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20 mai 2022

618. Connais-toi toi-même...


C'est l'histoire d'un mec qui rentre dans un bar: "Salut la compagnie ! C'est moi !", beugle-t-il d'un ton enjoué en soulevant son chapeau.
Tout le monde se retourne et soudain, grand silence dans la salle.
Pourquoi ? Qu'est-ce qui s'est passé ???
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Ben... c'était pas lui...
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Joseph Corbusier s'installe confortablement dans sa chaise, espérant que son rembourrage moelleux l'inspirera à se lancer dans son examen tant attendu des plans architecturaux de la résidence d'été de son client.
En rapprochant la chaise de l'écran de l'ordinateur, il sent quelque chose lui gratter contre le genou gauche. En regardant sous le bureau, il aperçoit une enveloppe collée sur le côté.
Ouvrantt l'enveloppe, il tombe sur  un rouleau de film non développé et une note. La note, signée Hervé Lacan, se lit comme suit :
"TA VIE EST UN MENSONGE".

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Kévin Le Cossec, le pèquenot de dix-sept balais responsable du stand Kodack du Centre Leclerc le week-end, se moque de la pellicule de Joseph.
" Waouh, le truc de ouf préhistorique ! Je pensais même pas qu'ils faisaient encore de ces trucs.
- Je suis surpris que vous sachiez ce que c'est.
- Bien sûr que je sais ce que c'est, j'ai vu le frère de mon grand-père en utiliser quand j'étais petit", répond Kévin. " Mais vous allez devoir attendre que mon chef soit là lundi pour le développer. Il a des doigts de fée avec les vieux trucs. Qu'est-ce qu'il y a dessus ?
- Je sais pas. Probablement des plans de vieux bâtiments et de vielles bicoques.
- Vous êtes vraiment sûr de vouloir développer ce truc ? Ça risque de vous coûter la peau d'un bras. "

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Alors que Joseph quitte l'hypermarché, il remarque un homme aux cheveux touffus avec des lunettes de soleil qui l'observe à travers le rétro de sa vielle Peugeot. La vitre côté conducteur est ouverte et l'homme fume un cigare bon marché.

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L'odeur entêtante du cigare déclenche en lui un souvenir. Joseph se souvient avoir vu la même 504 garée près d'une maison verte et blanche à deux étages, un endroit où qu'il est jamais allé.
Joseph sirote son café à la table de la cuisine. Il est sur le point d'ouvrir l'enveloppe lorsque sa femme, Marie, arrive avec un sac de courses, annonçant joyeusement : "On va manger des tacos ce soir !
- Miam. Mon plat préféré. J'attendais ce jour là depuis la dernière fois.
- Comme si je le savais pas ! Tu veux bien nous préparer une paire de tes fameuses margaritas et appeler ça un rendez-vous galant ?
- Je suis tout à fait partant, tant que j'ai des chances de m'en sortir vivant...
- Facile, mon chat, tout va dépendre du nombre de margaritas que je vais m'enfiler dans le gosier", répond Marie en lui faisant un clin d'œil.

Pour tout le monde, Joseph et Marie sont une abstraction, un coupé-décalé total. Leur mariage ressemble plus à un flirt qu'à une relation sérieuse. Enseignante et céramiste, Marie est une grande blonde athlétique grêlée de taches de rousseur qui aime vivre et crapahuter en extérieur. Haut de quelques centimètres de moins que sa femme, Joseph à les cheveux noirs, est trapu, a une voix douce et y a infiniment plus de chances de le voir grimper sur un canapé que dans un cerisier ou sur un canasson.
Joseph lui sourit, toujours incertain de ce qu'elle voit en lui après huit années sans drame.
"Qu'est-ce c'est quoi que tu tripotes ? elle demande.
- Juste quelques vieilles photos de travaux de construction dans lesquels j'ai été impliqué.
- Pouah. C'est lié au travail, mon biquet. Range-moi ces conneries et secoue moi bien le shaker."
Marie fouille dans son sac d'épicerie. "Oh, merde. J'ai oublié le plus important, les tacos ! Je reviens tout de suite. Je vais au Carrefour Market.
- Ta margarita sera prête à ton retour, ma princesse", lui dit Joseph.
- Y a plutôt intérêt,.., et c'est ma reine que je m'appelle.", lui répond Marie.

