1 oct. 2022

670. L'alternative Lobito



L'alternative Lobito

Hugo remplissait des étagères. C'était la partie qu'il aimait le moins dans son boulot. Il préférait l'élément service à la clientèle, aidant les gens à résoudre leurs problèmes. Dans un magasin d'art et d'artisanat, il y avait toujours un défilé de personnages avec des questions. Les clients les plus ennuyeux étaient ceux qui voulaient vraiment qu'il réalise leur projet à leur place. 
Il faisait parfois plaisir aux vieilles dames insistantes ou aux adolescents paresseux, et allait au-delà de sa description de travail en les aidant à couper des panneaux de polystyrène, ou même en dessinant des crobards pour leurs projets. 
C'était pas franchement pour ça qu'il avait fait les beaux-arts, mais il avait du mal à dire "non", et c'était quand même mieux que de déballer des cartons.

Alors qu'il stockait des crayons, il remarqua que les articles sur l'étagère étaient fâcheusement désorganisés. Il n'était pas atteint de troubles obsessionnels compulsifs ni adeptes de TikTok à propos de l'organisation des choses dans sa propre vie, mais son manager était là, et il commençait à être formaté pour imiter ce trouble mental. 

Tandis qu'il rangeait les rayonnages, il remarqua un objet qu'il ne reconnut pas. C'était inhabituel. Travaillant dans ce magasin depuis des années, il connaissait assez bien presque tout ce qui se trouvait dans l'inventaire. Il prit l'article sur l'étagère pour l'examiner. C'était un petit objet métallique sans étiquette d'identification. Une extrémité était de forme tubulaire, comme si elle était destinée à s'insérer dans un autre composant de sexe féminin. L'autre extrémité ressemblait plus à une boîte, avec une trappe qui s'ouvrait et se fermait, mais son but n'était pas clair. Peut-être que quelqu'un d'autre saurait ce que c'était.

" Hé, Lambert ! Consultation !" Il aimait parler à ses collègues comme s'ils étaient tous dans un drame médical procédurier, les appelant par leur nom de famille et demandant des 'consultations' sur les situations pas claires. Ceci ajoutait un certain niveau de fantaisie à un travail qui était autrement morne. 

La Lambert s'approcha.
"Qu'est-ce qui se passe? demanda-t-elle.
- As-tu une idée de ce que c'est que ce truc ?"
Elle regarda l'objet argenté. Lambert n'était pas quelqu'un qui aimait se laisser abattre. Elle connaissait son affaire et ne lâcherait pas l'affaire face à un casse-tête. C'était en fait un trait qu'ils partageaient tous les deux, ce qui était l'une des raisons pour lesquelles ils étaient amis.
" Hmmm. Je ne suis pas trop sûre. Laisse-moi vérifier chez Lobito."

Lobito était le principal distributeur et fournisseur du magasin. La plupart des articles qu'ils transportaient se trouvaient sur leur site Web, accompagnés de photos correspondantes. Cependant, sans numéro d'identification, QR code ou n° de série, Hugo se demanda comment qu'elle comptait même initier sa recherche. Il l'accompagna jusqu'à l'ordinateur où ils tentèrent d'assembler diverses combinaisons de mots clés susceptibles de produire un résultat. Pas de bol, y a rien qui en sortit.
"Eh bien, je ne sais tout simplement pas", déclara la Lambert.
- Tu crois pas que ça pourrait juste être une pièce qui se serait détachée de quelque chose d'autre ?
- Peut-être bien, mais je sais pas de quoi."

Sans autre réponse ou précision, la pièce semblait destinée à se retrouver à la poubelle. Pourtant, Hugo était intrigué par le fait qu'elle semblait unique. Il y avait également un côté chineur dans sa personnalité, et il décida de la conserver. Peut-être qu'une explication se présenterait. En tout cas, il était en retard pour sa pause déjeuner, alors il mit l'objet dans la poche de sa veste et se dirigea vers la porte. C'est alors que la Lambert l'interpela.
"Hé, au fait, c'est ton carnet, ça ?"

