8 mai 2006

162.Le Voyage de Chihitchoum


Je me trouvais sur un navire nommé le « Robinet qui fuit ». Qu’est ce que je foutais là, ça demeure un mystère.
Je me souviens absolument pas ni du port ni de la date où et à laquelle j’avais rejoint ce rafiot ni pour quelle obscure raison je pouvais bien me trouver à bord, mais pour une raison qui m’échappe encore à ce jour, je ne remis absolument pas en question le fait que je m’y trouvais vraiment, qui plus est dans une mer tumultueuse et que de mes actes dépendaient le salut ou la mort de toutes les âmes se trouvant à bord.

J’étais frigorifié, à me tenir là à poil sur le pont, mais le froid n’importait pas. Pas plus d’ailleurs que le fait que je me trouve dans cette tenue frivole entouré d’une foule valsant au airs d’un orchestre de chambre dans leurs smokings et robes fourreau du dimanche. Tout ce qui comptait, c’était que j’agisse rapidement pour nous sauver tous. M’emparant d’une boite de sous-vêtements propres qui se trouvait à mes pieds, j’errai sur le sun deck qui servait de piste de danse à la recherche de réponses.
Et faillis trébucher en marchant par-dessus le Singe. (Pas mon alter-ego mais un véritable ouistiti)
Il se tenait debout au milieu d’un cercle de danseurs, vêtu d’un tuxédo blanc et tenait un plateau d’argent au centre duquel trônait une enveloppe. Soudain, je réalisai que j’étais quelque peu dévêtu pour voyager à bord d’un navire d’une telle classe, aussi m’empressai-je de me passer un slip kangourou propre sur la tête. Pour une raison qui m’échappe elle aussi, ça me remit à l’aise.

« Monsieur, un télégramme pour vous. »
« Ouah ! Mais vous savez parler ? »
« Bien sûr, monsieur. »
« Génial! »
« Incontestablement, monsieur. »
« Désolé de mon impolitesse; c’est juste que je savais pas que les singes savaient parler. »
« Avec ce type de réaction, peut-on nous blâmer si nous gardons le silence, monsieur ? »
« Touché. »
« Merci, monsieur. »
Cueillant la lettre sur le plateau, je sus immédiatement qu’il était vital que je la lise. Quelque part je savais que cette lettre contenait toutes les réponses à toutes mes questions. Questions telles que, “ Que foutais-je sur ce navire ? “, “Comment savais-je qu’il s’appelait le Robinet qui fuit ?” et “Pourquoi n’y avait-il que des slips kangourous et pas de strings léopards dans ce putain de carton ? ”
« M’sieur euh…»
« Mistah Ouisti Mouh Mouh, monsieur. »
« Vous vous appelez Ouisti Mouh Mouh ? »
« Oui, monsieur. »
« C’est trop rigolo ! Ouisti Mouh-Mouh ! Quel nom à la con! Mouahahah ! »
« Monsieur, je vous en prie, arrêtez ou je vous envoie mes fèces au visage. »
« Vous avez raison. Veuillez accepter mes excuses. Je suis tout à fait désolé. »
« Je vous en prie, monsieur, ça arrive à tout le monde. »
« C’est bien vrai. Bien, Ouisti Mouh-Mouh, il semblerait que je ne sache plus lire. Pourriez vous me dire ce que raconte cette lettre ? »
« Bien sûr, monsieur. C’est écrit Eeeek-eeeeek ! Oukou-oukou ! »
« Quoi ???? »
« Eeeek-eeeeek-eeeeek ! Oukou-oukou-eeeeek ! »
Lorsque Ouisti Mouh-Mouh commença à me bombarder de fèces, je pris mes jambes à mon cou.
Ne sachant où aller, je descendis dans un entrepont où je trouvai une coursive sombre aux parois faites de gelée de mûre. Comme j’errais à la recherche de… je ne sais quoi, les cloisons se mirent à bouger. N’y trouvant là absolument rien d’étrange, je continuai mon exploration jusqu’à ce que je me retrouve en face d’un gros ballon de basket jaune verdâtre pris dans une toile d’araignée géante. Sachant que c’était là ce que j’avais besoin de trouver, mais ne sachant pas le moins du monde ce que je devais en faire, je décidai de l’arracher à la toile gluante et de quitter au plus vite ce donjon de gélatine.
Gélatine qui de grenat comme des mûres mûres venait subitement de muer en pêche pêche.
Mais au moment où je posais les mains sur le ballon de basket, il explosa en millions de petites particules jaunes et oranges qui s’envolèrent le long de la coursive comme portées par une soudaine risée de noroît. Sachant que si ces démons jaunes orangés atteignaient le bout de la coursive avant moi, j’étais perdu, je m’élançai à leur poursuite. Du slip kangourou qui me servait de couvre-chef, je tirai le fidèle filet à papillons qui ne me quitte jamais et j’attrapai des milliers de ces petites salopes tandis que je galopais vers le fond de la coursive.
Mais je savais bien que ça ne suffirait pas.
D’une manière ou d’une autre, je dépassai les particules et me retournai pour leur faire face une fois atteint le bout de la coursive. J’appuyai sur le bouton rouge de mon filet à papillons qui se transforma en fusil d’assaut laser et je canardai le plus de petits points possible pour les empêcher de passer derrière moi lorsque je réalisai que je n’étais plus dans une coursive mais à l’intérieur de mon propre nez ! 

Soudain, je me retrouvai chef de section de la brigade antihistaminique et les pollinisateurs attaquaient sur tous les fronts dans un dernier baroud pour prendre notre drapeau. Je n’avais que mon fusil d’assaut et plus que trois cartouches laser dans le chargeur et je savais que nous étions perdus. Je me tournai vers mes hommes, leur adressai un rictus et me préparai à enjamber le parapet afin de descendre le plus grand nombre possible de ces bâtards de pollinisateurs avant de succomber sous leur nuage. Poussant notre cri de guerre - Pour la Libération des narines et de l’air pour tous ! -, j’enjambai le muret et…
« Philippe ? »
« Mmmmf ? »
« Oooh, mon pauvre chéri, t’as pas l’air bien du tout. Je suis désolée de te réveiller, mais c’est l’heure de souper et je me suis dit que tu avais peut-être faim. »
« Mmmf hissmmmff. Mfff, oooo, dodo. Pas faim, do’mir. »
« D’accord mon chat. Mais ça fait trois jours que tu quittes pas le lit. On commence à s’inquiéter… »
« Ummf, m’enfou. Mal mon nez. Veu mourir. Tue moi, mmmff, steuplé. »
« D’accord, Philippe. Essaie de dormir. Je te garde ton dîner au chaud. »
« Du si’op, donne mouah enco’e du si’op. »
« D’accord chéri, je vais te chercher le Néo Codion. Dors maintenant . »
« Ummf oui. G’os dodo. Do’mir…dodo…»
Putain, je hais le rhume des foins.