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Joseph ouvre l'enveloppe. En regardant les clichés, il se demande s'il a la bonne série de photos.
Les trois premières photos affichent une brune souriante aux cheveux longs, aux yeux langoureux et bleu clair, qui envoie des bisous à l'appareil photo.
Joseph est surpris par le cliché suivant, un selfie légèrement de travers. Il a ses bras autour de la taille de la jolie brune. Dans le plan suivant, elle l'embrasse presque à la commissure des lèvres, et y a une grande traînée de rouge à lèvre qui part du lobe de son oreille droite jusqu'au mileu de sa joue.
Une chaude sensation d'intimité l'envahit. "Qui t'es, toi?" demande-t'il à haute voix.
Il sourit à la prochaine série de photos, qui montrent la femme sur une plage portant un grand chapeau mou, des lunettes de soleil et un sourire captivant et affectueux. Elle tient un moulin à vent multicolore dans une main.
Le sourire amusé de Joseph s'efface de sa gueule lorsqu'il voit une autre photo de lui avec la gonzesse. Les deux se tiennent à côté d'une boîte aux lettres devant une maison verte et blanche à deux étages. L'adresse sur la boîte aux lettres indique : " Mr et Mme Lacan " 127, rue de la Raie Publique."

Joseph est également captivé par une photo apparemment anodine d'un gâteau au chocolat avec l'inscription :
"JOYEUX ANNIVERSAIRE ANASTASIE, MA FEMME, MON UNIVERS, MON CŒUR."
Joseph recherche sur Internet la maison et toute trace des Lacan.

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Marie fait irruption dans son bureau, sans les tacos mais tâtonnant entre son portefeuille et sa mallette. " Je viens d'apprendre que je dois donner trois cours ce soir. Je oeux  compter sur un dîner avec toi deux soirs de suite ?
- Je manquerai ça pour rien au monde.
- Super. Garde les margaritas au frigo. Je me sens comme une Zeppeline - gazeuse et explosive. Je t'aime!"
           
Joseph clique sur le dossier de propriété du 127, rue de la Raie Publique. Le dossier indique que la maison appartient aux laboratoires PeuStar. La seule occupante répertoriée est Anastasie Lacan, trente-quatre ans, technicienne de laboratoire chez PeuStar.

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Joseph inspecte son environnement tandis qu'il sonne à la porte.
Verte et blanche. Deux histoires. C'est la même maison sur les photos comme dans ses rêves éveillés.
Il regarde la pelouse bien entretenue, les copieux parterres de fleurs et les pins maritimes environnants, espérant qu'ils feront jaillir un souvenir.
"Qu'est-ce que vous voulez?" demande une voix agréable.
La porte d'entrée vient de s'ouvrir. La brune sur les photos sort sur le perron, le regardant avec méfiance.
Pendant un instant, son regard agité semble s'adoucir, comme si elle le reconnaissait.
"Anastasie Lacan ?
- Bingo, c'est marqué sur la sonnette.
- Je m'appelle Joseph Corbusier. Je sais que cela va peut-être vous sembler flou et peut-être même fou, mais s'il vous plaît, soyez indulgente avec moi. Je pense que nous nous connaissons.
- Je ne vous ai jamais vu de ma vie. 
- Je vais aller droit au but. Nous étions mariés."
Les yeux d'Anastasie s'écarquillent, sa peau pâle devient cramoisie tandis que sa colère explose.
"AVEZ-VOUS PERDU LA TÊTE ? JE NE VOUS CONNAIS NI D'ÈVE NI D'ADAM, MR LE CORBUSIER."
Corbusier tout court". Joseph met la main dans une poche de sa veste et en sort les photos. "Peut-être que vous penserez différemment quand vous aurez regardé ça."
Anastasie feuillette les tofs, s'arrêtant pour étudier les clichés d'elle-même à la plage.
" …la plage de Saint-Jean-de-Monts… , murmure-t-elle.
- Quoi?
- J'ai dit que je vais jamais à la plage. Je brûle trop facilement."
Elle fixe la photo d'eux deux debout à côté de la boîte aux lettres, puis étudie les traits de Joseph.
- Vous avez dû vous donner beaucoup de mal à truquer ces photos", dit-elle. "À quoi jouez-vous, Mr. Corbusier ? Chantage ? Extorsion ? Eh bien, vous vous vous pointez un peu tard, mon ami, mon mari, Hervé, est décédé il y a huit ans.
- Désolé. Toutes mes condoléances. Mais où ça ? Comment ?
- Il a fait une crise cardiaque alors que nous rendions visite à sa mère en Vendée.
- A-t-il été enterré ici ou bien là-bas au pays des ventre-à-choux ?
La question semble confondre Anastasie, qui hésite avant de répondre : " Il est... Il est enterré là-bas.
- Vous avez dit que votre mari est mort il y a huit ans, c'est exact ?
- Oui.
- C'est cette année-là que je me suis marié.
- Avec moi ?
- Non, avec Marie, ma femme."

