21 mars 2024

879. Trahison


 TRAHISON

Je regardai mon frangin d'un air choqué parce que celui que j'aimais et dont je prenais soin venait de me trahir.        
" Comment peux-tu faire une chose pareille ?", je demandai à Nicolas. "N'as-tu pas pour moi le même amour que j'ai pour toi?" 

Nicolas me regarda d’un air sévère, mais il y eut une lueur de regret.
" Il le faut, Greg," marmonna-t-il.

Je le toisai avec incrédulité. Mon cœur était brisé par la situation à laquelle je me trouvais maintenant confronté. C’était la dernière chose à laquelle je m’attendais.
" Emmenez-le loin d'ici ", dit Nicolas aux hommes en robes noires qui se tenaient devant nous. Puis il m'a regardé une nouvelle fois. " Je vais annoncer à notre père la malheureuse nouvelle de ta mort."

Je me précipitai sur lui mais je savais qu'il y avait aucun moyen de le battre ou même de le dépasser. Nicolas était le géant de la famille. Il mesurait trente bons centimètres de plus que moi et avait une musculature telle qu'il pouvait me soulever au-dessus de sa tête avec un seul doigt. J'aurais bien tenté quelque chose, mais avant de pouvoir lui envoyer mon petit poing dans la gueule, le sien s'est connecté à mon abdomen, me faisant reculer de quelques pas et plier en deux telle une feuille de papier mouillé. J'ai essayé de respirer en cherchant de l'air.

Quelques instants plus tard, les hommes en noir me saisirent. Je regardai mon frangin une dernière fois cette nuit-là avant qu'un sac en toile de jute ne me soit enfilé autour de la tête. Il avait un sourire narquois sur le visage qui fit remonter un sentiment que j'avais jamais ressenti auparavant envers lui, en trois mots, de la haine.

Mon corps se balançait avec les mains et les jambes ligotées tandis qu'ils me transportaient sur une grande distance jusqu'à ce qu'ils me balourdent sur une surface solide recouverte de paille. Je réalisai que j'étais sur un chariot lorsque j'entendis le grincement des roues sur les essieux en bois alors que nous commencions à avancer.

Personne ne viendra à mon secours, pensai-je alors que j'étais allongé là. Il y avait pas de bons Samaritains dans cette ville, enfin pas que je sache. Ou plus que probablement, ils avaient trop la trouille pour faire quoi que ce soit, probablement que leur vie en dépendait. C'est la raison pour laquelle je venais avec mon frère chaque fois que nous allions en ville. Personne ne me dérangerait avec mon Hercule de frangin à mes côtés. Mon protecteur. Maintenant mon traître.

Pendant que le chariot roulait en cahotant, je repensai aux événements qui s'étaient produits plus tôt dans la journée. Les jours commençaient toujours avec nous deux effectuant des tâches pour notre père vieillissant. Travailler dans les champs, nourrir les animaux, réparer notre maison décrépite, aller au marché pour faire du troc et autres tâches.

Ce jour là, Nicolas avait travaillé aux champs pendant que je réparais un trou dans notre toiture. Nous avions tous les deux terminé à peu près au même moment quand la lumière du jour commence à s'assombrir. Ce soir, c'était à mon tour de préparer le repas. Une fois que nous fûmes tous assis autour de la table, mon père pria pour la bénédiction habituelle puis nous mangeâmes notre repas.

" T'as vu le fabuleux travail que Gregory a fait sur le toit ?" dit mon père en direction de Nicolas tout en me tapotant l'épaule. " Quelle belle ouvrage. Fier de lui.
- Oui, père", répondit Nicolas.

Je jetai un coup d'œil à ce dernier et je vis un éclair de mécontentement sur son visage avant qu'il ne se transforme en un sourire. Je n'y ai pas trop repensé en finissant mon repas.

Peu de temps après, Nicolas et moi nous mirent d'accord pour aller prendre un verre en ville. Nous passâmes une agréable soirée en discutant et en buvant. Un habitude que nous avions pratiquée à d’innombrables reprises.

Il était assez tard lorsque nous décidâmes de rentrer chez nous. La plupart des autres tavernes étaient fermées et les citadins dormaient profondément. Nous marchions et parfois trébuchions en riant en nous rappelant des moments amusants du passé. Cela se termina lorsque les hommes en noir nous confrontèrent. Je pensais que nous avions une chance de les battre, surtout avec la force de mon frère, mais ça se termina par la trahison de ce dernier.

Je pensais qu'il avait le même amour pour moi que moi pour lui, me disais-je à l'époque.

Est-ce que je m'étais évanoui à cause de l'excès d'alcool et que je vivais maintenant un cauchemar ? Si c'était le cas, alors ce dernier s'éternisait. Incapable de voir quoi que ce soit, bringuebalant pendant ce qui semblait durer des lustres. Finalement, je pus distinguer la lumière du jour à travers le sac de jute, et peu de temps après, le chariot s'arrêta. Quelques instants plus tard, ils me retirèrent la capuche et, de douleur, je fermai les yeux devant la luminosité.

