Bienvenue, curieux voyageur

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21 nov. 2021

560. Regarde où que tu mets les pieds avant de causer !



Bon, d'accord. Gourven l'avait dit à voix 
haute, mais il n'avait que sept ans à l'époque et la tête remplie des contes de sa grand-mère lorsqu'il était tombé sur l'anneau de champignons à quelques centaines de mètres de chez lui. Une magnifique clairière parfaitement ronde et spacieuse entre les troncs moussus disposés comme pour les inviter à pousser là et que Gourven aurait difficilement pu manquer sans le faire vraiment exprés.

" J'aimerais qu'elle me laisse tranquille", avait-il prononcé sans y penser tandis qu'il pénétrait l'anneau de champignons, car aucun garçon de sept ans ne veut être constamment suivi par une fillette de trois ans, peu importe combien de fois il avait demandé et même supplié leurs parents de s'occuper un peu d'elle pendant qu'il allait se promener dans le bois. À moins qu'ils ne fassent quelque chose qui pourrait impressionner les Glemarec ou les Tugdoal, les parents de Gourven ne se souciaient pas vraiment de l'élevage en plein air de leurs gamins.

Gourven Calloc'h aimait sa petite sœur. Il n'avait pas vraiment le choix, vu à quel point elle s'accrochait à ses baskets. Mais parfois, à lui parler et l'accrocher par le fond de culotte avec ses petites menottes , à lui causer encore et encore et à lui grimper dessus et à en rajouter une tartine en s'accrochant à ses basques et à parler et à causer et à caqueter comme une oie, ça devenait vraiment trop, et les quelques fois où qu'il avait osé lui dire de fermer son clapet, elle avait juste fait monter la barre un peu plus haut jusqu'à la simili-crise de pleurs accompagnée de ses torrents de larmes. Pire que le caquetage interminable qui l'avait précédée, et ça suscitait alors généralement son exaspération comme la colère de leurs parents.
Donc, non, il n'avait pas pour de bon prononcé les mots en y pensant vraiment, mais le résultat n'avait pas fait la différence.

Il était retourné à la maison alors qu'il pouvait à peine distinguer les lumières des maisons du voisinage s'allumer à travers les arbres. Il avait bien noté l'absence de sa sœur sur le chemin du retour, mais c'était pas étrange, ni la première fois. Tiens, rien que la veille, il lui avait demandé d'arrêter de caqueter, et elle était juste retournée à la maison en courant et en pleurnichant pour aller bouder et se faire consoler par leur mère qui n'en avait rien à secouer. 
Mais quand il avait poussé la porte d'entrée et était entré à l'intérieur, il n'avait pu ni entendre ni percevoir sa voix nulle part.
" Où est Gwyned ?"  il avait demandé.
Sa mère s'était arrêtée de frotter le plat de cuivre qu'elle astiquait en lui jetant un œil par dessus l'épaule. "Et qui que c'est que cette Gwyned ? La fille d'un de nos voisins ?"

Gourven l'avait fixée, s'attendant à ce qu'elle rajoute "je plaisante", malgré le fait qu'aucun de ses parents n'avait jamais été du genre à faire des blagues, même pas pour le poisson d'avril au cours de ses sept années de vie. Quand elle avait continué à le regarder, impatiente, en attendant sa réponse, il avait dit : "Ma petite sœur ? À peu près grande comme ça." et il s'était collé une main juste au-dessus de la hanche pour lui montrer la hauteur de sa tête.
Sa mère avait rigolé en reposant le plat lustré sur le bahut de la cuisine. " Tu serais pas un peu débile pour t'inventer des sœurs imaginaires ? " avait-elle demandé avant de secouer la tête. "Monte dans ta chambre et débarbouille-toi avant de descendre dîner."

Étourdi, Gourven s'était tourné vers les escaliers pour faire ce qu'on lui disait, espérant que ce n'était qu'une farce et qu'il trouverait Gwyned assise dans sa chambre. Mais quand il eut jeté un coup d'œil dans ce qui aurait dû être celle-ci, tout ce qu'il vît c'était une chambre d'amis avec un lit blanc cassé qui n'avait pas une once de personnalité et une commode bien trop grande pour que Gwyned puisse atteindre les deux tiroirs du haut. Il n'y avait aucun signe d'elle nulle part. Pas de jouets. Pas de robes. Pas de fausses ailes de fée.
Les photos d'elle sur les murs avaient disparu. C'était comme si qu'elle n'avait tout simplement jamais existé.

