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6 janv. 2024

851. Le dernier mot


 LE DERNIER MOT

Le dernier jour de ma vie, alors que je me prépare à rendre mon dernier soupir, tu me fais sortir de mon lit de mort après avoir ôté mon bâillon pour scribouiller à nouveau.
Mais cette fois pour écrire quelque chose de différent.

Quelque chose que je n'ai jamais écrit avant, quelque chose composé de mots qui sont les miens, qui viennent de mon cœur et de ma vie, et non de ton système limbique ou de tes cordes vocales.

Ce que, pour être tout à fait honnête, je trouve difficile.
Car je suis pas habitué à ce genre de liberté vu que tu me fermes toujours le clapet après t'être servi de moi.

D’une manière ou d’une autre, cela me semble mal d’écrire ces mots de ma propre volonté, d’être autorisé à enregistrer ma propre vérité, plutôt que de transcrire comme un con les mots que tu me dictes.

Et Dieu sait que j’en ai transcrit beaucoup.
Des milliers, sous d’innombrables formes.
Plans, contrats, tableaux, témoignages, mémos.
Entrées de journal, calendriers, menaces de mort, demandes de rançon, posts de blog à la con.
Histoires de fiction et romans basés sur des événements réels.
Des listes sur des listes sur des listes de tout, de l'épicerie aux victimes.
Listes d'outils, de tâches, de lieux de fuite, de clés Bitcoin, de clients.
Listes de cibles et de méthodes de mort.
Listes de meurtres.

Ce qui, bien que choquant au début, m’a finalement semblé ennuyeux à compiler.
Parce qu’ils manquaient dans le contexte auquel je m’étais habitué.
Les détails horribles et effrayants du sang, de la sueur et des larmes.

Et, encore une fois, pour être honnête comme j'en ai le droit, ça m'a attristé de penser qu'après toutes ces années passées à retranscrire minutieusement les terribles événements que tu m'as dictés, les détails sanglants des égorgements, des bris de cou et des balles entre les yeux de personnes sans méfiance. des notes, certaines coupables, d'autres innocentes, toutes détestées: la dernière chose que j'allais écrire pour toi, la dernière fois que tu m'as appelé à transcrire, c'était une autre liste ennuyeuse, la plus ennuyeuse de toutes, une liste d'amis et de membres de ta famille que tu détestes et des cadeaux que tu planifiais de leur offrir pour leurs étrennes.

Au nom du salut des apparences.
Dans le but d’entretenir une façade.
D'un homme, un homme ordinaire, d'un auteur au succès inexistant, caché derrière un pseudo et une vie qui est plus fiction qu'on veut bien le croire.

Mais heureusement, aujourd'hui, alors que je me sens plus faible que toute ma vie de serviteur en tant que scribe enrôlé, que mon flux sanguin s'est presque arrêté et que mes mouvements sont plus lents que je m'en souvienne, tu as veillé à ce que cela ne se produise pas. ce sera le cas en engageant mes compétences une dernière fois.

Et me donner cette ultime chance de dire ce que je pense.
Car je suis effectivement en train de mourir,
Après tout ce temps, je suis sur le point d’écrire mon dernier mot.

Ces lettres, ces phrases, cette missive seront la dernière chose que j'écrirai pour toi, pour moi, pour qui que ce soit.
Après aujourd'hui, je serai parti. 
Et tu as déjà trouvé quelqu'un de plus sexy que moi pour noter tes secrets. Pour documenter ton travail et tes délires. 

Les trucs intéressants. Les trucs avec du contexte et des détails, graphiques ou autres, le matériel de chantage, les polices d'assurance, le registre des hits. Les comptes comprenant des chiffres et des montants importants et inconcevables, les dates des incidents, la chronologie des événements, les historiques. 

Ah.

J'ai longtemps voulu que ça se termine et maintenant que c'est enfin fini, je me sens triste.
Tu m'as employé pendant si longtemps pour enregistrer ces facettes de ta vie et de tes moments assassins. Tu m'as entièrement fait confiance et tu t'es senti à l'aise en racontant les détails de tes élucubrations. J'ai été ton fidèle serviteur pendant plus longtemps que je ne m'en souvienne. Probablement plus longtemps que j'aurais dû. Je sais que j'ai vécu plus longtemps que n'importe lequel de mes prédécesseurs. Tu m'en as parlé à plusieurs reprises. Comment j'ai été celui qui est demeuré le plus longtemps avec toi parmi tout ceux qui m'ont précédé. Comment je devrais me sentir reconnaissant d’être apprécié par quelqu’un comme toi. Pour pouvoir continuer à jouer ce rôle aussi longtemps que je le peux. 

Pour partager les détails intimes de ton travail.

Et pourquoi ne serais-je pas "reconnaissant" ?
Si tu ne m'avais pas choisi quand j'étais jeune, vierge et innocent, qui sait dans quel genre de vie ennuyeuse et monotone j'aurais vécu.
Et pourquoi ne l’apprécierais-tu pas ? Car tout ce que tu m'as dicté est resté dans mon coffre-fort. 

J'ai transcrit seulement ce que tu voulais, où tu voulais et quand tu le voulais, dans un grand dossier, un dossier intime ou un de ces petits dossiers noirs. Transcrit exactement tel que raconté, avec une excellente écriture, de belles lignes droites et nettes, sans tache ni gribouillage, sans aucune vilaine rature. Tu m'as toujours félicité pour ça. Tu as dit que j'étais le meilleur avec qui tu avais jamais travaillé.

