"Les rêves sont constitués par les expériences de nos vies, n'est-ce pas ? Mais de quelles expériences parlons-nous ? Comment notre esprit sélectionne-t'il ce qu'il va utiliser comme matière première afin de recomposer, et comment procède-t'il ? Tout ce que nous avons fait a été de nous pencher sur ces questions et de coller les morceaux. C'est tout."
Le Dr Kabuze se trouvait sur le balcon du penthouse de l'hôtel, un verre de Cardhu entre les doigts. Les bruissements du cocktail de fin de conférence filtraient au travers des portes fenêtres brillament éclairées.
La femme en tailleur bleu saphir et Chanel tira une longue bouffée depuis l'embout d'ivoire de son fume-cigarette serti de nacres d'ormeau. "Vous êtes trop modeste, Docteur. C'est une sacrée réussite."
Le regard de Kabuze flotta dans le fond de son verre. "Si seulement le reste des congressistes avaient pu partager votre avis," soupira-t'il. " Mon papier n'a pas reçu l'accueil auquel je m'attendais.
- Oui, c'est bien triste, et vous m'en voyez désolée." Elle s'appuya d'un coude sur la rampe du balcon et le fixa dans les yeux. "Ainsi donc, vous pourriez faire rêver ce que vous voulez à n'importe qui ?"
Il y avait quelque chose dans le regard de son interlocutrice. Kabuze se demanda s'il n'avait pas rougi. "En théorie... Peut-être. Il faudrait que nous sachions tout et en connaissions tant sur les sujets de nos expériences. Les rêves ne sont pas uniquement en rapport avec les stimuli externes. Il nous faudrait en apprendre énormément sur leurs biographies, leurs historiques et leurs passés...
- Qu'en serait-il si vous aviez des dossiers exhaustifs sur chacun d'eux ?
Kabuze haussa les épaules. "Eh bien, nous pourrions tenter le coup. Mais qui serait prêt à nous finan -
- Laissez-moi m'occuper de ce genre de vilain détail," le coupa dans son interrogation la femme, en lui adressant un sourire rassurant du haut de ses talons hauts.
"Quoi ? Comment ?" Kabuze abaissa ses lunettes sur le bout de son nez. "Qui êtes-vous, exactement ?"
La femme écrasa son mégot de la pointe d'un de ses escarpins. " Klindon. Marjory Klindon. De la Billman & Norminda Bates Foundation. Nous sommes en mesure de vous offrir des ressources illimitées et ce qui se fait de mieux comme laboratoire," répondit-elle. "Réfléchissez bien, Docteur. Je quitte Genève demain matin. Et je serai dans le salon Emirates Horizon à 6h00 sonnantes."
Sur ces dernières paroles, elle lui tourna le dos et s'éloigna dans un balancement de hanches à faire palir un métronome de jalousie, et ceci, rappelez-vous - et tenez-vous bien - du haut de ses talons-pointes. Kabuze ne put qu'admirer la prestance.
Et ne trouva rien à rajouter ni rien de mieux à faire que de rejoindre sa chambre pour dormir un peu : Afin de la retrouver à 6h00 dans le salon VIP de Genève-Cointrin, il allait devoir se contenter de rêver d'elle jusqu'à 4h00 grand maximum.