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27 juin 2023

785. Les mémoires de Sélène


LES MÉMOIRES DE SÉLÈNE

Ma jument, Julie, se tenait paresseusement avec ses rênes tournées lâchement autour de sa poutre d'amarrage, car faut que je vous dise que c'était pas le genre de canassonne que j'avais besoin d'attacher à double tour pour qu'elle reste dans le coin. Des coups de feu avaient été tirés dans les parages sur le coup de midi, et sa queue fouettaient les mouches environnantes, complètement indifférente aux réverbérations des balles occasionnelles sifflant au-dessus de sa tête. Julie était tranquille et prête comme se devait de l'être la monture d'un homme de loi.

Je montais la selle sur le dos de Julie à chaque tombée de nuit et je la conduisais à travers le canyon devant les gloussements des enfants qui montaient dans le ciel étoilé et à travers la ligne de partage alors que je commençais mes patrouilles. Je regardais les enfants de la vieille ville poussiéreuse courir pieds nus avec des bocaux en verre dans les mains, piégeant avec impatience les grains de clair de lune gelés qui flottaient dans l'atmosphère. Les cailloux glacés étaient un effet secondaire de la partition de la planète en deux, retombant au crépuscule comme des ruines de ce qui avait autrefois été l'autre moitié de notre planète. Nous étions déjà habitués à être divisés en deux de bien des façons, vu que nous vivions sur les deux bords d'une ravine. 

Vivre en cambrousse m'a appris beaucoup de choses. Pour un gars de la ville, les balles d'herbes sauvages peuvent sembler une nuisance, mais pour les péquenauds comme moi, c'était un rappel que même les plus robustes ont une chance de se voir envoyer là où le vent les poussent.

La fracture de la planète fut une perturbation de notre existence qui fut alarmante et belle et le souvenir de la façon dont tout cela se passa est encore aussi clair aujourd'hui dans ma mémoire que la couche de crème au sommet d'une pinte de stout fraîchement tirée. Imaginez votre grand-mère entrain de décapiter le cou d'un poulet pour le repas du dimanche. Imaginez maintenant que la tête de l'emplumée reste posée sur le billot tandis que le corps de la volaille se précipite sur le sol de la grange non balayée, sans direction particulière ni sans donner le moindre signe de vouloir s'arrêter quelque part. Comme une tête de poulet, la vie de ma petite ville de la ravine et ce qu'elle allait devenir a été coupée en deux. 

Dès le jour de la scission, la confusion a rempli le vallon avec l'arrivée d'enfants orphelins grouillant dans des vêtements assez démodés. J'avais vu des photos d'enfants habillés comme ça il y a des centaines d'années sur les murs du bureau du maire du temps où qu'y avait encore une mairie. Les longs cheveux des jeunes filles étaient tressés de chaque côté de leur tête et attachés avec des rubans de dentelle noués en ailes de papillon. La plupart d'entre elles portaient des robes imprimées et des bonnets cousus main qui étreignaient leurs visages sales, cachant les poches sombres sous leurs yeux et peut-être des secrets que seul le temps dévoilerait. Les garçons y entraient à grands pas avec leur pantacourts s'élevant à près à dix centimètres au-dessus de leurs chevilles. 
Je m'étais toujours demandé s'ils avaient traversé le torrent au fond de la ravine pour arriver ici, mais le bas de leurs falzards et leurs chaussettes étaient aussi secs que la terre tassée dans nos champs à l'époque. 

J'observai qu'ils avaient tous le même tremblement constant qui circulait dans leurs corps. Le souvenir qui s'attardait le plus depuis le jour de leur arrivée était la façon dont le froid irradiait de leur peau.

La partition de la planète conduisit l'ensemble des habitants du bourg à se planquer dans leurs maisons, me laissant tout le loisir de pouvoir regarder dans les yeux ces orphelins comme s'ils étaient des êtres extraterrestres venus ici pour nous emmener dans l'autre moitié de notre monde désormais partie sur une nouvelle orbite dans l'espace.  

