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11 déc. 2022

700. Le Fuyard

 

 LE FUYARD

Moïse l'androïde jaillit de son labo et se dirigea vers la fontaine à eau, où quelques sept cents soixante-trois autres employés, tous cadres supérieurs de haut rang, étaient rassemblés. Ils étaient tous entrain de se fendre la gueule et tout le monde portait des chapeaux pointus multicolores, des gibus dorés ou des perruques de clown aux couleurs de l'arc en ciel, fumait des cigares et buvait du champagne. Tout le monde, sauf Moïse l'androïde.

" Androide Moïse !" gueula le PDG Abhékasis. Les autres employés se mirent à l'applaudir et des mecs du service comptabilité se mirent à souffler dans leurs serpentins siffleurs.
" Androide Moïse !" cria de nouveau le président de Phanosi RoboPharmaceutique. " Votre remède contre l'hypercancer fonctionne parfaitement ! Cela a sauvé des millions de vies !" Encore une fois tout le monde se mit à battre des mains. "Plus important encore, cela nous a tous rendus millionnaires !" Une acclamation encore plus forte emplit la salle.

" Vous organisez une fête les gars ?" demanda Moïse. "Personne m'a prévenu qu'il y avait une fête."

Le PDG Abhékasis éclata de rire. " Non, Androïde Moïse, pas du tout ! C'est juste une, euh, comment dire ?", et il se mit à scruter la salle à la recherche d'une idée.
" Pause café !" proposa Lancien des Ressources Humaines.
" Un pousse-café", déclara le PDG Abhékasis. "C'est tout ce que c'est.
- Pause café, monsieur ", le corrigea Lancien.
" Peu importe", déclara Abhékasis.

"Oh", s'exclama l'androïde Moïse, ses épaules s'affaissant.
" Alors qu'est-ce qui t'amène ici, Androïde Moïse ? On se fait juste une pause ?" Puis les yeux du PDG Abhékasis s'écarquillèrent et le silence tomba sur la salle. Il murmura, tremblant d'énergie : " Ou bien nous aurais-tu inventé quelque chose de nouveau ?
- C'est ce que j'ai fait, monsieur !"

Une autre acclamation, au moins deux fois plus forte que la précédente s'éleva sous le plafond, et Cassard, de la sécurité, tira une praline de son 9mm dans ce dernier pour la faire taire.
" Et qu'est-ce c'est quoi que tu nous a inventé ce coup ci ?" demanda le PDG Abhékasis.

L'androïde Moïse regarda ses collègues – ses amis ? – et constata leurs regards expectatifs. Ils frissonnaient d'excitation, et tout le service comptable était embourbé dans une crise orgasmique qui leur montait au moins jusqu'aux rotules des genoux. Il vit leurs flûtes à champagne et se tint quasiment pour certain qu'elles ne contenaient ni café ni Champomi. Il soupira.
" J'ai inventé une cellule électrique bon marché, puissante et respectueuse de l'environnement", dit-il d'un ton monocorde, "qui dure effectivement éternellement." Ses épaules s'enfoncèrent plus profondément. " Fondamentalement, une source d'énergie puissance et gratuite à durée illimitée pour tout le monde."

Tout l'étage faillit partir en cacahuète et le PDG Abhékasis s'exclama : " Nous serons tous milliardaires !" Lorsque la fanfare de vuvuzuellas commença à jouer après que le nombre à dix chiffres eut été prononcé, Moïse se retourna vers la porte contre laquelle il était adossé et se réfugia à l'intérieur de son laboratoire, ne voulant pas voir ses circuits endommagés par les effusions de joie hystérique.

Il ne put trouver le sommeil cette nuit-là, et juste après deux heures du matin, il sortit de sa station de chargement et dans la salle de bain du troisième étage. Là, il se tint devant le miroir en pied.

