18 janv. 2023

712. Je Tu Il/Elle Nous Vous Ils/Elles

 

Je Tu Il/Elle Nous Vous Ils/Elles
... et faites pas chier avec les Iel(s)

Il s'est passé quelque chose au labo l'autre soir. Je sais pas trop quoi que c'était mais c'était quelque chose.
J'ai allumé l'appareil, et là elle… je… l'autre moi… j'étais. C'était une possibilité que j'avais pas envisagée. En ouvrant une porte sur un univers parallèle, je m'étais ouvert la lourde de ce même univers.

Quelques précisions d'abord. Je m'appelle José. José Vaubien , et je suis un physicien de trente-trois ans qui aime faire des expériences stupides dans mon garage. Mes proches m'appellent Jo. Elle s'appelle Joelle Vaubien, une physicienne de trente-trois ans qui aime faire les quatre cents coups dans son garage… Son petit nom, c'est Jo.
Une différence lors de notre conception, ou peut-être même plus tôt que ça. Nous nous ressemblons trop pour avoir eu droit à une sélection très différente des gènes de notre mère et de notre père. Mais nous en fûmes conscients dès le premier instant. Jusqu'à l'âge de douze ans, nous avions semblé aussi identiques que deux gouttes d'eau.

J'avais été traité de "fille" quand j'étais minot, tout le monde disait qu'elle avait été un garçon manqué. Jusqu'à ce que la puberté nous frappe durement. Nous avons partagé une prise de conscience de toute notre vie jusqu'à l'allumage de l'appareil de ma/de notre conception..
Elle tendit la main, tous deux incertains de ce qui pourrait arriver. Je lui rendis la pareille et nos doigts se touchèrent. À ce moment là, la machine est tombée en panne et s'est éteinte. Ma conscience s'est divisée entre deux mondes, sans que le lien ne soit coupé.

Le lendemain matin, il a dû s'asseoir/j'ai dû m'asseoir pour faire pipi, parce que c'était trop déroutant d'essayer de faire les choses différemment d'elle ou de moi. Au moment où nous avions/j'ai terminé le petit déjeuner et ma tasse de café, il devint plus facile de gérer ses/nos deux "moi" à la fois.

Conduire était probablement dangereux, alors nous avons /j'ai pris les transports en commun pour aller à l'université. Nous n'avons/je n'ai pas eu de cours aujourd'hui mais j'ai/nous avons dû maintenir les heures de bureau.

"Professeur Vaubien ? J'ai une question sur les maths derrière le théorème de Bell."
Il a/j'ai levé les yeux vers Gabriel. C'était un bon garçon, calme, réservé, peut-être un peu lent. Étudiant à l'université grâce à une bourse de natation, a bien réussi aux championnats de France et espérait une chance aux Jeux olympiques. Pas le genre que vous imaginez bosser pour un diplôme de physique, mais il a jamais cessé d'essayer de tenter de faire de son mieux. Il a/j'ai décidé de revoir les maths avec Gaby, quand elle a/j'ai été interrompu(e).

"Professeur Vaubien ? Pouvez-vous m'aider avec cette équation ? Je pense que j'ai raté quelque chose."
Elle a/j'ai levé les yeux vers Clotilde. Elle était du genre "mauvaise fille"… du moins, elle essayait de se donner ce look. Pas le genre que vous imaginez bosser pour un diplôme de physique, à moins que vous ne la connaissiez. Sous ses jeans déchirés, ses tatouages, son iroquoise rose vif et sa langue acide et fourchue se cachait un esprit vif.

Nous avons eu un moment de panique en réalisant que nous venions de passer quelques secondes inconfortables dans une sorte de fugue. "Désolé," nous avons/j'ai dit, "Quelle journée étrange !"

Pour une raison qui n'est pas encore claire pour nous/moi, elle/moi et il a/j'ai changé de place. Elle a/j'ai trouvé une nouvelle approche pour expliquer les parties difficiles à Gabriel, pour l'aider à les saisir, pendant qu'il a/que j'ai étudié l'équation de Clotilde, trouvant une erreur arithmétique au milieu, et l'aidant à la retravailler à partir de cette correction.

Nous avons/j'ai terminé la journée avec une cafetière de café frais dans le garage, en essayant de redémarrer l'appareil. En travaillant à partir d'extrémités opposées, nous aurions dû être capables de résoudre les problèmes en deux fois moins de temps qu'il n'en aurait fallu autrement.

Le fait était qu'il n'y avait rien de mal avec l'appareil. Il avait juste refusé de continuer à tourner ou de redémarrer. Les niveaux de puissance d'entrée et de sortie et la consommation d'ampérage sur le circuit indiquaient tous qu'il fonctionnait toujours, mais… rien.

Même après avoir débranché l'alimentation, l'appareil affichait toujours du courant circulant dans les circuits, ce qui correspondait à la mise sous tension. La cafetière vide depuis longtemps, nous nous sommes préparés pour aller au lit.

Devant le lavabo, nous nous sommes regardés/je me suis regardé dans le miroir. Les mêmes yeux, les mêmes lignes fines autour de ces derniers, les mêmes racines de cheveux, mais une forme masculine et féminine toutes deux visibles dans la glace. C'était étrange, et peut-être même plus troublant que la conscience d'être deux versions dans deux univers simultanément.

Nous avons/j'ai appelé l'université et avons/ai demandé à nos/mes assistants d'enseignement de prendre en charge les conférences pour le reste de la semaine. Chaque minute d'éveil a été passée dans le garage, essayant tout pour réinitialiser les appareils. Nous avons/j'ai finalement décidé de les détruire. Les décomposer en débris inutilisables et ne plus jamais tenter cette expérience.

Je veux juste prendre une bière, puis retourner dans ma piaule et étudier.

Il m'a vu au bar et s'est approché. " Professeur. Vaubien! On vous voit jamais ici.
- Salut, Gaby. Je suis en arrêt de travail, appelle-moi Joseph ou Jo.
- Eh bien, Professeur Jo, je vous aurais jamais cru du type à boire du vin."

J'ai fait tourbillonner le verre de rouge et j'en ai humé de nouveau le contenu. "Je me souviens d'avoir apprécié ça dans un autre univers", j'ai dit.
" Est-ce que c'était aussi bon que dans celui-ci ?
- Oui. Absolument.
- Pensez-vous qu'il soit réellement possible de voyager dans un autre univers?" il m'a demandé.

Nous avons/j'ai commencé à expliquer à Clotilde et à Gaby comment l'univers était bien dans le rayon de Schwarzschild en ce qui concernait la quantité de masse présente, et comment cela présentait la possibilité que l'univers lui-même ait un horizon d'événements dans lequel nous avions tous notre place. À condition de pas se gourrer de nid de coucou.

Pendant cette explication, j'ai cessé de sentir mon autre "moi" et je me suis soudain senti(e) très seul(e). C'est grave, doc ?

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