6 nov. 2021

554. Allo ? Ouîîînnn...


Ce conte d'Halloween vous est pas gracieusement offert grâce au soutien financier des aliments pour chiens "ROYAL CANIN"

Désolé pour cette petite semaine de  retard, j'étais occupé à la cave-
" Je suis désolé que cela ait pris autant de temps"
, déclara le médecin en entrant dans la salle d'attente. Frank et Hélène se levèrent. " Non,je vous en prie, restez assis. 
- Qu'y a-t-il, docteur ? Je n'aime pas l'expression sur votre visage , déclara Hélène.
- Monsieur. et Madame Chablis, l'IRM montre une masse près de l'hypothalamus.
- Qu'est-ce que ça veut dire exactement? demanda Frank.
- Cela nous indique pourquoi vous subissez des sautes d'humeur. Il y a une zone près de cette région du cerveau qui est responsable de la violence, et la tumeur s'appuie dessus, ce qui explique certaines de vos récentes crises.
- Docteur", crut bon d'ajouter Hélène, "il a également fait preuve d'un manque d'empathie croissant ces derniers temps. C'était l'homme le plus merveilleux du monde, mais depuis quelques mois, il a commencé à se montrer froid et distant."
 Frank lui jeta un regard surpris, "Tu ne m'en as jamais fait la remarque avant aujourd'hui !
- Tandis que la tumeur envahit le cerveau", les coupa le toubib en tapotant le cliché du doigt, "elle exerce une pression sur d'autres zones. Le lobe frontal est responsable de la personnalité, et il semble être lui aussi soumis à une pression considérable. 
- Pouvons-nous retirer la tumeur ?  demanda Hélène.
- Elle pousse à l'intérieur, et cela rend la chirurgie impossible. Les médicaments peuvent ralentir la croissance, mais nous ne pouvons rien faire d'autre." Le médecin qui venait de s'adresser à Hélène se tourna alors directement vers Frank. "Monsieur Chablis, ce n'est pas de gaieté de cœur que je vais vous annoncer ce qui suit, mais votre famille et vos amis ne vous reconnaîtront pas d'ici quelques années.
- Et qu'est ce que ca veut dire, exactement ?" demanda Hélène. Frank pouvait percevoir l'inquiétude dans sa voix.
" Cela signifie que sa personnalité subira des changements spectaculaires, madame Chablis." Puis, se tournant vers Frank "Vous avez frappé votre femme l'autre jour, ce qui, me dit-elle, ne vous ressemble pas du tout. C'est pourquoi elle vous a supplié de venir passer un examen. Vous souvenez-vous de l'avoir frappée ?" 
Frank secoua la tête.
Le médecin se retourna vers Hélène : " J'ai bien peur que ça ne fasse qu'empirer. Nous avons des médicaments qui peuvent calmer votre mari dans une certaine mesure, mais, Madame Chablis – Frank, nous ne pourrons vous empêcher de perdre un grande partie de l'essence de qui vous êtes."
Hélène sanglota et Frank lui passa un bras autour des épaules. "Je suis désolé, chérie".

La Faucheuse, avec son crâne de vinyle jaune sale et sa lame semblant celle d'un cimetière cimeterre, dominait Frank de toute la hauteur de sa capuche. C'était le 31 octobre, et il avait travaillé dur pour mettre en place les décorations sur la pelouse. C'était leur fête préférée, à lui et à Hélène. Des goules gonflables, des pierres tombales en polystyrène, des toiles d'araignées et des personnages animés parsemaient le parterre de leur maison, ce qui en faisait la vedette, la star du quartier. Frank avait travaillé de nombreuses années en tant que maître accessoiriste de studio et il savait utiliser ses compétences acquises sur les plateaux de théâtre et de cinéma pour divertir les enfants.

Il se recula pour admirer son travail, puis réintégra la chaleur de sa maison pour aller contempler la photo d'Hélène sur le manteau de leur cheminée. Voilà dix ans qu'Hélène était morte, presque jour pour jour. Son décès avait été soudain. Comme un coup de poignard dans le ventre, aurait pu se dire Frank. La mort était venue et l'avait emportée sans prévenir. Jamais dans ses rêves les plus fous, il ne s'était attendu à lui survivre. Une partie de lui pourtant était contente qu'elle soit partie. Il avait changé et il ne pensait pas qu'Hélène eût apprécié ce qu'elle aurait vu. Il posa un baiser sur le bout de ses doigts qu'il déposa à leur tour tendrement sur la photo.

