25 févr. 2024

869. La Terre, c'est de la bombe !


LA TERRE, C'EST DE LA BOMBE !

Le téléphone de Jakov sonna à nouveau, perturbant le paisible sentier de randonnée de ce coin de Zacarpathie.

L'œil droit de Volodymyr se contracta à cause de la tension qui montait dans son corps. Elle se développait comme de l’électricité statique dans l’air ambiant. " Tu veux pas éteindre ce putain de truc ?" Il s'agissait d'une randonnée relaxante entre père et fils. C'était chiant de profiter de la beauté de la nature de ce coin de l'Ukraine avec son portable qui bipait comme une bombe à retardement.

" Chut, pa, c'est important. Les tensions s’intensifient… "

Il agit sans réfléchir. Ces deux dernières années, il avait été absent pendant la majeure partie de l'éducation de Jakov – absent matins, midis et soirs et même les jours fériés à mendier de la coke, du pèze et des armes à droite à gauche. Il avait raté la plupart des week-ends et même lorsqu'il avait été présent, il avait été tendu et épuisé. Mais quel genre de père serait-il s'il permettait à son adolescent de branleur woke de le faire taire avec un "chut" ? Il n’était jamais trop tard pour commencer à agir comme un père. Volodymyr saisit le portable de son fils – un iPhone 15 – et le jeta à flanc de montagne.

Le rectangle aux couleurs de l'arc en ciel claqua et s’écrasa, rebondissant contre les rochers. Son écran se brisa. Des morceaux de puces informatiques et de câblage interne s'en échappèrent tandis qu'il dégringolait vers son trépas. "Papa! Pourquoi-
- La ferme !"

Jakov recula, les yeux écarquillés. Il recula et trébucha sur une pierre. Il atterrit sur le dos avec un grognement essoufflé.

Volodymyr inspira entre ses dents serrées. Il voulait ce qu'il y avait de mieux pour son fils. Et cela impliquait de travailler de longues heures pour s’assurer que Jakov ne manque de rien. Mais désormais – avec le fric de l'UE et la reconduction de ses contrats de sécurité militaire avec les plus gros lèche-culs européèns des USA – l’argent ne serait plus un problème. Volodymyr allait désormais pouvoir passer du bon temps avec son garçon. Le problème était qu'il s'y était pris un peu tard, et Jakov ne se souciait plus de savoir si son père faisait quelque chose avec lui. Volodymyr devait donc trouver un moyen de briser le vernis "jemenfoutiste" de Jakov. 
"Pas un mot de plus. C'est notre moment à tous les deux. Je sais que je n'ai pas passé beaucoup de temps avec toi, mais tu devrais savoir que je n'ai pas fait tout ça que pour BlackRock et les amis de Joe Biden, je l'ai fait aussi pour toi. J'ai combattu dur et de très longues heures pour obtenir tout ce dont tu avais besoin, y-compris nos deux yatchs. Pour nous amener à ce point où nous pouvons profiter de ce moment. Ici et maintenant, au sommet de l'Ukraine, contemplant la beauté de la nature. Nous n’aurons plus jamais à nous soucier de quoi que ce soit. J'en ai presque fini avec les orques russes qui cassent les couilles à nos banquiers – pour toujours. Alors maintenant, profitons-en, d'accord ? J'ai attendu si longtemps ce moment, alors profitons-en enfin."

Les épaules de Jakov s'affaissèrent. La tension suintait de son corps. Il hocha la tête et leva les mains. Il s'était égratigné une partie de la peau de ses paumes lorsqu'il était tombé, et de minuscules gouttelettes de sang y perlaient. "Da, da. D'accord, p'pa, d'accord. Karacho".

Volodymyr offrit sa main à son garçon et lui épousseta le dos une fois qu'il se fut redressé. "Bon garçon. Je t'en achèterai un nouveau à notre retour – Dieu sait que nous pouvons nous le permettre, maintenant que l'autre tafiotte de président français nous a signé son chèque et confié quelques unes de ses bombes nucléaires. Bon sang, je pourrai t'en acheter dix ! Allez, on est presque au sommet. C'est plus très loin maintenant."