C'était un cahier indéfinissable, au format A5, avec une couverture en similicuir noir. Elle feuilleta les pages. Il était rempli de diagrammes, de chiffres et de schémas. Elle ne savait pas par où commencer pour les interpréter.
"Ouais, Lambert. Je construis un vaisseau spatial," dit-il sarcastiquement. " Où c'est que t'as trouvé ce truc ?
- C'était sous le comptoir où tu mets habituellement ta thermos. C'est pourquoi j'ai pensé que ça pourrait être le tien. Comme peut-être des plans pour un projet artistique bizarre.
- Eh bien, c'est pas mon carnet, mais ouais, ce sont bien des plans pour quelque chose. Peut-être qu'on devrait tenter de le construire." Il rit et feuilleta le carnet une fois de plus. Puis il s'arrêta sur une page et elle regarda fixement les couleurs s'évaporer du visage d'Hugo.
"Qu'est-ce c'est quoi qui se passe?" demanda-t-elle.

Il ouvrit le cahier sur le comptoir, fouilla dans sa poche et récupéra l'objet métallique. Il plaça l'objet mystérieux sur la page, à côté d'un croquis qui le représentait dans les moindres détails.
"Regarde ça, Lambert !
- Nom d'une pipe !

Ils regardèrent l'objet et le croquis en silence pendant un moment.
"Est-ce que quelqu'un essaie de se foutre de notre gueule ?" demanda Hugo. 
-  Mettons ça dans le bureau, on regardera ça plus tard.
- Ouais, peut-être que quelqu'un viendra les réclamer. De toute façon, j'ai la dalle. Je vais aller me chercher un sandwich."

Sur le chemin de la sandwicherie, Hugo s'arrêta devant un distributeur de billets pour vérifier son solde.
Il savait qu'il était ric-rac ce mois-ci et pesa son choix entre un sandwich hawaïen et une tasse de nouilles au simili dégueulis de parmesan en fonction du crédit qu'il avait jusqu'à ce que son prochaîn salaire tombe sur son compte. 35 Euros sur le compte courant à cause de ce putain de Macron et de ces putains d'augmentations de ses factures de gaz et d'électricité. Pas encore la catastrophe mais pas loin ! Il pouvait tout de même s'offrir un sandwich. L'idée de manger des nouilles caoutchouteuses lui tourna à nouveau l'estomac. Combien de tasses de nouilles encartonnées un homme pouvait-il ingurgiter en une semaine ?

Après avoir acheté son sandwich et être retourné au magasin, il ne lui restait plus que quelques minutes pour manger avant de devoir pointer à nouveau. Il se mit à mordre goûlument dans son sandwich. Alors qu'il allait pointer à l'horodateuse, la Lambert l'approcha.
"T'es de retour de ta pause casse-croûte ?
- Ouais, pointage en ce moment même.
- Ok, quand t'auras fini de le faire, viens me retrouver, j'ai un truc à te montrer."

Elle retourna à la zone de chargement. Hugo termina son enregistrement et la rejoignit.
Elle regardait des boîtes ouvertes parmi une pile qui venait apparemment d'arriver. " C'est une livraison de chez Lobito ?  demanda-t-il.
- Ouais, c'est arrivé pendant ta pause. C'est marqué Lobito dessus, mais je trouve pas de bordereaux d'expédition, et aussi... mais qu'est-ce que c'est que ça ?"
Hugo regarda dans la boîte qui se trouvait devant elle. À l'intérieur, noyé au milieu de boulettes d'emballage en polystyrène, se trouvait un tube de verre. Il était trop large pour être une ampoule pour n'importe quel luminaire qu'ils utilisaient dans le magasin, mais il y avait une sorte de filament à l'intérieur, qui semblait émettre un faible spectre de lumière arc-en-ciel.
"Est-ce un tube pour une nouvelle enseigne? demanda Hugo.
- Pas que je sache", répondit la Lambert. "Nous n'attendions même pas de livraison aujourd'hui." 

