5 août 2020

422. Chacun ses goûts.


J'aime le croassement des corneilles mais pas celui des corbeaux anonymes, j'aime ceux qui parlent haut et clair mais pas qu'on me gueule dans les oreilles, les mots qui ont du sens mais pas ceux qui se croisent, les rébus ou les devinettes. J'aime les riffs à Keith Richard, pas ceux de Rouget de Lisle, les "outils" de ma louve, les commerçants en grève ne vendant que le strict nécessaire, la calligraphie arabe, pleurer de rire. 
J'aime pas les feux de l'amour ni ceux du 14 juillet. Ni les hommes qui me font du gringue. Et j'aime pas celles qui se font ravaler la façade. Elles se croient supérieures parce qu'elles se sont débarrassées de leurs bajoues, pétasses idiotes, en plus ce sont des peine à jouir. Mais j'aime profiter un max de leurs attributs, avec ou sans bajoues, et c'est pas leurs petites gueules qui m'intéressent de toute manière.
J'aime pas les jours de pluie quand y a nulle part où se mettre au sec, et j'aime pas l'hiver quand tout est figé sauf mes ongles qui bleuissent sur le guidon de ma bécane. J'aime pas l'odeur des désinfectants en milieu hospitalier. Surtout quand je suis bourré et que je dois supporter le poids de mes os jusqu'aux urgences. 
J'aime pas les vêtements trop clairs tels ceux d'une mariée ni trop étroits comme ceux de Michael Jackson. Leurs têtes sans maquillage. Les gens insultants, qu'ils se nomment Ferry ou Lévy. 
J'aime les femmes aux jambes longues comme des javelines, la couleur de leur rouge à lèvres quand il est noir et blanc avec des petits volants sur les hanches. Ma vie en une vague, le dernier tango au Balajo. J'aime pas Jules et Jim mais beaucoup Bukowski et Delmore Schwartz, ma louve et son désordre, les airs mis en musique sur ma guitare, m'imaginer ces mêmes airs sur d'autres cordes, sous d'autres doigts. Errer droit devant moi, rêver de cause  avec elle avant que l'effet ne se fasse sentir, l'humidité quand elle est tiède, les amis qui reviennent après de longues années d'errance, inventer des histoires sans en être le héro, le risque, ses yeux bleus. 
J'aime pas "l'homme qui n'a jamais été là", l'homme loup à la recherche de ma panthère, j'aime pas les sourires empaquetés ou agressifs ni le Paris des bobos et des tarlouzes du Marais. J'aime pas les compromis, sauf ceux concernant l'amour, ma peau, qu'on me dise ce que je dois faire. 
J'aime pas ne pas pouvoir éviter de voir le verre vide plutôt qu'à moitié plein, la recherche incessante, aimer ne rien faire, ne pas vouloir la perdre, la perdre, ne rien pouvoir faire, ne rien faire pour y remédier. 
J'aime pas que les choses me déplaisent et encore moins cette société syphilisée. J'aime les Arcos da Lapa, la Praça da Cruz Vermelha, Ipanema et Rio en général. J'aime pas les bandes de Trans de Copa Cabana mais j'aime beaucoup Bolsonaro.
J'aime pas ceux qui humilient les autres, qui se croient supérieurs, les gens pédants. J'aime pas quand ils me hérissent les poils et me donnent des envies de meurtre. 
J'aime toucher du doigt la peau des femmes puis le lécher à leur insu. Qu'on m'ouvre les bras mais seulement en hiver. Me sentir tout nu dans des draps étrangers au petit matin aux côtés d'une bayadère inconnue sentant bon la mousson. Imaginer que le ventre de ma mère fut une piscine olympique avec un toboggan. Me souvenir de mes rêves nocturnes. Veiller tard. Pouvoir donner la date du jour sans me tromper de semaine. Entendre sonner les clochettes d'un bourricot au trot sur le pont d'El Jorf. L'aumône d'un peu d'amour à la fin d'un tango, d'un couplet ou de la moitié d'un quatrain. L'état semi-hypnotique et psychédélique d'un marin en bordée. Qu'on me parle en me fixant droit dans le nombril. Me sentir vivre, écouter papoter mon palpitant, respirer profondément. 
J'aime les années de huit mois inversées, celles qui commencent à la St Sylvestre, pour se prolonger à travers l'automne et se terminer au 1er mai. Et j'aime pas la peur ni le prix des pièces de rechange de ma Harley. J'aime pas le son du cor le soir au large de la Somalie. 
J'aime les côtes de cadavres de bœuf cuites à la pierrade mais j'ai jamais été pris de passion pour le cadavre exquis. J'aime murmurer aux oreilles des chevaux mais pas dans celles des cons même s'ils ont de belles crinières. J'aime pas les femmes aux yeux barbituriques ni les mecs qui les ont injectés de sang. J'aime les cris stridulants et aphrodisiaques des cigales. 
J'aime pas les coïts interrompus.

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