" Chéri," l'avait-elle supplié, "tu dois le laisser partir. Même un chien ne mérite pas d'être enfermé dans une chambre de 6 mètres carrés.
- Ce qui est fait est fait", avait déclaré Frank avec dédain, "Il a un endroit pour dormir, il a beaucoup de nourriture et d'eau, et tu sais tès bien que je ne peux pas le libérer, alors laisse tomber. "
Mais Hélène ne pouvait pas laisser tomber. " Ce n'est pas de ta faute," lui avait-elle dit, "c'est la maladie qui te fait faire ce genre de choses. Parfois, tu ne contrôles plus ni ton corps ni tes actions.
- Je déteste quand tu me dis ça", lui avait-t-il sèchement rétorqué, "S'il te plaît, arrête de me dire que je n'ai pas le contrôle. Je fais ce que je veux quand je veux le faire."
Hélène avait reculé, mais cette nuit là, ils auraient plusieurs fois encore la même confrontation avant que ça ne tourne au vinaigre.

Frank se dirigea vers le placard de la cuisine et en sortit un grand bol. Seuls les meilleurs bonbons feraient l'affaire ce soir. Les barres Snickers, Milky Way, Mars et Kit Kat étaient placées près de la porte d'entrée. Pas de mini-barres en sachets ici ; oh non, Frank avait tout mis en œuvre et acheté les barres chocolatées en taille coupe-faim, faisant de sa maison la favorite du quartier. Mais tout change et Frank avait remarqué la diminution du nombre d'enfants dans le quartier. Beaucoup avaient déménagé pour fonder leur propre famille, et la Covid-19 n’avait pas aidé. L'année dernière, ces enculés du ministère avaient annulé Halloween et il espérait que les enfants reviendraient en masse.

Une bougie dans une citrouille-lanterne signalait à tout le quartier qu'il était ouvert aux affaires pour les petits racketteurs en herbe. Au fil des ans, Frank avait remarqué que beaucoup d'enfants ne disaient plus aussi souvent qu'avant le 'Trick or Treat' traditionnel, et ils ne disaient certainement plus merci. Souvent, ils ouvraient simplement leurs sacs à bonbons et s'attendaient à ce que ces derniers tombent dedans comme par magie; les enfants, semblait-il, avaient perdu certaines des compétences sociales et des bonnes manières les plus élémentaires.

Frank était connu comme le paria du quartier, se moquant souvent des promeneurs de chiens et des joggeurs sans raison apparente si ce n'est à cause de leurs masques chirurgicaux à la con hors période de carnaval. Il avait remarqué que de nombreux voisins changeaient de trottoir pour éviter des confrontations inutiles. Le restant de l'année, Frank était irritable et inaccessible, mais pas à Halloween. Le 31 octobre, Frank sentait qu'il subissait un changement remarquable en accueillant chaque enfant du quartier dans sa maison.

C'étaient les petits enfants d'âge préscolaire qui lui apportaient le plus de joie. Ils tenaient généralement la main de leurs parents et frappaient doucement à sa porte. Ils arrivaient tôt en général, lorsque la lueur crépusculaire du coucher du soleil donnait encore l'impression que le quartier était sûr. Mais une fois la nuit tombée, les petits allaient se coucher et les plus grands, les ingrats, seraient de sortie.
C'est en début de soirée que deux petits anges apparurent à sa porte. "Touic or Tuit !
- Commme elles sont mignones ! ", déclara Frank, " Sont-elles jumelles ? "
Le jeune couple hocha la tête : " Qu'est-ce qu'on dit au gentil monsieur ?
- Meeerci," répondirent les fillettes à l'unisson.
- Je vous en prie", répondit Frank. Il se tourna vers les parents : " Vous avez de bien beaux enfants. Merci de leur avoir appris les bonnes manières ; c'est si rare de nos jours de pas tomber sur des petits Woke."

Le début de soirée vit sortir plus d'enfants qu'il ne s'y était attendu. Il distribua des bonbons à Spiderman, à Yoda, à des enchanteurs et des sorcières et à toutes sortes de petits monstres. Mais à mesure que la lumière du jour disparaissait, les petits aussi se raréfiaient. Les ingrats allaient commencer à venir frapper à sa porte d'un instant à l'autre, et Frank devait se préparer mentalement au cas où il tomberait sur des racailles.
Il savait que les élèves du primaire pouvaient se montrer aussi méchants que ces horribles potaches du collège, mais les lycéens étaient les pires de tous. Ils devaient être en ce moment même à s'imbiber d'alcool à l'heure qu'il est, pensa-t-il, et non à ramasser des bonbons auprès de personnes âgées. C'était effrayant, et cela l'aurait dérangé qu'ils se promènent dans les rues parmi les petits enfants.