" Il est temps de manger un morceau", me dit l'un des hommes d'une voix grave et menaçante.
" Où m'emmenez-vous?" demandai-je.
- Il y a des minerais précieux à déterrer", répondit l'homme alors qu'un meilleur aperçu de lui montrait une longue cicatrice déchiquetée allant de son front à son menton sur le côté droit de son visage. " Tu vas rejoindre mes esclaves pour travailler. T'es un peu chétif mais tu es jeune, alors tu vas travailler dur et tu  te muscleras si tu veux pas mourir.
- C'est mon frère qui a manigancé tout ça ?
L'homme rit. " Oui c'est lui. C'est pourquoi tu survivras. Un jour, grâce à notre bonté, la liberté te sera accordée et tu chercheras ton frère pour te venger. Comme j’aimerais être là pour vous voir vous rencontrer tous les deux.
- Il va dire à mon père que je suis mort, marmonnai-je.
- Ton frère n'a aucune confiance en toi", dit l'homme avec un sourire. " Il s’attend à ce que tu meures pendant que tu travailleras pour nous. On verra bien", ajouta-t-il avec un ricanement.
- Vous me libérerez un jour ?
- Bien sûr, mais pas avant des années. Ne t'attends pas à retourner auprès d'un père vivant. Ton frère aura le même âge que ton père aujourd'hui quand ça arrivera, si t'es pas mort avant. Grâce à ton travail acharné, tu seras plus fort que ton frère une fois que vous vous reverrez. Si jamais vous vous revoyez tous les deux. Nous vivons dans un monde dur, donc personne n'est sûr d'être encore là dans des années", ajouta-t-il en riant avant de me coller une vieille pomme entre les dents. " Mange. Nous avons besoin que tu sois bien nourri car tu commenceras à travailler dés que que nous aurons atteint notre destination.
- Où allons-nous?" j'ai demandé une fois que j'eus pris, mâché et avalé la première bouchée.
" Vers des terres où tu n'es jamais allé auparavant. 
- Combien de temps de route?"
- Plusieurs jours. Maintenant, ferme ta gueule et bouffe. J'ai autre chose à foutre que répondre à tes questions."

J'ai bouffé ma pomme et on m'a donné à boire de l'eau tiède.

C’est que plus tard que nous avons recommencé à bouger. Cette fois, je n’avais plus de cagoule sur la tête et pouvait voir ce qui m’entourait. Peu importe que je puisse voir puisque je n’avais aucune idée de l’endroit où qu'on se trouvait. C'était pas une surprise puisque je n’avais jamais parcouru de grandes distances. Principalement juste en ville ou dans la forêt environnante bordant notre maison.

Des jours passèrent au cours desquels, après la première journée complète, ils coupèrent la corde qui me liait les bras et desserrèrent les liens autour de mes jambes.
" Conserver les liens serrés trop longtemps et tu ne servirais plus à rien", m'expliqua l'homme balafré avec son rire habituel. " Te prends surtout pas l'idée de tenter de t'échapper. Nous avons quelques archers experts, et si cela ne suffit pas, nous en avons quelques-uns qui manient super bien la hache. Ils te raccourciront les pieds en deux temps trois mouvements", déclara-t-il en frappant du poing sur le chariot. " Tu pourras toujours te déplacer en trottinant  avec les mains sur un chariot. Nous avons juste besoin de tes bras pour creuser."

Il me laissa en riant hystériquement.

Nous avons continué et les cordes autour de mes jambes furent finalement retirées, alors je marchai le reste du chemin jusqu'à destination.

Il y eut des moments où je pensais m'enfuir, sans me soucier si une flèche m'abattrait. Mais il y avait de fortes chances qu'ils me blessent, ce serait alors la perte de mes pieds. Même si je m’échappais, je n’aurais aucune idée de l’endroit où j’allais même si c'était loin de ces voyous. Mais le risque était trop élevé et le jour viendrait où je confronterais mon judas de frère.

Le jour arriva où que nous atteignîmes notre destination et je vis d'autres esclaves comme moi de tous les âges. Certains qui semblaient avoir l’âge de mon père et d’autres qui semblaient à peine avoir la moitié du mien.

Comment les dirigeants de ce pays pouvaient-ils permettre un traitement aussi barbare ? je ruminais. Plus tard, je découvris qui était le dirigeant chargé d’une telle opération.

