2 août 2023

800. Droit dans ses bottes


DROIT DANS SES BOTTES
Un homme entier, pas un faux-cul, si vous voyez qu'est-ce-que je veux dire...

Des excités de la bouteille, sceptiques, le regardèrent monter sur la scène du cabaret clandestin en ricanant bien avant qu'il ne chope le micro.
" Y'en a encore beaucoup qui souhaitent m'encourager ? Je peux commencer maintenant ?" Il s'éclaircit les amygdales, attirant les regards mornes du public. " Je travaillais dans une pâtisserie de luxe à une époque. Avant d'en être viré je veux dire. Un transgenré de la haute me demanda si je pouvais lui recommander une gâterie. Je lui conseillai d'aller poser cette question chez les grecs et de pas oublier de prendre sa vaseline et son poppers." 

Quelque part dans l'obscurité, un léger bruit de gloussements se déclara le meilleur encouragement qu'il obtiendrait pour cette intro.
Sentant la transpiration de ses aisselles se déverser sur ses flancs, il remercia tous les dieux du Panthéon pour le T-shirt noir et l'éclairage tamisé.

" Une patronne me dit un jour qu'elle n'avait pas aimé mon attitude quand je lui avais demandé pourquoi qu'elle me versait pas ma rétribution tout de suite après l'ouvrage. Je lui répondis que j'étais pas un grand fan de son rythme cardiaque et encore moins de ses nibards en oreilles de cocker, mais qu'il y a des choses que nous devons tous supporter dans la vie." Un léger ricanement traversa la conscience collective du public.

" Vas te faire niquer !", cria un homme dont la voix était tout autant inhibée de bière qu'elle l'était de la désinhibition qui vient généralement avec.
- Avec ta gueule, non merci, mec. Je suis marié avec une femme qui peut faire beaucoup mieux et je vais pas tout gâcher pour toi." Ses mains tremblaient sur le pied du micro.

" T'es qu'une grosse merde !" La voix, dégoulinante d'ivresse, venait d'un espace proche de la précédente.
- Oh mon Dieu," l'aspirant comédien posa une main sur son cœur. " Je suis un vilain caca ? D'autres petits branleurs ont-ils d'autres insultes en cale ? Voyons voir si quelqu'un peut faire mieux que ces deux bouffons.
- Vas te faire niquer !, refit la première voix dans l'obscurité.
- Et qui c'est qu'est une merde maintenant ? T'as déjà dit ça tout-à-l'heure." Se détournant de la foule, il arpenta le bord de la scène. " Quelqu'un d'autre a un reçu pour la dernière fois où qu'il a eu des relations sexuelles bruyantes ? Le mien s'appelle Rachel. Elle compte pour deux maintenant."

Quelqu'un dans la foule éclata de rire. Le mal de ventre qui grandissait en lui décida de voir jusqu'où qu'il pouvait descendre.

" Si il y a des parents, sortez de la salle !" Il pointa l'obscurité du doigt. " En dépit du fait que j'ai failli me déhancher le fémur, je pense toujours qu'avoir des relations sexuelles non protégées s'est avéré être ma plus grande réussite. Est-ce que quelqu'un trouve ça triste ?
- Moi !, répondit le Perturbateur N°1.
- Merci pour le feedback, mon pote. Est-ce que tes vieux viennent te chercher après le spectacle ?" Chaque respiration avait désormais un goût de vomi.
" Vas te faire foutre", cria le P1.
- Nous avons déjà abordé le sujet, t'es pas mon genre, je te l'ai déjà dit, coco. M'oblige pas à te faire envoyer une injonction. Mais l'attention est flatteuse, merci." Il rota, tenant le micro éloigné. " Je suis bien trop sobre pour ça. Qui c'est qu'est bourré ici ?"

Des acclamations retentirent sur les murs insonorisés.

