Flagrant délit
Il n’y avait qu’eux deux dans la grand maisonnée. Rien qu’eux deux, seuls, isolés ...et un peu effrayés. L’automne, en effet, avait pointé son nez depuis près de deux lunes et cette nuit là, d’énormes nuages noirs provocateurs poussés par des vents marins chargés de sel et d’ozone avaient franchi les falaises et s’étaient répandus au dessus du domaine tel un sombre linceul enveloppant les terres.
La tempête s’était déclenchée brusquement et, à chaque grondement de tonnerre, il avait pu l'observer, effrayée, terrorisée, contracter son petit corps frêle et gracile en crises spasmodiques.
Que n’aurait-il pas donné pour lui apporter un peu de chaleur et de réconfort !
Malheureusement, ceci n’était qu’une pure chimère et lui était interdit, il ne le savait hélas que trop bien, l’écart entre elle et lui était si grand, leurs milieux et origines si différents...
Elle paraissait le regarder depuis l’autre bout de la pièce et, tremblante, semblait pourtant se pâmer d’admiration devant sa force tranquille ... En fait, elle priait en son for intérieur, elle priait pour qu’il la prenne dans ses bras, pour qu’il la réconforte et la protège des éléments déchaînés. Oh oui, sous les assauts redoublés des cieux en furie, c’était vraiment là ce qu’elle souhaitait le plus au monde.
Soudain, dans un craquement sinistre, le lustre de cristal centenaire qui jusqu’à cet instant avait baigné la pièce de ses mille feux rassurants s’éteignit pour laisser place à une obscurité des plus ténébreuses, entrecoupée des lueurs stroboscopiques et bleutées de menaçants éclairs...
Une plainte angoissée s’échappa de la gorge de la pauvrette apeurée. Il se précipita sans réfléchir sur le sofa où elle s’était aussitôt réfugiée, le visage profondément enfoui dans les coussins de velours sombre et moiré. Il n’hésita pas une seconde et lui offrit la protection de son corps, de ses bras, de son âme...
Il avait conscience qu’il s’agissait d’un geste irraisonné, d’un attouchement quasiment sacrilège et s’était attendu à la voir le repousser. Quelle ne fut donc sa surprise quand elle ne résista pas mais se retourna au contraire pour s’accrocher à lui telle une bernique éperdue.
Il pouvait percevoir, résonnant contre son torse puissant, le changement de rythme des pulsations cardiaques de la belle qui passa de celui frénétique engendré par la terreur à celui ample et profond d’un bien être conforté. Elle se pelotonna un peu plus contre lui en gémissant plaintivement, pressant son visage encore quelque peu tourmenté contre sa gorge épaisse et virile.
En fait, c’est l’ensemble du corps de la belle qui se colla contre lui, chaque fibre, chaque terminaison nerveuse semblant dotée d’une volonté propre et unique de ne faire plus qu’une avec lui. Dieu, que la sensation était agréable, fasse le ciel que la tempête ne s’arrête jamais, criait son âme exaltée de bonheur...
L’orage continuait à déverser sa démence et gronder sa fureur à travers les carreaux ruisselants du salon tandis que leur passion naissante s’en allait grandissante. Et vint l’instant fatidique où tous deux prirent conscience que leurs corps avaient depuis l’aube des temps été faits l’un pour l’autre.
Ils savaient qu’ils avaient tort, que jamais de la vie le maître des lieux n’accepterait l’union d’un vulgaire gardien à celle de la princesse de ce royaume. Leurs familles et amis ne comprendraient d’ailleurs pas plus que ce dernier l’idée d’un tel scandale. Mais ils étaient tellement pris par leurs étreintes frénétiques et leur passion nouvelle qu’ils n’entendirent jamais le cliquetis des clés tournant dans la serrure mais seulement celui, hélas avec un brin de retard, du bouton déclencheur de l’appareil photo...