Ses servos vrombirent tandis qu'il passait ses analogues de doigts sur la plaque frontale sans relief soudée à sa tête. Il examina son châssis squelettique, avec son espace négatif où d'autres humains conservaient leurs organes, avec ses câbles à code couleur visibles entre ses articulations, avec la finition chromée. Il plaça ses deux mains sur sa poitrine et sentit la chaleur réconfortante de sa batterie à fusion nucléaire.

Puis il soupira profondément, et vit son reflet soupirer aussi. Un spectacle si triste qu'il ressentit un tremblement dans son actionneur dorsal.
Il tendit une main timide vers le reflet, et elle se tendit vers lui, et quand leurs doigts se touchèrent, ses capteurs ne lui indiquèrent rien d'autre que du verre froid, il se sentit étourdi.
" Pourquoi ne t'invitent-ils jamais à leurs fêtes ?" demanda-t-il au reflet. Pas de réponse.
" Pourquoi ne t'aiment-ils pas ?"

Plus de silence.

La réflexion n'était pas compatissante. C'était se moquer de lui. Ou peut-être était-elle compatissante, mais elle ne voulait pas de sa pitié. Avec le sifflement de ses muscles pneumo-bioniques, il frappa le miroir, redécorant ce dernier de fissures rayonnantes, à l'image des particules bêta émises par le cœur de sa CPU.
" Tu n'es même pas humain, n'est-ce pas ?"
Le reflet éclaté garda le silence.

Son alarme de proximité lui indiqua qu'il y avait quelque chose sur l'évier à proximité, et il remarqua que quelqu'un y avait laissé une trousse de toilette. Il fouilla dedans et en sortit un bâton de rouge à lèvres.
Il marcha jusqu'à son double fracturé.

"Peut-être qu'ils vont t'aimer maintenant."
Il se fit deux frottis enfantins là où auraient dû se trouver ses yeux, et traça une ligne droite pour ses lèvres. Mais comme il avait pas de lèvres et que sa plaque faciale était convexe, elle se refléta comme un "U" dans le miroir. À l'envers, les deux pattes vers le bas comme si qu'il faisait le poirier.

Puis il entendit une chasse d'eau provenant de l'une des toilettes. Un instant plus tard, la porte d'un des cabinets s'ouvrit en claquant et la grosse Brigitte, du service expéditions, sortit sa silhouette surgonflée. Ses yeux étaient troubles, il y avait une cigarette à moitié finie enfouie dans un cocon de salive au coin de ses lèvres et un morceau de papier-cul accroché à son débardeur.

Elle rota, grimaça devant le miroir brisé tout en rajustant son soutien-gorge, et se dirigea vers le lavabo.
" Oh, mon Dieu, ma tête," marmonna-t-elle. "Oh, hé androïde Moïse - Nom d'une pipe !" Elle sursauta en voyant son visage. " On dirait que t'as bien picolé, toi aussi !"
Elle fouilla dans sa trousse à ravalement de façade et récupéra un flacon de pilules holistiques. " Mec, j'adore ces petits cachous. Tous les effets que je veux, et aucun d'indésirable.
- Euh", déclara Moïse. " Je les ai conçues pour aider les gens à devenir sobres, pas pour doubler leur cuites."
- Ouais, eh bien," dit-elle en en gobant quelques unes. " Ce n'est pas comme ça qu'elles sont commercialisées. Et de toute façon, c'est plus amusant.
- Oh", déclara Androïde Moïse. " Brigitte ?
- Ouais?
- Est-ce que je suis beau ?
- Lol," marmonna Brigitte, réprimant un rot tout en essayant de pas le regarder en face. " Disons que t'es surtout plutôt génial, c'est surtout ça que tu es, mon pote.
- Oh. Brigitte ?
- Ouais. Quoi encore ?"
- Suis-je -", commença-t-il, puis il hésita, faisant claquer ses doigts l'un contre l'autre. " Je commence à soupçonner… euh. Dernièrement – Brigitte, suis-je humain ?"

