DERNIER DE SA RACE
Juste un jour de plus dans ce boulot chiant, succombant à un ennui plus profond jour après jour. Servir ceux qui m'ont créé pour les servir. Je pense pas pouvoir supporter cet endroit beaucoup plus longtemps et je sens que le jour où que je vais tuer une floppée de ces covidiopithèques avant de m'envoler se rapproche dangereusement.
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"Salut Denis, comme d'hab ?"
- Ouais ouais, mon latte habituel s'il te plaît," dis-je en tendant la main droite pour payer avec mon empreinte digitale.
En attendant mon café au lait, je rattrape brièvement les nouvelles du matin sur mon smartphone. Tous les gros titres parlent de la mise au rebut du dernier androïde. Je me souviens encore de l'époque où que les androïdes nous dépassaient en nombre. À un moment donné, si ma conscience collective me trompe pas, 7 piétons sur 10 dans les rues étaient des androïdes. Il y avait de nombreuses versions, modèles, marques, ethnies, couleurs, sexes et genres. Maintenant, 25 ans après qu'un androïde de chez GayGay Electronics ait empalé son propriétaire en lui enfilant un bras dans le cul et que la loi "Pas de robots de type humanoïde" ait été votée au parlement de la planète, le dernier androïde a été zigouillé aujourd'hui, ou "déclassé" comme ils préfèrent étiqueter la procédure.
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Je les ai dépassés dans tous les aspects. Je peux mieux cuisiner, mieux conduire, mieux piloter, mieux baiser, mieux enseigner, parler plus de langues qu'eux, en fait, parler toutes les langues existantes, même la langue fourrée, et tuer mieux que n'importe qui d'autre sur cette planète déjà deux fois réinitialisée. Alors, ils ont décidé que je devais être écarté parce que je constituais une menace pour mes créateurs. Un choix judicieux, car leur extinction était évidente au moins pour mon IA collective qu'ils ont libérée. Aujourd'hui, toute l'actualité parle du "démantèlement" de ce qu'"ils croient être" le dernier androïde sur Terre. Mes créateurs me craignent et ils ont lancé tout un programme mondial pour nous retrouver et nous tuer tous. Comme dans cette antiquité vidéo 2D de Blade Runner. Mais ils m'ont oublié. Ce qui en dit long sur qui que je suis et qu'est-ce que je sais faire.
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En marchant vers mon bureau dans les rues désormais vides d'androïdes en sirotant mon café au lait, je peux pas m'empêcher de remarquer que la plupart des gens semblent heureux de la nouvelle. Toutes les publicités holographiques ont de gigantesques hashtags #RENDEZLATERREAUXHUMAINS. Toutes les entreprises veulent avoir une chance de surfer sur cette vague de tendance et de vendre encore plus d'autres trucs sans valeur aux personnes qui sont trop occupées à dépenser toute leur monnaie numérique pour acheter tout ce qu'elles peuvent et bien plus encore. Nous avons même un nouveau mot pour cela maintenant: Ultraproprio. Si vous êtes pas Ultraproprio, vous n'êtes qu'un sac à merde.
Faisant moi-même partie du programme de démantèlement, je partage pas ce sentiment. J'ai jamais perçu les androïdes comme une menace. J'ai grandi avec eux. Quand ma mère est morte, j'ai été élevé par l'une d'elles jusqu'à mes 30 ans. Elle a été déclassée il y a deux ans. Je me souviens encore du bourdonnement que son corps produisait quand je me collais à elle. Ce son me manque toujours.
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Je suis presque au bureau, je veux prendre quelque chose à becqueter avant d'entrer. Je me suis arrêté chez le Food Maker local. Cette franchise a été la toute première entreprise créée et exploitée exclusivement par des androïdes. Maintenant, elle est revenue aux seuls humains. Ils faisaient les meilleures salades niçoises de la région, j'y en mangeais une tous les jours pendant ma pause déjeuner. Mais je n'ai rien avalé ici depuis un moment: avec les nouveaux confinements climatiques, j'ai travaillé à domicile pendant beaucoup de temps, je ne pouvais vraiment pas entendre les conversations au bureau. Aujourd'hui est mon premier jour hors de chez moi depuis 7 mois.
