19 oct. 2019

368. Antimatière



" Notre remorqueur stellaire et sa barge ont franchi comme prévu et sans dommages  la frontière tant redoutée. 
En passant par le trou noir géant central de notre univers connu et en en ressortant par le cul blanc de l’anti-univers où jamais la main de l'homme n'a jamais mis les pieds. Nous nous trouvons désormais dans ce lieu  constitué d’antimatière. Nous pouvons donc d’ores et déjà confirmer que notre bouclier antigravitationnel fonctionne parfaitement même dans l’antimatière. L’espace intersidéral se révèle d'une blancheur lumineuse constellée de galaxies, constellations et d’astres noirs bleutés, un peu de la couleur des ventres de ces petits scarabées noirs que l'on rencontre fréquemment sur les chemins de terre bretons par temps de pluie.  Nous nous dirigeons actuellement vers cette extrémité de l’anti-voie lactée où devrait se trouver, par effet miroir, la jumelle de notre planète la Terre. La température extérieure de l’anti-espace intersidéral approche le chaud absolu de 272 degrés Celsius mais elle descend rapidement de plusieurs centaines de milliers de degrés dès que notre vaisseau passe à proximité de quelques unes des milliards d’étoiles obscures ou des petits soleils noirs peuplant cet immense vacuum et se trouvant sur notre trajectoire. Une vision grandiose, un peu comme si on l’avait fait tournoyer au bout d'une fronde, dans toutes les orbites possibles et imaginables, un pinceau gigantesque  saturé d'encre de chine,  parsemant et constellant de points sombres la blancheur laiteuse éclatante de ce cosmos.

La planète que nous venons d'observer à distance, XRZX003, est inimaginable pour un esprit habitué à voyager dans un univers constitué de matière. Ici, tout relève de la fantasmagorie. De jour, un ciel d'un orange vif de clémentine est obscurci d'un œil sombre et violet dont les rayons vous glacent la peau. Les noires et brûlantes « glaces » des banquises polaires, plantées d’une forêt primaire violette  et  luxuriante font s’évaporer les eaux qui les bordent. Juste en dessous des pôles, le mauve des  forêts tropicales septentrionales s'allie presque avec le rouge orangé des océans à l'écume noire et la température y est déjà plus tiède, fraîche même en été. À la surface de ces derniers, les voiles des navires ne sont pas gonflées ou poussées par les vents comme dans notre univers, elles y sont comme ...aspirées. 

Entre équateur d'un froid polaire aux pôles aux températures équatoriales et, en partant de l’équateur couvert de glaces, on rencontre des prairies de mousses et de lichens,  des toundras bleues marine souvent traversées de bandes noires neigeuses, en descendant ou en montant encore vers les zones tempérées, les premiers conifères aux tons carmins apparaissent,  suivies de forêts de feuillus mauves et de prairies d’herbes vermillon, puis en descendant encore, l’herbe commence à côtoyer la caillasse qui se prolonge par des  déserts de sables couleur de pistaches plus ou moins grillées ou à  celles d’un lait teinté d’un généreux nuage de sirop de menthe, puis des buissons et des prairies rougeâtres  apparaissent ça et là, se condensant de plus en plus tandis que l’on s’éloigne de l’équateur polaire et qu’on approche les pôles équatoriaux à l’air saturé d’humidité et à la végétation d’une rougeur luxuriante.
De nuit, lorsque la lune, entre mauve et fuchsia, y pointe sa rondeur dans les cieux blancs nâcrés,  la lumière s'obscurcit encore plus et les habitants de ce monde utilisent alors des paralunes à  l’ombre desquels les ombres se font encore plus lumineuses.Les humanoïdes qui peuplent cette anti-planète sont l’exact inverse de leurs homologues de la Terre, comme si l’on avait tranché puis déplacé la face avant de leurs corps pour la placer derrière eux après lui avoir fait effectuer un demi tour sur elle-même, puis déplacé pour ensuite recoller la face arrière sur l’avant de la même manière, de sorte que, même s’ils possèdent en apparence une morphologie semblable à la notre, ils sont en fait nos exacts opposés.Ils n'obéissent à aucune de nos lois, passent aux feux rouges et s'arrêtent aux feux verts. Les hommes y sont efféminés à outrance, et les femmes, portant souvent moustaches - car c'est ici la dernière mode -, y sont pratiquement les seules à porter costards cravate ou uniformes. Elles sont d'une violence inouïe avec les hommes travestis, et il n'est pas rare d'en observer un groupe se jetant sur des hommes isolés pour jouer avec leurs sexes. Après quoi, elles les laissent là, couchés à terre et pantelants, riants de bonheur ou pleurant tels des serpillères hilares des flammèches de joie, en attendant que les vertes ambulances des pompiers ne viennent ramasser leurs épaves vidées tandis que les violeuses sont congratulées par les badauds.
Le plus surprenant est l'habitude qu'ils ont de marcher sur les mains à l'extrémité de leurs deux bras, tandis que leurs deux pieds en l'air, dotés de lentilles reliées à leurs yeux par des périscopes allant de diverses tonalités de rouges et d'oranges en passant par le vert fluo, scrutent le paysage ou lèchent le bas des vitrines avec leurs langues couleur mirabelles plus ou moins mûres. Les quartiers chics y sont peuplés de peaux sombres tandis que les peaux claires y font les basses besognes. En été, leur soleil devient d'une noirceur bleutée si intense que les habitants doivent chaudement se couvrir afin de se protéger des givreux rayons ultra-jaunes et se protéger les extrémités des gerçures et des morsures glaciales de ses rayons.
En automne, les premières pluies de flammèches bleu marine et tièdes font leurs apparitions, puis en hiver, la terre se couvre d'une cendre noire et très chaude dont les enfants font des statues à leur image dans le milieu des visages desquels ils plantent des carottes bleues outremer.Lors des mouvements sociaux, les hommes vêtus de gilets violets absorbant la lumière et coiffés, pour certains d'entre eux, de chaussures de sécurité, jettent des bouteilles et des bombes d'eau en papier sur les forces de l'ordre, à soixante pour cent féminines, que les pompiers s'empressent de congeler avec leurs lance-flammes montés sur leurs véhicules verts ou bleus roi; tandis que des bandes de BlancBloks isolés lavent des vitrines, repeignent les portes cochères et envoient des bisous grivois et des bouquets de roses d'un vert profond aux femmes des forces de l'ordre. Ces mêmes forces de l'ordre utilisent aussi des lance-flammes sous pression sur la foule et il n'est pas rare d'observer une meute d'hommes entièrement congelée comme si ces derniers jouaient au  jeu des statues. Les horloges y tournent à l'envers et les véhicules automatiques roulent à reculons.

