10 mai 2006

164.Les cinq étapes de Clearstream


La colère peut être d’une drôlerie, je vous raconte pas. Puis si tiens. Mais pas dans le sens « Drôle, hahaha ! », disons plutôt « Drôle ! Hé, mais qu’est ce tu fous avec ta tronçonneuse et pourquoi t’as monté à fond le son de la télé ? » Ce qui peut effectivement s’avérer d’un comique inouï pour quelques unes des personnes impliquées, et je dis bien peut-être – mais pas forcément pour toutes.

Le contre coup de la colère, c’est qu’elle a tendance à vous faire oublier des choses : La plupart d’entre nous n’ont pas les capacités d’un Cyrano et doivent faire une pause respiratoire au beau milieu d’une tirade bien balancée. Pour réaliser à la fin de notre plein d’oxygène mêlé de CO2 le pourquoi de notre colère primaire ou originelle. Ou même - et c’est souvent -, pour en oublier nos manières en clamant des obscénités douteuses à pleine voix en place de Grève ou autre lieu public tel que les arènes de Nîmes ou les chiottes publiques du palais Bourbon. Quitte à en arriver à en oublier nos instincts de survie et à sortir nos griffes même si le mec en face est armé jusqu’aux dents et porte un uniforme 5 étoiles. Ce genre de choses arrive. Si si.

La plupart des mots prononcés à ce moment là n’auront aucun sens – Vous avez déjà vu un corbeau danser le Lac du Cygne ? Alors expliquez moi donc ce que c’est qu'un « corbeau sans grâce » ?

La première chose pourtant, qui semble jaillir de nos gosiers enragés, est souvent le nom de la personne dont nous nous escrimons à pénétrer le fion. Et ça peut s’avérer assez inconvenant. Pas seulement parce qu’il est laid d’oublier le patronyme d’une personne – et j’ajouterai que la laideur est dépassée depuis un bon bout de temps une fois arrivé à ce stade.
En tous cas, parmi toutes les tirades connues de ce côté des Pyrénées, je me suis rendu compte qu’il existait diverses classes de noms pour remplacer le mien. Ils peuvent oublier mon nom au cours d’une diatribe cousue de profanités, mais il doivent bien me nommer d’une manière ou d’une autre. Ne serait-ce que pour que l’objet de leur courroux leur prête un tout petit peu d’attention. Ce qui est bien et permet d’en faire profiter le reste de l'équipage.
Voici donc un guide pour trier les insultes qu’on peut vous balancer selon le degré d’effervescence. Peut-être cela les aidera t’il plus que ça m’a aidé moi.

1ère étape : Légèrement agacé.

On pourra vous traiter de: Mec, ma ptite dame, vous, gamin.
C’est la moins sérieuse des situations. Vous entendrez ce genre de termes pour les plus mineures des transgressions – Une queue de poisson sur la nationale, passez devant au distributeur à billets, ce genre de choses.
Si vous le saviez déjà, c’est que vous êtes le genre de personne à faire ce genre d’indignités régulièrement. Pas moi, évidemment. C’était juste des exemples.

2ème étape : Plus qu’agacé.On pourra vous traiter de : Bâtard, pèquenot, pauvre tache, attardé.Une connotation plus campagnarde donc. Le genre de trucs remettant en cause votre état mental ou social.
On pourra accompagner le verbe d’un doigt vengeur, mais ce n’est encore somme toute qu’une brûlure sans gravité. Ça vient souvent en réponse à des actes tels que celui de bouffer dans l’assiette de votre voisin ou après avoir déposé vos ordures sur son pas de porte. La plupart des gens ne prendront pas la peine de se montrer plus créatifs pour de telles futilités.
Pourtant.

3ème étape: Ça commence à frémir dans la bouilloire.