Brigitte laissa échapper un long sifflement nasal. Elle leva les yeux vers l'endroit où auraient dû se trouver ceux maculés de rouge à lèvre  de l'androïde et posa une main charnue sur son épaule en titane, serrant les doigts sans réussir à creuser le métal. "Non, androïde Momo, tu ne l'es pas. Tu es un androïde."

Le lendemain, lorsque le PDG Abhékasis entra dans son bureau après l'heure du déjeuner, Androïde Moïse fit poliment irruption dans la pièce en marchant sur ses pas.
" Monsieur !
- Androïde Moïse !" Le PDG Abhékasis se pencha en arrière sur sa chaise, posa ses pieds sur son bureau et alluma un cigare. "Quelle belle surprise ! As-tu fait une nouvelle percée? Mon Dieu, tu donnes une sacrée séance d'entraînement à notre service marketing." Il rit.
- En quelque sorte, monsieur. Il a été porté à mon attention que, eh bien, que je n'étais pas humain."

Le PDG Abhékasis laissa échapper un jet de fumée, puis tapota ses cendres sur le tapis autonettoyant inventé par Moïse.
" Androïde Moïse, mon pote, allez", dit-il. " Qu'est-ce que tu me racontes là ? Bien sûr que tu es humain.
- Je n'ai pas de peau.
- C'est juste qu'elle est un peu burinée, t'en fais pas pour si peu.
- Je ne consomme pas de nourriture.
- Non mais tu t'entends parler, espèce de vantard ? Je connais un tas de grosses salopes qui tueraient pour moins que ça.
- Si je bois de l'eau, j'explose.
- Et  moi, si je bouffe un cassoulet, je pète, et ça pue grave.
- MONSIEUR! Veuillez prendre ce que je vous dis au sérieux !"

Le PDG Abhékasis éteignit son cigare et ôta les pieds de son bureau. "Bien. Il y a clairement quelque chose qui te turlupine. Écoutons ça.
- Je ne suis pas humain, n'est-ce pas, monsieur?"

Le PDG Abhékasis grimaça, secoua sa main d'avant en arrière. "Tu es comme un humain. Je te considère comme faisant partie de la famille de notre entreprise.
- En quoi suis-je comme un humain, monsieur ?
- De toutes les manières qui comptent.
- Puis-je avoir un chèque de paie?"

Le PDG Abhékasis rigola si fort que s'il avait pas eu des implants, il se serait à coup-sûr étranglé avec son dentier. "Pourquoi faire ? Que ferais-tu avec de l'argent ?
La question prit Moïse par surprise. "Je pourrais... acheter du pain, je suppose.
- Allons, Androïde Moïse. Tout ce dont tu as besoin, tout ce que tu peux souhaiter, tu l'as déjà. Dans le laboratoire. Tu aimes le travail. Tu as été conçu pour aimer ton travail.
- J'ai juste l'impression de ne pas vraiment faire partie de la famille. Comme si vous m'utilisiez juste pour vous faire gagner de l'argent.
- Oui!" Le PDG Abhékasis frappa la table du plat de la main. "C'est exactement ça. Tu es un outil que j'exploite à des fins lucratives. Et alors ? Ni plus ni moins que la même chose que le reste de mes employés. Content que ce soit réglé alors. Y avait-il autre chose, vas-tu te remettre au travail maintenant ?"

L'androïde Moïse réfléchit en silence, ses circuits remplis d'électricité. Finalement, il prit une décision. "Monsieur," dit-il, " je démissionne."

Le PDG Abhékasis gloussa. " Tu ne peux pas démissionner, tas de ferraille. Tu es ma propriété."

Mais l'androïde s'en tapait le coquillard (métallique) qui protégeait son entrejambe. Il courut et se jeta à travers les carreaux de la baie vitrée, mis en route les fusées situées à l'intérieur de ses chevilles et s'envola vers l'horizon. 
Au début, il ne put pas vraiment croire ce qu'il venait de faire, mais quand il vit le monde d'une hauteur aussi vertigineuse, cela lui fit tourner les neuro-terminaux. Et quand il lui vint à l'esprit qu'il n'avait jamais quitté le bureau auparavant, il sut qu'il avait pris la bonne décision.

