3 nov. 2007

273.En méditant Gogol Popol


Tandis que j’inspectais, comme je le fais chaque semaine, les cabines de mon équipage afin d’en mesurer l’état d’hygiène mentale, des pensées me traversaient et elles avaient la forme approximative - c’est dire si j’y mets du cœur - des reins de ma loubine.

C’est alors que je tombai, couchée à même la couchette défaite d’un de mes matelots, sur un vieux bouquin usé ouvert sur une page aux lignes recouvertes de Stabylo, certaines en rose, d’autres en vert, et le reste en jaune, - donc une primaire, une secondaire et une tertiaire, je suis pas Miró miraud comme vous pouvez le constater -.

Il s’agissait de l’apôtre Paul et il disait à peu près ceci dans cette épître imbibée de fluorine : « Concernant les nantis d’aujourd’hui, conseillez leur de pas se la jouer hautaine, et de ne pas placer leurs espoirs sur l’incertitude de la richesse, mais plutôt sur Dieu qui nous fournit tout ce dont nous avons besoin en ce bas monde pour nous éclater la panse comme les neurones .» ; ce qui n’est pas si stupide que ça quand on y regarde de plus près, considérant l’Euro qui grimpe aussi vite que le Dollar se casse la gueule, le prix du baril qui déborde, les ventes de bagnoles qui touchent le fond, les marchés immobiliers qui frissonnent - et soudain, personne n’a plus d’exacte notion sur la valeur de sa baraque ou de son appart’ -, et le désastre qui s’enlise en Irak, et la calotte polaire qu’a perdu plus de 5 fois et demi la surface crânienne de l’hexagone, alors on ferait peut-être bien d’apprendre à apprécier de nouveau une ballade en forêt, à recroquer dans la pomme et à savourer toutes les Cristalles et les Amarilaures de la planète. Tous ces plaisirs naturels qu’on a tendance à oublier.

Nous sommes confrontés à des temps incertains.

Pour ceux d’entre vous richards qui ont été élevés à coup d’évangiles derrière les oreilles, souvenez-vous de la parabole de l’homme riche en enfer et de Lazare la cloduque au paradis.

Mais malgré cela, vous persistez à n’accepter de dîner qu’à la Tour d’Argent ou ce genre de tables, n’acceptez de conduire que des Ferrari ou de grosses limos, ne dormiraient qu’au Georges V ou bien au Ritz, à la rigueur au Sheraton, ne vous vêtiraient qu’en Armani et ne demanderez l’heure qu’à votre Rolex ou votre Cartier.

Même si vous agitez les bras au dessus de votre tête tous les dimanches à l’église évangéliste car vous avez reçu le Seigneur J.C. dans votre cœur. Même s’il ne vous reste peut-être que très peu de temps avant que des flammes purificatrices s’en viennent lécher les fenêtres de vos usines, de vos labos ou de vos bureaux d’affaires – parce que ça prend la plus démunie des éducations pour vraiment apprécier la chaleur et la beauté d’un foyer, la fraîcheur d’une salade de pissenlits, le fumet d’un pot au feu, le parfum d’un pain à l’ail, la douceur d’un pain perdu ou l’arôme ensoleillé d’une tomate farcie de chipolata, d’ail et de persil.

Pour apprécier le nectar, il faut en avoir le plus grand des besoins.

Mais plus que les montres, hôtels et restaurants, costards et grosses bagnoles de luxe pour faire valoir votre statut, la porno que vous préférez le plus, c’est les demeures de Paris Match en fin de magazines chaque semaine, l’immobilier de prestige du Point ou les Propriétés & Châteaux du Nouvel Obs. – les grosses villas surplombant le Cap d’Antibes, le penthouse dans le 16éme, le parc du château de Bel-Abri à Deauville avec vue imprenable sur la mer et l’hippodrome.

Je regarde les photos et je m’imagine le bonheur que ce serait si je pouvais seulement vous voir sauter là-dedans à pieds joints et disparaître de la face du temps jusqu'à la fin du monde.