Hélène lui avait dit un jour que sa personnalité se détériorait une fois le soleil couché. 'Crépusculaire', c'est ce qu'elle lui avait dit qu'il était, puis elle lui avait expliqué que sa tumeur avait aggravé son état. C'était la nuit d'Halloween, il y a dix ans, qu'il l'avait vraiment perdue. Hélène avait failli appeler la police, mais il l'en avait empêchée ; il fut choqué quand elle décéda dans leur chambre quelques semaines plus tard. C'était le dixième anniversaire de l'incident, et il savait qu'il aurait pu utiliser sa présence apaisante ce soir.

Frank se dirigea vers le garde-manger, remplit un bol de croquettes pour chien, de véritables merdes comme on sait si bien les faire chez Royal Canin, puis pénétra dans l'une des chambres. Il posa le bol sur le sol ainsi qu'une écuelle de flotte. "Je ne veux pas entendre un son ce soir, pas un gémissement, tu me comprends ? Sois un bon garçon." Il verrouilla la porte, y colla son oreille et écouta le bruit de l'eau qu'on ingurgite ainsi que le mastiquage de la nourriture. Satisfait, il s'éloigna.

C'était le grand calme depuis près d'une heure quand la sonnette sonna finalement. Comme en 2020, il pensait qu'il n'y aurait peut-être pas d'enfants plus âgés cette année. Les voisins n'avaient pas favorisé les choses non plus. Seules quelques maisons dans la rue avaient des décorations. Les enfants sont attirés par les quartiers où les résidents sont entrés dans l'esprit d'Halloween, et où les décorations pavoisent et foisonnent.
"J'arrive," cria-t-il dans le couloir. Il se tenait debout sans problème, mais marcher était devenu une corvée " Ne partez pas !" cria-t-il à nouveau : " J'arrive ! " 
Il ouvrit la porte d'entrée, "Eh bien, regardez-moi qui nous avons là !" L'enfant sur le palier semblait avoir sept ou huit ans. "Tu es la première Wonder Woman à frapper à ma porte ce soir." Frank se pencha au dessus de la petite. "J'aime bien Wonder Woman." Il murmura doucement : " Comment tu t'appelles, princesse ?
- Kévin, dit l'enfant.
- Kévin ? Tu es au courant que Wonder Woman est une fille, n'est-ce pas ?
- Je veux des bonbons."
Enfant gâté. Frank sourit et fit signe au jeune couple sur le trottoir. Il se retourna vers l'enfant : "Ne t'inquiète pas, je te donnerai des bonbons, mais ne préférerais-tu pas être Superman ou Batman ?
- Maman!" cria Wonder Woman.
Frank laissa tomber une barre chocolatée dans le sac. " Voilà ", lui dît-il en chuchottant, " maintenant barre-toi de mon porche, petite pisseuse. »
L'enfant courut vers ses parents. " Ouîîînnn, ll a dit un gros mot. C'est un méchant." gémit l'enfant. Le père fouilla dans le sac, enleva la barre chocolatée et la mit dans sa poche en balançant à Frank un regard méprisant.

C'était inhabituellement lent, et une autre demi-heure s'écoula avant que la sonnette ne tînte à nouveau. "J'arrive," cria-t-il. Il ramassa le bol de bonbons et salua ses invités. Deux enfants se tenaient à la porte.
"Et qui êtes-vous?" demanda Frank au plus petit des deux.
" Moi, je suis Jason, répondit le gamin.
- Tu es sûr que t'es pas un joueur de hockey ?
- Non, je suis Jason, répéta l'enfant avec défi.
- Parce que tu ressembles à un joueur de hockey avec ton masque."
L'enfant ouvrit son sac plus largement. "Je veux mes bonbons.
- Ce n'est pas comme ça qu'y faut dire, petit monstre. Frank sentit une palpitation dans sa tête. Maintenant, qu'est-ce que vous devez dire ?
- La charité s'il-vous-plaît !
- C'est mieux, mais c'est pas encore ça, releva Frank.
- Trick or treat ! 
- Eh ben voilà , c'est beaucoup mieux !" Frank laissa tomber une barre chocolatée dans le sac. Il se tourna vers l'autre : " Et toi, t'es qui toi ?
- Moi, je suis Freddy."
 - Putain, tu fais peur ! Et où qu'y sont vos parents?" demanda-t'il. Freddy montra une maison en haut de la rue. " Ils ne devraient pas vous laisser sortir seuls si tard le soir. Savez-vous ce qui arrive aux petits garçons qui s'égarent dans la nuit ?" Les garçons secouèrent la tête. Frank invoqua sa voix gutturale la plus effrayante.:"Ils dis-pa-raissent!"
Les garçons traversèrent quasiment en courant et dans l'autre sens la pelouse en direction du trottoir, une sorcière émit un rire lugubre sur leur passage et un loup hurla. Les garçons effrayés trébuchèrent sur une pierre tombale en mousse et roulèrent sur le gazon. Frank ricana. Il avait placé un haut-parleur derrière la haie qui émettait des sons terrifiants chaque fois que quelqu'un passait devant. Il redressa l'ornement tombal et retourna à l'intérieur, doutant que ces enfants reviendraient l'année prochaine.

