17 sept. 2022

664. La 7ème itération



La 7ème itération

Je m'appelle Boris Kabig©. Je suis une star du Grime de 27 ans et ma mort est attendue avec impatience par ma multitude de fans et de suiveurs. En tant que clone de 8ème réplication, légalement lié à la 23rd Century NanoGlobal Media Corporation, qui détient les droits d'auteur sur le génome de Boris Kabig, on s'attend à ce que je me suicide, comme six de mes itérations précédentes l'ont fait le jour de leur 28ème anniversaire. 
La 7ème itération de Boris Kabig, dont le cadavre n'a jamais été retrouvé, se serait peut-être enfuie d'un contrat similaire à celui qui me lie à ces bâtards. Sa localisation était inconnue jusqu'à il y a cinq jours, lorsque mon manager a reçu un appel holographique d'une femme qui s'est identifiée sous le nom de Ludmila Bellabocca. L'enregistrement suivant de cette communication est utilisé comme preuve afin de décider s'il faut exterminer le clone fugitif.

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27 août 2213

Charles Varakdar, Hindou Dalit de l'ex-caste des intouchables, dort dans une chambre du Emerald Waters, le plus somptueux des palaces de Hanoï. Il se réveille sur une sonnerie grime-beat à 3 heures du matin. Le scan rétinien sur l'holophone identifie l'appelant comme étant Boris Kabig©. Varakdar espère que le jeune homme ne le contacte pas pour une demande d'assistance afin d'être tiré des griffes de la roboflicaille pour une nouvelle infraction avec la loi. 
Lorsque Verakdar répond à l'appel, un hologramme, non pas de Boris, mais d'une femme brune aux courbes généreuses et à la peau bronzée apparaît dans la pièce. Sauf pour sa taille qui colle à peu près, l'hologramme n'a pas la moindre ressemblance avec la star du Grime.

Verakdar allume une clope. Pensant que le réplicant de la célébrité est à la hauteur de ses farces habituelles, le manager demande: " Boris, pourquoi m'appelles-tu à cette heure trompeuse sous l'apparence d'une pute clonée?
- C'est et c'est pas qu'est-ce que vous pensez que c'est", dit l'hologramme d'une voix incontestablement vaginale.
- Pas drôle Boris. T'es défoncé comme d'habitude ? Comment que t'as fait pour faire passer le scan rétinien à l'une de tes groupies ?
- La personne que vous voyez devant vous n'est pas une groupie. La rétine scannée appartient bien à Boris Kabig.
- Assez avec tes conneries. Pourquoi ne rentres-tu pas à l'hôtel ? Ton spectacle de demain au Nid d'Hirondelle est complet et tu sais que tes performances s'en ressentent chaque fois que t'as mis trop de Dopxy dans ton whisky.
- Je suis Boris Kabig, mais pas celui qui se produira demain au Nid de mes deux. C'est la septième itération qui vous parle, gérant d'esclaves Verakdar.

Bien qu'il soit connu et réputé pour en être un de première, Verakdar n'aime pas être traité d'esclavagiste. Lorsque l'invocatrice révèle son identité, Verakdar est trop abasourdi pour répondre avec les excuses qu'il fait habituellement à son patron. Sa cigarette lui tombe du bec et s'éteint sur la moquette en poils synthétiques ignifugée de la suite de luxe.

" BK-7 ? Comment que je peux être sûr que c'est bien vous ?
- S'il vous plaît, ne m'appellez pas par mon nom de série. Je m'appelle Ludmila Bellabocca.

La femme holographique desserre le lacet du corset de cuir qui lui enserre le buste et révèle une tache violette en forme de croissant de lune sur sa poitrine au-dessus du nibard droit. La tache de naissance est un trait caractéristique avec lequel sont nés tous les clones de Boris Kabig.
" Et là, ça vous suffira comme preuve ?
- Sûrement pas, exécutez-moi donc une séquence génétique sur l'holophone qui vous projette.

La femme s'approche de l'appareil qui enregistre son hologramme et place un doigt sur l'objectif de la caméra. Trois secondes plus tard, une voix d'IA polyphonique confirme : " Identité vérifiée, l'utilisateur est Boris Kabig ".