" C'est quoi ton nom, ma puce ?" 
Je me tenais à quelques pas d'elle et pourtant son frisson m'étreignait dans sa froidure. 
" Suzanne Ribeyrol, monsieur."
Ses yeux débordaient comme des seaux d'eau trop remplis à la pompe d'un puits. Il y avait une tristesse en elle qui étouffa ce qu'elle me dit ensuite." Je suis d'ici."

Je grattai la barbe naissante sous mon menton en me demandant comment qu'elle pouvait être d'ici si aucun de nous ne l'avait jamais vue dans le  coin auparavant. 

---o---

Je pus faire héberger les gosses chez des familles tout autour de la ravine en attendant de retrouver un jour leurs vraies familles. Les mois passèrent et certaines choses devinrent claires. Peu importait combien j'interrogeais les enfants, ils répondaient tous et toujours invariablement la même chose à chaque fois.

"Je m'appelle untel... et je suis d'ici."

Leur poser d'autres questions les rendaient plus fous que des serpents à sonnette venant de descendre d'une montagne russe, fous à lier.

Après la première nuit, les enfants se retrouvèrent sous le ciel étoilé à sautiller avec des bocaux récoltant les grains qui avaient commencé à descendre du ciel le jour de leur arrivée. Je supposais qu'ils avaient trouvé ces bocaux dans les caves des maisons dans lesquelles ils vivaient et je pensais qu'il n'y avait aucun mal à les laisser partir à la recherche du peu de joie qu'ils pouvaient recueillir pour eux-mêmes. 

Il y avait quelque chose de poétiquement triste dans le fait que des orphelins recueillaient les grains de clair de lune gelés dans des bocaux comme s'ils attrapaient des lucioles en été. Ils sautaient sur la route avec un bocal dans une main et le couvercle dans l'autre, souriant aux rayons de lune envoûtants atterrissant en toute sécurité à l'intérieur des bocaux en verre. Une fois remplis, les enfants serraient rapidement le couvercle, les fermant hermétiquement. J'ai appris à mes dépens qu'une fois le couvercle en place, ils devenaient impossible à rouvrir. 

J'avais tenté d'ouvrir des centaines de bocaux hermétiquement fermés et jamais je n'avais été en mesure d'en briser un seul. J'avais essayé de les jeter sur le sol depuis le haut des falaises du ravin bien au-dessus du paysage nuageux, à des mètres de haut du lit escarpé du torrent en contrebas et pas une seule fois je n'avais réussi à faire éclater le moindre de ces bocaux.
Les enfants n'étaient pas les seuls envoûtés par les bocaux remplis de clair de lune. Les tractions gravitationnelles étaient le genre de choses que je n'ai jamais pu combattre, et les bocaux ressemblaient à une tentative désespérée d'avoir de l'espoir pour ces enfants. 

Je ralentis Julie en tirant sur ses rênes, mes éperons donnant une pause à ses flancs pour le moment. Elle préférait une démarche lente de toute façon et j'étais heureux de la lui donner. Titouan Le Dantec  aimait courir aux côtés de Julie, la suivant avec facilité. À douze ans, Titouan avait déjà l'ombre d'un duvet blond sur sa lèvre supérieure et des épaules aussi larges que celles de n'importe quel taureau du pays. Il tendit son bras musclé vers moi, m'offrant son trésor de rayons de lune gelés.

"Hé monsieur Antoine, pouvez-vous prendre ce bocal de lune ?
- Bien sûr Titouan, je vais prendre ce bocal. L'un des autres enfants a-t-il eu une chance de l'ouvrir ?"

Je ne voulais donner de faux espoirs à personne et je pouvais être sûr que Titouan garderait ses lèvres scellées comme une bouteille de gnole bouchée à la cire.

Les épaules de Titouan se redressèrent en un haussement d'épaules comme celui d'une marionnette. Un sourire explosa sur son visage, traçant une ligne vers chacune de ses fossettes parfaites. Titouan m'avait dit une fois qu'il voulait être homme de loi comme moi à cause de la façon dont j'avais essayé d'aider beaucoup de ses amis. Le gamin savait quelque chose que j'ignorais et il cachait un secret derrière les mottes de ses joues si étroitement que je croyais qu'il suçait un citron vert.

