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22 févr. 2023

726. Psyché, Ô ma psyché...


 
PSYCHÉ, Ô MA PSYCHÉ...

Donc, la dernière chose que je m'attendais à trouver à la Fourefouille était un miroir hanté. Je m'y serais même pas rendu, mais Maryannick avait brisé tous mes miroirs quand nous nous sommes séparés; elle avait juste crié que je lui avais brisé le cœur ou quelque chose dans ces eaux là, mais soyons honnêtes, ce fut pas vraiment si dramatique que ça, j'eus pas à passer trois heures à soigneusement balayer les éclats de son cœur sur le sol de notre appartement. Les miroirs se brisent, pas les cœurs.

Et le fait est qu'elle savait à quel point ces miroirs comptaient pour moi et à quel point je détestais crier. Ce fut fait très froidement. Mon régime alimentaire est extrêmement exigeant et elle savait à quel point j'avais besoin de mon temps libre en solitaire avec mon reflet pour m'entraîner pour mes concours TikTok et Instagram. 
Elle savait tout ça mais le fit quand même, la garce, parce que - eh ben, je veux vraiment pas vous le dire. J'aime pas trop dire du mal des gens, parce que les mauvaises vibes conduisent souvent à de mauvaises pensées, et les mauvaises pensées conduisent à des imperfections cutanées et à des yeux bouffis, exactement le genre de trucs qu'on pouvait trouver sur la tronche à Pinick - c'est le petit nom que je lui avais trouvé parce qu'elle pinait tout le temps et me niquait mes humeurs - mais qu'en aucun cas je voudrais trouver sur la mienne rapport à mes activités sur TikTagram . Bon, et pour être tout à fait honnête, disons qu'elle était aussi parfois pas rien qu'un un peu beaucoup plus chienne que la moyenne.

Le problème est qu'elle était trop centrée sur elle-même au lieu d'être beaucoup centrée sur moi comme qu'elle aurait dû l'être. Elle ne m'écoutait pas, même quand je lui donnais de bons conseils, comme quand je lui disais d'arrêter les oignons parce que ça faisait puer son haleine, ou quand je lui  indiquais laquelle de ses robes la faisait le plus ressembler à une vache laitière (indice : toutes celles de sa garde-robe), ou quand je lui suggérais quels yaourts elle devrait manger pour éclaircir sa peau toute grasse.

Et en retour, elle me criait juste dessus. Franchement, j'ai fait beaucoup de travail sur moi, pour qu'elle puisse se vanter auprès de ses copines : " Regardez ce gars ! C'est mon mec ! Je suis la femme la plus chanceuse de la terre." Était-ce tant lui demander de ne conserver son poids qu'au strict minimum ? Ma parole, c'est pas étonnant que notre relation n'ait pas fonctionné. Comme je le lui ai dit, "Nous sommes tout simplement trop différents." Honnêtement.

Je pense que je suis trop charitable.

Quoi qu'il en soit, je vois donc cette belle psyché sur pied à la Fourefouille. Maintenant, je sais qu'est-ce que vous allez penser si c'est pas déjà fait, le magasin n'est pas réputé pour sa qualité, n'est-ce pas ? Comme par exemple tous ces trucs en plastoc et toutes ces merdes du pays du Xi Jing Ping. Mais voilà le truc. Je passe aussi beaucoup de temps à m'enrichir l'esprit, et ça signifie que je lis de la meilleure philo que celle à BHL ou à Onfray. Et je pense que c'est Socrate qu'a dit: "La beauté n'est que superficielle."

Correct ?

C'est profond. Comme les crevasses dans la peau d'un Shar Pei. Et si Pinick avait pris soin de la sienne rien qu'un tout petit peu, elle aurait pu être belle, elle aussi. Quoi qu'il en soit, ça signifie que les choses qui ont l'air belles le sont. Et cette psyché, laissez-moi vous le dire, était de toute beauté, une vraie pute de luxe, une véritable Pompadour.

Poignées en plastique aussi noires qu'une nuit sans étoiles, support en feutre bordeaux - qui ressemble totalement à de la soie de loin - et des reflets argentés qui ressemblent absolument au même métal. Je peux penser à pas moins de dix-sept endroits dans mon appartement où je pourrai caser ce miroir, et à douze autres de plus où nous pourrions poser ensemble.

Mais alors, pigez ceci. Un miroir doit ressembler à son propriétaire, mais il doit aussi refléter ce dernier, alors je me mets devant et je prends la pose. Et qu'est-ce que je vois dedans quand je m'y regarde ?

