6 sept. 2023

814. Chien savant


CHIEN SAVANT 

Dîtes-moi pas que c'est pas vrai ! Était-ce vraiment possible ? Je commençais à penser que c'était pas seulement une hallucination qui me brouillait les tympans. Le chien avait démontré en un jour qu'il était de bonne compagnie lorsque je travaillais à la maison. C'était juste cette bizarrerie sonique qui me donna à réfléchir.

Qu'est-ce qui avait déclenché tout ça ?

La plandémie avait provoqué de grands changements dans la vie de nombreuses personnes. Ce que j’ai vécu pourrait être l’aspect le plus étrange de tous. Pendant la période de pointe de la plandémie, de nombreuses personnes restèrent chez elles et se mirent à travailler depuis leurs salons. C'était souvent une expérience solitaire, ce dont je peux attester sans croiser les doigts car ma femme bossait à l'hôpital et je restais donc tout seul à la maison, me tenant loin des piquouzes. 

Une réaction populaire à cette situation fut celle des " chiots pandémiques ". De nombreux travailleurs à domicile recherchaient la compagnie d’un clebs. Les éleveurs professionnels, en véritables rapaces opportunistes, décuplèrent leurs prix, mais les éleveurs de basse-cour étaient moins extrêmes, car ils y virent un moyen facile de gagner de l'argent sans besoin de pass Covid. Beaucoup de gens en achetèrent chez ces derniers, car ils z'avaient pas le choix en la matière.

Ensuite, lorsque la plandémie fut pour l’essentiel terminée (elle n’est pas encore complètement terminée, et je pense pas qu’elle le sera de sitôt), de nombreuses personnes purent enfin sortir de leurs pénates et retourner à leur travail. Pour certains d'entre eux, malheureusement un nombre important, ils ne purent plus s'occuper de leurs chiens et estimèrent qu'ils n'en voyaient plus l'utilité; ils les relâchèrent donc dans les périphéries boisées et champêtres des grandes villes. J'ai du mal à comprendre comment qu'on peut se montrer à tel point sans cœur envers les meilleurs amis de l'homme.

C’était déjà assez grave, mais très vite, il y eut une répercussion dangereuse qui fut, à certains égards, un résultat prévisible. Une maladie mortelle se déclara rapidement parmi les chiens abandonnés et se propagea comme une traînée de poudre. Au début, seuls les chiens sauvages moururent, mais en quelques jours, comme on pouvait s'y attendre et malheureusement, de nombreux chiens qui vivaient encore avec leurs maîtres attrapèrent également la maladie et se mirent à mourir à leur tour. Il y eut un besoin désespéré que les gens aient des chiens qui soient protégés. Des médicaments préventifs furent finalement développés, mais cela prit du temps et la pénurie de chiens devint de plus en plus flagrante.

Plusieurs stratégies alternatives furent adoptées par la malheureuse population démunie de chiens. Certains d’entre eux commencèrent à adopter des chats, des lapins, des cobayes et d’autres quadrupèdes de substitution. Mais pour beaucoup, seul un chien pouvait faire l’affaire.

J'avais besoin d'un chien, je travaille toujours seul à la maison et je pense pas que ça va changer avant des lustres. Mais les prix étaient scandaleusement élevés. Je résolus ce problème un jour dans mon bar local. J'étais au milieu d'une séance de plaintes particulièrement bruyantes concernant le prix des clébards, lorsqu'un homme plutôt grand se dirigea vers notre table et me dit, d'une voix forte et ivre. " Alors tu veux un chien ?" Je le regardai pendant quelques secondes, ne sachant pas trop quoi dire. Cherchait-il à me vendre un chien hors de prix ? Allait-il me conseiller de " refaire ma vie avec une chienne de luxe " ?

C'est au moment même où cette dernière pensée me traversait l'esprit que je le reconnus comme quelqu'un qui avait suivi les cours dans la même classe que moi au lycée, il y a des années. 
Nous n'étions jamais devenus ce qu'on pourrait appeler des amis. À bien y penser, je me souvins pas qu'il ait jamais eu d'amis. Il avait eu les notes les plus élevées dans chaque matière, obtenant même des 20 sur 20 en physique et en biologie. Les autres camarades de classe ne lui parlaient pas beaucoup, et même quand ils parlaient de lui, c'était pas pour rien de gentil. On disait même de lui que si jamais il avait été atteint de constipation, il aurait pu se vider les tripes rien qu'en en résolvant l'équation.