Les yeux brillants d'Anastasie s'écarquillent. " Je croyais que vous aviez dit que j'étais votre femme ? Vous n'êtes pas seulement fou, Mr. Corbusier, vous êtes aussi bigame. Qui vous a poussé à faire un truc pareil ?
- Personne", insiste Joseph. "Tout est vrai. C'est arrivé."
- Vraiment? Et où nous sommes-nous rencontrés ? Où m'avez-vous proposé le mariage ?"
Joseph regarde fixement Anastasie.
" Allons, Mr. Corbusier, si vous tenez vraiment à me secouer, vous devriez avoir tous vos mensonges préparés et cousus de fil blanc sur le bout de la langue.
- … Je me souviens pas… En fait, pour le moment, je ne me souviens de rien. Je ne me souviens pas si je suis allé à l'université, je ne me souviens d'aucun de mes amis d'enfance, ni à quoi ressemblaient ma mère ou mon père. Tout ce que je sais, c'est que je vous ai aimée un jour, et que je vous aime toujours."

Anastasie rend les photos à Joseph, qui lui chope le bras. La tirant à lui, il l'embrasse.
Anastasie s'éloigne de lui telle une chatte appeurée, son regard est intense mais incertain.
" Vous n'êtes pas mon mari. Il est mort ! , lui dit-elle.
- Essaies-tu de me convaincre, ou de te convaincre, Anastasie ? Je pense qu'il est ironique et approprié que ton nom signifie résurrection.
- Je me fiche qu'il se traduise par ça ou par celui de la déesse de vos fantasmes gratuits. Hervé est mort. Et vous avez eu plus de temps qu'il ne m'en fallait pour que j'appelle la police pour qu'elle vienne vous virer d'ici."
Anastasie referme le clapet de son téléphone et regarde Joseph s'éloigner à reculons, ses yeux toujours rivés aux siens. Appuyée contre la porte, elle tente de se calmer les nerfs.
Fermant les yeux, elle se souvient comment qu'Hervé l'avait embrassée à Saint-Jean-de-Monts.
"HERVÉ! REVIENS!"
Anastasie tentee de courir après Joseph, mais sa voiture a déjà tourné le coin de la rue.
Anastasie fouille le placard du salon et trouve le moulin à vent mulicolore sur l'étagère du bas. En le faisant tourner, elle entend les vagues et son rire se mêler à celui d'Hervé.

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Vincent Kaplan avait pensé que suivre Joseph Corbusier serait un jeu d'enfant. Corbusier travaille à domicile, va rarement quelque part, et quand il y va, il enfreint jamais les limites de vitesse.
Maintenant, il vient de s'échapper de l'allée d'Anastasie Lacan comme si qu'il s'était tenu debout et à pieds-joints sur l'accélérateur.
Après avoir appelé l'une des autres unités pour le faire suivre, Kaplan compose le numéro de téléphone portable du Dr. Alexis Kabuze.
"Ils ont eu des contacts physiques.
- Pouvez-vous la voir?" demande le Dr Kabuze.
Kaplan traverse la pelouse en tirant sur son cigare tout en regardant par la baie vitrée. "J'ai l'impression d'être un voyeur.
- Aucune importance. Pouvez-vous la voir ?
- Elle est assise sur une chaise dans le salon, regardant droit devant elle. C'est étrange. Elle a un moulin à vent en plastique entre les mains.