Après ce jour d’arrivée, les journées se déroulèrent de la même manière pendant je ne sais combien de temps. Au début, aller sous terre et travailler dans les mines était atroce. Pendant les premières semaines, je me suis demandé si j'allais survivre alors que je creusais, chargeais, poussais, tirais, portais et prenais d'autres habitudes de travail pénibles. Une fois mes première journées de labeur achevées, je me rendais dans un bâtiment exceptionnellement long avec des lits de camp où je m'endormais immédiatement. Au fil du temps, il devint plus facile de travailler, donc une fois les journées de travail accomplies, il m'arrivait de jouer aux dés ou aux dominos avec les autres esclaves.

Des pensées de révolte me traversèrent l'esprit, mais en voyant les gardes, je sus qu'il n'y avait aucune chance. Ils étaient tous géants et plus musclés. Je fus également témoin des gardes en action alors qu'ils venaient rapidement à bout des esclaves récalcitrants ou tentant de s'échapper. Peu importe leur taille ou leur force, car les gardes étaient excellents dans le maniement de leurs arcs et de leurs haches.

Trois ou quatre années s'écoulèrent lorsque tout bascula. Le souverain des terres proches de celle dans laquelle nous étions captifs décida d'envahir ce pays. La moitié des gardes qui nous surveillaient partirent rejoindre l'armée pour défendre leurs terres.

" Il est temps de nous révolter", me dit un soir un de mes bons potes, Samir. " À nous tous, nous gagnerons notre liberté.
- Je suis avec toi, lui dis-je.
- Cela prendra quelques jours pour que la nouvelle circule. Alors ferme ton clapet et fais attention à ce que les espions parmi nous ne le découvrent pas."

Je hochai la tête en pensant à la liberté. Mais serai-je un jour libre ? Peut-être pour mon corps, mais mon âme ne se rétablirait peut-être pas et ne se souviendrait peut-être même jamais de ces jours agréables d'il y a des années.

Le jour de notre révolte, le plan était d'attaquer une fois le soleil couché, mais l'armée d'invasion nous devança. Alors que nous travaillions sous terre, nous entendîmes une agitation en surface. Les quelques gardes qui nous accompagnaient vidèrent rapidement les lieux tandis que nous restions tapis là où nous étions jusqu'à la fin des bruits de la bataille. Ensuite, nous attendîmes le retour des gardes, mais ils ne revinrent jamais. Finalement, nous sortîmes en surface et rencontrâmes nos sauveurs. Ils avaient fait sortir tous les captifs et maintenant nous étions libres. Mais j'étais sur le point d'être surpris.

Alors que j'étais assis sur mon lit de camp, me reposant et essayant de réaliser notre liberté nouvellement retrouvée, un capitaine et ses soldats entrèrent dans le bâtiment. Je levai les yeux puis je regardai le sol. Des pas s'approchèrent et s'arrêtèrent près de moi.

" Grégory ?" lança une voix familière.

Je levai les yeux et je reconnus Nicolas. En un éclair, je me levai et me jetai à son cou des deux mains. Les soldats à proximité défouraillèrent leurs épées pour me les enfoncer dans le corps.

" Arrêtez ça !" hurla Nicolas.

Je serrai plus fort, mais une fois que j'eus regardé son visage, je vis le chagrin dans ses yeux. On aurait dit qu'il avait vieilli. Je desserrai mon étranglement jusqu'à le relâcher totalement. Les innombrables pensées concernant l’élimination de mon frère se dissipèrent tandis que je le regardais.

" Je suis désolé pour mon acte infame", me dit-t-il dit en se frottant le cou. " Je mérite la mort de tes mains. 
- Pourquoi ?" fut le seul mot que je pus dire.
- La jalousie. Je me suis trompé. J'ai été si stupide. J'ai laisser ma haine me contrôler.
- J'avais tellement d'amour pour toi, Nicolas. Je ne t'aurais jamais fait de mal. J'aurais donné ma vie pour toi juste pour être trompé par toi.
- J'implore ton pardon, mon frère. Je suis parti à ta recherche peu de temps après avoir commis mon acte méprisable. Je savais pas où ils t'avaient emmené. Je commençais à penser que je t'avais perdu.
- Et papa ?"
- Il tient le coup. Il croit que tu es toujours en vie même si je lui ai dit que tu étais mort. Je prie pour qu'il soit toujours là car ça fait des mois que je suis pas retourné à la maison."

Je dévisageai mon frère et je pus voir que son âme était aussi torturée que la mienne, sinon plus. La douleur que j'avais ressentie pendant des années commença à se dissiper. Ma haine fondit comme de la cire. L'instant d'après, je le serrai dans mes bras.

" Rentrons chez nous", me murmura-t-il à l'oreille.

Mes larmes se déversèrent alors que j'étais enfin capable de libérer la douleur de mon âme.

Nicolas put enfin être relevé de son commandement et nous pûmes donc rentrer chez nous pour embrasser notre père. Pour revenir à nos jours de bonheur alors que j'apprenais à pardonner.

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