24 août 2006

192. ParanoRmal?


Je ne me considère pas vraiment comme un parano , enfin si, mais rien qu’un tout petit peu. Je ne pense pas qu’une cinquième colonne secrète soit à mes trousses ou que le danger me guette à chaque coin de rue. Et je n’entend pas de voix fantoches ou ne suis victime d’hallucinations.

Eh vous, ça vous gênerez d’arrêter de me dévisager comme ça ?


En tous cas, je m’en fais pas de trop. Mais un truc m’a traversé l’esprit avant-hier, tandis que je descendais l’escalier du premier étage au rez-de-chaussée de ma maison avec un panier de linge sale à destination de notre machine à laver : Je dois avouer qu’il m’est arrivé plus d’une fois de frémir à l’idée d’avoir à le descendre façon Alberto Tomba ‘la bomba’. Mais sur le cul et sans parachute.
Et c’est assez traumatisant, je dois l’avouer.
J’ai appris à considérer cette probabilité d’un œil objectif et c’est exact - un jour ou l’autre, tôt ou tard, il m’arrivera de me ramasser la gueule dans cette maudite cage d’escalier. J’ai pris en considération l’état relativement glissant des marches et le fait que j’ai souvent les bras surchargés de linge sale me bloquant la vue quand je descends. Et finalement, j’ai accepté le fait que je me trouvais souvent en équilibre instable durant le processus. Alors j’en suis certain, un jour je vais boum-badaboum-badaboumer jusqu’en bas, c’est inévitable.

Et le pire, c’est que ce jour là, j’aurai complètement oublié la révélation que je viens de vous faire. Car voyez vous, aussi longtemps que je me souviendrai que la mort peut m’attendre en bas de ce putain d’escalier, je ferai attention.
Mais je suis tellement distrait parfois – alors j’imagine tout à fait ce qui va se passer. Un jour, je vais enfourner cet escalier pour descendre un paquet de linge sale, ou pour aller chercher un tournevis dans mon garage, ou peut-être encore pour rendre visite au bar secret que je planque en bas, et j’oublierai combien glissants et étroits sont ces escaliers, et ce sera la fin. La mienne. Quand je me réveillerai, je serai vautré en bas au pied de la première marche, couvert de toiles d’araignées, de torchons et de culottes sales. Si je me réveille.
Immédiatement, tout ceci me parut comme une excuse raisonnable pour ne plus jamais avoir à m’occuper de la lessive. Pas que je veuille ne plus avoir à m’en occuper, comprenons-nous bien - tu me suis bien, ma louve ?- C’est seulement que je pourrais mourir en le faisant, et je peux tout simplement pas imaginer causer le veuvage prématuré de Marylou d’une façon aussi lamentable.
Dans un bateau qui coule : sûrement - mais n’en parlez pas à mon armateur -, dans un combat aérien contre la grippe aviaire, passe encore, poussé par la fenêtre par ma tendre épouse, ça demeure plausible et envisageable - ce n’est peut-être d’ailleurs plus qu’une question de temps - J’ai même envisagé un scénario un chouïa plus compliqué où je mourais étouffé sous une pile de star’acatéticiennes dévergondées. Mais en descendant la putain de lessive ? Nan nan nan. C’est pas le genre de mort qui me fera gagner le Walhalla dont je rêve depuis mes 12 ans, entouré de toutes les Walkyries du Nibbelingen. Pas pour moi, merci.
Marylou, bien sûr, n’avale pas ni arguments ni mes couleuvres. Elle ne perçoit pas le danger imminent qui me guette - en plus, elle est pas trop chaude pour mettre sa propre vie en danger en descendant le linge sale à ma place. (Ce à quoi je lui réponds ‘Bravo !’. Elle est sûrement pas aussi stupide que je pouvais le penser et n’est certainement pas aussi maladroite et distraite que moi.)
Il y a beaucoup moins de chances de la voir se ramasser un gadin dans les escaliers que de la voir mourir d’anorexie à cause de sa surconsommation de concombres à la crème. Elle pourrait faire des claquettes ou du tap-dancing en descendant cet escalier, la cocotte, en variant de rythme à chaque marche même, et s’en sortir avec vos applaudissements. Mais moi, je n’aurais qu’à éternuer, et PAF- me retrouver en bas à vérifier si tous mes os sont encore bien fixés aux bons endroits. C’est pas juste. Merde !

Alors voilà, statu quo : à ce jour, c’est encore à moi qu’il revient de descendre le linge sale. Ensuite ma calamiteuse descendra pour le sortir de la machine, le mettre à sécher puis le remontera plus tard pour le repasser, le plier et ranger tout ça dans les armoires et placards appropriés. Remarquez, le système fonctionne bien, partage des tâches équilibré et tout le tsointsoin – sauf pour cette putain d’épée de Damoclès qui me pend au nez.
Qu’y a-t-il de juste dans tout ça, je vous le demande ? Et est-ce que des bras et jambes disloqués valent vraiment le luxe de se sécher avec des serviettes moelleuses et de porter des jeans propres ? Je ne pense pas. Je suis parfaitement content de vivre dans une crasse sordide si ça peut me sauver la vie.
Vous pouvez me traitez de parano. Mais c’est ce que j’en pense. Point barre et pis c’est tout.