Une femme! Une divine créature à la peau caramel en déshabillé terre de Sienne et diaphane et elle est trop de la balle tellement qu'elle est faite de rondeurs.

Et je dis "Houla !" et elle aussi. Moi seul semble avoir entendu sa voix et je suis à peu près sûr d'être certain que les miroirs reflètent pas les voix.

"Il y a un homme dans ma psyché", qu'elle me dit.
- Et je pense que vous serez pas surprise si je vous dis qu'y a une femme dans la mienne." je lui répond. 
Et pire que ça, il y a aucun signe de ma réflexion débonnaire. Même si, à bien y penser en plus d'y regarder, cette femme est à couper le souffle. "Votre peau est parfaite." je lui dis.
- Votre sourire, la perfection", me répond-t-elle. Elle a raison bien sûr, mais c'est agréable d'entendre quelqu'un d'autre que moi me le dire. Quel étrange psyché que nous avons là. Mais elle coûte un bras et je me demande si je pourrais obtenir une réduction.

"Alors dites-moi," me fait-elle, "comment êtes-vous mort ?"
- Quoi?"
- Comment se fait-il que vous hantiez mon miroir ?
- Non," dis-je. "Non non. c'est vous le fantôme.
- Je ne suis pas d'accord." elle me balance. "Je suis bien trop jolie pour être morte."
- C'est bien vrai", je lui avoue. Je passe ma main sur le cadre de la psyché, et elle aussi. Ses ongles sont en excellent état. "Ce serait une perte impardonnable, belle Aphrodite." Elle m'offre un sourire aussi charmant que le mien. 
- Cher Adonis", me chuchote-t-elle en retour. "On se tutoie ?"

Pendant un moment, nous sommes perdus dans la Pastorale de Bach qui sort des haut-parleurs de troisième ordre du magasin. Nous posons nos mains sur les côtés de la psyché, la soulevons puis nous nous mettons à tourner, dansant comme si que nous étions les deux seules personnes au monde – ce qui pourrait bien être le cas. Je me souviens même plus de Minick ou de Pinick ou du véritable nom de baptême de mon ex.

Mais ensuite, je vois quelque chose d'étrange par-dessus l'épaule de la femme miroir. Elle est dans le magasin tout comme moi, mais il y a une grande bannière accrochée au plafond, portant fièrement le logo du magasin - et elle est bleue à lettrines blanches.

" Pourquoi cette bannière est-elle bleue ?" Je demande. " Y a-t-il des soldes où tu te trouves ?"

Elle regarde derrière elle. "Non. C'est juste une bannière Fourefouille ordinaire. Tu sais sûrement que le bleu et le blanc sont leurs couleurs.
- Sûrement pas. Leur couleur est le rouge et or et l'a toujours été. 
- Oh," dit-elle, avec un haussement de sourcil délicieusement calculé. " Comme c'est criard. Dans quel orient rétrograde est-ce que tu vis ?"

Je résiste à lui faire la gueule, car l'air renfrogné provoque des rides. "Eh bien," je lui dis, "rétrograde pour toi, mais vu que c'est toi qu'es derrière ce truc, ça me donne de l'avance."

Elle renifle. "Des mots bien audacieux, venant d'un homme planqué dans un miroir."
- Sauf que je suis pas dans ce miroir.
- Mais si, tu l'es.
- Non c'est toi. De toute façon c'est çui qu'y dit qui y est.
- C'est toi. De mon point de vue."
- De ton point de vue."

Nous nous détournons l'un de l'autre. Je ressens… une pointe d'irritation. Est-ce notre premiere dispute ? Elle est tellement belle que je veux pas risquer de la perdre. Elle pourrait être la seule, même si elle vit très clairement dans un miroir.

"Je pense," je lui dis, "que nous avons pris un mauvais départ."
- Oui. Ce serait tragique de perdre quelque chose d'aussi beau à cause d'un stupide malentendu.

Oui, elle me comprend. Je souris et elle sourit en retour. Son sourire me fait sourire davantage, et mon sourire fait sourire tout le monde davantage, car mon sourire est un art abouti. Mais je dois admettre que le sien l'est aussi, d'une manière post-moderne. Oui, c'est elle, je le sais. Faisons ça correctement.

Je résiste à me racler la gorge, parce que c'est une chose laide à faire, faite par des gens qui ont la gorge laide. Au lieu de ça, je saute dedans à pieds-joints. "Je m'appelle Jo."

Elle halète.