" Nous avons réuni tout le monde dans ce pâté de maisons et les deux suivants pour essayer. Aucun de nous n'a pu faire bouger le moindre couvercle, monsieur Antoine."

Quand j'étais petit, ma grand-mère marmonnait à voix basse : " À travers les yeux d'un enfant…" comme si que c'était une maxime sur la façon dont les enfants pouvaient voir ce qu'était pas toujours visible. Titouan m'apportait toujours des bocaux pour enquêter et je continuais à les stocker dans mon vieux bureau de l'ancienne gendarmerie. 

Titouan me tendit le bocal et le plaça dans ma main non gantée. Il faisait froid, mais pas le genre de froid qui vous brûle comme quand votre langue se colle à un poteau métallique gelé en milieu de février. Ça me fit plutôt le genre de froid qu'on ressent aux premières neiges en début de saison hivernale. 

Je rangeai le bocal d'incandescence glacée à côté de quatre autres dans la sacoche en cuir attelée à la selle de Julie . 

Je déteste l'admettre, mais les bocaux m'étaient vraiment familiers quand je les tenais, car ils ressemblaient au genre de pots dans lesquels ma grand-mère avait eu l'habitude de faire ses conserves quand j'étais môme. Je secouai la tête au vague souvenir, car ils étaient rares et espacés et ma grand-mère était partie depuis plus de quarante ans maintenant.

"Merci Titouan."

Titouan hocha la tête avec la fierté du travail bien fait, revenant à son groupe d'amis, tapant Suzanne sur l'épaule. Je le regardai lui chuchoter un truc à l'oreille, ses yeux se rapprochant des miens avec une sauvagerie électrique et un savoir énigmatique. Cet échange fit bouillir en moi une curiosité qui me laissa penser que les enfants savaient définitivement quelque chose que je savais pas.

Mes pensées indiscrètes furent interrompues par les enfants qui dansaient ensemble sous le clair de lune magique qui leur pleuvait dessus. J'avais rassemblé les habitants de la bourgade chaque nuit pendant l'année-lumière passée avec pour seule responsabilité celle de veiller sur les enfants. Prenant note des garçons et des filles qui avaient rempli les bocaux, et des notes supplémentaires sur ceux qui avaient tenté de les ouvrir en essayant de trouver une corrélation entre les deux.

Je me demandais si la partition avait provoqué un partage des biens un peu comme pour le sort des enfants lors d'un divorce. Étions-nous les seuls gardiens des enfants désormais ? L'autre moitié de planète avait-elle hérité de tous les hivers et de toute la flotte puisque nous n'en avions plus ou si peu  ? 
Et qu'en était-il des pluies torrentielles ? Je n'avais plus senti de gouttes de pluie sur mon visage depuis si longtemps que je rêvais de sortir dans une tempête de pluie d'été. Les rayons de lune étaient le seul type de fraicheur que nous connaissions encore, et les enfants étaient impatients de les capturer en raison de la familiarité que le clair de lune semblait avoir pour eux.

Le cliquetis des bocaux lunaires révéla les fruits de ma patrouille du secteur avant que je puisse rattacher Julie à son poste d'attelage à l'extérieur de mon bureau. La lumière qui éclairait la pièce grâce aux bocaux scellés ressemblait à des affaires de personnes disparues attendant d'être résolues. Pas besoin de plafonniers ou de lampe de table, l'abondance de bocaux de rayons de lune offrait suffisamment de lumière pour me débrouiller même sans bougies. 

" Qu'est-ce que vous nous ramenez là, monsieur le gendarme ? " 

La voix provenait du seul et unique prisonnier dans la cellule de l'enceinte de ma bourgade, celle de Joseph Grondin. C'était un ivrogne qui parlait souvent de l'avenir comme s'il savait tout et possédait la clé de tout ce qui s'était passé pendant la partition.

" Des bocaux de lune, Jo. Comme chaque nuit, encore des bocaux de lune."
Un petit rire tomba comme une mauvaise herbe de sa bouche, tout sec et râpeux. " Avez-vous eu la chance de pouvoir en ouvrir un, si c'est pas indiscret ?"

