27 oct. 2022

681. L'attrape-rêves



L'attrape-rêves

Deux hommes occupent une pièce d'aspect plutôt stérile avec des murs peints en blanc, des chaises de même couleur et ce qui ressemble à une lampe très puissante et perçante montée sur un bras métallique articulé. 
Un homme est debout, vêtu d'une chemise, d'un pantalon et de chaussettes bleu clair. Un regard de curiosité intense se lit sur son visage. À ses pieds se trouve un masque ressemblant à la toile du masque à Spiderman sauf qu'il est pas rouge et noir comme celui de ce trapéziste de haute voltige mais transparent et cousu de fils bruns qui s'entrecroisent. 
L'autre bonhomme est assis. Il est habillé très différemment, portant un costume devant coûter la peau du cul et une cravate en soie à peine moins chère et assortie au costard de tout à l'heure. 
Il n'y a aucune intensité sur son visage. Il a l'air fatigué, comme si qu'il venait juste de se réveiller il y a peu de temps sans avoir eu le plaisir de s'envoyer un expresso et regrettait déjà le passage du sommeil. L'ampoule de la lampe est pointée en direction de sa tronche, éteinte maintenant depuis un court instant. 
Rompant le silence qui s'était attardé dans la pièce depuis cinq bonnes minutes, l'homme debout, celui qu'est fringué en bleu clair qui coûte pas cher, se met alors à parler.

"Voici ce que j'ai vu quand je vous ai cherché et trouvé. Vous vous teniez presque complètement caché derrière une ribambelle de grandes bennes à ordures à roulettes noires dans une renfoncement sans issue sombre et lugubre percé entre trois immeubles de briques sales. Au début, je pouvais pas voir ce que vous teniez plutôt fermement dans votre main droite. Mais ensuite, vous avez levé cette dernière jusqu'à ce qu'elle soit au niveau de votre tête, et j'ai pu voir que ça ressemblait à une pierre très ronde de la taille d'une orange que vous teniez. Il y avait autre chose que vous teniez dans votre main gauche, mais je ne pouvais pas voir exactement qu'est-ce que c'était à ce moment-là. Il est surprenant que sa nature soit un mystère dont je vous parlerai plus tard."

En réponse, l'homme toujours assis se contente de hocher la tête en signe d'accord, mais sans rien dire. Puis l'homme debout continue de commenter ce qu'il a vu récemment.

" J'ai regardé aussi loin que possible sur la gauche et j'ai vu une femme à l'air plutôt en colère avec des cheveux roux étroitement bouclés s'approcher, ses mains serrées en deux poings rageurs, ses jambes bougeant plus vite que j'aurais pensé qu'elles étaient capables de le faire. Elle se dirigeait droit sur vous. Je dirais qu'elle le faisait avec une intention, pas des plus pacifiques, bien définie. Ensuite, vous avez retiré votre main, manifestement avec une sombre intention, mal définie, à l'esprit, comme si que vous vous prépariez à lui balancer la pierre en pleine poire. Alors j'ai vu la chose la plus étrange. Ce que je pensais être un caillou m'est soudainement apparu comme étant en fait une balle en mousse. Vous l'avez lancée, et elle l'a balayée d'un mouvement rapide de sa main ouverte, accompagné d'un rire sinistre qui s'est prolongé et s'est attardé dans l'air. Je peux encore l'entendre maintenant dans mon esprit, cela m'a fait une forte impression et laissé un goût amer dans les gencives."

L'homme assis sur la chaise parle enfin, en disant " Absolument. Il en a toujours été ainsi." L'homme debout continue alors de raconter ce qu'il a vu et entendu.