Eh bien, je suppose que n'importe qui peut faire une erreur, et peut-être que le halètement était même un peu adorable. Oh, regardez-moi, me précipitant à sa défense comme un chevalier sans peur ou quelque chose comme ça ! Je suis tellement frappé. Peu importe..

"Je m'appelle Jo moi aussi", me dit-elle.

Ah ben dîtes donc, quelle putain de coïncidence! C'est un beau nom, qui convient à deux belles personnes. Je me demande quel serait le nom de famille de notre joli couple ?

Probablement juste Jo.

"Jo Pétrel ", ajoute-t-elle.

Maintenant, je halète - même si quand je le fais, c'est moins adorable et projette plus une aura masculine de robustesse - parce que - " Mais c'est mon nom!"

Et puis je reste sans voix, et elle aussi. Nous nous regardons juste un instant, et je crains que la magie que j'ai ressentie il y a un instant disparaisse rapidement, comme si que j'essayais de retenir de la fumée.

" Alors tu es moi," dis-je.
- Et tu es moi. Seulement en reverso en quelque sorte.
- En inversé, tu veux dire.
- En opposé. Le fruit d'un monde miroir bizarre.

J'acquiesce. Je ressens une douleur sourde dans ma poitrine, et – Oh ! Pinick avait peut-être raison. Peut-être que les cœurs peuvent se briser. C'est une sensation désagréable, mais curieusement, je me sens pas non plus enclin à briser un tas de miroirs sans raison, ce qui apparait toujours comme une réaction excessive.

"Tu sais, c'est drôle," je lui dis. "Ça me rappelle quelque chose que Patrick Keroyal m'a envoyé un jour par e-mail."
- Ouais, je pense que je sais de quoi tu parles. Seulement c'était Patricia Keroyal, et elle me l'avait dit en personne.
- Ben non, c'était Patrick dans un un e-mail..."
- …sauf que c'était pas le cas, parce que c'était Patricia– 
- Comme tu voudras."

Quelle meuf irritante. "C'est comme cette vieille énigme posée par Socrate. Tu tombes sur un clone de toi-même. Qu'est-ce tu fais? Tu l'embrasses ou tu le tues ?
- Ou tu le manges, d'accord", dit-elle. "Ouais je me souviens.
- Qu'est-ce que tu veux dire, 'ou tu le manges' ? C'est pas dans l'énigme !"
- Si, c'est le cas. Ça l'a toujours été. Et c'était Platon.
- C'est absurde! Peut-être que c'est comme ça que vous, les gens rétrogrades, le faites dans votre monde étrange de miroirs.
- Le vôtre est le monde étrange des miroirs ! Qui fait ses courses dans un magasin à enseigne rouge et or ? Comme couleurs, c'est ringard en plus d'être criard.

Peur de rien, cette meuf. Qu'elle aille dire ça à un biker des Bandidos pour voir !

Elle souffle. je souffle. Honnêtement, les noms pourraient n'être qu'une coïncidence, car il n'y a aucun moyen qu'il y ait une version de moi qui soit aussi frustrante. Quand je regarde ma montre, je vois qu'il se fait tard - Oh ! Et regardez ça, elle vérifie la sienne aussi. Qui ferait ça ? Au milieu d'une conversation avec quelqu'un et elle vérifie l'heure. Je la sens très irrespectueuse envers moi en ce moment.
 
"Bien ?" elle dit. Sa voix est devenue un peu plate. " On compte jusqu'à trois ?
- D'accord."

"Trois", marmonnons-nous ensemble, puis "deux, un".

" Terminé !", disons-nous tous les deux.

"Super," je dis. "Super."
- Assez juste", dit-elle. "Probablement un bon endroit pour se séparer.
- Ouais je pense que oui." Je remets la psyché en place et je la vois faire la même chose avec son visage désormais étoilé en mille morceaux.

Quel putain de connerie. Insupportable.

Le miroir est évidemment cassé à force d'avoir valsé avec Jo et cogné je sais pas combien de rayons et je pourrais certainement obtenir une réduction, mais franchement, j'en ai ras-le-cul de tout ça. La poignée en plastique semble bizarre et, à y regarder de plus près, le faux argent est mal peint. J'ai l'impression qu'il y a une leçon dans tout ça, et j'espère sincèrement pour elle qu'elle l'a apprise.

J'attrape l'un des autres miroirs, m'assure qu'il n'y a personne d'autre dedans que ma gueule somptueuse - ah, il y a ce sourire fringant ! – et je file en direction des caisses.

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