J'aurais aimé pouvoir lui donner un oui enthousiaste, mais comme tous les autres soirs, ma réponse fut une fois de plus un non solennel. Je secouai la tête en signe de défaite, ne craignant pas que Joseph parle de mon tempérament à qui que ce soit, car il était toujours dans la cellule.

" Monsieur Antoine, le monde est un peu différent de ce qu'il était, pas vrai ? Parfois, le verre se brise. Parfois, il contient une cargaison précieuse et reste intact. Gardez la tête baissée et vous comprendrez comment que s'ouvrent ces bocaux."

Je savais que Jo était plus fou qu'un zèbre sauvage qu'avait jamais été dressé, mais les mots 'précieuse cargaison' me squattaient la tête. Pas du genre à croire aux prémonitions et aux récits futurs, je décidai sur-le-champ de tester Jo pour voir ce qu'il savait de la raison pour laquelle ces enfants étaient ici.

" J'ai accidentellement laissé tomber l'un des bocaux lorsque j'étais sur le dos de Julie l'autre soir. C'était la chose la plus étrange, Jo, il ne s'est ni cassé ni même fissuré. Il aurait dû éclater en mille morceaux vu la vitesse à laquelle je cavalais quand le bocal est tombé de ma sacoche."

Joseph hocha la tête tout en produisant un sourire malicieux.

" Antoine, tu t'es déjà demandé ce qu'il advenait des souvenirs quand on quittait cet endroit ? Bien sûr, ils peuvent être transmis de génération en génération, mais ce ne sont que des nouvelles de deuxième main. C'est pas les souvenirs d'origine. Je pense que ces cailloux glacés qui tombent la nuit sont des poussières de la lune se purgeant des souvenirs qu'elle peut plus retenir. Je parie que les enfants emprisonnent leurs histoire dans un bocal, c'est tout."

Joseph croyait que son opinion était la vérité et que j'étais assez stupide pour l'accepter comme je le ferais de la parole des Saintes Évangiles. Le clair de lune et la gravité étaient des choses auxquelles je pouvais faire confiance parce que c'étaient des forces qui avaient plus de valeur que le vieux Joseph ivre lui-même. Jo hoqueta et rota alors que sa tête retombait contre les barreaux avec un bruit sourd. Sa tête devait être aussi creuse qu'une barrique avec un son pareil.

"Parlez-moi d'une expérience de pensée, pour ne pas réaliser qu'ils tiennent le bon vieux temps dans leurs petites mains potelées." 

Mes tripes se nouèrent à l'idée de jouer avec des enfants comme Titouan et Suzanne. Ils n'avaient aucun souvenir d'où ils venaient. 

Et si Jo avait raison ?

Ils remplissaient tous désespérément leurs bocaux de lune chaque nuit en vain, et ils ne faiblissaient jamais dans leur désir de capturer des faisceaux de lumière. La partition de notre planète aurait-t-elle pu provoquer une scission des mémoires et des personnes ? Poursuivaient-ils si désespérément la lune afin de retrouver les souvenirs qui leur appartenaient ? 
 
Je m'emparai du bocal le plus proche de moi tandis qu'un frisson me parcourait l'échine. Je le caressai d'une main que je voulais chaleureuse. Une vague de nostalgie s'empara de mes entrailles alors que je regardais l'image des mains âgées d'une femme âgée plaçant des pêches coupées en deux dans des bocaux de la taille d'un litre qui parcouraient les étagères. Je surpris Joseph les yeux brillants et sous le choc alors que les mots résonnaient à travers la pièce.

" Toinou, viens ici et aide-moi à mettre ces pêches en conserves." 

Je cherchai dans les notes dans ma tête les noms des enfants dans le ravin. Thierry, Coralie, Jacques, Lisa, Bilal et tant d'autres, mais il n'y avait pas un seul Toinou. 

De nouveaux sons tournaient autour de moi, un enfant faisant semblant de tirer au pistolet avec sa bouche. 

" Toinou, que penses-tu que tu seras quand tu seras grand ? " 

Le garçon éclata de rire lorsqu'un homme aux yeux aimants lui chatouilla les côtes. Les yeux ressemblaient un peu aux miens, légèrement gris sur les bords et bleu vif au milieu. 

" Ne sois pas stupide, papa, je vais être motard dans la gendarmerie ! Je vais arrêter des criminels !"