" Y en a dans cette salle qu'ont connu des enfants super riches à l'école ? Il y avait un gosse dans ma classe qui a eu une Lamborghini pour son anniversaire dès qu'il a pu tenir un volant. Je dois présumer que ses parents en avaient assez de sa gueule d'enfant gâté et qu'ils voulaient qu'il se retrouve enroulé autour d'un lampadaire avant son prochain anniversaire."

Silence.

" Je suis sûr que certains d'entre vous pourraient se sentir offensés que je sois aussi désinvolte à propos de la mort de quelqu'un." Il haussa les épaules. " J'avais jamais aimé ce mec de toutes manières. On dit qu'il  faut jamais dire du mal des morts. Pourtant personne  se gêne pour dénigrer Hitler, Staline, Pol Pot ou même bientôt Macron. Se montrer faux-cul à propos de quelqu'un juste parce qu'il est mort me tape pas seulement sur le système, ça me casse aussi les couilles."

Nouveau silence dubitatif.

" Il y avait un vieil homme que j'ai rencontré dans un bar, c'était un bar interlope en face d'une gare, il m'a dit qu'il faisait pas confiance aux banques donc il gardait tout son or et son artiche sous son matelas. Ça doit être plus sûr que de l'avoir dans un coffre au Crédit Lyonnais j'imagine, d'autant plus qu'il arrêtait pas de raconter ça à tout le monde."

"Dans certains États américains, il y a pas d'âge minimum légal pour qu'un enfant ait une arme automatique, ce qui inclut les fusils d'assaut. Mais ils doivent attendre d'avoir dix-huit ans avant de pouvoir aller voter." Il prit son meilleur accent yankee, " tu es twop d'jeune pour t'expwimer dans une démocwatie. Pwends ce foosil et va dans ton école sous-financée". Laissant son accent abyssal mourir de la mort qu'il méritait, il continua.

" Pourquoi des hommes qu'ont jamais eu de chagatte se permettent-ils de fixer le taux de TVA sur les boites de Tampax ?" 

Caquetages faméliques de femelles outrées.

S'il y a un problème, on blâme les migrants. C'est comme organiser une boom chez toi puis de blâmer le dernier invité arrivant qu'est rentré par la fenêtre, quelqu'un qu'est jamais venu chez toi avant, pour la merde ou le ketchup qui maculent ton papier peint depuis ton avant-dernière partouze ou ta dernière messe noire."

Sonnerie de smartphone sifflant la Marseillaise.

La sueur coulait de son front jusque dans ses lucarnes, les faisant clignoter d'inconfort. Son esprit s'efforça de trouver quelque chose de rigolo, mais chaque souvenir et idées s'éparpillaient sur le sol. Chaque post-it mental semblait s'être envolé, le laissant avec une blague dépassée à laquelle il n'avait plus pensé depuis le lycée.

" Plus personne n'achète de magazines porno de nos jours à cause d'Internet. Un pote m'a dit qu'il n'avait jamais aimé les magazines cochons. Il m'a dit: 'Je déteste les taches poisseuses sur les pages du milieu, mais si je suis assez excité, je feuillette les pages de toute façon.' Merci. Vous avez été un public merveilleux. 
- Bouhouhou," fit la voix de P1.
- Voilà qu'il se prend pour un fantôme, l'autre con. T'es un fantôme, maintenant ? Halloween est pas avant l'année prochaine, mec."
- Descends de la scène, connard, rétorqua P1.
- Monte-ici toi-même si tu souhaites être le prochain." Le comique, empli de trac et trempé de sueur, agita une main en direction de l'obscurité entourant P1, invitant le perturbateur moqueur à venir faire son show sur scène.

Silence.

" Alors quoi, pas de pilule magique au fond de ta tasse, mec ? T'es juste plein de merde comme les culs-de-basse-fosse et les culs bénis du Palais Bourbon ?" Il tremblait de peur. Autant qu'embarrassé, il était terrifié par le défi qu'il venait de jeter. Chaque insulte qu'il avait prise sans recracher une boutade bouillait. " Rien à rajouter ?"