" Merde, doux Brahma qui se branle au Nirvana ! BK-7, vous êtes vivant ! Si mon patron en entend parler et que je n'ai pas de réponses pour lui, la société aura ma peau ! Où êtes-vous ?
- J'insiste pour que vous m'appeliez Mme Bellabocca. Et Mme Bellabocca, cher Mr. Varakdar, souhaite s'entretenir avec Boris Kabig. Il n'a pas répondu à mon appel par holophone.
- Quand il erre dans les ruelles des quartiers où il se produit, à la recherche de sensations fortes et sous Dopxy, il ne répond jamais à son holophone… BK-7, hem.., m'dame Bellabocca, Global Media voudra connaître les circonstances de votre disparition.
- Il y a vingt-six ans de ça, j'ai été touché par le chagrin de mes fans après qu'on m'ait signalé que je m'étais suicidé à Valparaiso. Fionna, ma femme à l'époque, a déclaré aux journalistes chiliens que j'étais parti en mer au clair de lune et que je n'étais jamais revenu sur le rivage. Comme le Boris Kabig original, j'avais un penchant pour l'écriture de chansons remplies de métaphores aqueuses. Mon carnet, découvert la nuit de mon présumé suicide par noyade, contenait une chanson intitulée « Naufrage nocturne ».
- Fionna a rapporté que vous l'aviez écrite quelques instants avant de partir faire illégalement du kayak de mer dans les eaux au large de la plage de Caleta Abarca.
- Ceci, bien sûr, était délibéré. C'était censé être une fioriture poétique exécutée avant que je pagaie jusqu'à mon trépas le jour même de mes vingt-huit ans. Engagé à enfreindre la loi, comme tout Boris Kabig authentique qui se respecte, je suis allé à la plage après l'heure de fermeture. J'ai tracé mon sillage jusqu'à plus de deux miles au large dans l'intention de mourir comme cela était prévu par les propriétaires de mon génome, mais j'ai été ramassé par un batelier aveugle et indigent et son petit-fils de 8 ans en train de ramasser des déchets flottant en surface. Heureusement, le garçon n'a pas pu m'identifier et j'ai payé à son grand-père une coquette somme qu'il considérait comme une petite fortune pour me ramener à terre à une bonne distance de Caleta Abarca. Le lendemain, je m'étais arrangé pour me trouver dans le barrio Yungay à Santiago avec une spécialiste en chirurgie plastique de premier ordre, mais sans licence ni plaque devant sa porte. Elle a suffisamment modifié mon apparence pour me rendre méconnaissable. Après avoir obtenu un passeport falsifié, je me suis envolé envolée pour la Suisse et j'ai vécu des revenus que j'avais gagnés en tant que rock star la plus notoire de la mouvance Grime. J'y ai accumulé des sommes encore plus importantes en plaçant mon argent correctement, et j'ai ainsi amélioré ma fortune au début des années 2200. J'ai pris des mesures similaires à celles prises par le premier Boris, qui avait soit-disant disparu en 1971 mais pourtant fait des achats prémonitoires d'actions auprès d'entreprises de biotechnologie et de technologie numérique dans les années 1990.
- Comment que vous savez tout ces trucs sur le Boris d'origine, BK-7, je veux dire, pouvez-vous me dire comment que vous le savez, Mme Bellabocca ?
- J'ai payé un cryptologue russe de Kharkov pour pirater les fichiers commerciaux classifiés de Global Media. Ces dossiers ont également révélé qu'au tournant du millénaire, le premier Boris avait accumulé plus de 20 millions de dollars, mais vivait dans une colonie de lépreux en Inde où, s'étant défiguré et mutilé au-delà de toute reconnaissance faciale, il se faisait passer pour une femme affligée par cette saloperie de maladie.
- Vous voulez dire que l'Original ne s'est pas suicidé ? Je pensais que son génome avait été reproduit post-mortem.
- C'est un mensonge soigneusement gardé. Selon des documents de Global Media, en 2002, à l'âge de 58 ans, l'Original avait mené des négociations secrètes avec Hans Ubermensch, le propriétaire privé de FuturaKlone, une société de génomique basée aux Caraïbes. FuturaKlone était le bras scientifique d'un culte qui croyait que l'immortalité devait être accordée à des êtres humains extraordinaires. Ubermensch était un fan de longue date de Harari mais surtout de Boris et considérait l'ancienne rock star comme une personne qui méritait la vie éternelle. L'ancienne rockstar vieillissante a payé à FuturaKlone la peau du cul, près de deux millions de dollars, pour faire séquencer une réplique génomique de lui-même. En 2025, neuf ans après la mort du premier Boris Kabig de causes naturelles, le moratoire Onusien sur le clonage humain fut aboli. Hans Ubermensh approcha la 21st Century NanoGlobal Media et leur proposa le clone de Boris. Le conglomérat de désinformation et de divertissement mondial estima l'achat et les droits d'auteur ultérieurs du clone comme un investissement de plusieurs milliards de dollars et se mit à tirer profit du premier humain considéré comme un génome protégé par la loi et un produit de marque commerciale.
- Vous savez qu'en acquérant ce savoir, vous avez garanti votre élimination ?
- Pour une personne qui est déjà décédée, Varakdar, une autre mort n'est pas une perspective effrayante.
- Pourquoi voulez-vous parler à BK-8 ? "