Les arbres s'éclaircissaient à mesure qu'ils montaient. Le trajet se fit plus pénible et l’air plus sec et froid. Le chemin fit un virage et les mena jusqu'à un plateau surplombant les terres. La face nord-est de la montagne s’était effondrée quelques millénaires auparavant, leur offrant une vue imprenable sur la géographie locale. Ivano-Frankivsk, la ville si chère à Bandera à l'horizon, les F16 et les Mirage 2000 de sa base aérienne - entourée des riches terres agricoles de Cargill, Dupont et Monsanto - nouvellement équipés des bombes nucléaires tactiques fournies par la France, étincelaient comme des larmes.

Volodymyr haletait et transpirait, son cœur, martyrisé par la coke, cognant comme un marteau-piqueur incontrôlable. Mais Jakov ne semblait pas plus mal après leur petit voyage – les merveilles de la jeunesse. Il se tenait là, les mains sur les hanches, en sueur autour de ses aisselles, et faisait signe aux vues magnifiques. Il essaya de parler, mais l'épuisement et l'émerveillement le réduisaient au silence.

" Papa, je… " Jakov secoua la tête, incapable de terminer ses mots. "Ouah. La nature est… " Il chercha la phrase correcte. " La nature est une vraie bombe !"

Volodymyr sourit. Mais ce sourire n’eut pas le plaisir de durer longtemps.

Une sirène de raid aérien parcourut l’air, le coupant pratiquement en deux tel un cimeterre. Un essaim d'étourneaux surgit des arbres en un nuage noir qui masqua le soleil. Le cri sinusoïdal de malheur montait et descendait, montait et descendait, montait et descendait, se répercutant dans leurs cerveaux, leurs entrailles, et jusque dans la moelle qui leur irriguait les os.

Son sourire s'effaça et il grogna comme un homme des cavernes.

Un éclair – plus brillant que mille soleils – illumina le ciel. Un battement de cœur hésitant plus tard, le bruit sourd arriva. Cela résonna profondément dans leurs cœurs, un coup de canon dans la tête de l’humanité.

Volodymyr haleta et leva les mains pour se protéger les yeux. Il recula en titubant et percuta son fils, qui faisait de même.

Jakov tendit la main et attrapa son père, froissant sa chemise d'un poing tremblant. Son visage pâle ne révélait plus l'homme qu'il était censé devenir. Au lieu de ça, il avait régressé pour devenir le petit garçon qu'il avait été autrefois. " Papa! Qu'est-ce que c'est?"

Volodymyr ne pouvait plus émettre un son. Sa langue était lourde et sans vie dans sa bouche. Des éclats de glace coulaient dans ses veines et les poils de son cou le picotaient en se redressant. Il avait la sensation vertigineuse de tomber sans fin. Tout ce qu'il put dire, ce fut : " Oh mon Dieu. Oh mon Dieu."

Le champignon atomique s’élevait à l’horizon proche.

Son estomac se retourna, trempé d'acide ; il n’était pas étonnant que son cabinet se soit empressé de signer l’accord. Il n'avait même pas duré douze heures après qu'il ait griffonné sa signature en bas du bout de papier. Volodymyr leva son pouce, et ses entrailles se ratatinèrent lorsque le nuage l'éclipsa.

La ville sous le champignon atomique avait disparu en décombres. Une ondulation grandissante déchira le paysage à partir du point de détonation. Les arbres et les bâtiments tombèrent à la renverse comme s’il s’agissait d’accessoires en carton. La terre verte explosa en poussières radioactives. Le paysage s'aplatit. L’explosion avait poncé chaque élément et point de repère telle une meuleuse d’angle. Le sol roulait en vagues comme liquéfié.

Volodymyr avait gaspillé l'enfance de son fils à travailler pour un avenir confortable. Mais tout ce travail acharné les avait ramifiés dans une chronologie où cela revenait à lui avoir planté les dents dans l"arrière-train. Il y avait eu de l’argent dans la fabrication d’armes et dans le profit de la guerre. Et de tels investissements avaient effectivement été payants – mais pas, semble-t-il, dans la direction que l’occident aurait pu espérer. Eh bien, il n’y avait plus d’avenir désormais. L'ironie de tout ça ne lui échappait pas. Il leva les mains. "Oh, pour l'amour de Dieu—'

L’onde de choc les frappa et tout devint une lumière blanche aveuglante, suivie de l’obscurité.

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