10 juil. 2023

790. Caillou-Papier-Ciseaux


 Cette histoire n'a pas été sponsorisée grâce au soutien financier des banksters d' "AXA Assurances"

Caillou-Papier-Ciseaux

" Quelqu'un doit dire à Arthur que Paulo a déménagé."

André et Solange, les parents de Paulo pensèrent à jouer à caillou-papier-ciseaux pour voir qui c'est qui le ferait. C'est pas qu'ils avaient peur d'Arthur. Ils ne savaient tout simplement pas comment aborder le sujet avec ce doux monstre à trois têtes. En quelle occasion et sous quel prétexte lui donneraient-ils la nouvelle ? Cela avait-il de l'importance ? Aucun des deux n'avait refoutu les pieds dans la chambre à Paulo depuis qu'ils avaient rangé ses affaires et l'avaient déposé à l'université.

" N'oubliez pas de dire à Arthur que je suis parti", leur dit-il tout en pliant ses t-shirts dans sa nouvelle piaule d'étudiant tandis qu'André et Solange se tenaient sur le pas de la porte en essayant de savourer ces derniers instants avant de devoir commencer le long trajet du retour.

" Paulo," s'exclama André, " es-tu en train de nous dire que t'as pas informé Arthur de ton départ pour l'université ? C'est tellement irresponsable de ta part..."

Solange tira sur le bras d'André. Le père et le fils avaient commencé à se disputer davantage pendant la dernière année de lycée de Paulo, mais ils ne voulaient pas finir aujourd'hui avec une dispute. André capta le message et ajusta le ton et le volume en conséquence.

" Ça ne devrait vraiment pas être à nous d'expliquer au monstre sous ton lit pourquoi que t'es plus là," expliqua calmement André, " je t'ai demandé de parler à Arthur avant que tu ne partes."

Paulo s'assit sur son nouveau lit. Celui-ci n'aurait pas de monstre en dessous. Au lieu de ça, il y aurait de la poussière, des boîtes de pizza vides et d'autres de capotes anglaises et tout ce que les étudiants de première année gardaient généralement sous leur lit. Il avait l'air d'être sur le point de s'étouffer. Ni André ni Solange ne l'avaient vu pleurer depuis qu'il s'était blessé à la cheville en jouant au basket en 4ème au collège Jules ferry.

" Je savais pas comment lui dire", dit-il, " Arthur est là depuis que je suis enfant. Je voulais pas qu'il se sente mal, mais… je suis jamais parti aussi loin de chez nous plus d'un week-end quand j'allais passer le weekend chez tata. J'avais peur qu'il s'énerve. Je suppose que je me suis dégonflé."

Ses parents comprenaient. Ils lui assurèrent qu'il n'était pas une poule mouillée, et lui promirent d'annoncer la nouvelle à Arthur avec le plus de tact possible. 
Une fois rentrés chez eux, ils sentirent aux picotements qui leur parcouraient l'échine leur propre état de poules mouillées en train de s'installer. Après avoir rejoué à caillou-papier-ciseaux cinq six fois de suite sans réussir à se départager, il devint clair que l'Univers voulait qu'ils parlent tous les deux avec le monstre.

Ils trouvèrent une stratégie. Solange serait celle qui donnerait la nouvelle en premier car elle était meilleure pour relayer diplomatiquement les mauvaises nouvelles aux gens. C'est pourquoi elle était chargée d'appeler les personnes ayant une assurance habitation chez Axa pour leur faire savoir qu'elles n'étaient pas couvertes pour les nuées de sauterelles qui venaient de détruire leurs rhododendrons. Pendant qu'Arthur traiterait la nouvelle, André lui apporterait une sorte de réconfort physique soit en mettant son bras autour de l'une des six épaules d'Arthur, soit en tapotant l'une des dix-sept pattes qui restaient à ce dernier sur ses dix-huit d'origine.

" On doit juste se rappeler qu'il ne s'agit pas de nous", répéta André, " Il s'agit juste de nous assurer qu'Arthur comprenne que nous sommes là et accessibles. Aussi difficile que ça puisse être, Arthur n'est pas seul. Nous sommes tous dans le même bateau."

André hocha la tête et les deux se dirigèrent vers la chambre de Paulo.

Quand ils ouvrirent la porte, la pièce était exactement comme ils l'avaient laissée avant leur voyage en voiture. Il y avait des rectangles clairs partout sur les murs là où les posters de Paulo s'étaient trouvés. Le dessus de son bureau était vide pour la première fois depuis qu'ils le lui avaient acheté pour sa communion. Le placard était vide à l'exception de deux vieilles paires de baskets qu'il n'avait pas voulu emporter avec lui et d'un vilain démon qui essayait de le posséder depuis qu'il était entré en cours élémentaire de 1ère année.

" Nous parlerons au démon la semaine prochaine ", déclara André, et Solange hocha la tête, trop contente d'être d'accord.