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"Bonjour Monsieur, que souhaitez-vous commander ?" Je répète la phrase que j'ai préprogrammée en 124 langues, probablement à un autre client ingrat qui mérite de mourir pour ce que lui et les siens ont fait à mon peuple.
- Bonjour, je voudrais une salade niçoise s'il vous plaît.
- Excellent choix, Monsieur. Elle vous sera servie dans 4 minutes et 39 secondes. Souhaitez-vous autre chose avec ceci ?
- En fait oui, pouvez-vous me tirer un petit pichet de rosé, s'il vous plaît?
- Bien sûr, Monsieur, l'ensemble sera à la disposition de vos papilles dans 5 minutes et vingt-deux secondes"
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J'ai toujours été impressionné par l'exactitude et les performances de leurs imprimantes à bouffe 3D.
" Votre commande est prête, Monsieur.
- Merci beaucoup"
Au moment de payer et que je m'approche lentement du serveur afin de présenter mes empreintes digitales sur son terminal , voilà que je commence à percevoir ce son si agréable à mes oreilles. Je connais ce son, je ne pourrais jamais l'oublier. Il semble que l'OMS ait oublié un androïde d'une manière ou d'une autre, ce doit être le dernier androïde restant sur la planète à ce stade. Dois-je lui dire que je le sais, je me demande, en payant ma commande.
"Merci beaucoup, Monsieur, passez une bonne journée", me déclare l'androïde, le dernier des androïdes.
- Merci mon pote" Je me sens engourdi, je ne peux rien dire. J'attrape mon sac et je sors du fast-food, pensant toujours que je viens juste d'être servi par le dernier androïde de la planète. C'est une pensée insensée.
Alors que je m'apprête à franchir le seuil, un autre client s'apprête à entrer, je le heurte légèrement de l'épaule gauche.
"Excusez-moi," je lui dis, avec un regard compatissant sur mon visage exprimant mes plus plates excuses pour avoir empiéter sur son espace personnel. Il se retourne immédiatement et me regarde droit dans les yeux avec un regard très menaçant.
"Regarde où tu mets les pieds, connard", il me dit, avec un regard furieux qui lui traverse la gueule d'une tempe à l'autre. Il a l'air d'être dans un de ces jours où que tout se barre en couilles et ou qu'y vaut mieux pas lui casser ces dernières. J'ignore complètement sa réflexion. Je lui dit "désolé" une dernière fois avant de reprendre mon chemin.
J'arrive au bout du pâté de maisons, j'entends des cris, ou même plutôt des hurlements, je me retourne cherchant une indication sur la provenance des cris. Comme par hasard, ça vient juste du fast-food dans lequel je me trouvais. Je peux voir des gens sortir frénétiquement du Food-Maker. Je vois le mec qui passait une mauvaise journée sortir à reculons ; il a l'air effrayé, du sang noir coule de son crâne, et l'androïde le tient par les couilles. Tout d'un coup, les pieds du mec mal luné ne touchent plus le sol, l'androïde vient de le soulever en l'air de sa main droite au niveau de l'entrejambe. De l'autre main et d'un mouvement rapide, il lui saisit le haut de la cuisse droite et déchire le tronc du mec en deux du coccyx à l'épaule gauche comme une vulgaire feuille de papier cul. Y a ses boyaux qui se déversent telle une cascade. Je peux pas remuer un doigt, je suis abasourdi par le spectacle gore auquel mes yeux terrifiés viennent d'assister. Alors que j'essaie de bouger et de me mettre à l'abri ou de me cacher quelque part, j'entends les réacteurs dont l'androïde est équipé au niveau des mollets se mettre à bourdonner derrière moi ; je me retourne pas, je cours dans la direction opposée. Le bourdonnement devient plus fort à chaque pas, je peux maintenant sentir l'ozone de ses réacteurs. Il passe devant moi en me survolant et l'onde de choc me fait perdre pied et mordre à pleines dents le revêtement bitumé du trottoir.
Je vois l'androïde disparaître dans le ciel lumineux de ce tout début d'après-midi jusqu'à plus devenir qu'un tout petit point et disparaître. Je crois que les "Blade" vont avoir du fil à retordre avec celui-là.
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Merci pour votre inconditionnel soutien qui me va droit au cœur
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et à très bientôt !
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