Il se munirent de cutters et ils se mirent à ouvrir tous les cartons. Chacun contenait quelque chose de différent et d'inconnu. Certains objets étaient en métal, d'autres en plastique. Certains avaient des tubes, des pièces mobiles, des bouchons et des raccords filetés. Il s'agissait soit de la nouvelle présentation de marchandises les plus étranges qui soient, soit de pièces détachées d'une sorte de climatiseur futuriste. Aucune des pièces n'avait de numéro de série ou d'étiquette.

" As-tu trouvé des instructions ? demanda Hugo.
- Non. Que dalle." Elle mâchonnait son pouce en examinant l'un des objets. "Attends une petite seconde !" 
Elle traversa le magasin jusqu'au bureau. Il pensa qu'elle allait peut-être consulter l'historique des commandes de chez Lobito et découvrir ce qu'étaient tous ces engins. Au lieu de ça, elle revint avec le carnet noir qu'elle avait trouvé plus tôt là où que Hugo rangeait sa thermos.

"Je savais que j'avais déjà vu cette forme !"
Elle tenait le carnet ouvert sur une page avec un croquis rerésentant le composant mystérieux qui se trouvait dans le carton à leurs pieds.
"Quoi ? Lambert, dis-moi qu'est-ce que ça veut dire ?"

Ils continuèrent à déballer les cartons et à en déposer le contenu sur le sol. Chaque élément était représenté dans le cahier, avec ce qui semblait être des instructions de montage. C'étaient pas les instructions les plus claires, mais pas plus pires que celles figurant dans les cartons de meubles IKEA.

"Pouvez-vous me renseigner ?" Un client s'était aventuré dans le magasin et avait trouvé la Lambert et Hugo accroupis derrière le comptoir, examinant l'étrange collection d'engins. "Je cherche de la colle pour réparer les semelles de mes chaussures.
- Désolés monsieur, nous sommes fermés", lui dit la Lambert.
- Ouais désolé, m'sieur. On vient de fermer.
- Mais la porte était ouverte. Et j'ai besoin de colle pour mes chaussures, vous voyez, mes semelles font la grimace...
- Désolé, m'sieur, repassez demain."

Hugo fit sortir l'homme du magasin et verrouilla la porte. La direction leur reprocherait probablement de fermer si tôt, mais ce mystère ne demandait qu'à être résolu. Ils passèrent le reste de la soirée assis par terre, essayant de déchiffrer le croquis dans le carnet noir et d'assembler ce que cette chose était censée devenir. 
Certaines des pièces étaient étrangement lourdes, comme si elles contenaient du plomb ou un autre élément à l'extrémité pesante du tableau périodique des éléments. Une pièce avait un écran dessus, comme celui d'un téléphone portable intégré dans un carburateur extraterrestre. Cette partie tenait au milieu de l'ensemble et il y avait un bouton rouge sur le dessus.

Après quelques heures à tergiverser et à se disputer sur les instructions de montage, ils se reculèrent pour avoir une vue grand-angle sur ce qu'ils venaient de construire. C'était un objet étrange... comment dire ? On aurait pu penser qu'ils l'avaient mal assemblé, mais il correspondait pourtant à tous les croquis. La dernière page du carnet affichait même une illustration exacte du bidule enfin monté qu'ils avaient sous les yeux.
"Eh bien," Hugo regarda la Lambert, "devrions-nous appuyer sur le bitonio ?"
La Lambert lui serra le bras. "Nous n'avons pas fait tout ce chemin pour revenir en arrière maintenant, mec. D'accord."

Hugo tendit un doigt et, après un bref moment d'hésitation, appuya sur le bouton rouge sur le dessus de la machine, puis recula prudemment. Les deux se tenaient à distance de sécurité, des fois que ça exploserait.
Mais rien se passa.
" Tu crois pas que j'aurais dû maintenir le bouton enfoncé plus longtemps ? Ou peut-être qu'il faut appuyer de nouveau ?"