Il reprit la parole : " Je pense que je te reconnais du bahut. Ton nom est Sébastien."
J'e répondis: " Je te reconnais aussi. Tu t'appelles David." 
Il me tendit ensuite la main de manière formelle. Nous nous serrâmes les paluches, puis il me dit : " Je peux te procurer un chien, relativement bon marché, si t'en veux vraiment un.
- De quelle race de chien qu'on cause ? (pas que ça m'importait tellement, je voulais juste pas trouver rien à dire).
- Eh ben, c'est pas une race spécifique que tu pourrais reconnaître. C'est un peu expérimental, mais il a beaucoup de charme – très sympatoche.
- Combien alors ?" Mon intérêt grandissait.

" Seulement 100 balles. La seule condition que je poserais à la vente est que tu m'informes régulièrement comment que vous vous entendez tous les deux. C'est peut-être pas le chien qui convient à tout le monde. Mon souvenir de toi suggère que tu aimeras probablement ce chien en particulier."

Je pensais pas qu'il aurait gardé de souvenirs de moi, hormis le fait que j'avais été un grand fumeur de joints. Cela m'a rendu un peu méfiant, mais j'étais toujours intéressé. J'ai dû lui demander si le chien était du genre à mordre facilement ou s'il aimait pisser sur les tapis. Il a rigolé et a dit que le chien ne posait aucun problème de ce genre.

J'ai regardé par-dessus la table du bar en direction des yeux de ma femme, Sophie, qui jusqu'à présent, et fort inhabituellement, n'avait pas pipé mot. Elle hocha la tête et me dit : " Achetons-le."

Alors je me suis levé et David et moi nous sommes à nouveau serré la main. C'était un deal. Cent balles changèrent de main.

Les premiers jours avec Merlin

Maintenant comme je vous l'ai déjà dit, je prenais beaucoup de drogues quand j'étais au lycée. J'avais alors l'habitude d'entendre des choses qui n'existaient pas vraiment, principalement des voix – comme celle de mon grand-père récemment décédé. Cette habitude persistait toujours, je parle pas de la consommation de drogue mais des hallucinations sonores qui se produisaient encore occasionnellement. Sophie était très compréhensive, de sorte que lorsque je lui disais que j'avais entendu quelque chose d'inhabituel ou d'improbable, elle me répondait sur un ton relativement gentil et indulgent. " C'était vraiment un son ou bien quelque chose que ton esprit fertile a fabriqué ?"

Ceci m'amène à ce qui s'est passé lors de l'un de nos premiers jours avec Merlin, dont le nom était celui d'un magicien enterré dans une forêt où nous aimons bien nous promener, Sophie et moi. Il avait vidé sa gamelle quelques minutes plus tôt et il se dirigea vers la porte arrière. C'est à ce moment-là que je crus l'entendre dire " Sortir ". Je ris un peu puis je l'emmenai dehors. Il me regarda et j'aurais juré qu'il m'avait dit " Merci ". Eh bien, au moins mes hallucinations, si c'en étaient, étaient cohérentes. Je pensai que cela était dû au fait que j'étais excité à l'idée d'avoir enfin un chien.

Mais ça a persisté les jours suivants, jamais de phrases mais des mots isolés, semblables à des aboiements. Tiens, au bout de trois jours, il me dit " Bâton". Je compris pas, alors il me répéta " Bâton" en secouant la queue et en inclinant la tête. 
Alors je suis allé lui couper un bout de bois avec mon canif et je lui ai donné. Il le prit dans sa gueule, courut à une cinquantaine de mètres jusqu'au bord de l'étang et le laissa tomber dans l'eau, puis il revint vers moi en secouant la queue. " Chercher !" qu'il me dit.

Alors, pardonnez-moi si je pris le risque de paraître ridicule en appelant David. Je me souviens qu'il m'avait dit que je devrais l'appeler au sujet de nos expériences avec le chien. Peut-être qu'il avait inventé un chien qui parle. 
Je l'ai appelé. Nous avons discuté. Il m'a raconté comment qu'il avait expérimenté pendant des années jusqu'à ce qu'il crée enfin un chien qui parle. Je lui demandai en plaisantant s'il avait implanté des gènes de perroquet à Merlin. Il eut un silence, puis il me dit : " Non, juste un peu d'IA… Tu sais, un brin d'Intelligence Animale."

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