On pourra vous traiter de: Trou du cul, pauvre merde, salope, sale fiotte.C’est là que les joueurs de Scrabble aimant briller par leur manque de vocabulaire commencent à briller. A ce stade de la colère, la plupart des épithètes les plus communes ont déjà été utilisées et il ne reste que deux solutions – parcourir le dico pour trouver le terme approprié, ou commencer à rattacher les injures entre elles comme des wagons. Si vous avez le malheur de vous trouver en face de quelqu’un qui ne mache pas ses mots et qui est en même temps logophile, mettez vous à l’aise et savourez le spectacle.
Un petit supplément viendra avec l’introduction du mot « Pute » : On vous traitera de « Fils de pute » si vous êtes un homme, de « Sale pute » si vous êtes une femme. Bien qu’une dose de cette disparité soit dûe à un relent d’esprit chevaleresque dans nos temps dits modernes, je pense que l’utilisation de ce mot là a plus à voir avec le fait que les femmes ont souvent des ongles acérés, et elles vous sauteront facilement au visage toutes griffes dehors en vous balançant des genoux en des endroits où ces derniers en déplacement rapide n’ont aucune raison de se trouver. Ainsi donc, il faut une accélération assez rapide de la colère pour en arriver à ce genre d’insulte.

4ème étape : Courroux cyclonisantOn pourra vous traiter de : Déchet de capote, enculé de ta mère, résidu de fausse couche.
Là, vous êtes pas dans la merde. Je veux dire si, vous y êtes. Vous venez de froisser l’aile de la caisse de votre tyran de patron ou de laisser une trace de fèces sur la lunette des toilettes des dames du salon de thé huppé de Neuilly sur Seine. Vous êtes indigne, vous manquez de balance, vous êtes probablement dangereux, vous avez été pris sur le fait et on va vous le faire savoir. Il y a même sûrement un index vengeur vous martelant le thorax pour accompagner tous ces jolis mots. Et peut-être même que des coups seront portés. Vous êtes en territoire merdique et vous le savez.
La plupart des noms dont on vous traitera à ce stade n’auront aucun sens – ça ressemble à quoi un résidu de fausse couche ? Le pire que vous puissiez possiblement faire - à part ce que vous êtiez entrain de finir de faire, ptits salopiots – c’est de poser ce genre de question au cœur de la tourmente. Il n’y a plus place ni temps pour ce genre de conjecture physique, artistique ou grammaticale. Ne le faites pas. Croyez moi.

5ème étape : Frontières de l’homicideOn pourra vous traiter de : Arggggghhhh, Mon cher confrère, môssieur, madâme.
Laissez moi d’abord vous clarifier un truc. Je n’ai jamais eu peur de traiter quelqu’un de con lorsque j’ai jugé que cette personne le méritait. Je m’en traite personellement moi-même plusieurs fois par jour. Ou j'en traite d’autres aussi, mais seulement quand la compagnie s’y prête ou est appropriée. Mais j’ai déjà assez placé de gros mots dans mes posts depuis la création de ce blog sans faciliter le boulot de Google pour me me retrouver à chaque fois que vous taperez ce mot dans votre moteur de recherche préféré. Puis j’ai bien trop de respect pour cette partie de votre anatomie, mesdames. Et c’est pas ce genre de site que vous recherchez de toutes manières, jeunes Jedis pervers.
Je dirais, vu mes expériences passées que les mots les plus dangereux de cette liste non exhaustive – après les pires insultes auxquelles je puisse penser et le Argggggghhhhhh incohérent et rempli de mousse baveuse – sont Môssieur et Madâme. Le niveau de calme et de sérénité qu’ils impliquent, le niveau de politesse courtoise et formelle ne peuvent signifier qu’une chose :
La personne en face de vous a trouvé un moyen de se débarrasser de vous. Définitivement.
Si vous avez de la chance, elle sera sur le point de vous tourner le dos et de se barrer en vous oubliant. Ceci arrive quand vous ne connaissez pas l’interlocuteur qui vient de s’adresser à vous.
Mais s’il s’agit d’une relation proche ou d’un confrère au gouvernement, alors ça signifie qu’elle a finalement trouvé le moyen de se débarraser de vous sans laisser de trace. Courrez, enfuyez vous à l’autre bout de l’hémicycle ou de la planète. C’est le seul échappatoire.
Non mais sérieusement, pourquoi croyez vous que je file me planquer en Afrique tous les deux mois ou presque ?