PRÉCOCES OU PRÉCOGS ?
Aurélien était posé le cul sur une chaise devant sa table de cuisine, entrain de faire défiler les pages d'un Notepad, quand quelque chose le fit sourciller des neurones. " Amélie !" cria-t-il, sans même lever les yeux de la page de problèmes de maths sur laquelle il s'était arrêté. " Amélie, tu es là ?"
Il n'y eut pas de réponse. Il jeta un œil sur l'horloge au dessus de l'évier. Amélie était rentrée moins de dix minutes auparavant. Comment avait-elle bien pu faire pour avoir déjà terminé tous ses devoirs ?
Elle avait dû inscrire n'importe quoi et au hasard dans les cases-réponse.
Si un train quittait Paris le 23 Juin à 11h35 locale sur l'hyperloop orthodromique et qu'un autre quittait Bombay - la destination du premier - pour Paris dix-sept minutes plus tard mais à la moitié de sa vitesse, à quelle heure UT et à quelle distance de Tombouctou se croiseraient-ils ?
Aurélien se pencha sur le problème et ne put que constater que la réponse donnée par Amélie était correcte. Il passa au problème suivant et ne put que constater une fois de plus que la réponse de la gamine était la bonne. La résolution des deux problèmes venait de lui prendre une heure quarante-cinq, et encore, en fouillant dans ses souvenirs de l'École de Marine Marchande, dans une appli pour connaitre la distance de Paris à Bombay, dans Wikipédia pour connaître les latitude et longitude de Tombouctou et à l'aide d'une calculette scientifique programmable pour compiler tout ça. Il reposa le Notepad sur la table, et se mit à pianoter ses doigts dessus, l'esprit ailleurs.
Une sonnerie stridulente émise par le Notepad le tira de sa rêverie. D'une manière ou d'une autre, ses doigts se prenant pour ceux de Beethov' avaient dû ouvrir un menu secret. Les options de ce menu se déversèrent jusqu'en bas de l'écran: Résolutions de problèmes d'arithmétique en mode verbal, bots de composition de texte poétique en français, anglais, mandarin ou swahili incluant le langage des signes et même un bot de peinture avec des sous-choix aussi bariolés que du moderne décadant passé au décapant ou que du classique flamboyant en clair-obscur.
L'estomac d'Aurélien se souleva alors que deux possibilités terribles prenaient forme dans son esprit. Soit Amélie avait trouvé le moyen de casser le cryptage anti-plagiat du Notepad, soit elle avait elle-même programmé ces bots. Quelle que soit la bonne, chacune de ces deux possibilités exigeait au minimum la compétence d'un diplômé hautes études en trigonométrie sphérique et en sciences de programmation informatique.
Mais Amélie n'avait qu'onze ans. Et son frère, Ronan, n'en avait que huit.
Aurélien s'empara du Notepad et escalada l'escalier en spirale de leur appartement. Il y avait de la lumière sous la porte conduisant à la chambre des enfants. Tandis qu'il s'en approchait, il put entendre la voix d'Amélie s'adressant à son petit frère. " Pas encore, Roro, c'est trop tôt. On ne peut pas encore révéler qui nous sommes, ou tout sera perd - oh, salut papa !"
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