Le Dr Kabuze se prend le front dans la main, la passant ensuite sur sa calvitie. Prenant une profonde inspiration, il ajuste ses lunettes. Il peut sentir le tic nerveux de son œil droit s'emballer. Agité, il se tourne vers son assistante. "Elle a le moulin à vent que J-12 lui a acheté.
- Je pensais que c'était assez inoffensif pour qu'elle le garde, répond Natacha Polonska.
- Ça a déclenché un autre épisode. De quoi a-t'elle l'air, Kaplan ?
- Comme si elle venait de subir un choc."
Natacha prend le téléphone des mains de Kabuze. " Amenez-la-nous, Vincent. Ramenez-la à la maison."

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Joseph ferme la porte d'entrée, surpris de pas entendre la clameur habituelle de la musique ou la voix de Marie qui chante toujours tout faux et tout de travers.
Il s'arrête dans le salon. Fermant les yeux, il se souvient du toucher chaleureux d'Anastasie.
Des souvenirs s'emparent de son esprit. ... Prenant des photos dans le jardin… Allant à la plage… Achetant un moulin à vent pour Anastasie… Son gâteau d'anniversaire…
Criant le nom de Marie tel un pélerin à Montserrat, il fouille chaque pièce, mais elle est pas à la maison.
Pensant qu'elle est chez un voisin, Joseph se dirige vers le réfrigérateur pour prendre une bière. Il se demande comment il pourra annoncer à Marie qu'il a eu une autre vie, une vie remplie de plus de passion et d'amour que leur propre relation confortable.
Il remarque une enveloppe posée sur la table de la cuisine. Ses mains tremblent lorsqu'il l'ouvre et lit la note glissée dedans.
"Nous avons Marie. Nous n'avons aucune envie de lui faire du mal. Vous vous posez beaucoup de questions sur votre passé. Si vous voulez des réponses, venez IMMÉDIATEMENT aux Laboratoires PeuStar, salle 107 au 328, Bd Alambiqué dans la Zone Sud."

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Joseph jette un coup d'œil aux affiches concises de science-fiction qui bordent le couloir, s'arrêtant devant l'affiche du film "Le jour où que la Terre s'arrêta". L'index droit du personnage principal, joué par l'acteur Tommy Pumpkin, pointe vers la salle 107.
Il passe devant des salles avec des équipements volumineux en forme de cercueils, des civières métalliques stériles, des défibrillateurs et des moniteurs cardiaques.
Une femme aux cheveux blonds et courts et à lunettes portant une blouse de laboratoire et une jupe à carreaux se tient au bout du couloir, lui faisant signe.
Tout en étudiant attentivement Joseph, elle lui ouvre la porte.
" Marie a intérêt à être en bonne santé...
- Ne vous en faites pas, elle est intacte", répond Natacha.

Le bureau regorge de livres sur l'anatomie, la psychologie et les études comportementales.
Un homme chauve à lunettes lui lance un regard pénétrant.
Marie est assise sur une chaise à côté de lui, le regard fixe et l'air absent.
" Vous l'avez droguée ?
- Ne craignez rien, elle ira bien une fois qu'elle sera reprogrammée", répond Natacha.
- Vous d'un autre côté--", dit le Dr Kabuze sévèrement.
- Peut-être devrions-nous procéder lentement, docteur", intervientt Natacha. " Il a déjà dû traverser beaucoup de choses. Je pense que J-12 vaut toujours la peine d'être sauvé.
- J-12 ? ", demande Joseph. " Qui c'est, ce J-12 ? 
- Vous, Joseph, répond le Dr Kabuze.
- Je suppose que le 'J' est pour Joseph. Mais Marie et moi ne sommes pas des rats de laboratoire. Pourquoi nous avez-vous amenés ici ?
- Je vais poser les questions. Où avez-vous trouvé les photos ?
- Je vois qu' Anastasie vous en a parlé, hein ? Je les ai trouvées scotchées sous mon bureau. Elles m'ont été adressées par un certain Hervé Lacan. Et à en juger par les photos, j'ai apparemment vécu sous ce nom à une époque. Quelqu'un a probablement planqué ces photos pour que je les retrouve un jour.
- Vous vous êtes vous-même envoyé ces photos", dit Natacha. "Vous les avez cachées pour vous rappeler un souvenir passé."
Le Dr Kabuze secoue la tête. "Impossible. Il est compromis. Tout comme M-1.
- Qu'entendez-vous par compromis ? demande Joseph.
- Nous vous avons jumelé avec M-1, que vous connaissez sous le nom de Marie. Nous avons implanté des souvenirs de votre vie d'enfant, d'adolescent et de vos années universitaires ", répond Natacha. " Vous êtiez censé oublier Anastasie. Mais que nous vous jumelions avec Marie, avec Cécile, avec Géraldine ou bien Marion, vos souvenirs de votre temps avec A-1, Anastasie, reviennent toujours. Et maintenant, vous avez commencé à laisser des messages et des indices derrière vous pour déclencher ces souvenirs. C'est comme si vous le faisiez intentionnellement."