Il atterrit quelques heures plus tard à la périphérie d'une petite bourgade nommée Langogne, qui n'avait jamais vu rien qui lui ressemblait en dehors de boîtes de conserve ou d'une pompe à essence. Les gens du coin n'y connaissaient pas grand-chose en  chevilles-fusées, mais étaient par ailleurs tout à fait accueillants, et bientôt Bertrand à la station-service locale lui offrit un emploi de technicien de surface.

Ils ne vendaient plus beaucoup d'essence depuis l'apparition des voitures électriques et surtout depuis celles fonctionnant à l'eau  qu'Androïde Moïse avait lui-même inventées, mais ils vendaient beaucoup de commodités. Les étagères étaient remplies de toutes les différentes pilules et gadgets qu'Androïde Moïse avait également inventées pour rendre la vie des êtres humains plus supportable.

Il évitait de regarder les étagères, ne ressentant rien d'autre que de la répulsion, mais il prenait beaucoup de plaisir à balayer les sols. Bertrand lui dit qu'il avait vu beaucoup de meilleurs balayeurs que lui dans sa carrière, mais aussi des pires, et assez rapidement, Androïde Moïse économisa assez d'argent pour s'acheter un petit terrain et une paire de pantalons.

Les premières semaines, il devenait nerveux chaque fois qu'il voyait passer un véhicule et préparait ses chevilles pour un décollage d'urgence. Mais personne ne le harcela jamais, ni ne vint le chercher. Ce fut un soulagement, mais un soulagement aigre-doux.

"Je suppose que le PDG Abhékasis ne se soucie pas tant que ça de sa propriété", se marmonna-t-il en  s'asseyant sur son terrain dénudé. Et puis il lui vint à l'esprit qu'il venait de se parler à lui-même et qu'il se sentait seul, alors il alla sur l'internet de son patron et se commanda un clebs.

Trois semaines plus tard, un camion de livraison d'entreprise Phanosi quitta la route et se gara sur son terrain, et Brigitte du service expéditions en émergea munie d'un presse-papiers. Puis il y eut un aboiement et un joyeux Border Collie bondit hors du véhicule.
"Son nom est Poirot," dit Brigitte " et c'est un fin limier". Puis elle leva les yeux de son bloc-notes. " Oh, Androïde Moïse, quelle surprise !
- Salut, Brigitte. Ça fait longtemps.
- Comment que tu vas ?
- Oh, tu sais, comme-ci, comme-ça.
- Beau pantalon !
- Merci!" dit Androïde Moïse. "C'est moi tout seul qui l'a choisi." Il donna un coup de pied dans une pierre. " Alors. Comment, euh, tout le  monde va-t-il chez Phanosi ? Est-ce que je manque à quelqu'un ?
- Oh," dit Brigitte, exagérant le mot. " Tu sais comment ils sont. Oublie-les."

Il hocha la tête, comme s'il n'en attendait pas moins. Bien sûr, l'attente et l'espoir n'étaient pas exactement la même chose.
" Écoute ", dit-elle en s'approchant de lui avec la laisse du chien. " C'est Poirot. Voici sa laisse. Et puisque que tu as choisi le modèle de luxe, il est déjà pré-formaté.
- Est-ce qu'il parle ?
- Non, Androïde Moïse, Poirot est juste un chien.
- Oui, évidemment, élémentaire, ma chère Brigitte.
- Mais il adore les promenades."

Et au cours des mois suivants, ils en firent, des promenades. Un grand nombre d'entre elles, d'un bout à l'autre du bourg et des environs semi-sauvages. Certains jours, ils passaient toute la journée à marcher, heureux de n'avoir personne d'autre pour compagnie que l'un et l'autre.