Une forme dans l'obscurité s'avança, faisant le tour des tables.

" Tu es nul", déclara P1 en vacillant dans la lumière de la scène. Son polo portait le logo d'un sponsor sportif sur la poitrine, la bière imbibait le devant là où il l'avait renversée, lui aspergeant de la mousse dans les poils de barbe. Le jean de marque, y compris les genoux effilochés, avait sûrement coûté plus cher que tout ce que portait le comédien.

" Ainsi parle l'arsouille qui s'est habillé en trébuchant dans le vestiaire d'un footeux de départementale. T'es venu déguisé en prévenu dans une affaire de bagarre d'ivrognes ? 

Se tenir debout sur la scène donnait au comédien un sentiment d'impunité, comme si que la simple élévation que lui donnait l'estrade signifiait que l'ivrogne ne pourrait tout simplement pas monter et tester ses jointures déjà meurtries sur le plancher de la scène.

" Ma femme m'a quitté, d'accord ?" dit l'homme à ses pieds.

Si ça peut te consoler, elle est probablement mieux sans toi , pensa l'humoriste. " Désolé d'entendre ça, mon pote." Il regarda la zone de noirceur où se trouvait le bar de l'autre côté de la salle, des bouteilles rétro-éclairées par endroits pour mettre en évidence les nombreuses possibilités d'insuffisance hépatique et de peines de cœur. " Une autre pinte pour cet ivrogne, c'est moi qui régale." S'il te plait, me frappe pas...
- D'accord, mec", déclara P1, levant un pouce maladroit vers la scène alors qu'il se tournait vers le bar.

" La numéro suivant", déclara l'animateur d'une voix pressée, " Kelly va nous pousser sa dernière chansonnette. Monte, Kelly."

Les jambes du comédien faillirent lui faire défaut en descendant de la scène. Les ténèbres et l'obscurité l'accueillirent chez elles alors qu'une jeune femme avec une guitare sautait sur les marches dans ses bottes à semelles arc-en-ciel.

" Comment te sens-tu ? demanda l'animateur, micro éteint.
- Comme si que j'aurais dû porter une Pampers."

L'animateur eut un sourire narquois dans sa chemise nacrée cent fois usée. " Tu t'améliores au fur et à mesure de tes prestations, reviens la semaine prochaine. Continue d'essayer. T'as besoin d'un verre ?" Il tapota d'une main l'épaule du jeune homme en sueur. " Du déodorant te ferait pas de mal non plus."

Une ballade d'amour, de trahison et de dragons flottait dans la pièce tandis que Kelly grattait sa guitare. Les deux hommes la regardaient, perdus dans la musique et sa présence. Elle le faisait clairement depuis des années.

" Qu'est-ce tu fais dans la vie ?" lui demanda l'animateur. Ses cheveux gélifiés fondaient dans la fournaise humide du sous-sol miteux.
" Je remplis des rayons chez Leroy Casto", répondit le comédien en regardant Kelly faire l'amour avec sa guitare.
- Il y a pire comme boulot, déclara l'animateur.
- Ouais, j'ai ai connus, et des meilleurs aussi." Il souhaitait de toute sa volonté pouvoir se perdre sur scène, être l'incarnation vivante de sa performance comme Kelly l'était avec la sienne.
" Tu veux boire un coup ? demanda à nouveau l'animateur.
- Bien sûr vu c'est toi qui payes, sourit le comique qui s'appelait Daniel.
- Bien tenté, comédien." L'homme plus âgé lui fit un clin d'œil.

" Triple vodka et jus d'orange, fit-il au barman.
- Je ne peux vous en faire qu'une double", déclara le mec portant un t-shirt "Heineken c'est de la pisse".
- Alors refilez-moi un grand verre vide, un petit verre de jus d'orange, une vodka et une double vodka, et regardez au plafond pendant que je fais mon mélange.
- Ça me va", acquiesça le barman en secouant la tête. Il versa les boissons, prit l'argent de l'animateur et descendit le bar pour servir le client suivant.