Les hommes et les femmes se nourrissent en ingurgitant divers nutriments pestilentiels, dont les déchets, sortes de gros chewing-gums archi mastiqués et verts clairs à l'odeur exquise, sont expulsés plus tard dans des récipients dédiés. Ces déchets sont ensuite collectés puis recyclés  sous formes de pastilles que l'on peut écouler contre quelques plaisants services dans les Green Light Districts des grandes métropoles ou échanger contre des heures de travail. Ils adorent les oeufs miroirs pour leurs petits déjeuners, aux violets bien crémeux sur leurs nappes noires qu'ils salent également d'un sel noir qu'ils soutirent des océans prés des régions polaires où la température est plus tropicale, là où les eaux sont les plus chaudes et le soleil le plus bas.

Ils accompagnent parfois ces œufs de tranches d'un bacon vert pâle et croustillant et de verres de jus d'orange d'un bleu profond. Les œufs qu'ils consomment sont dotés d'une certaine forme d'intelligence, en effet, ces derniers ont trouvé le moyen de transformer une partie des leurs en poules et coqs, leur permettant ainsi de se reproduire sans efforts et ce système a l'air de parfaitement fonctionner.Tous les biens de consommation y sont gratuits, et tout acquéreur d'un bien reçoit gratuitement un pécule qui lui permettra, comme avec les pastilles vertes, de s'acheter des heures de travail ou d'aller s'amuser au district. La crainte et la perspective d'un refroidissement climatique intense font que leurs gouvernements ont demandé aux populations plus de productions, plus de consommation et plus de rejets de gaz à effets de serre pour tenter de retenir le plus possible le carbone dans leur atmosphère et ainsi réduire la chute drastique des températures globales… "
- Oh mais arrête, Phil, ce que tu racontes est complètement débile et aucun éditeur un tant soit peu responsable n'voudra te publier !
- Et qu'est-ce t'en sais, toi, Ô divine Marylou, j'savais pas que t'avais bossé au CERN?
- Phil, y a pas besoin d'avoir fait le cours Florent pour savoir que la Gravité et les Photons sont immuables dans la matière comme dans l'antimatière. Rapport à l'invariabilité de l'électrodynamique sous la symétrie C, donc les effets visibles restent les mêmes si l'on change les particules en antiparticules. Aller, va refaire spinner tes gravitons, 'spèce de taré misanthropique aux neurones atrophiés  !
A ce moment là, j'aurais bien voulu pouvoir rétorquer quelque chose à Marylou, lui écrire  ici même, mais je trouve pas les mots, les putains de mots. J'crois qu'ils ont p'têtre pas encore été inventés. Même en langue antimatière, comment tu vas trouver les anti-mots des mots que t'arrives même pas à déterrer dans ta propre langue, hein ???

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