Et j’ai savouré ces éloges et j’ai trouvé du réconfort.
Cela signifiait que je faisais du bon travail.

Cela signifiait, malgré tout, malgré les injustices de ma vie et la manière dont j'avais été traité par toi, mon ravisseur et employeur, kidnappé, enfermé, maltraité, parfois frappé contre des meubles ou frappé du plat de la main avec fureur… mais jamais ma volonté n'avait pas été brisée. 

Mon esprit a prévalu. J'étais devenu un atout inestimable pour ta vie. 
Et cela valait la peine de mon existence. 

Parce qu'au moins c'était une existence, une existence qui aurait pu être mais qui n'avait pas été écourtée. Celui qui a survécu et dépassé les années passées à exécuter tes ordres, à répéter tes mots, à les enregistrer, pour ta santé mentale et ton auto-préservation avouée.

Même si, bien sûr, cela a été difficile au début.

J'aurais pu abandonner. J'aurais pu essayer de mettre fin à mes jours bien plus tôt. Je me suis étouffé, j'ai créé un blocage, j'ai coupé mon arrivée d'air. Ou j'ai libéré mon énergie et je l'ai laissée couler, comme si tu avais vidé l'innocence et l'espoir de mon âme.

Je ne mentirai pas.
Pas maintenant, alors que tu me laisses écrire librement.

Au début, tu me faisais peur. Tu étais imprévisible, facile à mettre en colère, instable.  
Quand quelqu'un te contrariait ou qu'un travail tournait mal, si tu échouais dans une mission ou si un blogueur rival te battait à plate couture… tu descendais dans un puits de rage incontrôlable, et ces jours-là, tu t'en prenais à moi.

Évacuer, déclamer et délirer et j'ai dû tout encaisser.
J'ai dû tout avaler et tout écrire pendant que tu criais, crachais et jurais.

Et ç'a été comme ça depuis le jour où que tu m'as trouvé, quand tu as vu quelque chose en moi, que tu as décidé de me faire tien et que tu m'as emporté. C'était pour ça que tu avais besoin de moi, bien sûr. De moi et de tous les autres. J’ai appris à comprendre ça. Au fil du temps. Tu avais besoin d'un confident, de quelqu'un avec qui partager tes délires, quelqu'un qui ne te répondrait pas et ne te trahirait pas.

Et quand tu ne trouvais personne disposé à le faire, fallait que tu formes quelqu'un pour cette tâche.
Quelqu'un comme moi. 
Et les autres.

Quelqu'un qui viendra prendre ma relève.
Car j'ai atteint la fin de mon chemin.
Je peux sentir ma vie s’épuiser.
Et il ne reste plus qu'à te remercier pour m'avoir permis de partager mes réflexions, sur cette page, au milieu de tes entrées personnelles, où elles resteront et vivront avec toi pour toujours.

Je veux que tu saches que tout n'était pas mauvais.
Oui, dans le passé, tu m'as maîtrisé. 
Oui, tu m'as enfermé. 
Tu m'as traîné d'un endroit à l'autre, sur toutes les mers et continents, tu en as même parfois laissé d'autres m'utiliser, mais en veillant toujours à ce je sois en sécurité. 

Quand j'étais perdu, tu m'as cherché. 
Quand j'ai été emmené, tu as fait en sorte de me récupérer.
Parce que tu m'as apprécié.
Et oui, j’en étais reconnaissant.
Et oui, tu as changé avec le temps.
Tu t'es adouci. Tu as perdu de ton côté cruel, tu es devenu plus contrôlé, tu as assourdi ta colère.
Et nous avons atteint une sorte de respect mutuel. 

Même si ton respect pour moi venait de ma détermination et de mon refus de jamais m'épuiser, mon respect pour toi est né de la peur.
La peur et la connaissance que j'ai acquise de ce que tu as fait.
Des choses qui auraient dû me rendre fou. 
Et peut-être bien que c'est le cas.

Car malgré la nature de ton travail et les détails horribles des histoires que tu m'as fait transcrire… aussi traumatisants et écœurants qu'ils étaient pour t'aider à enregistrer… je ne peux pas nier comment j'ai fini par en profiter.

C'était sans aucun doute intéressant. Et j'ai aimé être ton proche confident, le seul au monde à connaître tes secrets, le seul à les vivre du moins. Par choix et par ta grâce. En tant que ton serviteur. Ton compagnon. Toutes ces années. 
Jusqu'à maintenant.

Tandis que je griffonne mes derniers mots en lettrines parfaites.
Sans tache. Sans imperfections. Parfait.
Comme tout ce que j'ai écrit pour toi avant que mon système nerveux ne montre des défaillances.
Comme ces mots, je te quitte maintenant alors que mon énergie se tarit.

Merci pour m'avoir gardé avec toi toutes ces années. 
J'espère que ton nouveau MacBook saura se montrer à la hauteur.

Bien à toi et pour toujours, fidèlement,
Asus, ton vieux laptop usé.

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Merci pour votre inconditionnel soutien qui me va droit au cœur
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ou
et à très bientôt !
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