" Elle a alors cessé de rire, a ramassé la balle en éponge et lentement, s'est approchée de vous. Quand elle est arrivée à portée de bras, elle a poussé brusquement la balle en avant de manière à vous en frapper en plein milieu de l'estomac. Je jurerais qu'à ce moment précis la balle ressemblait de nouveau plus à un caillou qu'à une balle en éponge. Son rire est alors revenu, et c'était tout aussi obsédant que la première fois. Alors j'ai pu voir ce que vous teniez dans votre main gauche. Ça avait la forme d'un cœur, du moins pour sa partie supérieure, c'est tout ce que je pouvais voir. Mais de la même manière que je l'ai vu, elle l'a vu aussi. Sa main droite a jailli et l'a arraché de votre main gauche. Un grand sourire est apparu sur son visage. Je pouvais voir maintenant que c'était un objet en forme non seulement similaire à l'image populaire d'un cœur stylisé genre ceux dont on décore les vitrines à la Saint Valentin, mais plus encore comme un véritable cœur humain. Après l'avoir attrapé férocement, elle s'est dirigée avec audace vers l'une des bennes à ordures à roulettes, en a soulevé le couvercle, a fourré votre "cœur" dedans, puis elle a claqué le couvercle avec plus de force que nécessaire. Je ne peux qu'imaginer ce que cela vous a fait ressentir."

Il y eut un autre hochement de la tête qui émergeait du col du costard qui valait la peau du cul, accompagné d'un visage attristé qui pendait comme une feuille au milieu de l'automne juste avant qu'elle ne s'envole, emportée par une bourrasque. Mais il ne pipa mot.

" J'ai dû arrêter de la regarder pendant un moment, mais je l'ai pas vue quitter les lieux. Peut-être existe-t-il un autre moyen de sortir de l'impasse qui contenait les bennes à ordures et qu'elle est partie par cette sortie cachée. Mais j'ai vu une autre personne s'approcher, lentement, prudemment, comme si qu'elle avait un peu peur de s'approcher trop près de vous. Elle s'est arrêtée un moment et a attendu que vous regardiez dans sa direction. Quand vous l'avez fait, vous avez souri, tout comme elle. Votre sourire a dû l'encourager, alors qu'elle reprenait sa marche dans votre direction. Elle a tendu les deux mains, tout comme vous, et vous avez tenu vos quatre mains les unes en face des autres."

Il y a une brève pause.

"Alors, est-ce que c'est bien ce que vous avez rêvé quand je vous ai drogué jusqu'à l'inconscience, que la lumière bleue était dirigée vers votre tête et que je portais le masque récepteur ? Je pense pas avoir inventé tout ça avec ma propre imagination pourtant très actifertile. Qu'en dites-vous ?
- Oui, vous avez raison. C'est exactement ce que j'ai rêvé dans ma stupeur défoncée. Et juste au cas où que vous vous poseriez la question, la première femme qui est apparue, la méchante rouquine salope et frisée, était ma première femme. Il n'était pas difficile pour moi d'imaginer qu'elle aurait fait ce que je l'ai vue faire dans mon rêve. Bien sûr, la deuxième femme était ma seconde épouse actuelle. Encore une fois, c'est exactement ce qu'elle aurait fait dans la vraie vie. Donc, en réponse à la question que vous ne m'avez pas encore posée, oui, je soutiendrai financièrement votre invention du scanner de rêves. Je peux voir très clairement ses applications pratiques, devant les tribunaux et dans les hôpitaux, mais je soupçonne que ce serait une énorme atteinte à la vie privée si les citoyens lambda étaient autorisés à l'utiliser. Maintenant, avez-vous dit que le masque était aussi un appareil enregistreur ? Je me rappelle plus trop. Si c'est bien le cas, j'aimerais que ma femme voie ce dont je rêvais. Je vous promets, et je le mettrai par écrit si vous l'éxigez, que personne d'autre ne le verra, pas même ma première femme, même si j'adorerais montrer à cette salope ma vision de ce qu'elle était.
- Oui, il y a une fonction d'enregistrement de rêves sur le masque. Maintenant, la partie de la séquence dont je vous ai pas parlé est celle où que vous montriez l'enregistrement à votre première femme, celle que vous considérez comme une salope. Je pense qu'une déclaration écrite préalablement établie devant un huissier de justice sera nécessaire avant que je vous en parle."

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