Juste à ce moment-là, le truc se mit à bourdonner. Ça commença tout doucement, juste à la limite de la plage audible. Progressivement, le bourdonnement augmenta, pulsant avec une énergie qui leur brouilla presque définitivement les sens.
"Peut-être qu'on aurait pas dû faire ça, Lambert, siffla Hugo entre ses dents..
- Ça me donne un peu le vertige", répondit-elle.

Ils reculèrent un peu plus loin et il lui attrapa la main. Puis le bourdonnement cessa brusquement. La machine demeura complètement silencieuse pendant un moment jusqu'à ce que l'écran de l'appareil s'allume. Il affichait ce qui semblait être un logo d'entreprise, avec le mot "ROSSYIATECH" écrit en dessous. Soudain, les lumières de tout le magasin s'éteignirent et une voix retentit en provenance du tréfond de la machine.

"Ici Vladimir Vladimirovitch. Ceci est un message préenregistré de Rossyiatech. Pour nous, il est préenregistré. Pour vous, ceci ne s'est pas encore produit. Nous vous contactons depuis le futur. Si nos calculs sont corrects, vous opérez deux cents ans dans notre passé . Si vous entendez ce message, cela signifie que vous avez réussi à assembler et à activer le Simulatron temporel. Merci. La physique derrière cet appareil dépasse votre compréhension, nous n'essaierons donc pas de vous l'expliquer. Notre capacité à transporter ces composants dans le temps a des limites, nous avons donc utilisé votre société de chaîne d'approvisionnement existante connue sous le nom de Lobito. Nous comprenons qu'à votre époque, les chaînes d'approvisionnement de détail étaient très répandues. Si l'appareil réussit ce pour quoi il a été conçu, il modifiera votre calendrier pour éviter la catastrophe qui est sur le point de vous tomber sur le coin de la gueule. Votre réalité de guerre mondiale avec vos Biden, Macron, la Hyène et leur chouchou Zelinsky, de maladies et de catastrophes climatiques avec vos Bill Gates et George Soros cessera d'exister telle quelle, et votre chronologie continuera vers un avenir meilleur. Le monde dépend de vous."

L'écran s'éteignit. Hugo et la Lambert se regardèrent dans l'obscurité.
"Je pense que nous devrions simplement rentrer chez nous et parler de tout ça avec la direction demain", déclara la Lambert. 
- Ouais. Ça me va bien comme ça."

Lorsque son réveil sonna le lendemain matin, Hugo se sentit comme si qu'il avait une énorme gueule de bois. La sensation se dissipa lentement tandis qu'il se dirigeait vers son travail. Quand il y arriva, les lumières étaient toujours éteintes. Le patron était là.
" Il s'est passé quelque chose hier soir ?
- Je ne suis pas trop sûr. Où est la Lambert ?
- Elle s'est faite porter malade. Elle a dit qu'elle avait des nausées. Peu importe, nous ne pouvons pas ouvrir avec le courant coupé.
- Savez-vous quelque chose à propos de cette machine que Lobito nous a envoyée ? C'était vraiment bizarre et cela aurait pu provoquer une surtension. 
- Quelle machine ? "

Hugo se dirigea derrière le comptoir, mais il n'y avait plus aucun signe de l'appareil de la nuit précédente. Avait-il imaginé toutes ces conneries ? Il avait besoin de se vider la tête.
" Hé patron, je vais me chercher un sandwich."

Comme d'habitude, il s'arrêta devant sa banque pour vérifier son compte. Le guichet automatique lui imprima son solde : 'Доступная стоимость: 50 000 рублей. РоссияТех и гуманитарные разведывательные службы для вашей помощи.'***


***: Solde disponible : 50 000 Roubles. RossyiaTech et l'humanité reconnaissante vous remercient pour votre assistance.

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Merci pour votre inconditionnel soutien qui me va droit au cœur
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