8 nov. 2021

555. Déconnexion


8 Novembre 2030
"Pas trop tôt !" s'excrivit le geek dans son journal "J'ai enfin réussi à construire ma super-bécane, à créer la reine-mère de toutes les hackeuses quantiques ! Et avec elle j'ai pu emprisonner dans ses mailles la toile infinie d'Internet, redirigeant chacun de ses réseaux vers le point nodal sous le contrôle total et absolu du bout de l'index de ma main droite !"
Il avait déjà couché tellement de détails dans son journal sur son grand-œuvre pour la postérité, usé tellement de crayons laser ! La satisfaction pouvait se lire dans ses yeux, même si ces derniers étaient masqués derrière ses lentilles de réalité virtuelle.
"J'ai réussi et je vais enfin atteindre mon objectif final: mettre fin à ce terrible cauchemar, sortir la planète des limbes, de  ce Meta-truc Zuckerbourgeois, une fois pour toutes libérer le monde de cette prison techno-cratologique techno-logicratique psychonirique de merde  qui nous maintient comme des animaux, prisonniers et idiots."

L'homme était littéralement ébloui par son invention orgasmique tout autant que magnanime,. Oh, ce n'était pas un grand artefact, mais c'était une création brillantissime. Il avait progressivement piégé l'intégralité de chacunes des branches des réseaux Internet de la planète jusqu'à ce qu'elles se rejoignent toutes dans son node. De cette manière il allait pouvoir les déconnecter toutes à la fois en en  court-cisaillant le tronc à la racine, rendant toute reconnexion ou greffe impossible. 
Bientôt, le grand moment, le retour aux sources, allait arriver. Sachez toutefois que le geek avait, en plus de son empathie pour ses semblables, des motivations toutes personnelles pour mener à bien ce projet humanitaire irréversible. Il avait perdu sa famille, ses amis et sa fiancée dans le monde virtuel et onirique de Meta. Il était seul et en souffrait. Il lui avait fallu neuf ans pour créer son fabuleux appareil, et il allait enfin pouvoir se venger.
Le processus était terminé. Le Net, sa machine ronronnant imperceptiblement et son node ne faisaient plus qu'un.
"J'ai plus qu'à appuyer sur le bouton et tout sera terminé"
 
Il se souvint alors à quel point Internet aurait pu être génial. Comment il aurait pu être incroyablement magnifique et d'essence divine. Les  oeuvres de Châteaubriand, 'La dimension des rêves' de Cornwell, la page de ce blog, le Livre des Esséniens, la 'Marelle' de Cortazar. Se pouvait-il que cette immense toile dévoyée soit devenue aussi indestructible qu'elle était diabolique ?  Il s'agissait d'essayer, d'actionner l'interrupteur pour passer outre le système qui maintenait en vie la grande prostituée. Dès qu'il éteindrait le Hulk comme il avait baptisé sa bécane, tout s'arrêterait. Le geek était nerveux, son cœur battait la chamade. Non, il ne devait pas lâcher à ce stade.  Jamais aucun de ses semblables n'était allé aussi loin contre la Matrice. Jamais.

Il appuya sur le bitonio...
...et simultanément, deux choses se passèrent :

La méga Meta-putasse s'éteignit puis se ralluma au bout  de même pas une pico-seconde.
L'esprit du geek s'éffaça et disparut sans laisser la moindre trace, à la façon de Keyser Söze: pftt !
Complètement. Et pour l'éternité.