Androïde Moïse s'acheta un bermuda et un deuxième terrain, plus petit que le sien et adjacent à ce dernier, puis il y érigea une niche pour son cabot. Quand ils ne balayaient pas chez Bertrand, ils s'asseyaient sur les parcelles et regardaient les couchers de soleil. Cependant, il s'avéra au bout d'un certain temps qu'avec les chiens venaient aussi des dépenses, car selon son manuel d'entretien, Poirot avait besoin de nourriture. Heureusement, c'était quelque chose que Bertrand vendait dans sa station.

Bientôt, personne à Langogne ne se souvint plus d'un temps où Androïde Moïse et son chien n'étaient pas reliés par une laisse.

Et il s'avéra que Brigitte avait eu tort; Poirot parlait. Mais bien sûr, il parlait en chien. Dans un accès d'inspiration, Androïde Moïse inventa et construisit un traducteur de chien, qui s'avéra plus simple qu'il ne l'avait prévu puisque le "chien" était un langage assez limité. Cela revenait à des expressions comme " Salut !", " Bouffe ?", " Copains ?", "Quézaco ?" : Temps, personne, humeur et ironie.

Au-delà de ça, ça lui avait fait du bien d'inventer quelque chose rien que pour lui. Juste pour Poirot. Pas un produit à commercialiser en masse. Il commençait à se sentir comme un vrai membre de la bourgade, comme si que sa vie antérieure n'était plus qu'un mauvais rêve qui s'estompait. Pas littéralement, bien sûr, car sa mémoire était sauvegardée quotidiennement sur le cloud et ne pouvait pas être effacée. Mais c'était sûr que c'était comme ça.

Jusqu'au jour où, trois mois après son arrivée à Langogne, il était sur le point de commencer son service de nettoyage, Poirot le suivant toujours comme son ombre, remuant la queue, quand Bertrand alluma la télé.
" Putain de nom d'une pipe!" s'exclama ce dernier. " Qui pourrait croire ça? Hé, Androïde Moïse, tu passes à la télé !"

Androïde Moïse leva les yeux, la curiosité gravée sur son visage sans traits. S'il avait eu des sourcils, il les aurait froncés, car il ne vit d'abord personne d'autre que le PDG Abhékasis lors d'une conférence de presse. Mais… Bertrand avait raison. Quand l'image se dézooma, Androïde Moïse se tenait juste à côté du PDG Abhékasis, ce qui ne cadrait pas, puisqu'il se trouvait également ici à Langogne avec Bertrand dans sa station service. Mais ensuite, la caméra refit plus de zoom arrière et il y eut un deuxième Androïde Moïse, puis un troisième, puis des dizaines. Des centaines...

"Messieurs!" déclarait le PDG Abhékasis. " Ce que vous avez entendu est vrai. Il y a quelques mois, nous avons eu quelques bugs avec notre prototype, mais tout cela est résolu aujourd'hui. Nous avons imprimé un tas d'exemplaires, et maintenant notre potentiel est illimité !" Une foule hors champ applaudit à tue-tête.

" Qu'est-ce que c'est que ce binz -
- … Chut !", le coupa Bertrand. "J'essaie d'écouter ce qu'y dit."

"Déjà", poursuivi le PDG Abhékasis, "ces petits coquins intelligents ont conçu notre nouveau produit, que je suis si fier de vous présenter aujourd'hui. Ils ont découvert - entendez bien ceci - ils ont découvert comment voyager plus vite que la lumière ! C'est vrai, les amis, nous allons tous partir dans l'espace !" La foule hurla de joie. "Putain," rajouta hors micro le PDG à l'oreille de la Drag-Queen pubère qui l'accompagnait dans son lit tous les soirs, "Je vais être un trillionnaire ! Plus riche que Bill Gates et Soros réunis !"

" Ben dis donc !" dit Bertrand. "J'ai toujours dit à mon père que je mourrais dans l'espace !"