 La réponse me frappa comme un coup de dos de poêle à frire en travers de la gueule. Les enfants ne pouvaient ouvrir les bocaux car ils n'avaient pas encore trouvé le leur ! Pendant tout ce temps, les souvenirs perdus des enfants brillaient sur moi chaque fois que je déchargeais les pots de lune dans mon bureau. 

" Eh bien, c'est ce que tu es devenu. Je suppose que je ne suis pas si fou que ça après tout, n'est-ce pas, monsieur le gendarme ? "

Sans réfléchir, je libérai Jo de sa cellule et lui demandai de m'aider à rassembler les bocaux parce que je venais d'avoir une idée. 

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Je poussai Julie aussi vite que le permettaient ses sabots, criant aux enfants de se rassembler dans l'enceinte du bourg. Une fois qu'ils semblèrent tous là, je donnai des ordres aussi rapidement que possible pendant que nous rassemblions les bocaux en un seul gros tas. Leur état gelé pulsait autour de nous tous, faisant chuter la température de l'air de manière significative.

" Titouan, viens ici et aide-moi. Tout le monde fait la queue. Nous allons faire ça un pot à la fois maintenant."

J'ai demandé à Titouan de remettre le pot à chaque enfant à tour de rôle jusqu'à ce que la bonne personne tombe dessus. 

" Monsieur Antoine, qu'est-ce que vous voulez dire ? Comment qu'on saura qu'on a le bon bocal ?
- Crois-moi, tu le sauras, Titouan." 

Titouan me sourit de son sourire à fossettes et se mit au travail. Quarante enfants  tripotèrent le premier bocal, puis cinquante, puis vingt de plus que ça quand c'est finalement arrivé. 

Des rires et des incantations subtiles d'histoires pour s'endormir jouées depuis le bocal illuminé par les mains d'une jeune fille. Les visions d'une enfance perdue, volée, défilaient devant nous remplissant le canyon de lumière et de son. Nous l'avons regardée tourner sur un manège et crier après son chien, Bambou, avec des cris de joie. Les genoux écorchés par les chutes de vélo et les rubans qui flottaient dans ses cheveux s'étaient abattus sur la poitrine des autres enfants dans un tourbillon comme si que je l'avais vue grandir sous mes propres yeux.

Ça a continué avec un garçon qui avait franchi la ligne pour la quatrième fois avec un tout nouveau bocal. J'ai vu un garçon courir avec des amis sur le trottoir alors que la lune les poursuivait dans un pâté de maisons. Ils ont fait une courte pause et ont tendu le cou, leurs yeux verrouillés dans les miens comme s'ils pouvaient me voir debout ici au milieu du bourg entouré d'enfants.

Mes poumons ont momentanément oublié de respirer lorsque j'ai vu qu'il s'agissait de la petite Ribeyrol, Suzanne, et de tant d'autres enfants, mais d'un autre temps, qui me fixaient. C'était étrange de voir deux groupes d'enfants m'observer avec une telle fierté de découvrir que les rayons de lune étaient de vrais souvenirs. Ils m'ont fait un signe de la main avec enthousiasme tandis que la lune les projetait dans la plus belle des lumières, ils semblaient si heureux. 

" Titouan, c'est toi et les autres ?"

Je jetai un coup d'œil aux enfants vivants devant moi quand Titouan me fit un signe de tête entendu. Les rires du souvenir déversèrent leur chaleur sur moi, me libérant du froid dans le canyon. L'un des souvenirs me fit un signe, et son visage était celui du garçon que j'avais vu dans mon bureau. 

C'était moi.

" Salut tout le monde, c'est moi, Toinou ! Regardez-vous, vous avez tous grandi. Je parie que tu te fais appeler Antoine maintenant, pas vrai ?" 

Des sueurs froides me parcoururent la peau et mon cœur se réchauffa. L'étendue de la lune qui recouvrait les toits des maisons la nuit agissait comme un projecteur sur les ardoises, où les étoiles pouvaient danser et s'aligner en une fresque céleste, et les enfants d'hier et d'aujourd'hui purent enfin jouer avec leurs bocaux des mémoires de Sélène.

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