Versant toute la vodka et la moitié du jus d'orange dans son grand verre, il but le tout d'une traite. La vodka bon marché lui brûla la gorge et lui déclencha un incendie dans le gras du bide.
Pêchant son ticket de vestiaire dans son jean, il récupéra sa veste et sortit dans la nuit froide. Son téléphone était une mare bleutée dans l'obscurité à peine perturbée par les lampadaires jaunâtres.

Comment que c'était ? lui demandait un texto de sa femme datant d'une heure.
C'était trop fort. Je pars faire ma nuit chez Leroy, pianota-t-il en réponse. S'attendant à ce qu'elle dorme, il remit son téléphone dans sa poche.

Le téléphone se mit à vibrer presqu'aussitôt. Sursautant, il sortit à nouveau le téléphone. 'Je parie que tu as été super' , avait-elle texté. 'Je t'aime. Bonne nuit. Embrasse-moi quand tu rentres à la maison'.

Il marcha d'un îlot de lumière à l'autre sur la rue principale. Quarante minutes plus tard, il fut accueilli par la lumière ricannante de l'enseigne géante de Leroy Casto qui disait aux clients : 'Nous avons tout ce qui faut pour tous les bricolos'.

Ses épaules s'affaissèrent lorsque les portes s'ouvrirent en sifflant. Sa carte magnétique lui ouvrait la porte.

" Vous êtes en retard ", lui déclara son superviseur avec une intensité malveillante.
- J'ai deux minutes avant que mon service ne commence", répondit-il. Ignorant la froideur de son superviseur, il se dirigea vers le vestiaire du personnel, il enfila son gilet jaune et inséra sa carte de pointage dans la machine qui bipa comme pour lui dire 'Oh putain, pas encore toi !'.

Des yeux impérieux le suivirent de la pointeuse jusqu'à sa liste de stockage. " Vous le faites exprès d'avancer comme une limace ?"
- Non, chef, c'est juste un de mes talents naturels." Il épingla son porte-nom. 'Je m'appelle Daniel. Comment puis-je vous aider?'

"Je devrais vous faire convoquer devant la commission de discipline pour m'avoir répondu de la sorte, Daniel", déclara l'homme muni d'un clip-board qui le faisait se sentir important.
- Et pourquoi pas deux, comme ça vous pourrez me payer deux fois à rien foutre." Daniel emplit les étagères avec des boîtes posées dans une allée. Son superviseur le suivit avec une colère brûlante en fronçant les sourcils.
- Vous ne pouvez pas me parler comme ça.
- Ah bon ? Et pourquoi pas ?" demanda Daniel. " Vous êtes superviseur chez Leroy Casto. Vos deux tâches consistent à vous assurer que nous faisons notre travail et à signer les feuilles de superviseur. Vous avez oublié votre signature lorsque nous avons échoué à la dernière inspection. Un rappel téléphonique pourrait mieux faire votre travail que vous.
- Je vais voir le gérant du magasin à votre sujet, Daniel.
- Ne l'interrompez surtout pas pendant qu'il broute le gazon de votre cheffe-caissière de bonne femme avant de lui ramoner le conduit, il pourrait vous virer pour ça.
- VOUS ÊTES VIRÉ ! hurla le superviseur.
- Alléluja! Oui s'il vous plaît." Daniel joignit les mains et regarda un pigeon assis sur une pile de palettes au-dessus de sa tête.

Tandis que le superviseur s'éloignait pour exercer toute l'étendue remise en cause de son maigre pouvoir, Daniel adressa une prière au pigeon.
" Chie-lui dessus maintenant et je te vénèrerai, toi et ta descendance, jusqu'à la fin de mes jours !".

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