L'œil droit du Dr Kabuze frémit. "C'est ce qu'il a fait, c'est pourquoi il est compromis.
- Pourquoi dites-vous ça ? Parce que j'ai raté une expérience que vous nous avez infligée à notre insu ? Pourquoi m'avez-vous créé une vie avec Marie alors que c'est Anastasie qu'est la plus bonnarde sur un matelas comme dans la vie courante ? J'aime Marie. Mais j'aime encore plus Anastasie.
- C'est impossible.
- Je sais ce que je ressens.
- Vous n'avez pas de sentiments, insiste le Dr. Kabuze.
- Bien sur que si. Je suis comme n'importe qui d'autre.
- Non, vous ne l'êtes pas. Vous n'êtes pas plus humain qu'une Barbie bleue ", lance le Dr Kabuze. " Vous êtes un être synthétique. Nous vous avons fabriqué."

La réalisation étourdit Joseph, qui serre les poings, dévisageant le Dr Kabuze.
"En fin de compte conte, le cœur de Barbe Bleue s'est avéré plus grand que celui de tous les autres.
- Mais que racontez-vous là, Joseph ? intervient Natacha.
- Je suis conscient de moi. Je ressens de la joie, du bonheur, de la tristesse et du chagrin. Je sens votre frustration envers moi. Et j'ai juste ressenti un choc en vous entendant dire que je n'étais pas humain.
- La conscience n'est pas comme une fleur, J-12", déclare le Dr Kabuze. "Vous ne pouvez pas être construit sans elle puis en développer une soudainement.
- Ah ouais ? Et c'est écrit où, ce truc ?

L'œil du Dr. Kabuze se contracte tandis qu'il laisse échapper un grognement mécontent. Natacha sourit à Joseph avec appréhension, mais demeure incapable de répondre quoi que ce soit.
"Pourquoi nous avez-vous créés ?  demande Joseph.
- La plandémie nous a appris que nous devions pouvoir continuer à mettre de la nourriture sur la table, faire fonctionner nos hôpitaux, décharger nos navires, gouverner correctement, sinon nous périrons en tant qu'espèce. Le gouvernement estime que nous devons nous préparer à un avenir incertain. Nous avons besoin d'un être insensible à la maladie qui peut survivre à un fléau, même à une guerre nucléaire. Nous avons donc essayé de créer des hommes et des femmes synthétiques appropriés. Notre plus grand défi a été d'essayer de résoudre votre incapacité à suivre les instructions ou à conserver des souvenirs implantés.
- Mais pourquoi nous donner des souvenirs ? 
- Parce que ainsi, vous pouvez vous confronter automatiquement à une situation et savoir quoi faire. Mais jusqu'à présent, les seuls souvenirs que vous conservez concernent A-1. Votre mémoire d'A-1 bloque tous nos efforts pour vous programmer.
- Alors, vous allez devoir construire des synthétiques masculins plus performants. Ou moins, je sais pas.
- Nous avons essayé", déclare le Dr Kabuze avec ferveur. "Douze fois en fait."
- Même toute une variété de partenaires plus sexy les unes que les autres n'a pas réussi à changer les résultats", ajoute Natacha.
- Je n'ai pas choisi de faire partie de votre expérience. Qu'est-ce qui vous donne le droit de jouer à Dieu ? Je suis indépendant. Je prends mes propres décisions !
- Non, en fait, vous n'en faites rien, dit le Dr Kabuze.
- Marie et moi avons des emplois. Je parle avec mon partenaire tous les jours.
- Vous ne reconnaissez pas la voix de votre partenaire quand je vous parle ? demande le Dr. Kabuze.
- Marie donne des cours d'art trois fois par semaine.
- Oui, elle vient ici 3 fois par semaine pour sa maintenance. Nous effaçons son souvenir de ces venues ici à la fin de chaque session et la renvoyons chez vous propre comme un sou neuf.
- Elle est aussi une céramiste à succès.
- Oui, mon bureau est plein de ses pièces", dit le Dr. Kabuze. "Quant à Anastasie, nous l'avons programmée pour qu'elle pense qu'elle travaille ici. Nous programmons et surveillons chaque aspect de votre existence.
- Et nos voisins, nos amis ?
- Vos relations avec eux sont réelles", répond Natacha. " Nous devons évaluer comment les synthétiques interagissent avec les humains. Mais nous vous surveillons tout le temps.
- ... L'homme dans la 504 ..., hasarde Marie.
- Et une douzaine d'autres te suivent, Marie, ainsi que chaque mouvement d'Anastasie."