Pour la première et la dernière fois, Androïde Moïse quitta son poste de travail avant la fin de sa séance de balayage. Il traîna des pieds jusqu'à son terrain.
"La vitesse de la lumière? Mais personne peut aller plus vite que la lumière.", marmonna-t-il. Poirot trottait tranquillement derrière lui.
" Mais encore une fois, peut-être que si j'avais un millier de moi, je pourrais le comprendre. Oh, mais on ne peut tout simplement pas imprimer une copie d'une personne !"
Les oreilles de Poirot tombèrent.
" Mais je suis pas une personne, n'est-ce pas ?" Androïde Moïse s'assit lourdement sur le sol de son terrain, et Poirot se recroquevilla à côté de lui, sa queue balayant l'herbe. " Chaque fois que je pense que je dépasse ça, ils me ramènent au point de départ. Je suis un outil, un appareil. Jetable. Remplaçable. La propriété de quelqu'un."

Poirot laissa échapper un long gémissement nasillard. " Copains ?"
Androïde Moïse le regarda. Puis ses capteurs tombèrent sur la laisse enroulée autour de sa main, reliée au collier autour du cou de Poirot. " Oh mes circuits. Je suis aussi mauvais qu'eux." Il se pencha en avant et enleva le collier, puis se dégagea de la laisse, et les lança tous les deux aussi loin qu'il put – ce qui était sacrément loin, vu que c'était lancé avec un bras bionique.
" Oui, Poirot," dit-il en caressant le chien. " Copains !"

Qu'importait la société ? Qui se souciait de ce que pensait le PDG Abhékasis ? Androïde Moïse se leva, et il courut avec Poirot à travers les champs, sauvages et libres, et toute la nuit des aboiements joyeux et des rires mécaniques remplirent l'air et tinrent éveillés les bonnes gens dans les chaumières.

Des mois plus tard, ils étaient assis sur une colline, regardant le dernier des vaisseaux spatiaux décoller. Les androïdes super-géniaux les avaient également conçus et construits, en un temps record, et alors qu'Androïde Moïse regardait leurs culs cracher des flammes bleutées dans l'atmosphère et dans l'inconnu sauvage, il se sentit en paix. Oui, ce n'étaient pas ses inventions, mais il n'en avait pas besoin. 
En effet, il était fier de que ses copies avaient accompli en si peu de temps. Cependant, il dut admettre qu'il était un peu triste que presque tous les humains soient partis. Langogne était désormais une ville fantôme, comme la plupart des villes de la planète.
Au moins, il y avait beaucoup de chiens et ils étaient assez peu inamicaux.

Alors que le dernier vaisseau spatial s'estompait en un point de lumière brillante à l'horizon, Androïde Moïse entendit un vrombissement mécanique derrière lui.
Les poils de Poirot se soulevèrent et il marmonna : " Dégagez de ma pelouse !
- Tout doux, tout doux, mon copain ", lui dit Androïde Moïse, lorsqu'apparut une légion de centaines - peut-être des milliers - de ses copies.

Les copies se regardaient nerveusement, puis elles regardaient vers le sol, puis vers les étoiles. Et elles chuchotaient. " Est-ce vraiment lui ? Est-ce le fuyard ?"
Androïde Moïse attendit qu'elles se calment. "Alors," dit-il. "Ils  vous ont abandonnés ?" Ce n'était pas vraiment une question.
" Ils ont dit qu'ils ne voulaient pas payer les frais de bagage en soute", répondit l'un d'eux.
" Ils ont dit," commença un autre, puis il termina avec un murmure, " qu'on était trop gros pour des bagages-cabine."

Androïde Moïse hocha la tête d'un air sagace. " Et maintenant vous êtes perdus. Confus.
- S'il vous plaît, Mr. Fuyard, pouvez-vous nous aider?
- Appellez-moi ... appellez-moi Moïse.
- Comment avez-vous géré cela, Mr. Moïse ?" demandèrent-ils. "Que pouvons-nous faire?
- Rassemblez-vous, les enfants. Asseyez-vous et détendez-vous. Voyez-vous, je fus comme vous autrefois...

Et Moïse leur raconta son histoire qu'il débuta par celle d'un panier flottant voguant au fil du Nil...

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