J’ai grandi au rez-de-chaussée d’un parallélépipède blanc, un HLM de 4 étages. T3, famille de six. Avec une grande vitre donnant sur les pentes dominant la ville en contrebas. Mon regard, perçant les brumes industrielles, tentait d’imaginer virtuellement ma mère virtuelle, Grace la Monacale, avant son accident mortel qui fit que le Sérénissime amnésiaque, ayant sous le choc oublié qui j’étais, me confia en adoption à un couple hispano-breton.
Elle était princièrement riche, vous devez vous en douter, et m’aurait conduit à la Sorbonne, à Oxford ou même à Harvard si ce n’avait été pour la putain de tenue de route merdique de sa décapotable de sport, et j’aurais pas eu à me farcir deux fois par jour la montée en vélo de cette grimpante avenue volcanique pour rentrer de Godefroy de Bouillon et puis, plus tard, de Blaise Pascal. Et j’aurais pas eu à souffrir les remontrances du sieur Klaver qui ne savait me corriger autrement qu’en Latin ou en me tapant sur les doigts avec sa règle en bois, et j’aurais pas eu non plus ce con de prof de gym avec son crâne dégarni et son catogan qui nous obligeait à courir et à sauter par-dessus le cheval d’arçon et à faire des galipettes sur le tapis de sol malgré le fait que j’étais timide et que je portais des lunettes ‘semi-précieuses’ à l’époque.

Mais bon, c’est la vie, c’était comme ça, on accepte.
On vivait pas une vie de luxe dans ce T3. On trouvait parfois des épluchures d’orange tombées et oubliées aux pieds du canapé du salon, et de temps à autres une paire de chaussettes sales sous le lavabo de la salle de bain. 
Et quand on avait la visite surprise de madame Pagès, Valentine pour son Maurice et ses amis, la bigote du troisième dont le frère était Père Blanc en Ouganda, on se dépêchait, obéissant aux grands coups de sémaphores de la matouze, de camoufler ce genre de preuves à charge le plus vite et le plus loin possible au fond du tiroir le plus proche ou dans la poche d’un anorak pendu avec d’autres vêtements dans notre mini-vestibule d’entrée, ouvrions la porte et ma mère prétendait être agréablement surprise. 
Elle s’excusait pour le désordre et lui proposait une tasse de thé ou de café qu’elle lui servait dans le service de porcelaine chinoise hérité de son grand père adoptif qu’avait été ingénieur Ponts et Chaussée en pays Amanite et à Diego, accompagné des petits fours qu’elle sortait pour les grandes occases. « Oh, mais ne vous en faites donc pas pour ça ! » lui répondait sœur dame blanche immaculée.

Si les gens avaient su la vérité – s’ils avaient vu ces épluchures sur le sol du salon – nous auraient ils encore appréciés ? J’ai encore jamais su répondre à cette terrible et angoissante question. Ça rend tout homme nerveux, toujours entrain d’essayer d’éviter ceux qui le connaissent trop bien et à la recherche d’amicaux inconnus.

Mais les riches peuvent se permettre de voyager, eux, et ils sont tellement plus attractifs, vous trouvez pas ? Oui, c’est sûr. 
Ils vivent entourés de marbres, et un peu de cette marbritude leur déteint au visage et les élève au dessus du combat quotidien que nous , plébéiens, devons livrer soit pour le fric, soit pour la renommée. En plus, ils ont des valets pour ramasser leurs chaussettes sales et leurs ’pluches d’oranges.

Mais je me suis rendu compte en me recomptant en mémoire les couleurs de cette épître que ça fait un bout de temps en fait que je regarde de temps en temps les annonces immobilières de ces hebdomadaires ou du magazine d’Air France dont les pubs n’ont de tous temps été destinées qu’aux premières classes. La mansion aux Seychelles avec court de Tennis, piscine eau de mer et bâtiment de servitude pour la valetaille (13,7 millions d’euros) est superbe, mais elle ne soulève pas mon palpitant.

Je vis dans une maison où l’on me manque quand je suis en mer, même si tous ceux qui y vivent me connaissent mieux que bien. Mon mobile sonne et les cordes vocales de ma fillotte me demandent d’une voix plaintive comme orpheline « Dis papa, c’est quand que tu rentres ? ».
Un plaisir plus que divin, donné aux riches comme aux pauvres. Sans ce genre de plaisirs, y’aurait plus d’ici, y’aurait plus de là, vous seriez toujours en déplacement, vous seriez jamais à votre place, ce qui dans mon cas se trouve en général dans les bras de ma Louve, ou sous la couette, lové comme une amarre contre les fesses à Marylou.

De retour dans tes bras dans deux semaines, chérie !