LES SAIGNEMENTS DE L'HYPERESPACE
Zorb sentit ses cinq podes trembler lorsque son vaisseau força la barrière pour jaillir de l’hyperespace en crachant des étincelles, son estomac noué d’excitation. Une planète bleue et brumeuse flottait devant elle, son éclat pulsant comme un secret. Pas de temps à perdre. " Scanne la planète !" ordonna-t-elle à l’ordinateur, sa voix vibrant d’impatience.
Un bip strident déchira le silence. Une forme de vie massive, à sang chaud, venait d’être détectée. Zorb vacilla, ses bras ondulant frénétiquement, ses cœurs tambourinant . Une vie aussi vite repérée ? Cette planète grouillait peut-être d’espèces en lutte, un creuset où l’intelligence pouvait éclore. Découvrir que les Astérii n’étaient pas seuls dans la galaxie ferait d’elle une légende, ce serait sa découverte, gravée dans l’histoire. Ses cœurs battaient à tout rompre, elle pouvait presque goûter la gloire.
Les scans complets prendraient du temps, mais cette créature était une opportunité immédiate. Et si c’était eux ? L’espèce dominante, pensante et intelligente, à un pas du premier contact ? Zorb se rua vers la chambre à spécimens, ses podes claquant sur le sol métallique. Tout était en place et semblait prêt… jusqu’à ce qu’elle remarque des traînées rougeâtres sur le sol et les parois. Un liquide ferrugineux ? De la rouille ? Une fuite ? Elle siffla de rage. La maintenance stellaire avait encore bâclé le travail. " Nettoyez-moi tout ça ! " aboya-t-elle. Les épurateurs se mirent à bourdonner, effaçant les taches. Le protocole exigeait une stérilisation totale, mais retourner à la base ? Impensable, hors de question. Pas maintenant ! Pas si prés du but...
La chambre luisait, immaculée. Zorb verrouilla les coordonnées de la créature et activa le téléporteur.
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Aux alentours d'un campement près d'une ville de Vendée, l’air mordant de la nuit caressait le visage mal rasé de Barnabé qui effectuait son tour de garde, ses narines emettant des volutes blanches. Sa companie, sous les ordres du Comité de Salut Public, faisait la chasse aux insurgés royalistes et il se trouvait que les femelles de ces derniers étaient vraiment trop bonnes. La veille, il avait trucidé quatre jeunes péquenots à grands coups de baïonnette et violé deux donzelles qu'avaient même pas douze ans. Il sifflotait de contentement, ses bottes crissant sur l’herbe, quand une lumière aveuglante déchira l’obscurité. Un bourdonnement sourd vibra dans ses os, comme un essaim d'abeilles géantes. Il cligna des yeux, ébloui, et sentit son corps s’alléger et s'arracher du sol. " Qu’est-ce que… " Ses pieds quittèrent le sol. Il hurla, griffant l’air, ses bottes s'agitant dans le vide alors qu’il s’élevait dans un abîme scintillant.
Puis le silence s'abattit et tout s’arrêta. L’obscurité. Barnabé rouvrit les yeux, le cœur battant à tout rompre, à la limite de l'explosion. Rien. Juste une surface froide et lisse sous ses doigts. Il la cogna, encore et encore. " À l’aide, citoyens ! Y a quelqu’un ? Au nom de la République, sortez-moi de là !" Sa voix tremblait, avalée par le néant.. Un bourdonnement menaçant emplit l’air, et ses bras se figèrent, paralysés, cloués par une force invisible. Il hurla de plus belle, un cri primal lui déchirant la gorge, exprimant la terreur qui lui tordait les tripes.
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Zorb scruta la créature, perplexe et déconcertée. Cinq appendices, comme les Astérii, mais difformes, grotesques, asymétriques. Deux longs en bas, deux longs en haut, et un appendice grotesque, hérissé de poils, percé d’un orifice qui crachait des vibrations frénétiques. Un système sensoriel primitif ? De l’écholocation ? Elle plissa ses senseurs. La créature s’agitait, martelant les parois de la chambre jusqu’à ce que Zorb active un rayon de stase. " Calme-toi, spécimen, tiens-toi tranquille" murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour l'agité qui se tenait là.
Un scan rapide du torse révéla des organes banals et primitifs : une pompe à fluide, un sac digestif, deux poches de gaz. " Pas de réseau neural, pas de cerveau central", murmura-t-elle à l'intention d'un microphone. " Juste un cordon nerveux le long d’une colonne osseuse. Pas d’intelligence.", conclut-elle, déçue. Tant pis. Cela autorisait un examen plus… approfondi. Les lasers chirurgicaux s’allumèrent, traçant une incision nette à travers ses vêtements dans l’abdomen. Les vibrations de la créature explosèrent, des cris si perçants qu’ils firent trembler les cloisons... Un réflexe, sans doute.
Zorb extirpa les organes un à un avec des rayons tracteurs, fascinée par leur simplicité. La pompe battait encore, elle palpitait, le sac digestif frémissait. À chaque extraction, les vibrations sonores de la créature s’intensifiaient, presque désespérées. Soudain, la créature brisa le rayon de stase, les extrémités de ses appendices supérieurs fouinant à l'intérieur de l’incision. Des giclées de sang éclaboussèrent le sol et les cloisons – identiques aux taches rouges que Zorb avait trouvées dans cette pièce avant d'y téléporter la créature. Zorb tressaillit. Une coïncidence ? Elle renforça le rayon, immobilisant le spécimen.
Intriguée par la colonne osseuse, elle scanna l'appendice poilu qui la surmontait. Et là… un éclair de panique... le choc. Un cerveau. Massif, complexe, saturé de neurones. Une analyse plus pointue confirma l’impensable : une neuroanatomie comparable à celle des Astérii s'affichait sur la console. Cette créature pensait. Elle était consciente. Et Zorb l’avait éventrée et éviscérée vivante.
La panique la submergea. Si le Conseil scientifique découvrait ça, elle serait finie – brisée, exilée, ou pire, emprisonnée. Sa découverte, son triomphe, tout partirait en fumée, tout serait réduit à néant. Elle devait effacer cette erreur. Elle devait agir vite. Tout de suite.
Avec des gestes fébriles, Zorb replaça les organes à la hâte, referma les incisions, recousit et nettoya le liquide rouge sur ses vêtements. Elle lança un effacement de mémoire sur la créature, priant pour que ses neurones soient compatibles avec la technologie Astérii. Puis, elle la retéléporta à la surface de sa planète, effaçant toute trace de son passage.
Mais ce n’était pas fini. Les journaux de bord. Ses propres souvenirs. Lors du débriefing, ils fouilleraient son esprit et les archives du vaisseau. Elle serait trahie. Il n’y avait qu’une solution : tout réinitialiser. Zorb programma un saut en hyperespace pour revenir à l’instant précis de son arrivée, synchronisant l’effacement de sa propre mémoire et celle des journaux de bord. Elle émergerait, croyant découvrir ce système pour la première fois.
Ses podes tremblaient lorsqu’elle entra la commande. Une dernière pensée la frappa : ces taches rouges… d'où étaient-elles venues ? Avaient-elles toujours été là ? Avant qu’elle ne puisse y réfléchir d'avantage, le vaisseau plongea en hyperespace et l’obscurité l’engloutit.