Oh, comme il aurait aimé qu'Hélène soit avec lui ce soir. Il alla au bar et se versa deux doigts de scotch. De qui se moquait-il ? Il en rajouta quatre de plus et s'assit pour regarder Le Silence des Agneaux. C'était leur film d'horreur préféré, mais ce n'était pas pareil sans sa femme. La Guerre des Mondes avait été le premier long métrage qu'ils avaient vu ensemble, l'original, pas cette imitation de merde avec Tom Cruise. Mais le Silence des Agneaux, maintenant, ça c'était un thriller de classe mondiale. Le scotch fit son effet et Frank s'assoupit avant d'entendre l'arrivée de sa réplique préférée. "Je suis dans cette pièce depuis huit ans, maintenant Clarice, et je sais qu'ils ne me laisseront jamais sortir, pas tant que je serai en vie."

Frank était scotché dans un sommeil profond et ambré quand la sonnette le tira de sa léthargie. Ça sonnait sans cesse. Que diable, il regarda l'horloge. Il était passé onze heures du soir !
La sonnette continua à sonner cinq, six, sept fois de suite. Il entendit une agitation dans la chambre d'amis. Il se leva d'un pas chancelant, regarda le verre à whisky dans le fond duquel subsistait encore une petite lampée qu'il avala d'un trait. La sonnette sonna encore plusieurs fois. Pour le coup, ça l'énerva. Confus et ivre, il se dirigea vers la porte.

Trois jeunes hommes aux cheveux décolorés avec des taies d'oreiller en guise de sacs à bonbons et sans costumes se tenaient sur le porche. Ils semblaient trop vieux pour être des 'tricks or treateurs'. Il pensa qu'ils devaient avoir dans les seize ou dix-sept ans. Les adolescents sans costumes étaient généralement les plus effrayants de tous.
" Qu'est-ce que t'as pour nous, le vieux ? fit l'un des garçons.
- Vous êtes censés dire : 'Trick or treat', les petits...
- Ouais, ben qu'est-ce que tu as pour nous, les grands ?
- Pour vous les tarlouzes, j'ai une histoire."
Les garçons ont rigolé. " On se passera de ton histoire. Donne-nous juste des bonbons, ou ce que t'es entrain de boire." Il se tourna vers ses copains, "Ce vieil idiot peut à peine tenir sur ses cannes."
"Il y a dix ans", commença Frank, "un punk de votre espèce s'est présenté à ma porte. Il était seul, contrairement à vous trois, lopettes de poules mouillées qui voyagez en meute. En tout cas, il m'a appelé 'mon vieux', comme vous, et quand je lui ai dit que je ne lui donnerais pas de bonbons, il a craché sur mes godasses."
Les garçons se marrèrent : " C'est ça ? C'est ton histoire effrayante ? Et t'as fait quoi ? Tu lui as refilé des bonbons empoisonnés ?
- Non, je lui ai juste mis un coup de Taser, puis je l'ai enfermé dans la chambre d'amis, et maintenant tout ce qu'il mange c'est de la bouffe pour clébards. Il est enchaîné au lit avec un collier de chien autour du cou. Et s'il me répond comme vous le faites, les punks, il reçoit une décharge électrique. J'ai augmenté le voltage il y a quelques années, et maintenant il peut à peine parler. Il est porté disparu depuis 2011, et je crois comprendre que ses parents n'ont jamais cessé de le rechercher. Il est dans la chambre de devant là-bas, mais il sait mieux faire que de faire du bruit.
- Ooooh, mais c'est qu'il nous ferait peur, le grand-père", s'exclama l'un des garçons.
- T'u te prends pour Stephen King ? Donne-nous juste ce que t'as à nous donner et boucle-la !",  renchérit le troisième avec confiance.
- Si j'avais dix ans de moins, je vous botterais le cul, petites tafiotes.
- Tu tiendrais pas une minute dans un bras de fer contre un caniche, déclara l'un des garçons.
- J'étais assez fort pour poignarder ma femme à mort tandis qu'elle arrêtait pas de me harceler à propos du garçon. "Laisse-le partir," qu'elle me disait. "Ils ne te mettront pas en prison," elle me suppliait. "Tu ne vas pas bien, tu es malade," qu'elle continuait. Eh bien, elle ne dit plus rien, maintenant. Oh, elle dort toujours avec moi tous les soirs mais elle n'a plus que la peau sur les os maintenant, ce qui la rend pas très ragoûtante; mais si elle était en vie, elle vous dirait elle aussi de mettre les voiles sans vous retourner, bande de lopettes !
- Tu ne nous fais pas peur, le vieux. Aboule juste les bonbecs et arrête tes salades !