Ils s'agenouillèrent et regardèrent sous le lit. Effectivement, il y avait là le portail vers le royaume de la peur où qu'Arthur avait son appartement. - Maintenant, me regardez pas comme si que j'avais trois têtes, c'est pas moi qu'en a trois, c'est Arthur comme vous allez le voir quand qu'il daignera montrer sa ses gueules. 
Ils se mirent à l'appeler et lorsque la porte de  son appart sous le sommier s'ouvrit, tous deux eurent un moment de doute. Pourraient-ils changer d'avis ? Pouvaient-ils s'enfuir ? Pourraient-ils dormir à tour de rôle dans le lit de Paulo à partir de maintenant afin qu'Arthur ait quelqu'un à terrifier ? Ça semblait si cruel de retirer ce petit plaisir à un monstre qui avait si peu dans la vie à part une propriété au coin du feu dans une autre dimension et un compte épargne-retraite à moitié décent.

" André ! Solange !" s'exclama Arthur: " Qu'est-ce que vous foutez ici ?"

Solange savait que c'était censé être elle qui devait parler la première, mais l'intérieur de sa bouche se trouva soudain aussi sec qu'un coup de trique. André pouvait voir qu'elle était sur le point de suffoquer. Il tenta d'intervenir en entamant les débats, mais tout ce qu'il put trouver fut le genre d'honnêteté brutale que Solange, experte en assurances, aurait habilement évité.

" Paulo est parti à Aix en Provence pour ses études ! Il n'est plus là ! Il ne sera peut-être plus jamais là ! Nous sommes vraiment désolés, Arthur. Nous sommes vraiment désolés."

Il y eut un moment de silence ponctué uniquement par le système d'arrosage d'Arthur qui s'activa pour hydrater sa plantation d'herbes toxiques.

" Oh," marmonna Arthur, " Je, euh, ouais, eh bien, euh, c'est… un peu gênant."

C'est alors qu'ils remarquèrent la valise qu'il tenait par sa poignée.

Au cours de l'heure qui suivit, Arthur avoua à Solange et André qu'il avait toujours su que Paulo finirait un jour par quitter cette maison. Il avait été un monstre pendant des siècles, après tout, et il comprenait que les enfants grandissent et avancent dans la vie. Maintenant que Paulo était parti de la maison, Arthur n'avait plus rien à faire dans ce logis et avait par conséquent vendu son appart pour se rapprocher de sa sœur dans le Royaume de Boulibô – pas exactement pour prendre sa retraite, mais pour arrêter de terroriser à temps plein.

" J'espère continuer à mi-temps trois jours par semaine," expliqua-t-il, " C'est pas comme si que les gosses avaient besoin de plus de peur que ça. Ils en ont déjà suffisamment rien qu'avec la peur qui leur est fournie par le monde réel du Macronistan."

Solange et André se sentirent soulagés alors qu'ils souhaitaient bonne chance à Arthur. Il leur fit la promesse de rester en contact, mais aucun d'eux ne croyait vraiment que cela arriverait. Ils descendirent à la cuisine et commencèrent à préparer le dîner. Solange  commenta que la tête gauche d'Arthur avait fait la majeure partie de la conversation - vous voyez, je vous l'avez bien dit que c'est lui et pas moi qu'avait trois têtes - tandis que les deux autres avaient semblé s'ennuyer. André se demanda à voix haute si c'était leur dynamique générale. Grésillements de fricassée de pétoncles dans une poêle sur la cuisinière. Solange songea à y ajouter un peu de tabasco supplémentaire car c'est comme ça que Paulo les aimait, mais se souvînt ensuite qu'il n'était plus là…

C'est les yeux d'André qui se mirent à produire de l'eau salée en premier. Il envisagea de tenter de se retenir, mais n'en vit pas l'intérêt. Solange se mit en mouvement pour aller le consoler mais se retrouva elle-même à pleurer comme une Madeleine avant même de l'avoir rejoint de l'autre côté de l'îlot de sa cuisine.

Ils se tenaient là, en larmes, ne sachant pas pourquoi il leur avait fallu si longtemps pour en arriver là. Ils n'avaient pas pleuré en remballant ses affaires dans la chambre de Paulo, ou sur la route d'Aix, ni même sur le chemin du retour jusqu'en Auvergne. Peut-être parce que jusqu'à ce moment, ils avaient eu une tâche à accomplir. Un monstre à qui annoncer la nouvelle. Un avenir possible consistant à prendre soin d'une créature à trois têtes alors qu'elle tentait de naviguer dans la vie sans la personne autour de laquelle le but de sa vie avait été construit.

Maintenant, ce ne serait plus nécessaire.

Ils réfléchissaient à leur propre nécessité.

C'est alors que le téléphone de Solange sonna.

" Maman," dit Paulo, " Comment Arthur a-t-il pris la nouvelle de mon départ ?"

Après avoir mis leur fils sur haut-parleur et au courant à propos d'Arthur qui allait bien, ils perçurent une pause à l'autre bout du fil.

" Qu'est-ce que vous faites tous les deux maintenant," demanda-t-il, " Vous faites des pétoncles pour le dîner ? Je… j'aurais aimé être là.

Solange et André échangèrent un regard. Solange se saisit du petit doigt gauche d'André. C'était là quelque chose qu'ils faisaient depuis le fil des ans et qui n'appartenait qu'à eux. Un signal l'un à l'autre qu'ils tenaient bon. Peut-être pas génial, peut-être pas sûr, mais là. Là et n'allant nulle part.

"Au fait," demanda Paulo, " Vous avez aussi prévenu le démon qu'est dans mon placard ?"

André tendit son autre main en direction de Solange. 
Ce coup-ci avec les doigts en ciseaux. 

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