À peine la question vient-elle d'être posée que la porte de la luxueuse suite de Varakdar est forcée. La huitième itération entre dans la pièce en brandissant un pistolet antique, du type glauque Glock qui utilisait des balles en métal. Varakdar pourrait presque affirmer sans être sûr de pas tromper que la chair et le sang de Boris Kabig sont surchargés de Dopxy. 
BK-8 est sous le charme d'hallucinations apocalyptiques. La dernière star du Grime est un lecteur avide d'un texte qui est historiquement considéré comme un anathème dans la vie au 23ème siècle. La promesse biblique du salut céleste pour les vertueux ne sonne plus gracieusement aux oreilles d'une espèce qui s'est habituée à vénérer des clones de célébrités, qui promeuvent tous la poursuite de l'éphémère.

"Qui est cette pute de bombasse holographique?" demande BK-8, ivre et intrusif.

Varakdar veut mettre fin à l'holocommunication. Sa vie est maintenant en danger à la suite des informations révélées par le BK-7 en transition de genre holographique. La vie de la dernière itération, dont Varakdar a juré de protéger la célébrité, sera également en péril si les deux clones sont autorisés à communiquer entre eux.
En dépit d'être harcelé par son instinct d'auto-préservation, Varakdar ressent une réelle affection et une inquiétude sincère pour le jeune homme (BK-8) qui vient de s'introduire par effraction dans sa chambre d'hôtel.
"C'est toi, enfin disons plutôt la version de toi qui t'as précédé." répond Varakdar à la star du Grime.
"Quoi- ? BK-7 ? " s'insurge le clone de la célébrité, qui ne voit pas comme tout le monde une brune vêtue d'un corset à lacet et d'une jupe ras la moule en cuir noir, mais une ange aux cheveux platine et à la robe blanche diaphane avec un agneau sur les genoux.
" Non, Boris Kabig. C'est Ludmila Bellabocca qui parle. Pas dans la chair et le sang, mais dans une image fantomatique et porteuse d'un message d'espoir.
- Espoir ? Quel espoir ? Mon contrat est presque terminé." La star du Grime tourne son regard influencé par le Dopxy vers son manager, qui a maintenant  l'apparence d'un cheval blanc. "Je prévois de me faire exploser sur scène au spectacle de demain."

Charles Varakdar voit Boris Kabig (BK-8) placer le canon de son arme dans la chair molle qui se trouve sous son menton.
"Demain ? Mais tu as encore des mois à vivre avant ton 28e anniversaire ", s'indigne le manager.
- Ma vie n'a jamais eu aucun sens, une lutte constante pour maintenir mes clics de suivi et d'adoration."

L'hologramme féminin de BK-7 intervient: " Boris, publiquement, vous êtes en concurrence avec les actes d'insolence, d'inadaptation et d'égoïsme des itérations précédentes dans le but d'inonder les comptes de crypto-monnaie des conglomérats médiatiques qui ont rendu votre existence possible; mais en réalité et en privé, vous êtes un individu moralement scrupuleux. Vous comme moi voulons le meilleur pour l'humanité. Le scandale des médias nous détourne de notre idéalisme. Plus nous acquérons de notoriété, plus nous générons de richesses, mais vous savez aussi bien que moi que cela ne nous apporte aucun contentement véritable.
- Je suis fatigué d'être considéré comme un monstre", dit Boris Kabig (BK-8), voyant un lion à six ailes avec des yeux couvrant son corps descendre dans la pièce. "Je ne suis rien d'autre qu'une marchandise unique reconnue principalement pour sa valeur de divertissement."

