3 sept. 2020

430. Fractale


Cette histoire vous est pas gracieusement offerte grâce au soutien financier de "Bayer-Monsanto"

La mère Gonidec renifla. "Pourquoi que tout le monde s'en fait autant ? Y nous font rien de mal à ce que je sache ?"
Partout sur la planète, c'était la panique générale, encore plus pire que  celle montée de toute pièce dans les années 20 avec cette diabolique saloperie de canular de Covid19. La panique générale régnait partout, ouais, partout, sauf dans ce petit coin perdu d'Armorique et plus précisément dans le champ de poireaux de la mère Gonidec. Elle leva les yeux au ciel et observa les silhouettes titanesques et monstrueuses des nouveaux-venus.
Vlà une semaine qu'ils s'étaient pointés, à bord de giga-vaisseaux spatiaux de plusieurs centaines de kilomètres de long. Et maintenant, des milliers de ces géants se baladaient un peu partout à la surface du globe.
Mais comme le soulignait la mère Gonidec, ils n'avaient fait de mal à personne et n'avaient rien détruit. Ils z'étaient pas assez substantiels pour affecter les biens et les personnes. Quand l'un d'entre eux vous marchait dessus par mégarde ou par inadvertance, sur vous ou sur votre maison, il se faisait une sorte d'obscurité soudaine, comme une éclipse de soleil ou une panne d'électricité, et, jusqu'à ce que leur pied aille se poser quelques kilomètres plus loin, vous étiez dans la pénombre quelques instants et puis c'est tout. Pas de quoi fouetter un chat.
Ils s'en foutaient comme de l'an quarante des êtres humains, et toute tentative pour communiquer avec eux avait échoué, comme avaient échoué toute attaque lancée contre eux par l'armée et les avions de chasse de ces va-t-en guerre de l'Otan. Même les bombes atomiques que l'armée chinoise leur avait balancées  sur le coin de la gueule pendant que certains d'entre eux traversaient le désert de Gobi ne les dérangèrent pas le moins du monde. Comme s'ils les avaient même pas vues ou entendues.
Sourdingues de chez les sourdingues, et aveugles en plus, ils nous ignoraient totalement.
"Et ça," dit la mère Gonidec à sa sœur - qui s'appelait aussi mère Gonidec vu qu' aucune des deux n'avait trouvé de marin-pêcheur assez désespéré pour la marier -, "c'est la preuve qui ne nous veulent pas de mal, pas vrai ?"
- Bédame, je prie le ciel que t'aies raison, Célestine." répondit la sœur de la mère Gonidec. " Jésus Marie Joseph, regarde donc qu'est-ce qu'y sont entrain de faire, main'nant."
C'était une belle journée ensoleillée, enfin jusqu'à cet instant. Le ciel avait été d'un azur resplendissant et les têtes et les épaules quasi-humanoïdes des titans avaient été clairement visibles juste en dessous de la voûte céleste jusqu'à ce moment. Mais vlà qu'une brume venait de s'emparer du ciel, observa l'œil affûté sous le sourcil broussailleux de l'aînée qui avait suivi du regard celui de de sa frangine scrutant le ciel. Chacun des deux titans en vue portait une espèce d'énorme cylindre cuivré entre les pognes et de ces objets un énorme nuage de matière vaporeuse fusait, masquant déjà leurs têtes et leurs épaules, descendant lentement en volutes se dispersant en direction du sol.
La mère Gonidec renifla. "Ils fabriquent des nuages. Peut-être que c'est comme ça qu'y s'amusent ! Les nuages ont jamais fait de mal à personne. Gast, un petit peu de pluie ferait pas de mal à nos poireaux. Pourquoi donc que les gens paniquent-ils tous comme ça ?"
Elle se remit à l'ouvrage.
"C'est du fertilisant que tu vaporises, Célestine ?" lui demanda sa sœur.
- Non," répondit la Mère Gonidec en s'essuyant le nez d'un vieux chiffon, " pas besoin de cette saloperie sur cette bonne terre.  
- Ah beh c'est sûr qu'on a fait une sacrée bonne affaire en rachetant ce lopin à ce vieux grignou plein de cidre de Job Larigou !  Alors c'est quoi que c'est que tu balances sur nos poireaux ? "
Ça ? C'est rien que du pesticide, le meilleur qu'y a sur le marché. Y a pas une bestiole ou une vermine qui y résiste." Elle repassa un autre coup de chiffon sous ses narines poilues. "Regarde donc, c'est du glyphosate, du vrai Roundup de chez Monsanto." Ce furent là les dernières paroles qui sortirent de la bouche de la Mère Gonidec avant que les deux ne tombent à la renverse et se viandent la gueule dans la terre grasse. 
Les quatre fers de leurs sabots léonards au bout de leurs chevilles recouvertes de bas de coton gris gigotèrent en l'air quelques secondes en staccato avant de se tétaniser, à l'ombre des titans, en plein milieu de leur champ de poireaux.


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