en un éclair brûlant à travers le corps de Kévin. Il s'enfuit en courant dans la rue. Il trouverait un endroit sûr où se cacher pendant que la montre à gousset se refroidissait, puis reviendrait enfin et éteindrait cette putain d'alarme programmée sur son réveil.

Il s'arrêta pour poser une main sur un lampadaire, la lueur argentée étirant son ombre sur la route. Il ouvrit la montre de poche et ajusta les cadrans. S'il ne pouvait pas éteindre l'alarme, il pouvait au moins s'empêcher lui-même d'essayer de tenter de s'arrêter. Ça empêcherait tout d'arriver. Un retour de plus pourrait arranger les choses.

Deux ombres s'approchèrent derrière lui. 

" Laisse tomber la montre ou je tire", déclara Mehmet.

Kévin appuya sur les boutons, en vain. Elle avait encore besoin de refroidir. Il la laissa tomber sur le trottoir et leva les bras au-dessus de sa tête. La fliquette ivre s'approcha - il pouvait sentir la vodka bon marché dans son haleine - et le menotta. Elle le fouilla et trouva la photo de son ex dans sa poche.

" Cet accident de voiture aurait pu nous tuer", déclara Lucie, " mais nous faisons tout ça pour préserver la foutue chronologie ! J'ai hâte de vous voir derrière les barreaux. Elle retourna la photo dans ses mains, lisant le verso. "Qu'est-ce que c'est ça ? Un mot d'amour ? 
- La raison," dit Kévin, " pour laquelle tout ça est arrivé. Je l'ai trouvée dans mon appartement il y a une semaine."

Elle fourra la photo dans sa poche et regarda son partenaire.

" Je suppose que c'est nous qui devrons l'enlever de chez lui la semaine dernière", lui dit-elle en s'étirant les bras au-dessus de la tête. "On dirait que nous avons encore un voyage à faire, Mehmet." 

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