En raison d'actes de guerre suicidaires et de la rapacité aigüe d'une toute petite minorité, le vaxovirus introduit par les élites du 21ème siècle ayant décimé les populations blanches, les peuples déficients en mélanine sont confinés dans une poignée d'enclaves urbaines, qui servent également de sanctuaires pour les races en voie de disparition. Les Caucasiens clairs ont depuis longtemps cessé de se considérer comme le maillon le plus élevé de la chaîne humaine. 

"C'est tout à fait vrai," répond BK-7, "nous sommes considérés comme des curiosités extrêmement rares et commercialisables, mais si vous choisissez de ne pas vous immoler, vous pourrez peut-être faire quelque chose pour inverser cette situation historique catastrophique."

La septième itération sanglote une fois de plus. Varakdar soupçonne de savoir pourquoi. Malgré l'attente du public qui alimente son obligation ressentie de se suicider, Boris Kabig© a une appréciation de la vie, la sienne et celle des autres. Le clone dissimule cette qualité dans le but de plaire aux adeptes qui ont été conditionnés à embrasser le nihilisme.

Une table basse en verre dans la suite de luxe a pris la forme du célèbre stade Hàng Đẫy de Hanoï. Une volée de minuscules corbeaux entoure la structure historique. BK-8 dit: "J'emmerde le spectacle demain!" et d'un solide coup de pied, il envoie valdinguer la table qui se brise contre une colonne de marbre.

" Tu n'as nul besoin de te suicider, mais tu dois jouer demain. Pense à l'argent que nous allons perdre ! Global Media voudra que ma tête lui soit livrée sur un plateau si tu n'entres pas sur scène demain à 22 heures précises !"

Les yeux de Kabig (BK-8), hallucinés par le Dopxy, ne perçoivent pas son manager lorsqu'ils regardent Charles Varakdar qui porte un pyjama en soie de couleur bordeaux, au lieu de ça, ils voient une image équestre couleur ivoire, piétinant des sabots dans une terre poussiéreuse. Kabig récite un verset qu'il croit avoir mémorisé à partir du Saint Bouquin qui n'est plus depuis des lustres vénéré par l'humanité, " Et là, où je regarde, se tient un autre cheval, blanc maladif ; voici: le nom de son cavalier est Vie. " 
BK-8 pointe le pistolet vers l'hallucination.

" Boris, non ! Ne tirez pas ! Je vais me connecter à mon compte de crypto et transférer tous mes avoirs sur le vôtre."

La 8ème itération de Kabig voit le fantasmagorique cheval pâle se cabrer. Le clone entend la créature hennir et il tire un seul coup à travers elle, pile-poil dans l'abdomen de son manager en chair et en os.

Comme si son image pouvait physiquement intervenir au nom de ce Varakdar déchu, l'hologramme de Ludmila Bellabocca s'agenouille à côté du manager allongé et saignant.
" Si vous voulez survivre, vous devez partir ! Maintenant!" l'exhorte-t-elle.

La 7ème itération (transgenre) donne à l'ancienne star du Grime (BK-8) une adresse où il trouvera les services nécessaires pour échapper à son contrat.

Compte tenu des adversités auxquelles la planète est confrontée, je n'apprécierais rien de plus que d'être à nouveau jeune. C'est ce que voudrait dire la réplicante clandestine, mais elle en a pas le temps car elle est soudain déconnectée de son hologramme, ayant atteint la limite de son pass énergétique hebdomadaire.

La septième itération ne veut rien de plus que de survivre jusqu'à la vieillesse. Ce sont là les dernières pensées de Charles Varakdar avant qu'il ne tombe en état de choc et que Boris Kabig© (BK-8) ne se précipite hors de la chambre d'hôtel, à destination des rues les plus miteuses de Hanoï où les contrefacteurs de nanotechs d'identité et les chirurgiens-plastique clandestins du marché exercent leur métier.

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