Le temps passa, comme il avait l'habitude de le faire. La mère et le père de Gourven essayèrent de le convaincre d'arrêter avec son étrange délire. Ils tentèrent de le convaincre d'arrêter avec le non-sens imaginaire d'une petite sœur – de grandir et d'être un grand garçon. Sa grand-mère le crut, elle, même si le prénom Gwyned ne lui disait rien du tout, mais elle fût vite fait renvoyée dans sa remise au fond du jardin lorsque sa mère et son père décidèrent qu'elle encourageait trop Gourven dans sa lubie.
Il en fit des cauchemars. Il dût voir des thérapeutes. Tant de thérapeutes au fil des ans, chacun plus déconcerté que le précédent devant le jeune Gourven qui semblait en grande partie aller bien, si ce n'était pour ce délire qu'il avait d'avoir eu une sœur cadette qui s'était évaporée dans le néant parce qu'il avait souhaité qu'elle disparaisse.

Il quittait la maison souvent et pendant des heures, d'abord en marchant le plus loin possible dans la région, puis en allant aussi loin que le lui permettait son vieux VTT rouillé en attendant d'obtenir son permis de conduire, et chaque week-end et vacances scolaires le voyait quitter la maison pour aller s'aventurer dans une forêt ou sur une colline inexplorée ou suivre les méandres d'un sentier de randonnée. Quelque part, n'importe où, qu'il n'avait pas vérifié avant pour voir s'il pouvait trouver un autre anneau de korrigans.
Les champignons étaient abondants, mais jamais le type ou la marque dont il avait besoin.
Lorsque Gourven eut  ses 18 ans, il prépara un sac à dos, monta dans la vieille voiture achetée à deux balles avec ses trois dernières années d'économie et se barra sans se retourner ni même dire à ses parents qu'il partait. Il fit des petits boulots partout où il allait, faisant la plonge, vendant des bracelets faits de ficelle et de bric-à-brac, juste pour se payer de quoi remplir le réservoir d' essence de sa voiture tandis qu'il voyageait d'un bout à l'autre du pays. Au fil des mois, il se familiarisa bien avec la plupart des endroits boisés constitués de plus que quelques arbres.

Cela l'amena jusqu'à ses 19 ans, puis son vingtième anniversaire. Il était à peu près sûr que le bois dans lequel il campait ce soir là n'avait même pas de nom. Il n'était même pas sûr qu'il était permis d'y camper, mais tant que personne ne voyait sa bagnole depuis la route, il pensait que ça irait bien.
Un ruisseau babillait et des feuilles couleur coucher de soleil tombaient paresseusement de leurs branches. La lune était pleine au-dessus de sa tête, et le cercle de champignons blancs partiellement enfouis dans la litière de feuilles se mit a reluire d'argent au clair de lune.
Gourven éteignit sa lampe de poche et s'assit dans la terre à côté du cercle de korrigans.
"Je n'ai jamais vraiment voulu le dire, vous savez," dit-il en s'adressant aux champignons. "Les mots m'avaient juste glissé de la bouche. Je les ravalerais  si je le pouvais."

Il retomba dans le silence. Les champignons ne se manisfestèrent pas. Il ne savait pas s'il s'était vraiment attendu à une réaction de leur part.
"Tu me manques", conclut-il, à genoux après quelques minutes de silence, ses doigts déchirant distraitement une feuille tombée en lambeaux.
"Toujours?"  demanda une voix, incrédule mais affectueuse.

Dans l'esprit de Gourven, sa petite sœur était toujours une petite fille de trois ans, mais quand il leva les yeux, il sut en un instant que l'adolescente debout au milieu du cercle de korrigans était Gwyned. Elle aurait presque 16 ans si Gourven n'avait jamais fait ce vœu.
Il se remit sur ses pieds, mais s'arrêta net après son premier pas en avant.
Grand-mère lui avait toujours dit de se méfier des anneaux de korrigans, peu importe depuis combien de temps il en avait cherché un.
Gourven  la toisa. Gwyned lui rendit son regard, impatiente et curieuse. Finalement, elle lui tendit la main, la lui offrant. "Que vas-tu faire maintenant?" demanda-t'elle.
Gourven prit une profonde inspiration et, d'un seul pas, il fit son choix et pénétra dans l'anneau.

Pendant ce temps, à des lieues de là, à l'orée d'un village paisible, le père et la mère Calloc'h étaient assis, bien seuls depuis le départ de Gourven, leur fils unique, à leur table de salle à manger, achevant leur dîner. La journée avait été calme. Pendant une partie de l'après-midi, Mme Calloc'h avait, par sa fenêtre, regardé les enfants du quartier jouer au jeu de marelle le plus compliqué qu'elle ait jamais vu .
Elle termina son repas dans un silence contemplatif, et alors qu'elle posait sa fourchette sur l'assiette vide, elle demanda : " N'as tu jamais regretté que nous n'ayons jamais eu d'enfants ?"

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