Les yeux de Joseph se plissent. "Est-ce que vous nous regardez faire l'amour ?
- Colère. Il est en colère, Alexis", fait remarquer Natacha au Dr Kabuze.
- Vous savez aussi bien que moi que J-12 a été programmé pour réagir lorsqu'il est offensé. Vous avez écrit le programme.
- Mais la colère n'en faisait pas partie.
- Ce que je ressens pour Anastasie ne peut pas non plus être programmé", dit Joseph. "Je l'AIME.
- Ce que vous venez de dire pervertit le sens même de votre phrase, répond le Dr. Kabuze.
- Non. Chaque fois que je pense à Anastasie, je me sens chaleureux et content. J'ai un souvenir de nous deux à la plage. Je lui ai acheté un moulin à vent.
- C'était une expérience authentique", répond Natacha. "Nous avons pris des photos de vous et d'Anastasie chez vous, sommes allés à Saint-Jean-de-Monts et avons organisé une fête d'anniversaire pour Anastasie afin de voir comment vous réagiriez."
- C'est là que j'ai réalisé à quel point je l'aimais.
- Mais quand nous vous avons séparés à nouveau, Anastasie a mal réagi", dit Natacha. "C'était comme si elle se suicidait. Et peu importe ce que nous vous avons demandé de faire, vos pensées revenaient toujours à ce jour avec elle.
- C'est parce que nous nous manquons", dit Joseph. "Nous voulons être ensemble.
- C'est la réponse, Alexis. Ce jour-là a été une expérience réelle et tangible pour Joseph et Anastasie. Nous devons laisser ces êtres former leurs propres souvenirs, plutôt que de programmer leurs pensées.
- Ce serait comme élever des enfants.
- Joseph a développé des émotions, une conscience et des sentiments. C'est un être sensible.
- C'est absurde ! ", rétorque le Dr. Kabuze avec mépris.
Il se rapproche de Marie. "Regarde ce que tu es, J-12."
Enroulant un bras autour de la tête de Marie, il lui tord le cou, le dévissant jusqu'à que ça clique.
Joseph regarde à l'intérieur du torse sans tête de  Marie: des diodes, des fils et des micro-engrenages qui cliquettent.
"Vous ne pouvez pas ressentir l'amour, J-12. Vous ne pouvez rien ressentir du tout.
- Alors pourquoi que j'ai envie de vous tuer ?"

Avançant rapidement, Joseph enroule ses mains autour de la gorge du Dr. Kabuze. "Vous n'avez pas le droit de jouer avec la vie des gens !"
Joseph ne remarque pas que Natacha s'est faufilée derrière lui. Il laisse échapper un hoquet silencieux tandis que cette dernière lui enfonce une aiguille longue comme un épis de maïs dans la colonne vertébrale.

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Le Dr Kabuze et Natacha observent depuis leur voiture alors que Joseph rentre du boulot.
"En tenant compte des variables, telles que l'amour et l'émotion, pensez-vous que ce nouveau test fonctionnera?" demande Natacha.
- Je suis convaincu que ce sera le cas", répond le Docteur.
Anastasie sort de la maison verte et blanche, courant dans les bras de Joseph.
"Bonne chance, Joseph", soupire le Dr Kabuze.

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Merci pour votre inconditionnel soutien qui me va droit au cœur
... ainsi que dans ma tirelire
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et à très bientôt !
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