Franck saisit trois barres chocolatées dans son stock et les jeta sur la pelouse. " Allez donc les chercher, leur dît-il.
-  Pas de problème, le vieux. On va jouer les clébards. Les garçons se mirent à japper et aboyer comme une bande d'épagneuls à la recherche de perdreaux. "Les mendiants n'ont pas le choix." Les garçons sautèrent du porche et coururent sur le côté de la maison pour ramasser les friandises.
De la fenêtre de la chambre leur parvint vint un murmure étouffé : " Aidez-moi, s'il vous plaît. Aidez-moi."
Les garçons se mirent à rire. " Aidez-moi, s'il vous plaît, aidez-moi !", se moquaient-ils, "Vieux taré ! Tu crois quand même pas nous faire peur avec ton enregistrement minable ?" Ils lui retournèrent le doigt d'honneur que Frank venait de leur faire, puis  renversèrent à coup de savattes quelques fausses pierres tombales avant de foutre le camp.

 Frank claqua la porte d'entrée, se dirigea vers la chambre d'amis qu'il déverrouilla. " Je t'avais dit de ne pas faire de bruit." grogna-t'il.
Dans un coin, un jeune homme de vingt-six - qui par un bizarre effet de miroir magique en paraissait soixante-deux - s'accroupit dans une stupeur provoquée par la peur. Sa peau était presque transparente après dix ans d'incarcération et ses côtes saillaient à travers le tee-shirt crade et usé qui tenait plus que par quelques fils autour de son cou et d'une épaule. Il tira sans force sur le collier de chien modifié qui lui enserrait la gorge, dodelinant de la tête qu'il avait parsemée de fines touffes de cheveux épars.
"Je suis désolé, fit-il, sa voix toute fluette, à peine audible.
- Tu t'approches et tu appelles encore depuis cette fenêtre et je te tranche la gorge , lui gueula Frank.
- Je suis désolé," répéta le garçon, "j'ai appris ma leçon. Vous n'entendrez plus aucun son de ma part.
- Je pensais que t'avais déjà appris cette leçon, mais apparemment, c'est pas le cas. Dis-le-moi encore, que t'es désolé.
- Je suis désolé, murmura le garçon.
- Plus fort, rétorqua Frank.
- Je suis désolé, soupira encore le garçon.
- Dis-le plus fort, ou parole de Chablis, je te décolle la peau des os !
- Je suis désolé!" beugla le garçon du plus profond de ses poumons. Le volume de sa voix fût tel qu'il déclancha le collier à commande vocale. L'électricité crépita, son cou se contracta, des crachats volèrent, le garçon hurlait de douleur, et à chaque cri successif, le collier le choquait, encore plus et plus encore, et ça continua comme ça jusqu'à ce que sa gorge se referme et que les cris cessent.
"C'est comme ça qu'on mate les chiens pour qu'ils ferment leurs gueules", déclara Frank, "Ça marche aussi très bien avec les lopettes, tu trouves pas ?"

Frank entra dans la chambre principale, alluma la lumière et se dirigea sur le côté du lit d'Hélène. "Tu m'as dit une fois que je n'avais aucune empathie," lui dit-il, "Eh bien, tu avais tort. J'en ai tout plein à revendre." Il arracha une côte de sa carcasse desséchée, retourna dans la chambre de la lopette et la jeta par terre. " Ronge-moi ça," , lui fit-il " ça renforcera les trois dents saines qui te restent. J'en ai ras-le-cul de ramasser les miettes et les morceaux de tes ratiches pourries par terre après chacune de tes crises."